Cass. com., 23 octobre 2007, n° 06-21.388
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Favre
Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Paris, le 27 octobre 2006 ), qu'en octobre 2001, M. et Mme X... (les époux X...) ont fait assigner M. Y... aux fins de le voir condamner au paiement de la somme de 695 167,51 euros assortie de 170 742,89 euros d'intérêts au titre d'une reconnaissance de dette du 30 juin 1999 ; que cette créance a été admise à la liquidation judiciaire de M. Y... par jugement du 4 juin 2003 ; que M. Y... ayant vendu ses actions et parts sociales qu'il détenait dans le capital des sociétés Moulins de Nemours, Y... France et de la SCI Grand Moulin de la ville au Groupe Celbert et à la SCI Mélusine, les époux X... ont fait assigner la société Groupe Celbert, M. Z..., en sa qualité de liquidateur à la liquidation de M. Y..., la société Y... finance, la société Moulin de Nemours Y... et la SCI Mélusine en paiement de dommages-intérêts afin de réparer une fraude paulienne commise lors de ces cessions ; que M. Z... s'est associé à l'action paulienne pour demander l'inopposabilité à la "masse des créanciers" de l'ensemble de ces cessions ; que contestant la qualité de créanciers de M. Y... des époux X..., la société Groupe Celbert, devenu Groupe Meunier Celbert, a saisi le tribunal d'un recours en tierce opposition contre le jugement du 4 juin 2003 ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société Groupe Meunier Celbert, la SCI Mélusine et la société Moulins de Nemours font grief à l'arrêt d'avoir déclaré mal fondée la tierce opposition exercée par le Groupe Celbert à l'encontre du jugement rendu le 4 juin 2003 et d'avoir accueilli l'action paulienne des époux X..., alors, selon le moyen :
1°) que le tiers opposant est dans une situation semblable à celle où il se serait trouvé s'il était intervenu dans l'instance pour résister à l'action ; qu'il n'appartient pas au tiers opposant assimilé à un défendeur à l'action de supporter la charge de la preuve qui pèse sur le seul demandeur à l'action qui a donné lieu au jugement frappé de tierce opposition ; que dès lors en l'espèce, c'est aux époux X... qui ont exercé une action tendant à voir constater qu'ils sont créanciers de M. Y... qu'il incombait de le démontrer ; qu'en faisant peser la charge et le risque de la preuve de la remise des fonds sur le Groupe Celbert, la cour d'appel a violé les articles 582 du nouveau code de procédure civile et 1315 du code civil ;
2°) que les dispositions de l'article 1322 du code civil selon lesquelles l'acte sous seing privé reconnu par celui auquel on l'oppose ou légalement tenu pour reconnu a, entre ceux qui l'ont souscrit et entre leurs héritiers et ayants cause, la même foi que l'acte authentique, ne s'appliquent pas aux ayants cause à titre particulier ; qu'en opposant au Groupe Celbert, acquéreur des parts et actions de M. Y... et tiers à la reconnaissance de dette, la force probante de cet acte sous seing privé, la cour d'appel a violé les dispositions précitées ;
3°) que l'aveu ne fait pleine foi que contre son auteur et à la condition d'être judiciaire ; qu'en opposant au Groupe Celbert, les termes d'un aveu de M. Y... devant les autorités de police, la cour d'appel a violé l'article 1356 du code civil ;
4°) que les contrats n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes ; qu'en considérant que les prétendues remises de fonds avaient dû laisser des traces dans la comptabilité du cessionnaire le Groupe Celbert qui est tiers aux prétendus contrats de prêt, et en reprochant à ce dernier de ne pas produire sa comptabilité pour établir l'absence de remise des fonds par le prêteur, la cour d'appel a violé l'article 1165 du code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que, par motifs propres et adoptés, la cour d'appel a relevé que ni M. Z..., représentant M. Y... dans l'instance ayant donné lieu au jugement déféré par la voie de l'opposition, ni le Groupe Celbert qui se trouvait dans la même position que M. Y... quant à l'opposabilité de la reconnaissance de dette sous seing privé, ne rapportait la preuve contraire qui lui incombait pour combattre la force probante attachée à la reconnaissance de dette du 30 juin 1999 ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel n'a pas fait peser sur le Groupe Celbert qui se trouvait dans la même position que M. Y... en qualité de tiers opposant, la charge et le risque de la preuve de la remise des fonds mais bien la preuve contraire de la non-remise desdits fonds ;
