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Décisions

CA Grenoble, ch. com., 24 juin 2021, n° 19/00715

GRENOBLE

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

BRA (SAS)

Défendeur :

Biomet France (Sarlu), Zimmer Biomet France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Gonzalez

Conseillers :

Mme Blanchard, M. Bruno

Avocats :

Me Beaufour-Garaude, Me Pavet, Me Herlemont, Selarl Lexavoue Grenoble, Me Grimaud, Me Mandeville

T. com. Romans-sur-Isère, du 1er juin 20…

1 juin 2016

EXPOSE DU LITIGE :

Par contrat d'agent commercial exclusif en date du 20 février 2006, la Sarl Biomet France a confié à la Sas BRA la représentation exclusive des produits Biomet dans 13 départements de la région Rhône-Alpes (01, 05, 07, 26, 38, 39, 42, 43, 48, 69, 71, 73 et 74).

En contrepartie de l'exclusivité accordée, le contrat prévoyait une clause de non-concurrence.

Ce contrat a fait l'objet de huit avenants, dont les deux derniers en 2011 ont été signés par la Sas Biomet en qualité de mandant.

A compter de l'année 2014, la société Biomet s'est rapprochée de la société Zimmer conduisant à leur regroupement à compter du 25 juin 2015, puis à leur fusion le 30 novembre 2016, sous la dénomination sociale Zimmer Biomet France.

Par courrier du 29 décembre 2015, la société BRA a notifié à la société Biomet France la résiliation de ce contrat d'agence commerciale aux torts exclusifs du mandant.

Les parties se sont alors opposées sur les conditions cette résiliation.

Par ordonnance du 9 décembre 2015, le président du tribunal de commerce de Romans-sur-Isère a autorisé la société Zimmer Biomet France à faire procéder par huissier de justice à des opérations de constat et de recueil de documents dans les locaux de la société BRA.

Par ordonnances du 13 janvier 2016, la société BRA a obtenu de la même juridiction l'autorisation de faire procéder à des constatations dans les locaux de la société Biomet et de l'assigner à bref délai.

Les mesures d'instruction se sont déroulées concomitamment le 21 janvier 2016.

La société Biomet a poursuivi la rétractation de l'ordonnance du 13 janvier 2016 qu'elle a obtenu par arrêt infirmatif de cette cour du 12 janvier 2017, frappé d'un pourvoi.

Sur l'assignation délivrée le 22 janvier 2016 par la société BRA en résiliation du contrat d'agent commercial aux torts exclusifs du mandant et par jugement du 1er juin 2016, le tribunal de commerce de Romans a :

- débouté la Sarl Biomet France de sa demande tendant à sa mise hors de cause,

- prononcé la jonction des instances,

- constaté que le contrat d'agent commercial a été dénoncé par la société BRA par courrier LRAR réceptionné par Biomet France le 30 décembre 2015, faisant valablement courir le délai de préavis de six mois,

- constaté que le contrat d'agent commercial liant BRA et Biomet France prendra fin le 30 juin 2016,

- donné acte à la société BRA de ce qu'elle poursuit l'exécution de son mandat d'agent commercial et s'engage à le poursuivre jusqu'au terme du préavis soit jusqu'au 30 juin 2016,

- en conséquence,

- débouté la société BRA de sa demande relative au paiement d'une indemnité de préavis,

- débouté les sociétés Sarl Biomet France et Sas Biomet France de leur demande tendant à se voir indemnisées à hauteur de 5 005 713, 38 pour non-exécution du délai de préavis,

- dit que la demande d'indemnisation de BRA sur le fondement de l'article L. 134-12 du code de commerce est prématurée,

- renvoyé la société BRA à faire valoir son droit à indemnisation auprès de son mandant dans le délai visé à l'article L. 134-12 et à défaut de réponse ou en cas de refus de Biomet France à se pourvoir en justice sur l'imputabilité de la cessation du contrat au mandant,

- déclaré la société BRA libre de tout engagement à l'égard de son mandant Biomet France à défaut du paiement de l'indemnité définie contractuellement au titre de la clause de non-concurrence par Biomet France au plus tard le 1er juillet 2016,

- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision,

- débouté les parties de leur demande de frais irrépétibles sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- mis les dépens à la charge des sociétés Sarl Biomet France et Sas Biomet, tenues conjointement et solidairement.

