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Décisions

CA Rennes, 3e ch. com., 22 juin 2021, n° 18/06090

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Europe auto 56 (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Contamine

Conseiller :

Mme Jeorger-Le Gac

Avocats :

La fiduciaire générale (SELARL), SCP Jean-David C

CA Rennes n° 18/06090

22 juin 2021

FAITS ET PROCEDURE

Le 24 juillet 2009, M. Carlos R. faisait l'acquisition, dans le cadre d'une vente publique, d'une Mercedes de type 560 SEL, véhicule de collection comme ayant été immatriculé en 1989.

Quelques semaines plus tard, il le confiait à la SARL Europe Auto 56 (ci-après la SARL ou le garagiste) pour le faire équiper d'un kit GPL.

Aucun devis ou bon de commande n'allait être établi, M. R. ayant en revanche versé au garagiste un acompte de 1.000 € à valoir sur le prix des travaux à réaliser.

Le garagiste devait rencontrer des difficultés, d'une part pour se procurer un kit GPL adapté à un véhicule aussi ancien, d'autre part pour le faire homologer par les services de la DREAL après modification de son mode d'alimentation.

A l'issue d'une première présentation du véhicule, la DREAL informait M. R., par un courrier du 22 janvier 2016, que l'homologation ne pouvait pas être accordée dans la mesure où le dossier n'était pas complet.

Par lettre adressée au garagiste le 12 février 2016, M. R. lui imputait la responsabilité de cette situation, lui proposant finalement de racheter son véhicule.

Par lettre du 29 février 2016, le garagiste répondait qu'il mettait tout en oeuvre pour obtenir l'homologation dans les meilleurs délais.

Par une nouvelle lettre du 23 janvier 2017, le conseil de M. R. mettait en demeure la SARL de déposer une nouvelle demande d'homologation et, à défaut de l'obtenir, d'acquérir le véhicule pour un prix de 10.000 €.

Répondant à cette mise en demeure le 9 février 2017, le garagiste rappelait que l'homologation avait été obtenue le 8 juillet précédent et que M. R. en avait été informé dès le 12 juillet, de sorte que le véhicule était à sa disposition dès qu'il aurait réglé les factures restant dues.

La SARL se prévalait en effet de cinq factures d'un montant cumulé de 6.503,30 €, sauf à déduire l'acompte de 1.000 € précédemment versé par M. R..

Dès lors, un litige allait opposer M. R. qui refusait de payer ces factures tout en réclamant la restitution de son véhicule, et le garagiste qui, au contraire, prétendait le conserver tant qu'il ne serait pas intégralement réglé des frais de transformation du véhicule.

Par acte du 27 juillet 2017, M. R. faisait assigner la SARL devant le tribunal de commerce de Lorient pour obtenir d'abord la restitution de son véhicule, ensuite une expertise judiciaire aux fins de vérifier l'état de celui-ci, enfin la condamnation du garagiste au paiement d'une indemnité de 7.500 € en réparation de son préjudice de jouissance ainsi qu'une indemnité de 1.500 € pour résistance abusive.

Par conclusions déposées à l'audience du 10 janvier 2018, le garagiste s'opposait à toutes les demandes de M. R. et, à titre reconventionnel, réclamait la condamnation de celui-ci au paiement du solde des factures.

Par jugement du 30 mai 2018, le tribunal :

- condamnait M. R. à payer à la SARL la somme restant due de 5.503,30 €TTC pour solde des travaux, déduction faite de l'acompte de 1000 € précédemment versé ;

- condamnait la SARL à payer à M. R. une indemnité de 4.000 € en réparation de son préjudice de jouissance

- ordonnait à la SARL de restituer le véhicule à M. R. ;

- déboutait les parties du surplus de leurs demandes ;

- partageait les dépens par moitié.

Par déclaration reçue au greffe de la cour le 18 septembre 2018, M. R. interjetait appel de cette décision.

M. R. notifiait ses dernières conclusions le 3 juin 2020, la SARL les siennes le 23 janvier 2019.

La clôture de la mise en état intervenait par ordonnance du 22 avril 2021.