Attendu, en second lieu, que la cour d'appel, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation de la force probante d'un aveu extra judiciaire, a décidé qu'il ressortait des propres aveux de M. Y... que la reconnaissance de dette était dotée d'une cause réelle et sérieuse ;
D'où il suit que le moyen, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la quatrième branche, n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que la société Groupe Meunier Celbert, la SCI Mélusine et la société Moulins de Nemours font grief à l'arrêt d'avoir déclaré inopposables aux époux X... et à M. Z..., ès qualités, la cession par M. Y... de ses actions dans la société Moulins de Nemours au Groupe Celbert le 29 novembre 2000, la cession par la société Y... finances d'actions au Groupe Celbert le 29 novembre 2000, la cession de parts sociales par M. Y... à la SCI Mélusine le 29 novembre 2000 et d'avoir autorisé les époux X... et M. Z... à faire éventuellement saisir, dans la limite de leurs créances, les titres cédés entre les mains de la société Groupe Celbert et de la SCI Mélusine, sauf à ces dernières à désintéresser les créanciers poursuivants, alors, selon le moyen :
1°) que s'il suffit au créancier de justifier d'un principe certain de créance, encore faut-il que ce principe certain de créance soit antérieur à l'acte argué de fraude ; qu'en statuant comme elle l'a fait, après avoir constaté que la reconnaissance de dette invoquée par les époux X... n'avait acquis date certaine contre les tiers qu'après la conclusion des actes de cession incriminés, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations au regard des articles 1167 et 1328 du code civil, qu'elle a violés ;
2°) qu'en statuant comme elle l'a fait sans qu'il résulte de ses constatations que la reconnaissance de dette établie au profit des époux A... avait acquis date certaine antérieurement aux cessions litigieuses, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1167 et 1328 du code civil ;
Mais attendu que la fraude pouvant être prouvée par tous moyens, il en est de même de l'antériorité de la créance par rapport à l'acte attaqué, condition d'exercice de l'action paulienne ; que c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de preuve versés aux débats que la cour d'appel a exactement énoncé que le Groupe Celbert, la Société Moulins de Nemours et la SCI Mélusine excipaient vainement des dispositions de l'article 1328 du code civil, et a décidé que les époux X... et les époux A... justifiaient d'un principe de créance antérieur aux cessions litigieuses ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que la société Groupe Meunier Celbert, la SCI Mélusine et la société Moulins de Nemours font les mêmes griefs à l'arrêt, alors, selon le moyen :
1°) que le créancier qui n'est pas investi de droits particuliers sur certains biens de son débiteur ne peut faire révoquer les actes faits par ce dernier en fraude de ses droits que s'il établit son insolvabilité au moins apparente et ce au jour de l'acte litigieux ; qu'en se bornant à constater l'état de cessation des paiements de M. Y... qui consiste non pas en une insolvabilité mais à une impossibilité de faire face à un passif exigible au moyen de l'actif disponible et ce non pas à la date de l'acte de cession mais trois mois après, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1167 du code civil ;
2°) qu'en ne s'expliquant pas ainsi qu'elle y était invitée sur les mentions du bordereau de production des époux X... entre les mains de M. Z... énumérant les nombreuses garanties prises par ces derniers en 2001 et 2002 soit après les cessions litigieuses sur le patrimoine personnel de M. Y..., à savoir une inscription d'hypothèque judiciaire provisoire sur un immeuble, un nantissement de parts sociales, une saisie conservatoire entre les mains de la société Boulangerie Pontault Roissy, une saisie conservatoire entre les mains de la société JPB consultant, une saisie conservatoire entre les mains de la société Ponchon, un nantissement sur le fonds de commerce exploité par cette dernière et qui étaient de nature à démontrer qu'à la date des cessions litigieuses le patrimoine personnel de M. Y... était largement suffisant pour désintéresser les prétendus créanciers, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1167 du code civil ;