Par déclarations au greffe des 28 juin et 4 juillet 2016, la société BRA, puis les sociétés Biomet et Biomet France ont interjeté appel de ce jugement.

Les instances ont été jointes et suivant ordonnance du président de la chambre chargé de la mise en état du 4 mai 2017, il a été sursis à statuer dans l'attente de la décision à intervenir sur le pourvoi formé à l'encontre de l'arrêt du 12 janvier 2017 ou de l'arrêt de renvoi.

Par arrêt de la cour d'appel de Chambéry intervenu le 18 décembre 2018 sur renvoi après cassation, il a été ordonné la mainlevée du séquestre et la société BRA a été autorisée à se faire remettre par l'huissier de justice l'ensemble des pièces et documents recueillis à l'occasion des opérations de constat réalisés au siège de la société Biomet.

L'affaire a été réinscrite au rôle le 12 février 2019 à la demande de la société BRA.

Parallèlement, la société Zimmer Biomet, se prévalant de la violation de la clause de non-concurrence et de dénigrement, a fait assigner la société BRA devant le tribunal de commerce de Romans sur Isère qui, par jugement du 29 mai 2019, a notamment :

- constaté que la société BRA avait violé son engagement de non-concurrence,

- condamné la société BRA au paiement d'une somme de 3 230 629,98 ttc en remboursement de l'indemnité de non-concurrence,

- condamné la société BRA au paiement d'une somme de 1 555 000.

Suivant déclarations au greffe des 3, 4 et 5 juillet 2019, l'ensemble des parties ont interjeté appel de ce jugement.

Au terme de ses dernières écritures n°2 notifiées le 19 décembre 2019, la société BRA demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a :

Débouté la société Biomet France Sarl de sa demande tendant à sa mise hors de cause,

Débouté les sociétés Biomet France Sarl et Zimmer Biomet France de leur demande tendant à se voir indemnisées à hauteur de 5 005 713, 38 pour non-exécution du délai de préavis,

Déclaré la société BRA libre de tout engagement de non-concurrence à l'égard de son mandant Biomet France à défaut du paiement de l'indemnité définie contractuellement au titre de la clause de non-concurrence par Biomet France au plus tard le 1er juillet 2016,

- infirmer le jugement pour le surplus,

- statuant à nouveau :

- déclarer recevable et bien fondée la société BRA en ses demandes, fins, moyens et prétentions formulées à l'encontre des sociétés Biomet France Sarl et Zimmer Biomet France,

- fixer la date de la rupture du contrat d'agent commercial à la date à laquelle les sociétés Biomet France Sarl et Zimmer Biomet France ont cessé de satisfaire loyalement à leurs obligations, soit le 22 septembre 2015, date faisant valablement courir le délai de préavis contractuel de six mois,

- dire et juger que le contrat d'agent commercial a pris fin le 22 mars 2016 et non le 30 juin 2016,

- dire et juger que l'article 11.3 du contrat d'agent commercial régularisé entre les parties est nul et de nul effet ou, à tout le moins inopposable à la société BRA,

- dire et juger recevable et bien fondée la demande d'indemnisation de la société BRA sur le fondement des dispositions de l'article L. 134-12 du code de commerce,

- en conséquence,

- dire et juger la rupture anticipée du contrat d'agent commercial est intervenue le 22 septembre 2015, aux torts exclusifs des sociétés Biomet France Sarl et Zimmer Biomet France,

- condamner in solidum les sociétés Biomet France Sarl et Zimmer Biomet France à payer à la société BRA, une indemnité compensatrice du préjudice subi et évalué à la somme de 6 859 519,2 euros, correspondant à deux années de commissions brutes, dans un délai de 15 jours à compter de la date de la décision à intervenir, outre une astreinte de 10 000 euros par jour de retard et intérêt aux taux légal à compter de la décision à intervenir,

- à titre subsidiaire,

- condamner in solidum les sociétés Biomet France Sarl et Zimmer Biomet France à payer à la société BRA, une indemnité compensatrice du préjudice subi et évaluée conformément aux dispositions de l'article 11.3 du contrat d'agent commercial régularisé entre les parties, dans un délai de 15 jours à compter de la date de la décision à intervenir, outre une astreinte de 10 000 euros par jour de retard et intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir,

- en toute hypothèse,

- ordonner la capitalisation des intérêts,

- condamner in solidum les sociétés Biomet France Sarl et Zimmer Biomet France à payer à la société BRA la somme de 40 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner les mêmes aux entiers dépens.

Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à défendre de la Sarl Biomet France, la société BRA rappelle que cette dernière est sa cocontractante initiale et fait valoir d'une part qu'aucune transmission du contrat ne lui a été signifiée en vertu des dispositions de l'article 1690 du code civil, d'autre part qu'elle n'a elle-même jamais donné son accord exprès à cette transmission d'un contrat conclu intuitu personae, qui lui est dès lors inopposable.

Elle relève que :

- les deux sociétés entretenaient l'ambiguïté dans leur dénomination, avaient les mêmes locaux, le même papier à entête laissant croire à une entité unique,

- la seule indication d'une nouvelle forme sociale dans les avenants est insuffisante pour déduire de leur signature son accord exprès à la transmission du contrat,

- la Sas Biomet n'étant pas titulaire du contrat n'a pu le transmettre par voie d'absorption à la société Zimmer.

Elle reproche aux sociétés Biomet France Sarl et Zimmer Biomet France d'avoir commis des manquements graves à leurs obligations contractuelles, d'avoir manqué à leur devoir de loyauté et de bonne foi dans l'exécution du contrat d'agent commercial et se prévaut de :

- manquements aux devoirs d'information, concernant les relations entretenues directement par la mandante avec la clientèle, le rapprochement entre les groupes Zimmer et Biomet,

- atteintes à l'exclusivité qui lui était concédée,

- actes de démarchage actif de la clientèle développée et visitée par ses soins,

- actes visant à simuler la rupture du contrat d'agence commerciale,

- tentatives de désorganisation par le débauchage de deux salariés occupant des postes stratégiques,

- manoeuvres destinées à provoquer la rupture du contrat d'agent commercial, considérant que la tentative de réduction de sa zone d'exclusivité territoriale était de nature à constituer une modification unilatérale d'un élément essentiel du contrat et doit s'analyser en une résiliation simulée, son but étant de la conduire à prendre l'initiative de la rupture.

Elle relève que la société Zimmer Biomet a poursuivi un comportement déloyal pendant la durée du préavis pour faire obstacle à son exécution, la discréditant, formulant à son égard des accusations infondées et l'empêchant d'exécuter son mandat.

La société BRA estime que la gravité des manquements de la société Biomet et ses agissements déloyaux ont rendu impossible la poursuite de la relation contractuelle, que sa résiliation anticipée est justifiée et imputable aux torts exclusifs de la mandante et que la date de cette résiliation doit être fixée, non pas à celle du courrier de dénonciation, mais au jour où la société Biomet a cessé de remplir ses obligations contractuelles, soit au 22 septembre 2015, date de la tentative de modification unilatérale de son exclusivité territoriale.

Elle entend se prévaloir des dispositions de l'article L. 134-12 du code de commerce relatives à l'indemnité de cessation du contrat d'agence et rappelle que ce texte institue un simple délai de déchéance ne faisant pas obstacle à ce que sa réclamation soit présentée antérieurement à l'expiration du délai de préavis, notamment dès la notification de la résiliation du contrat.

Elle fait valoir que la clause du contrat d'agent commercial figurant au paragraphe 11.3 est nulle comme contraire aux dispositions d'ordre public, puisqu'elle vise à limiter le montant de l'indemnité en substituant une méthode d'évaluation basée sur la valeur de la clientèle sans lien avec la réparation du préjudice constitué par la perte des commissions résultant de la cessation du contrat.

Elle réfute les accusations de concurrence anti-contractuelle et de dénigrement formulées à son encontre pour lui imputer la responsabilité de la rupture du contrat soutenant avoir respecté les termes de la clause de non concurrence, n'avoir eu de collaboration active avec des sociétés concurrentes de la société Zimmer Biomet qu'à compter de juillet 2017, n'ayant engagé que des pourparlers prospectifs avant cette date afin de préparer la réorientation de son activité et avoir même accru son chiffre d'affaires auprès de la clientèle de Biomet.