 

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

M. R. demande à la cour de :

- le déclarer recevable et bien fondé en son appel ;

- réformer le jugement en ce qu'il l'a condamné au paiement de la somme de 5 503.30 € TTC au titre des travaux, déduction faite de l'acompte de 1.000 € ;

Statuant à nouveau,

- déclarer prescrite l'action en paiement formée reconventionnellement par la SARL ;

- subsidiairement, débouter la SARL de ses demandes comme étant injustifiées ;

- confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré la SARL responsable du préjudice de jouissance subi par M. R. à raison du retard dans l'exécution des travaux ;

- le réformer en ce qu'il a limité l'indemnisation de ce préjudice à la somme de 4.000 € ;

Statuant à nouveau,

- condamner la SARL à payer à M. R. une somme de 7.500 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice de jouissance ;

- confirmer le jugement en ce qu'il a ordonné la restitution par la SARL à M. R. du véhicule Mercedes 560 SEL immatriculé 205 NYH 75 ainsi que de ses accessoires ;

- réformer le jugement en ce qu'il a débouté M. R. de sa demande d'expertise ;

Statuant à nouveau,

- ordonner la désignation de tel expert en automobiles qu'il plaira à la cour, chargé de la mission suivante :

* procéder à l'examen du véhicule,

* décrire son état et, le cas échéant, ses conditions d'entreposage depuis son immobilisation ; examiner les anomalies et désordres pouvant affecter le véhicule et préciser s'ils le rendent impropre à 1'usage auquel il est destiné,

* le cas échéant, déterminer les causes des dysfonctionnements constatés et rechercher si ces dysfonctionnements étaient apparents lors de l'acquisition du véhicule par M. R. ou s'ils sont apparus postérieurement,

* décrire les travaux réalisés par la SARL et indiquer s'ils ont bien été réalisés dans les règles de l'art,

* le cas échéant, donner son avis sur l'ensemble des désordres et préjudices pouvant résulter des travaux réalisés par la SARL,

* décrire, dans l'hypothèse où le véhicule serait techniquement réparable, les travaux nécessaires pour y remédier et en chiffrer le coût; dans tous les cas, indiquer la valeur résiduelle du véhicule,

* fournir tous éléments techniques et de fait de nature à déterminer les responsabilités encourues et évaluer les préjudices subis,

* fournir toutes les indications sur la durée prévisible des réfections ainsi que sur les préjudices accessoires qu'ils pourraient entraîner tels que privation ou limitation de jouissance ;

- réformer le jugement en ce qu'il a débouté M. R. de sa demande indemnitaire pour résistance abusive ;

Statuant à nouveau,

- condamner la SARL à verser à M. R. une somme de 1.500 € à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive ;

- condamner la SARL à verser à M. R. une somme de 5.000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la même aux entiers dépens de première instance et d'appe1.

Au contraire, la SARL demande à la cour de :

- débouter M. R. de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

- réformer le jugement en ce qu'il a condamné la SARL au paiement de la somme de 4.000 € à titre de dommages-intérêts, et par là même débouter M. R. de sa demande d'indemnisation ;

- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné M. R. au paiement de la somme de 5.503,30€ TTC au titre des travaux, déduction faite de l'acompte de 1000 € ;

- le confirmer en ce qu'il a ordonné la restitution par la SARL à M. R. du véhicule Mercedes 560 SEL immatriculé 205 NYH 75 lui appartenant et de ses accessoires, sous réserve du paiement des factures litigieuses ;

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. R. de sa demande indemnitaire pour résistance abusive ;

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. R. de sa demande d'expertise ;

- condamner M. R. au paiement de la somme de 3.000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner M. R. aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Il est renvoyé à la lecture des conclusions précitées pour un plus ample exposé des demandes et moyens des parties.

 

MOTIFS DE LA DECISION

I - Sur le paiement des factures litigieuses :

A - Sur la prescription :

L'article 2224 du code civil dispose que 'les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.'

Par application de l'article L 218-2 du code de la consommation (L 137-2 dans sa numérotation antérieure à l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016), ce délai est de deux ans pour 'l'action des professionnels, pour les biens ou les services qu'ils fournissent aux consommateurs'.

Encore faut-il que la créance alléguée soit exigible, la prescription ne pouvant pas courir à l'encontre de celui dont la créance n'est pas encore échue.

Or, les factures dont la SARL réclame le paiement ne sont devenues exigibles qu'à partir du moment où elle a achevé les travaux qui lui avaient été confiés, soit, en l'espèce, à partir du moment où elle a obtenu de la DREAL, pour le compte de son client, l'homologation du véhicule modifié par ses soins, précisément le 8 juillet 2016.