Mais attendu que, par motifs propres et adoptés, l'arrêt relève que les prix de cession des actions de la société Moulins de Nemours-Bourassin et des parts de la SCI Grands Moulins de la ville, très inférieurs aux offres concurrentes faites un an plus tôt, avaient été fixés en considération de l'état de cessation des paiements caractérisé de la société Moulins de Nemours-Bourassin mis en évidence par l'audit réalisé avant la cession et que la situation très obérée de sa société avait nécessairement eu des répercussions sur la situation personnelle de M. Y... qui avait d'ailleurs été mis ultérieurement en liquidation judiciaire, la date de cessation des paiements étant fixée au 20 février 2001, soit moins de trois mois après la date des cessions litigieuses ; qu'en l'état de ces constatations, ayant ainsi fait ressortir que, dès l'époque de la cession, la situation de la société Moulins de Nemours-Bourassin était très sérieusement compromise et, du même coup, celle de son dirigeant qui n'avait accepté de brader ses actions en même temps que ses parts de la SCI Grands Moulins de la Ville que parce qu'"il était lui-même aux abois" et dans l'incapacité de faire face à ses propres engagements, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a caractérisé l'insolvabilité au moins apparente de M. Y... à l'époque des cessions litigieuses ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le quatrième moyen :
Attendu que la société Groupe Meunier Celbert, la SCI Mélusine et la société Moulins de Nemours font encore les mêmes griefs à l'arrêt, alors, selon le moyen :
1°) qu'en se fondant pour considérer que le prix des cessions avait été prétendument minoré sur le prix sensiblement supérieur offert par des concurrents, après avoir constaté que le prix de cession des parts et actions avait été retenu au vu d'un audit de KPMG duquel il résultait notamment que la société Moulins de Nemours était en état de cessation des paiements tandis que les offres concurrentes supérieures avaient été émises avant cet audit, et sous réserve du résultat de cet audit, ce dont il résulte que le prix retenu ne pouvant être comparé aux prix offerts par les concurrents, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1167 du code civil ;
2°) qu'en ne s'expliquant pas ainsi qu'elle y était invitée, sur l'étude versée aux débats réalisée par la société KPMG sur l'évaluation des actions et parts sociales des sociétés en cause à la date du 31 octobre 2000 et qui était de nature à démontrer que le prix de cession des parts et actions était conforme à leur valeur à la date de cession et n'avait pas été minoré, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1167 du code civil ;
3°) qu'en qualifiant le contrat de prestation conclu entre le Groupe Celbert et L'EURL JPB Consultant, personne morale distincte de M. Y... son associé, de complément de prix de cessions des actions au profit de ce dernier, la cour d'appel a violé l'article 1842 du code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt retient qu'au moment où la société Grands Moulins de Paris avait formulé son offre, la situation financière de la société Moulins de Nemours était déjà très obérée, le prix fixé dans le protocole du 5 novembre 1999 s'entendant déduction faite des dettes financières évaluées au 30 juin 1999 à 23 000 000 francs ainsi que de frais de licenciement estimés à 1 000 000 francs ; qu'il retient aussi que la société Groupe Celbert ne pouvait justifier la modicité de son prix d'acquisition près de trois fois inférieur à celui offert par la société Grands Moulins de Paris par les résultats de l'audit de la société KPMG, alors que le passif de la société Moulins de Nemours s'établissait à l'époque de l'audit, en 2000, à 11 089 890 francs, soit un montant inférieur à celui enregistré l'année précédente, et que, même déduction faite de ce passif, la valeur des actions de la société Moulins de Nemours n'aurait pas dû être inférieure à 20 000 000 francs ; qu'il relève encore que la vente des parts sociales de la SCI Grands Moulins de la ville à la SCI Mélusine s'était faite à un prix de 3 800 000 francs, soit un prix réduit de moitié par rapport aux offres concurrentes de la société Pons (8 500 000 francs), de la société Grands Moulins de Paris et de la société AMO (8 000 000 francs) et de 40 % par rapport à l'estimation de l'administration des Domaines (7 à 8 000 000 francs), et que les sociétés appelantes ne justifiaient pas, par des pièces objectives de nature comptable et fiscale, de l'existence d'un passif de la SCI Grands Moulins de la Ville pouvant justifier une telle différence ; que la cour d'appel qui n'était pas tenue de suivre les parties dans les détails de leur argumentation et qui a relevé que même indépendamment de l'insuffisance du prix, les cessions litigieuses avaient causé un préjudice aux créanciers dans la mesure où le cédant, "en percevant le prix comptant, remplaçait des biens saisissables par des valeurs et espèces faciles à dissimuler aux créanciers", a légalement justifié sa décision ;