Elle souligne que jusqu'à la rupture du contrat, la diffusion des produits Biomet constituait sa seule activité, qu'elle se trouvait donc en situation de dépendance économique à l'égard de sa mandante et que pendant toute la durée d'application de la clause de non-concurrence, elle n'a eu aucune activité auprès de la clientèle de la société Zimmer Biomet.

Elle conteste que :

- la baisse du chiffre d'affaires de la société Biomet depuis octobre 2015 soit liée à une collusion avec des sociétés concurrentes, relevant que plus de 20 % de la clientèle est constituée d'établissements publics de santé soumis à la procédure d'appel d'offres et que la société Biomet a connu des difficultés logistiques dues à un mouvement de grève,

- la baisse de son propre chiffre d'affaires en octobre 2015 soit liée à un transfert de clientèle vers des concurrents alors que bien qu'affectée par la grève, son activité représentait la même proportion du chiffre d'affaires de sa mandante.

Selon leurs conclusions n° 6 notifiées le 4 mars 2020, les sociétés Zimmer Biomet France et Biomet France entendent voir :

- infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Romans du 1er juin 2016 en ce qu'il a :

Débouté la Sarl Biomet France de sa demande tendant à sa mise hors de cause,

Dit que la demande d'indemnisation de la société BRA sur le fondement de l'article L. 134-12 du code de commerce est prématurée,

Renvoyé la société BRA à faire valoir son droit à indemnisation auprès de son mandant dans le délai visé à l'article L. 134-12 et à défaut de réponse ou en cas de refus de Biomet France à se pourvoir en justice sur l'imputabilité de la cessation du contrat au mandant,

- statuant à nouveau :

- déclarer irrecevables les demandes formulées par la société BRA à l'encontre de Biomet France Sarl,

- confirmer le jugement pour le surplus,

- débouter la société BRA de l'intégralité de ses demandes,

- condamner la société BRA au paiement de la somme de 50 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société BRA aux entiers dépens, dont distraction requise au profit de la société d'avocats Lexavoué, avoués aux offres de droit conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

La société Biomet France soulève l'irrecevabilité des demandes à son encontre aux motifs que :

- la Sas Biomet a repris ses engagements contractuels au titre du contrat d'agence commerciale par la signature des deux avenants des 30 juin et 18 juillet 2011, devenant la cocontractante de la société BRA,

- la fusion par voie d'absorption de Biomet Sas par Zimmer France, dont la société BRA a été informée en juillet 2015, a transmis à cette dernière l'intégralité de son patrimoine,

- la société BRA était parfaitement informée de la transmission du contrat à Biomet Sas puis à Zimmer France, leur adressant ses factures d'indemnités de non-concurrence, et ne peut prétendre que cette transmission lui est inopposable.

Les sociétés Zimmer Biomet et Biomet France considèrent que la proposition d'évolution de la mission de représentation de la société BRA ne constitue pas une violation des obligations contractuelles de la mandante et que le préavis s'étant exécuté jusqu'au 30 juin 2016, le contrat a pris fin à cette date.

Elles soutiennent que la cessation du contrat résultant de la seule initiative de l'agent commercial, ce dernier ne peut prétendre à aucune indemnisation, que la société BRA a organisé la résiliation du contrat pour se libérer de ses obligations et nouer de nouveaux partenariats avec deux de ses concurrents et qu'elle ne démontre pas l'existence de circonstances graves imputables au mandant rendant impossible la poursuite du lien contractuel.

