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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 22 juin 2021, n° 18/21351

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Eurolam (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Douillet

Conseillers :

Mme Lehmann, Mme Bohée

Avocat :

SCP Grv Associes

TGI Paris, du 6 Juillet 2018

6 juillet 2018

EXPOSÉ DU LITIGE

La société L., société française dont le siège social est à Asnière-sur-Seine, se présente comme une société proposant, par la vente en ligne notamment, une sélection d'ustensiles de cuisine et de pâtisserie pour professionnels et particuliers.

Monsieur Franck L., dirigeant de la société L., expose avoir créé et mis au point un modèle de trousse à couteaux dénommé « Trousse GM », commercialisé sous la marque L. par la société L. depuis 2005.

La société EUROLAM, société française dont le siège social est à Thiers, se présente comme une société commercialisant des mallettes de premier équipement, à destination des professionnels, des personnels enseignants et des étudiants de l'hôtellerie, de la restauration et de l'alimentation.

Indiquant avoir constaté que la société EUROLAM commercialisait une trousse à couteaux en tous points identique à la leur, accessible sur le site http://www.eurolam-thiers.com/fr/, sous la référence 009503EUROLAM, la société L. et M. L., après l'avoir fait constater par huissier de justice le 18 mars 2016 et avoir adressé deux mises en demeure en date du 14 mai 2016 et 10 mai 2016 ont, par acte d'huissier du 21 juillet 2016, assigné la société EUROLAM en contrefaçon de droits d'auteur et parasitisme devant le tribunal de grande instance de Paris.

Par jugement en date du 6 juillet 2018, le tribunal de grande instance de Paris a :

- dit que la trousse GM revendiquée par la société L. et M. L. n'est pas originale et ne peut donc bénéficier de la protection au titre du droit d'auteur ;

- débouté en conséquence la société L. et M. L. de leurs demandes au titre de la contrefaçon ;

- débouté la société L. et M. L. de leurs demandes fondées sur les agissements parasitaires ;

- condamné la société L. et M. L. aux dépens et au paiement à la société EUROLAM de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonné l'exécution provisoire.

Par déclaration du 26 septembre 2018, la société L. et M. L. ont interjeté appel de ce jugement.

Dans leurs dernières conclusions numérotées 2 transmises le 3 décembre 2019, la société L. et M. L., appelants, demandent à la cour :

- de constater l'existence de la société L. antérieure à la société EUROLAM ;

- de constater l'antériorité de la TROUSSE GM sur les autres trousses souples similaires commercialisés par les autres professionnels du secteur, et à tout le moins sur la société EUROLAM ;

- de constater le caractère original de la TROUSSE GM ;

- de constater les différents actes de contrefaçon commis par la société EUROLAM ;

- de constater les agissements parasitaires commis par la société EUROLAM ;

- de constater les préjudices patrimoniaux, le préjudice moral subis par la société L. et par M. L.,

- et, en conséquence :

- d'infirmer le jugement,

- de condamner la société EUROLAM à payer la somme de 30 000 euros au titre de l'atteinte aux droits patrimoniaux de la société L. et de Franck L., somme à répartir entre eux à parts égales,

- de condamner la société EUROLAM à payer à M. L. 3 000 euros au titre de l'atteinte à son droit moral,

- de condamner la société EUROLAM à payer à la société L. et à M. L. la somme de 30 000 euros, au titre de l'atteinte subie du fait de l'agissement parasitaire,

- de condamner la société EUROLAM à payer à la société L. et à M. L. la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- d'ordonner la publication de la décision à intervenir aux frais de la société EUROLAM et dans tout magazine, hebdomadaire, catalogue, revue professionnelle, réseaux sociaux, sur tous supports matérialisés et/ou dématérialisés, au choix de la société L. et de M. L..

Dans ses dernières conclusions transmises le 21 janvier 2020, la société EUROLAM, intimée, demande à la cour :

- de confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- de dire infondé l'appel diligenté par M. L. et la société L.,

- de débouter M. L. et la société L. en toutes leurs demandes, que ce soit au titre de la prétendue contrefaçon ou au titre de la concurrence déloyale,

- de débouter les mêmes de toutes leurs demandes accessoires, découlant des demandes principales, publication, article 700,

- à titre infiniment subsidiaire :

- de dire que le préjudice susceptible d'avoir été créé serait insignifiant,

- de ramener les dommages et intérêts sollicités par M. L. et la société L. à un montant symbolique,

- de dire n'y avoir lieu en tout état de cause dans ce contexte à publication de la décision à intervenir,

- de recevoir la société EUROLAM en sa demande reconventionnelle, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et de lui allouer une somme qui ne soit pas inférieure à la somme de 7 000 € en cause d'appel, somme s'ajoutant au montant alloué au même titre par le premier juge.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 18 février 2020.