Jusqu'à cette date, M. R. n'était pas tenu au paiement des factures émises par le garagiste puisque les travaux correspondants n'étaient pas encore achevés ; en effet, en l'absence d'homologation du véhicule modifié, celui-ci n'était pas en état de circuler.

D'ailleurs, M. R. affirme lui-même qu'il 'ignorait tout de ces factures' puisque la SARL ne les lui avait jamais adressées jusqu'à ce qu'elle les produise, pour la première fois, dans le cadre de la présente instance.

En tout état de cause, le délai de prescription n'a pas commencé à courir avant le 8 juillet 2016, date à laquelle, par suite de l'homologation délivrée par la DREAL, la SARL a été en mesure, pour la première fois, de faire valoir ses droits à paiement auprès de son client.

Il en résulte, quelle que soit la prescription applicable, de deux ou de cinq ans, qu'elle n'était pas acquise lorsque la SARL a agi en paiement à l'encontre de M. R., ce, quelques dix-huit mois plus tard, par voie de conclusions déposées à l'audience du 10 janvier 2018.

B - Sur le fond :

Aux termes de l'article 1341 du code civil, dans sa numérotation applicable au litige, 'il doit être passé acte devant notaires ou sous signatures privées de toutes choses excédant une somme ou une valeur fixée par décret, même pour dépôts volontaires, et il n'est reçu aucune preuve par témoins contre et outre le contenu aux actes, ni sur ce qui serait allégué avoir été dit avant, lors ou depuis les actes, encore qu'il s'agisse d'une somme ou valeur moindre. Le tout sans préjudice de ce qui est prescrit dans les lois relatives au commerce.'

Par application du décret n° 80-533 du 15 juillet 1980 modifié, la somme ou la valeur visée à l'article 1341 du code civil est fixée à 1.500 €.

L'article 1347 précise toutefois que 'les règles ci-dessus reçoivent exception lorsqu'il existe un commencement de preuve par écrit. On appelle ainsi tout acte par écrit qui est émané de celui contre lequel la demande est formée, ou de celui qu'il représente, et qui rend vraisemblable le fait allégué. Peuvent être considérées par le juge comme équivalant à un commencement de preuve par écrit les déclarations faites par une partie lors de sa comparution personnelle, son refus de répondre ou son absence à la comparution.'

L'article 1348 ajoute que 'les règles ci-dessus reçoivent encore exception lorsque l'obligation est née d'un quasi-contrat, d'un délit ou d'un quasi-délit, ou lorsque l'une des parties, soit n'a pas eu la possibilité matérielle ou morale de se procurer une preuve littérale de l'acte juridique, soit a perdu le titre qui lui servait de preuve littérale, par suite d'un cas fortuit ou d'une force majeure. Elles reçoivent aussi exception lorsqu'une partie ou le dépositaire n'a pas conservé le titre original et présente une copie qui en est la reproduction non seulement fidèle mais aussi durable. Est réputée durable toute reproduction indélébile de l'original qui entraîne une modification irréversible du support.'

En l'espèce, force est de constater que la SARL ne produit ni écrit, ni commencement de preuve par écrit, ni même ne se prévaut d'une quelconque impossibilité de se procurer un écrit, pour justifier du coût des travaux dont elle aurait convenu avec M. R..

D'ailleurs, le garagiste ne soutient même pas qu'un prix déterminé ait jamais été convenu avec M. R..

Certes, ce dernier reconnaît avoir confié son véhicule au garagiste pour qu'il l'équipe d'un kit GPL.

Certes, il reconnaît lui avoir versé à ce titre un acompte de 1.000 € à valoir sur le prix de cette intervention, ce qui laissait augurer d'un solde à payer une fois les travaux achevés.

Pour autant, l'étendue de l'obligation ainsi contractée par M. R. envers le garagiste demeure incertaine, et ce alors que ce dernier en réclame un prix supérieur à 1.500 € et devrait en conséquence pouvoir en apporter la preuve conformément aux exigences légales, ce qu'il ne fait pas.

En conséquence et faute de justifier de ce prix, la SARL sera déboutée de sa demande en paiement du solde de ses factures, le jugement déféré devant être infirmé en ce sens.