Elles contestent les manquements contractuels allégués faisant valoir que :

- les circonstances imputables au mandant justifiant la résiliation par l'agent doivent être constituées d'un ensemble de faits d'une particulière gravité,

- l'obligation d'information de la société Biomet ne portait que sur les transactions réalisées directement avec sa clientèle,

- elle était légitime à entreprendre des contacts directs destinés à rassurer sa clientèle dans un contexte de dénigrement de la part de la société BRA, dès lors qu'elle en a informé son agent,

- elle a versé les commissions sur l'intégralité des ventes réalisées auprès de la clientèle confiée à la société BRA,

- la société Biomet a tenu la société BRA parfaitement informée de l'évolution de son rapprochement avec Zimmer et des modalités d'intégration des deux entités,

- sa proposition d'évolution du périmètre contractuel était favorable à l'agent commercial puisqu'elle visait à élargir le marché,

- elle n'a jamais démarché la clientèle confiée à la société BRA, ni commercialisé directement ou indirectement ses produits auprès d'elle,

- la procédure mise en place en interne pour les réponses aux appels d'offres ne visait pas à en exclure la société BRA, mais à éviter les doubles réponses concurrentes de Biomet et Zimmer sur un même lot,

- elle n'a pas imposé à son agent une modification de son exclusivité territoriale, ni cherché à lui substituer un autre agent,

- le maintien voire la progression du chiffre d'affaires réalisé par la société BRA démontre qu'il n'y a eu aucune atteinte portée à son exclusivité.

Elles considèrent que le débauchage de salariés n'est pas démontré et que les seules intentions sont insuffisantes à constituer des actes positifs de concurrence déloyale.

Elles réfutent toutes manœuvres déloyales et de déstabilisation destinée à provoquer la rupture du contrat, ainsi que toute résiliation simulée soutenant que les propositions d'évolution du territoire concédé n'étaient empreintes d'aucune intention de mettre un terme au contrat d'agence, que sa demande de factures modificatives n'avait aucun caractère déloyal, mais était consécutive à une modification de l'assiette de contributions à l'Urssaf par la loi du 17 décembre 2012.

Elles soulignent la baisse importante de chiffre d'affaires de la société BRA au mois d'octobre 2015, que quatre jours de grève ne suffisent à expliquer, ainsi que la déloyauté dont l'agent commercial a fait preuve par le dénigrement de ses produits et la désinformation des clients, la perte de marchés publics au profit d'une société concurrente avec laquelle la société BRA était en pourparlers en vue d'un futur partenariat.

Elles reprochent à la société BRA d'avoir planifié la rupture de son contrat d'agent commercial en entreprenant dès 2015 des négociations avec des laboratoires concurrents, d'avoir, avant la fin de son contrat d'agent commercial exclusif, noué d'étroites relations avec la société Amplitude et d'avoir démarché certains de leurs clients en leur proposant des produits fabriqués et distribués par cette société, d'avoir poursuivi ce démarchage au profit de la société Amplitude pendant la période d'application de la clause de non-concurrence, et d'avoir ainsi détourné une part importante de clientèle ainsi qu'en témoignent la corrélation entre le triplement du chiffre d'affaires annuel réalisé par cette dernière en 2017 sur 23 établissements de santé et la perte annuelle totale de chiffre d'affaires enregistrée par la société Zimmer Biomet sur ces mêmes clients.

La procédure a été clôturée le 11 février 2021.

MOTIFS DE LA DECISION :

1°) sur la recevabilité des demandes à l'encontre de la Sarl Biomet France :

Le contrat d'agence commerciale et ses six premiers avenants ont été régularisés entre la société BRA et la Sarl Biomet France, sa mandante.

Il résulte du mandat d'intérêt commun qui en résulte que ce contrat a été conclu en considération de la personne du cocontractant ce que confirment les stipulations de son article 11.1 soumettant sa transmission par l'agent à l'accord du mandant.

Il résulte de l'extrait Kbis de la Sas Biomet que cette dernière a bénéficié à effet du 31 décembre 2009 d'un apport partiel d'actifs par la Sarl Biomet France, qui se prévaut d'une transmission du contrat d'agence commerciale de la société BRA.

Le contrat d'agence commerciale, conclu en considération de la personne du cocontractant, ne peut être transmis, même par cession partielle d'actif, qu'avec l'accord du cessionnaire et de l'agent commercial.

En acceptant de régulariser à deux reprises, les 30 juin et 18 juillet 2011, les avenants n° 7 et 8 à son contrat d'agence, non plus avec la Sarl Biomet France, mais avec la Sas Biomet parfaitement identifiée par son numéro d'immatriculation au Rcs, et en poursuivant avec cette dernière l'exécution du contrat, lui adressant ses factures et recevant d'elle paiement de ses commissions, la société BRA a expressément acceptée la cession du contrat, ce que confirme sa propre présentation à la société Zimmer par courriel du 11 mai 2015, en qualité d'agent exclusif « Biomet Sas ».