MOTIFS

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées.

Sur la protection de la « Trousse GM » par le droit d'auteur

Les appelants exposent qu'en tant que précurseure de la valise hôtelière, la société L. propose, depuis 1973, des trousses à couteaux évolutives adaptées à toutes les exigences d'hygiène, de qualité et de sécurité, que dès la fin des années 1990, M. L. a imaginé une trousse souple, se distinguant des mallettes rigides alors présentes sur le marché, et que la « Trousse GM » a été conçue pour répondre à la demande de cuisiniers voyageurs, leur profession devenant mobile et internationale. Pour justifier de l'originalité de la « Trousse GM », les appelants invoquent une série de choix arbitraires de son créateur, M. L., et la combinaison des éléments suivants :

- la matière synthétique (nylon) ;

- la couleur noire lui conférant un caractère à la fois discret et pratique (« le noir de la trousse la préserve visuellement des tâches ») ;

- la présence de douze emplacements à couteaux alors que la plupart des autres trousses similaires disposent généralement huit rangements (« J'ai fait le choix de dessiner un contenant avec 12 emplacements à couteaux, afin d'offrir aux chefs la possibilité de transporter la majorité de leurs couteaux et ainsi exercer leur savoir-faire sans être limités par des ustensiles manquants. J'ai également choisi de prévoir plusieurs hauteurs de rangement pour les manches, en dessinant la délimitation des emplacements par une ligne courbe au centre de la pochette plutôt que rectiligne, afin que les couteaux transportés puissent être variés, et les plus petits couteaux ainsi placés au centre. J'ai disposé les emplacements de façon à ce que les couteaux soient rangés pointe vers l'intérieur de la pliure, et non vers l'extérieur, dans un souci de praticité (lorsque le chef les sort de la trousse) et de sécurité (lorsqu'il les range, pour ne pas se couper), et en me disant que cela ne déformerait pas l'ensemble qui devait rester harmonieux ») ;

- la forme rectangulaire de la trousse, la différenciant d'autres trousses à couteaux dans le commerce (généralement de forme carrée) et d'une dimension d'environ 68 cm de longueur pour 50 cm de large une fois le modèle déplié (« ...J'ai donc choisi les dimensions de la trousse en fonction d'un plan de travail classique (qui mesure généralement 65 à 70 cm de largeur), de façon à ce que la trousse tienne parfaitement sur cette surface, une fois ses quatre volets dépliés') et lui donnant l'aspect d'une trousse d'un peintre nomade portant ses pinceaux avec lui;

- le positionnement du logo au centre de la trousse, en couleurs rouge et blanche, tranchant ainsi avec le noir de la trousse et lui donnant une reconnaissance visuelle bien particulière ;

- le caractère pliant en quatre volets conférant à la trousse un format compact et une touche de modernité, et traduisant une volonté de donner l'image d'un peintre avec ses pinceaux, prêt à la création d'une toile (Par ailleurs, ce caractère pliant confère un format compact qui donne à cette trousse une impression d'ensemble de sécurité du matériel qu'elle contient. J'ai préféré adopter une fermeture par pliage de la trousse sur elle-même, en rabattant les volets des deux extrémités vers le centre, pour ensuite les plier de nouveau et les faire se rejoindre deux poignées au sommet.

Ce mode de pliage apporte une touche de modernité par rapport à la technique des couteaux enroulés sur eux-mêmes dans des torchons. J'ai également privilégié le velcro pour fermer les rabats de la pochette en deux puis en quatre, car il me semblait que les anciennes languettes de fermeture, sur le modèle de vieux cartables d'écoliers, étaient dépassées, moins pratiques et moins esthétiques pour une pochette que je souhaitais épurée au possible ») ;

- la présence d'une petite pochette en plastique à l'arrière de la trousse destinée à recevoir une étiquette, l'emplacement de cette pochette en haut à gauche étant arbitraire et choisi avec soin ;