 

II - Sur la demande de restitution du véhicule :

L'article 2286 du code civil dispose :

'Peut se prévaloir d'un droit de rétention sur la chose :

1° Celui à qui la chose a été remise jusqu'au paiement de sa créance ;

2° Celui dont la créance impayée résulte du contrat qui l'oblige à la livrer ;

3° Celui dont la créance impayée est née à l'occasion de la détention de la chose ;

4° Celui qui bénéficie d'un gage sans dépossession.

Le droit de rétention se perd par le dessaisissement volontaire.'

Cependant et dans la mesure où la SARL ne justifie pas de sa créance, en l'occurrence du solde des factures dont elle réclame le paiement, elle n'est pas fondée à exercer un droit de rétention sur le véhicule qui lui a été confié.

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il lui a ordonné de restituer le véhicule à M. R., ainsi que ses accessoires, sans que la SARL puisse se prévaloir d'aucune condition à cette restitution.

 

III - Sur la demande d'expertise judiciaire :

L'article 146 du code de procédure civile dispose :

'Une mesure d'instruction ne peut être ordonnée sur un fait que si la partie qui l'allègue ne dispose pas d'éléments suffisants pour le prouver.

En aucun cas une mesure d'instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie dans l'administration de la preuve.'

En l'occurrence, M. R. ne justifie d'aucun indice, ni d'une dégradation du véhicule entreposé chez le garagiste, ni même d'anomalies ou de désordres dont celui-ci pourrait être affecté.

De même, il n'y a pas lieu de douter, en l'absence de commencement de preuve en ce sens, de la qualité des travaux réalisés par la SARL, alors au contraire qu'il est constant que le véhicule modifié par elle a reçu son homologation de la DREAL.

En conséquence et en l'absence de motif légitime à la réclamer, la demande d'expertise sera rejetée et le jugement confirmé en ce sens.

 

IV - Sur la demande d'indemnisation du préjudice de jouissance :

Il est constant que les travaux tendant au changement du mode d'alimentation du véhicule, et surtout la demande tendant à l'homologation de cette modification, ont duré plusieurs années.

Pour autant, force est de constater que M. R. s'en est lui-même satisfait puisqu'il a attendu le 12 février 2016 pour manifester, pour la première fois, son impatience.

D'ailleurs et en dépit de ce retard, il n'a jamais déchargé la SARL de la mission qu'il lui avait confiée, n'ayant en effet tenté de le faire que par une lettre adressée au garagiste par l'intermédiaire de son conseil en date du 23 janvier 2017, soit à une époque où les travaux étaient déjà achevés et l'homologation obtenue.

Par ailleurs et dès le 29 février 2016, la SARL a informé son client qu'elle n'avait pas renoncé à obtenir l'homologation du véhicule et qu'elle mettait tout en oeuvre pour y parvenir, ce qu'elle a alors fait dans un délai raisonnable puisqu'ayant réussi à obtenir l'homologation dès le 8 juillet suivant.

Aussi et dans la mesure où M. R. ne justifie pas du préjudice dont il se prévaut aujourd'hui, il ne pourra qu'être débouté de sa demande indemnitaire, le jugement devant être infirmé sur ce point.

 

V - Sur les autres demandes :

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté M. R. de sa demande indemnitaire pour résistance abusive, le refus du garagiste de restituer le véhicule tant qu'il ne serait pas payé de ses factures, même infondé eu égard à l'absence de preuve d'un prix convenu entre les parties, ne présentant pas pour autant un caractère abusif dès lors que ce refus pouvait justifier une discussion judiciaire.

Chacune des parties sera déboutée de la demande qu'elle forme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, tant en première instance qu'en cause d'appel.

Enfin et eu égard à la succombance partielle de chacune des parties, les dépens de première instance et d'appel seront partagés par moitié.

 

PAR CES MOTIFS,

La cour :

- confirme le jugement en ce qu'il a ordonné à la SARL Europe Auto 56 de restituer sans condition à M. Carlos R. son véhicule ainsi que ses accessoires, en ce qu'il a débouté chacune des parties de leurs demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile, enfin en ce qu'il a partagé par moitié les dépens de première instance ;

- l'infirmant pour le surplus de ses dispositions, statuant à nouveau et y ajoutant :

* déclare la SARL Europe Auto 56 recevable en sa demande en paiement de ses factures ;

* statuant au fond, l'en déboute ;

* déboute M. Carlos R. de l'ensemble de ses demandes indemnitaires ;

* déboute les deux parties du surplus de leurs demandes, ainsi que de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

* partage par moitié les dépens de la procédure d'appel.