En conséquence, la Sarl Biomet France n'étant plus le cocontractant de la société BRA à la date de rupture du contrat, le jugement devra être infirmé en ce qu'il a rejeté sa demande tendant à sa mise hors de cause et la cour déclarera la société BRA irrecevable en ses demandes présentées à l'encontre de la Sarl Biomet France.

2°) sur l'imputabilité de la rupture du contrat d'agence commerciale :

Si par lettre recommandée du 29 décembre 2015, la société BRA a pris l'initiative de mettre un terme au contrat d'agent commercial, elle entend se prévaloir de graves manquements de la société Biomet justifiant la rupture exclusivement imputable à la société Biomet.

Même s'il était saisi pendant le temps du préavis contractuel et donc avant le terme du contrat, le tribunal ne pouvait se dispenser de statuer sur la demande de la société BRA en considérant, comme il l'a fait, qu'elle était prématurée, alors que la résiliation était certaine et que la question de son imputabilité était indifférente au terme du contrat.

Le jugement sera nécessairement infirmé en ce qu'il a rejeté la demande comme prématurée et renvoyé la société BRA à faire valoir son droit à indemnisation ultérieurement.

Il sera rappelé que selon les termes du contrat d'agence du 20 février 2006, il a été consenti à la société BRA le droit de vendre de façon exclusive les produits constituant « la gamme actuelle de Biomet France » sur le territoire de treize départements de la région Rhône Alpes.

Selon les termes de l'article L. 134-4 du code de commerce, le contrat d'agent commercial est conclu dans l'intérêt commun des parties dont les rapports sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information.

- sur les manquements à l'obligation d'information :

Selon les termes des articles 10.3 et 10.7 du contrat d'agence, le mandant a l'obligation d'informer l'agent commercial de :

- ses conditions de vente et de tout changement technique ou économique pouvant influer sur les produits ou leur vente,

- ses contacts avec la clientèle et lui adresser copie des correspondances échangées, ainsi que toutes les réponses aux propositions de prix et autres papiers commerciaux échangés à l'occasion des transactions auprès de la clientèle.

Ces obligations d'information se comprennent au regard de l'obligation générale faite au mandant de mettre son agent en mesure d'exécuter son mandat et donc de lui fournir toutes informations nécessaires à son activité de distribution de ses produits.

Pour établir les manquements à cette obligation, la société BRA se réfère à six couriels ou échanges de courriels des 28 avril 2014, 28 avril, 26 mai, 17 août, 3 et 11 septembre 2015.

A l'examen de ces correspondances, par lesquelles la société BRA entend établir les contacts directs entretenus par la société Biomet avec ses propres clients chirurgiens, il apparaît que le sujet de certains messages est sans rapport avec la distribution des produits, mais avec leur conception et leur évaluation technique, qu'un autre se borne à relayer l'information du rapprochement des sociétés Zimmer et Biomet, que d'autres enfin répondent à des interpellations directes de ces mêmes chirurgiens.

Il ne peut être tiré de ces seuls éléments une violation caractérisée par le mandant de son obligation d'information de son agent.

Au demeurant, la cour observe que concernant le contact du 11 septembre 2015 au sujet d'une réunion d'évaluation d'un produit, la société BRA en a bien été informée par le directeur du service recherche et développement de la société Zimmer Biomet et lui en a accusé réception.

Concernant l'invitation diffusée le 27 mai 2015, la cour relève qu'elle porte sur la participation à un congrès médical, est manifestement destinée à des médecins, qu'elle émane d'un représentant de la société Zimmer et non de la société Biomet, seule cocontractante de la société BRA à cette date, puisque la fusion des deux sociétés, emportant transmission du contrat, n'a été juridiquement finalisée qu'en novembre 2016 et qu'il résulte de la lettre de présentation du rapprochement entre les deux sociétés du 25 juin 2015, comme des réponses apportées aux clients dans le cadre d'une foire aux questions et du courrier de la société Zimmer France du 15 juillet 2015, que dans un premier temps, chaque société a conservé son système de distribution propre et que les clients ont été renvoyés à leur distributeur habituel.