- la présence originale et ingénieuse d'une poche intérieure en mailles synthétiques, de quatre compartiments de cartes visites et trois petites poches destinées à recevoir des stylos ou de petits ustensiles (« ... il me semblait essentiel d'adapter la trousse à l'intérieur d'une cuisine mais aussi à l'extérieur. Le cuisinier est, par certains aspects, un travailleur comme un autre qui a parfois besoin de prendre des notes sur ses recettes ou de noter ses coordonnées sur une carte de visite. J'ai donc ajouté à l'intérieur de la trousse 4 rangements à l'image d'un porte-cartes, et 3 emplacements servant aussi bien à y placer des stylos que des plus petits ustensiles. Dans ce même esprit d'adaptation, j'ai ajouté un rangement multifonctions, en résille et fermé par un velcro, pour y placer des ustensiles de forme plus singulière, mais aussi pour permettre au chef de ranger tout autre objet sans être contraint par la forme du rangement. J'ai imaginé ces rangements en les plaçant au centre du pliage pour qu'ils soient protégés de l'extérieur, et que le chef ne craigne pas de les perdre ni de se les faire dérober ») ;

- la forme particulière de la sangle en arc-de-cercle, souple et qui rompt par sa souplesse avec la forme rectangulaire de la trousse, avec une fermeture éclair zip sur toute la longueur du côté gauche (« J'ai visualisé le transport de cette trousse « l'un des besoins essentiels de nos clients » en permettant deux types de port : par la double poignée et par une sangle en bandoulière. Cette sangle placée sur l'épaule peut se porter en travers du corps et ainsi envelopper le cuisinier sans jamais le gêner dans ses déplacements. Afin de leur rendre la tâche toujours plus facile, j'ai également prévu un compartiment intérieur fermé par une fermeture éclair, qui peut être ouvert facilement tout en portant la trousse à l'épaule ou en travers. Cela permet d'accéder rapidement aux objets qui y sont placés, alors que les couteaux, eux, restent toujours rangés en toute sécurité »).

Les appelants font valoir qu'il n'y avait pas de trousse similaire sur le marché au moment où M. L. a créé la « Trousse GM » qui est le résultat du cheminement intellectuel et de l'effort créatif de ce dernier qui a souhaité créer une trousse à couteau s'inspirant d'un artiste-peintre, un chef cuisinier étant également un artiste.

La société EUROLAM répond que les caractéristiques invoquées par les appelants sont principalement fonctionnelles, que cette trousse est banale puisque des trousses similaires étaient systématiquement fournies aux distributeurs de ce type de produits par les fabricants et qu'elle relève du fonds commun du rangement d'ustensiles, que la trousse revendiquée est donc dépourvue d'originalité et, par ailleurs, antériorisée par des sociétés concurrentes.

Ceci étant exposé, en vertu de l'article L.111-1 du code de la propriété intellectuelle, l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. L'article L.112-1 du même code protège par le droit d'auteur toutes les œuvres de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination, pourvu qu'elles soient des créations originales. Il se déduit de ces dispositions, le principe de la protection d'une oeuvre sans formalité et du seul fait de la création d'une forme originale. Selon l'article L.112-2, 10° du même code, sont considérées comme œuvres de l'esprit les oeuvres des arts appliqués.

Lorsque l'originalité d'une œuvre de l'esprit est contestée, il appartient à celui qui revendique la protection au titre du droit d'auteur d'identifier ce qui caractérise cette originalité.

La cour rappelle que la notion d'antériorité est indifférente en droit d'auteur. En revanche, celui qui se prévaut de la protection de ce droit doit justifier de ses efforts créatifs et d'un parti pris esthétique reflétant l'empreinte de la personnalité de son auteur.

C'est à juste raison que les premiers juges ont estimé que les caractéristiques revendiquées, même combinées, ne peuvent établir l'originalité de la trousse dès lors qu'elles sont d'une grande banalité - la couleur noire, le positionnement central du logo du fabricant en couleurs tranchant sur le noir de la trousse, la sangle souple en arc-de-cercle - et/ou qu'elles répondent à d'évidentes préoccupations fonctionnelles s'agissant d'une trousse destinée au rangement d'ustensiles de cuisine pour des professionnels et des élèves de lycées hôteliers - la couleur noire peu salissante, la matière synthétique souple, résistante et lavable, la forme rectangulaire adaptée à la longueur des couteaux et à la largeur d'un plan de travail de cuisine, le pliage en quatre pour la compacité de la trousse et la praticité de son transport, la présence de pochette, poches et compartiments permettant le rangement d'étiquettes, de cartes, de stylos ou de petits ustensiles, la sangle souple permettant le port en bandoulière, le caractère fonctionnel de ces éléments ressortant d'ailleurs clairement des extraits de l'attestation établie par M. L. pour décrire son processus créatif, tels que rapportés ci-dessus en italiques.

