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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 31 mars 1995, n° 94/24625

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Sellier

Défendeur :

Caisse régionale du Crédit Agricole , Ministre de l'Economie, des Finances et du Budget

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Feuillard

Conseillers :

Mme Pinot, M. Perie

Avocat :

Me Turrini

Cons. conc., du 5 oct. 1994

5 octobre 1994

Vu les mémoires, pièces et documents déposés au greffe à l’appui du recours :

Par décision n’ 94-MC-1 1 du 5 octobre 1994, le Conseil de la concurrence (commission permanente) a déclaré irrecevable la saisine n° F 696 de M. Jean-Yves Sellier, notaire à Charolles, et rejeté sa demande de mesures conservatoires enregistrée sous le numéro M 133.

M. Sellier a saisi le conseil, le 2 septembre 1994, du refus du Crédit agricole du Sud-Est de lui accorder un prêt de trésorerie en faisant valoir que ce refus constituerait une entente illicite entre la banque et les institutions ordinales du notariat, un abus de position dominante et un refus de vente. La demande de mesures conservatoires était relative à une procédure de référé disciplinaire qui le concernait et était pendante devant le tribunal de grande instance de Mâcon.

Le conseil a relevé qu’il n’était pas compétent pour apprécier les conditions dans lesquelles intervient un éventuel refus d’un établissement financier d’octroyer un prêt à une entreprise ; qu’aucun élément du dossier ne venait corroborer l’allégation d’après laquelle le refus, en l’espèce, procéderait d’une entente anticoncurrentielle entre le Crédit agricole, l’Association notariale de caution et les institutions ordinales du notariat; qu’aucun élément probant n’était apporté de nature à établir l’existence d’une exploitation abusive de position dominante; que les éventuels litiges entre la partie saisissante et le Crédit agricole ou les institutions ordinales du notariat relevaient de la seule compétence du juge judiciaire.

M. Jean-Yves Sellier a formé un recours contre cette décision et prie la cour d’ordonner toute enquête utile à la confirmation des faits qu’il énonce, de soumettre au Conseil d’Etat la validité de l’arrêté fixant «l’oligopole» des dépositaires agréés des notaires, d’évoquer au fond les ententes et abus considérés, de sanctionner (« par principe » les auteurs des manœuvres qui ont retardé la régularisation comptable de l’étude en visant à sa suppression, de lui «donner acte de sa stratégie fructueuse de redressement » et de «condamner l’absurdité de (son) élimination ».

Il évoque sa démission «contrainte », l’action qu’il a intentée contre son prédécesseur, le référé disciplinaire qui a été engagé par le parquet général de Dijon et la valeur «justificative » de l’arrêté du 25 août 1972 et affirme que toute menace de suspension aurait été écartée si l’un des dépositaires agréés avait accepté non de consentir un prêt, mais de recevoir des fonds d’une banque suisse et que ni la Caisse des dépôts et consignations ni le Crédit agricole n’ont voulu prendre le risque de mécontenter la chambre des notaires de Saône-et-Loire avant son renouvellement en mai 1994.

La caisse régionale du Crédit agricole du Sud-Est, intervenant volontairement, conclut à l’irrecevabilité du recours, subsidiairement à son mal fondé et à la confirmation de la décision, réclamant 50 000 F au titre de l’article 700 NCPC.

Elle soutient que la déclaration de recours de M. Sellier n’en précise pas l’objet (ni annulation ni réformation) et ne contient pas l’exposé de ses moyens, d’où il résulte que le recours est irrecevable.

Subsidiairement, elle affirme qu’elle a proposé à M. Sellier un prêt conjoncturel de trésorerie, proposition à laquelle celui-ci n’a pas donné suite, la BFCE lui accordant finalement, en juin 1994, une ligne de crédit de 0,7 MF; qu’il n’y a eu ni entrave à la concurrence ni entente anticoncurrentielle; qu’il n’y a aucune position dominante des caisses régionales du Crédit agricole sur le marché des prêts aux notaires; que l’arrêté du 25 août 1972, qui fixe la liste des établissements habilités à recevoir les fonds détenus par les notaires pour compte de tiers, est étranger à la question des prêts qui peuvent être accordés aux notaires.

Le ministre de l’économie demande à la cour de confirmer la décision du conseil.

Il observe que l’irrecevabilité du recours ne saurait être retenue, mais que les moyens relatifs à l’existence d’une entente entre le Crédit agricole et la chambre départementale des notaires de Saône-et-Loire ou d’un abus de position dominante de la part du Crédit agricole doivent être écartés.

Le Conseil de la concurrence n’a pas entendu présenter d’observations écrites.

M. Sellier a répliqué les 28 décembre 1994 et 18 janvier 1995.

La caisse de Crédit agricole a répliqué le 17 février 1995.

Le ministère public a conclu oralement à la recevabilité mais au rejet du recours ;

Sur quoi, la cour :

Considérant que la déclaration de recours de M. Sellier comporte l’exposé de ses moyens, quoiqu’il soit peu aisé de les discerner, et tend manifestement à la réformation de la décision du conseil

Que le recours sera donc déclaré recevable ;

Considérant qu’il est de notoriété publique que la Caisse des dépôts et consignations et les caisses régionales du Crédit agricole se partagent aujourd’hui le marché des crédits d’installation consentis aux notaires avec la garantie de l’association professionnelle de caution ;

Que cette circonstance explique sans doute l’insistance de M. Sellier, quoiqu’il se plaigne des conditions dans lesquelles un prêt conjoncturel de trésorerie lui aurait été refusé, à contester la régularité de l’arrêté du 25 août 1972, lequel ne concerne formellement que la désignation des établissements habilités à recevoir les fonds déposés par les notaires et détenus pour compte de tiers ;

Mais considérant que plusieurs des demandes de M. Sellier échappent à la compétence du Conseil de la concurrence, donc de la cour ;

Que, en ce qui concerne ses prétentions relatives à l’existence d’une entente illicite entre la caisse du Crédit agricole du Sud-Est et la chambre départementale des notaires, d’une part, l’existence d’un abus de position dominante de la part de cette caisse, d’autre part, le conseil a répondu par des motifs exacts et pertinents qu’il y a lieu d’adopter ;

Considérant qu’il n’y a pas lieu à question préjudicielle ;

Considérant que la caisse de crédit agricole intervenante conservera la charge des frais de son intervention ;

Que sa demande d’ indemnité de procédure sera rejetée,

Par ces motifs :

Déclare le recours recevable mais mal fondé ;

Le rejette ;

Rejette la demande d’indemnité de procédure présentée par la caisse de crédit agricole intervenante ;

Dit que cette caisse conservera la charge de ses frais d’intervention devant la cour ;

Condamne M. Jean-Yves Sellier au surplus des dépens.