En toute hypothèse, cette invitation ne constitue pas une intervention commerciale et il n'est pas démontré en quoi le défaut de transmission de cette information était de nature à faire obstacle à l'exécution, par la société BRA, de son mandat d'agent commercial.

Il apparaît en réalité que certains des médecins prescripteurs des produits, composant la clientèle objet du contrat d'agent commercial, sont également des contributeurs actifs à la conception technologique de ces produits, percevant à ce titre des redevances, et sont sollicités dans ce cadre pour participer à des réunions d'évaluation ou manifestations médicales.

Par ailleurs, par courrier du 24 novembre 2015, la société Biomet a dûment informé son agent commercial qu'elle visiterait la clientèle de son secteur géographique et les comptes rendus qui lui ont été faits comme les échanges écrits avec cette dernière versés aux débats démontrent qu'il s'agissait bien, ainsi qu'annoncé dans son courrier, de rassurer cette clientèle et non de la démarcher, aucun élément présenté à la cour n'établissant en outre l'émission par la société Biomet de proposition de prix, ni la réalisation de transactions, en dehors de l'intervention de la société BRA.

Ces différents éléments ne caractérisent pas non plus une entreprise de démarchage direct par la société Biomet, de la clientèle confiée à la société BRA à l'insu de cette dernière.

Concernant le rapprochement puis la fusion des sociétés Biomet et Zimmer, il résulte des correspondances échangées que la société BRA a été informée lors d'une réunion du 19 août 2015 des perspectives de réorganisation de la distribution des produits Biomet induites par ce regroupement d'activités concurrentes.

Par ailleurs, dans un courrier du 1er décembre 2015, la société BRA faisait expressément référence à ses contacts en août 2014 avec la société Zimmer dans le cadre du rapprochement des deux sociétés pour envisager la réorganisation de la distribution des produits Zimmer-Biomet, ce que confirment les courriels échangés à cette période, évoquant alors l'hypothèse du transfert au profit de la société BRA de la distribution des produits Zimmer sur la région Rhône Alpes.

La société BRA ne peut dès lors sérieusement reprocher à sa mandante, la société Biomet, un manque d'information sur le sujet, alors que son grief véritable porte sur le fait que le projet envisagé avec la société Zimmer n'a manifestement pas été repris par la société Biomet, dans un contexte où, ainsi qu'il ressort des pièces produites, les deux sociétés ont différé l'intégration de leurs systèmes respectifs de distribution, les maintenant en l'état tout en les invitant à collaborer.

Ainsi, son courrier du 25 août 2015 réagit-il avec dépit à une perspective différente de celle envisagée avec la société Zimmer un an plus tôt, et évoque immédiatement une volonté de rupture.

La société BRA est défaillante à rapporter la preuve des violations alléguées des obligations d'information de sa mandante.

- sur les atteintes à l'exclusivité territoriale :

Il est établi que la société Biomet a engagé à compter d'août 2015, des discussions avec la société BRA dans le but de modifier les termes de son mandat dans les suites de sa fusion avec la société Zimmer et que sa proposition du 22 septembre 2015 de lui confier un mandat exclusif sur deux gammes de produits Zimmer et Biomet, emportait également des modifications de son exclusivité territoriale.

Si le mandant ne peut porter atteinte à l'exclusivité consentie à son agent commercial, rien ne lui interdit cependant de proposer à ce dernier une renégociation des termes de son mandat.

A défaut pour la société BRA de rapporter la preuve d'atteintes effectives à son exclusivité, elle ne peut motiver la rupture du contrat d'agence sur ce manquement aux obligations de la société Biomet.

- sur l'exécution déloyale du contrat :

Deux salariés de la société BRA ont attesté avoir été démarchés en octobre 2015 par la société Zimmer-Biomet pour rejoindre ses équipes, proposition à laquelle ils n'ont pas donné de suite.