Dès lors, si les pièces produites par la société EUROLAM, non datées, ne démontrent pas l'existence de trousses comparables préexistantes, la seule évocation d'une ressemblance avec une mallette de peintre ne suffit pas, comme l'a retenu le tribunal, à justifier d'un parti pris ou de choix créatifs qui porteraient l'empreinte de la personnalité de l'auteur et rendraient l'oeuvre revendiquée éligible à la protection du droit d'auteur.

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a dit que la « Trousse GM » revendiquée par la société L. et M. L. n'est pas originale et ne peut donc bénéficier de la protection au titre du droit d'auteur et en ce qu'il a, par voie de conséquence, débouté la société L. et M. L. de leurs demandes au titre de la contrefaçon.

Sur les demandes de la société L. et de M. L. en parasitisme

M. L. et la société L. reprochent à la société EUROLAM d'avoir commis à leur encontre des agissements parasitaires en faisant l'économie de tout frais de création et de développement, en commercialisant à moindre prix (38,11 euros TTC contre 44,30 euros TTC) la trousse litigieuse dans le sillage de la société L. et en s'appropriant illicitement le savoir-faire et la créativité de M. L.. Ils demandent l'infirmation du jugement de ce chef, invoquant la notoriété de la société L., pionnière et leader dans l'activité de fournisseur d'ustensiles de cuisine de haute qualité depuis 1973, comptant parmi ses partenaires de nombreuses institutions prestigieuses de l'art culinaire et étant en outre associée au Prix Prosper Montagné, l'un des concours culinaires les plus prestigieux de France. Les appelants ajoutent avoir réalisé des investissements afin d'élaborer la « Trousse GM » et de l'ériger en un produit emblématique de la maison L..

En réponse, la société EUROLAM indique être, elle aussi, sur le marché depuis 1973, en être l'un des leaders et bénéficier d'une réputation au moins équivalente à celle de la société L.. Elle expose que la trousse revendiquée par les appelants est banale et antériorisée, qu'elle ne saurait constituer un produit emblématique de la société L., ni être le résultat d'un quelconque effort particulier d'investissement ou de promotion. Elle ajoute que les trousses qu'elle commercialise portent la marque EUROLAM, ce qui montre qu'elle n'a aucune intention de capter la réputation de la société L..

La société L. et M. L. ne disposant pas de droits privatifs sur la « Trousse GM », c'est par de justes motifs, que la cour adopte, que le tribunal les a déboutés de leur demande en parasitisme, retenant notamment que la notoriété de la société L. n'était pas établie, alors que la société EUROLAM est elle-même implantée depuis plus de 3 ans à Thiers, ville historique de la coutellerie en France, que la commercialisation par la société EUROLAM d'une trousse similaire à celle revendiquée, dont le caractère fonctionnel ou banal ne permet pas l'appropriation, ne revêt pas de caractère fautif et que les appelants ne justifient pas de leurs investissements ni, sera-t-il ajouté, du caractère emblématique de la « Trousse GM », insuffisamment démontré par l'attestation de M. P., président de l'Académie culinaire de France, qui évoque, sans plus de précision, « la fameuse trousse L. » et les factures attestant des ventes de la trousse.

Le jugement sera par conséquent également confirmé en ce qu'il a débouté M. L. et la société L. de leurs demandes fondées sur le parasitisme.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

M. L. et la société L., parties perdantes, seront condamnées aux dépens d'appel et garderont à leur charge les frais non compris dans les dépens qu'ils ont exposés à l'occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et frais irrépétibles de première instance étant confirmées.

La somme qui doit être mise à la charge de M. L. et la société L. au titre des frais non compris dans les dépens exposés en appel par la société EUROLAM peut être équitablement fixée à 5 000 €, cette somme complétant celle allouée en première instance.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne M. L. et la société L. aux dépens d'appel et au paiement à la société EUROLAM de la somme de 5 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.