Attendu, en second lieu, qu'il ne résulte ni des conclusions ni de la décision attaquée que le grief invoqué à la troisième branche du moyen ait été soutenu devant les juges du fond ;
D'où il suit que le moyen nouveau et mélangé de fait et de droit soulevé par la troisième branche est irrecevable et n'est pas fondé pour le surplus ;
Sur le cinquième moyen :
Attendu que la société Groupe Meunier Celbert, la SCI Mélusine et la société Moulins de Nemours font encore les mêmes griefs à l'arrêt, alors, selon le moyen :
1°) que lorsque l'acte argué de fraude est un acte à titre onéreux, il appartient au demandeur à l'action paulienne de démontrer la complicité de fraude du tiers acquéreur et d'établir que ce dernier connaissait effectivement, à la date de l'acte argué de fraude, l'insolvabilité de son cocontractant et le préjudice en résultant pour les créanciers de ce dernier; qu'en se bornant à présumer la connaissance par les acquéreurs de la "répercussion" sur la situation personnelle de M. Y... de l'état de cessation des paiements des sociétés dont il était l'associé, la cour d'appel n'a pas caractérisé la complicité de fraude des acquéreurs et violé l'article 1167 du code civil ;
2°) que le fait pour un tiers de se porter acquéreur des actions d'une société en état de cessation des paiements, de ne pas faire preuve de vigilance particulière, et de ne pas vérifier si son acquisition n'est pas de nature à préjudicier aux créanciers éventuels de cette société et de son dirigeant n'est pas non plus de nature à caractériser une complicité de fraude ; qu'ainsi l'arrêt attaqué a violé l'article 1167 du code civil ;
3°) qu'en statuant comme elle l'a fait après avoir admis que les acquéreurs ont pu se méprendre sur leurs droits, circonstance exclusive d'une complicité de fraude, la cour d'appel na pas tiré les conséquences de ses propres constatations au regard de l'article 1167 du code civil qu'elle a violé ;
Mais attendu que, par motifs propres et adoptés, la cour d'appel relève la modicité du prix de cession, alors que d'autres concurrents offraient le double et la complicité de fraude du Groupe Celbert qui était tout autant caractérisée dès lors que ce dernier ne pouvait ignorer le préjudice causé aux créanciers de M. Y... qui faisait disparaître des éléments d'actif conséquents de son patrimoine à un prix très inférieur à leur valeur vénale que d'autres concurrents étaient prêts à verser, de sorte que des biens saisissables se trouvaient remplacés par des espèces faciles à dissimuler à des créanciers ; qu'elle relève encore que la société Groupe Celbert et la SCI Mélusine, en raison des liens étroits entre eux, et de l'indivisibilité unissant la cession des actions et des parts, ne pouvaient se méprendre sur le caractère frauduleux des cessions litigieuses et le préjudice causé à ces créanciers et qu'elles ne pouvaient méconnaître les répercussions de la cessation de paiement sur la situation personnelle de M. Y... détenteur de la quasi-totalité des actions et parts cédées ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu statuer comme elle l'a fait ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le sixième moyen :
Attendu que la société Groupe Meunier Celbert, la SCI Mélusine et la société Moulins de Nemours font encore les mêmes griefs à l'arrêt, alors, selon le moyen, que l'action paulienne a un caractère personnel et n'atteint que les débiteurs auteurs de la fraude et leurs complices, qu'en déclarant inopposables aux prétendus créanciers, les cessions consenties au groupe Celbert par la société DS Y... finances personne morale distincte de M. Y... et qui n'était pas à la date de la cession, débitrice des époux X... ou des créanciers représentés par M. Z... et contre laquelle aucune fraude n'a été démontrée, la cour d'appel a violé l'article 1167 du code civil ;
Mais attendu qu'ayant rappelé que la liquidation judiciaire de M. Y... avait été étendue à six sociétés qu'il contrôlait et notamment à la société Y... finances en raison de la confusion de leurs patrimoines, c'est à bon droit que la cour d'appel a déclaré inopposables aux époux X... et à M. Z... tant les cessions d'actions réalisées par M. Y... lui-même que celles réalisées par le truchement de la société Y... finances dont M. Y... détenait 99 % des actions ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.