Il est établi par les témoignages de M. A et de Mme B, ainsi que par les échanges de mail avec M. C, directeur général de la société Zimmer Biomet, qu'entre les mois de septembre et novembre 2015, des contacts ont été noués en vue de la création d'une nouvelle agence commerciale en remplacement de la société BRA, partant de l'hypothèse que cette dernière allait s'engager auprès d'un concurrent de la société Zimmer Biomet, la société Amplitudes. Ce projet n'a pas cependant abouti.

La société BRA produit également le témoignage d'un médecin orthopédiste indiquant qu'à la date du 17 décembre 2015, un représentant commercial de la société Zimmer-Biomet l'a informé que la société BRA ne serait plus le distributeur des produits Biomet à compter du début de l'année 2016.

Ainsi, dès que la société BRA a manifesté son désaccord sur les modalités de poursuite de la relation contractuelle qui lui étaient proposées, évoquant la possibilité d'une résiliation et avant même la réception de son courrier la formalisant le 29 décembre 2015, la société Biomet a étudié son remplacement et communiqué en ce sens auprès de la clientèle.

La cour observera cependant que la société BRA, qui dès un courrier du 24 décembre 2010, fustigeait ce qu'elle estimait être des insuffisances de sa mandante, n'hésitant pas, en se prévalant du poids du chiffre d'affaires apporté par elle à la société Biomet, à mettre en cause « l'incapacité de certains » et à critiquer la gestion de cette société, griefs repris et développés en juin 2012, ne rapporte cependant la preuve d'aucun agissement déloyal de sa mandante antérieur à son propre courrier du 25 août 2015, le différent relatif à la rectification de factures ne relevant pas d'une exécution fautive du contrat d'agence.

Or, ses propres pièces révèlent que dès mars 2007, elle a discuté une potentielle collaboration avec la société Zimmer, alors concurrente de la société Biomet.

De plus, il apparaît que dès le mois de juin 2015, le dirigeant de la société BRA, M. D, est entré en négociations avec les sociétés Exatech et DePuy en vue de leur transférer le bénéfice de son activité, ces pourparlers se révélant très avancés avec le second de ces concurrents.

Il ressort de ces éléments que la société BRA avait bien l'intention de mettre un terme au contrat d'agence la liant à la société Biomet, et ce antérieurement au rachat de cette dernière par la société Zimmer et avant même de connaître la nouvelle organisation envisagée pour son réseau de distribution et ses conséquences sur leur collaboration.

Il est tout aussi manifeste que la société Zimmer-Biomet a entendu tirer partie de la restructuration de son réseau commercial pour conduire à la résiliation du contrat d'agence dont l'exécution pouvait se révéler houleuse, ainsi qu'en atteste notamment le ton des correspondances numériques entre M. D et les salariés de la société Biomet depuis 2012.

Dans ces conditions, il ne peut être considéré que la rupture de la relation contractuelle soit exclusivement imputable à la société Biomet, mandante, mais qu'elle est intervenue aux torts partagés des cocontractants.

La société BRA sera donc déboutée de ses demandes tendant d'une part à voir déclarer que la cessation du contrat d'agent commercial, intervenue à son initiative, est justifiée par des circonstances imputables à la société Zimmer-Biomet, d'autre part à percevoir l'indemnité compensatrice prévue par l'article L. 134-12 du code de commerce.

Aucune des parties ne critiquant les dispositions du jugement relatives à l'exécution du préavis, elles seront confirmées.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,

DECLARE la Sas BRA irrecevable en ses demandes présentées à l'encontre de la Sarl Biomet France,

CONFIRME le jugement du tribunal de commerce de Romans en date du 1er juin 2016 en ce qu'il a :

- prononcé la jonction des instances,

- débouté les sociétés Sarl Biomet France et Sas Biomet France de leur demande tendant à se voir indemnisées à hauteur de 5 005 713, 38 pour non-exécution du délai de préavis,

- débouté les parties de leur demande de frais irrépétibles sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

INFIRME le jugement pour le surplus de ses dispositions,

Statuant à nouveau,

DEBOUTE la Sas BRA de l'intégralité de ses demandes,

Y ajoutant,

REJETTE les demandes réciproques de condamnations complémentaires en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la Sas BRA aux dépens de première instance et d'appel et autorise la Selarl Lexavoué, avocat, à recouvrer directement ceux dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision.