CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 14 juin 1995, n° 94/28697
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Stores Iles de France (SARL)
Défendeur :
Ministre de l'Economie, des Finances et du Budget
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guerin
Conseillers :
Mme Mandel, M. Weill
Avocat :
Me Dumaz
Vu les mémoires, pièces et documents déposés au greffe à l’appui du recours,
La cour statue sur le recours formé par la société Stores Ile-de-France (SIF) contre une décision du Conseil de la concurrence (le conseil) n° 94-D-57 du 2 novembre 1994 qui a, par application de l’article 13 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 :
- infligé une sanction pécuniaire de 60 000 F à cette société et de 15 000 F à la société A Paris Enseignes (APE) ;
- fixé à 25 000 F le montant de la sanction prononcée à l’encontre de la société Ateliers des Forges (ADF) en liquidation judiciaire ;
- et transmis le dossier au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris s’agissant de M. Desez, gérant de la société APE et de la société ADF, et de M. Chudyba, directeur technique d’ADF.
Référence faite à cette décision pour l’exposé des faits et de la procédure initiale, il suffit de rappeler les éléments essentiels suivants :
La préfecture de police de Paris a lancé le 28 mai 1991 une procédure d’appel d’offres ouvert pour la fourniture et la pose de matériels de signalisation à l’extérieur et à l’intérieur de deux de ses immeubles situés à Paris (75004), caserne de la Cité, 1, place Louis-Lépine, et 12-14, quai de Gesvres.
Les travaux comprenaient une tranche ferme estimée à 1 800 000 F et une tranche conditionnelle de 700 000 F.
Les sociétés OGI-CSO, APE, ADF et SIF ont soumissionné.
La commission d’ouverture des plis ayant constaté un certain nombre d’anomalies, la commission d’appel d’offres de la ville de Paris demandé une enquête à la suite de laquelle elle a décidé de déclarer l’appel d’offres infructueux et a procédé à une consultation en vue d’un marché négocié qui a été conclu avec la société Lettres et Lumières.
Le Conseil de la concurrence a relevé :
- que ADF, préalablement au dépôt de son offre, avait communiqué ses propositions de prix à APE et SIF qui les avaient utilisées pour établir leurs offres ;
- que APF avait fait une offre de couverture en majorant uniformément l’offre d’ADF ;
- que ces sociétés avaient fait deux offres distinctes sans indiquer qu’elles ont le même gérant, simulant une concurrence ;
- que SIF, ne participant pas habituellement aux marchés publics, avait été sollicitée par le gérant d’ADF et d’APE pour soumissionner et lui sous-traiter les travaux contre remise de 30 p. 100 ;
- qu’elle avait présenté une offre établie par majoration de 10 p. 100 des prix communiqués par le gérant d’ADF et d’APE.
La société SIF prie la cour d’annuler la décision rendue par le Conseil de la concurrence et, subsidiairement, de réduire le montant de la sanction pécuniaire infligée, qui ne saurait dépasser 10 000 F.
Le Conseil de la Concurrence a présenté des observations écrites relatives à l’absence d’indications aux maîtres d’œuvre ou d’ouvrage par les entreprises des liens qu’elles entretiennent entre elles, constitutive d’une simulation de concurrence.
Le ministre de l’économie a présenté des observations écrites et orales pour demander à la cour la confirmation de la décision.
Le ministère public a conclu au rejet du recours.
Sur ce, la cour :
Considérant que, à l’appui de son recours, la Société SIF soutient :
- qu’elle ne s’est pas concertée avec la société ADF dans le but de modifier les conditions normales du marché, mais a agi dans celui d’exécuter en commun les travaux ;
- que ADF a communiqué une offre hors pose, tandis qu’elle-même a majoré ses prix incluant la pose et sa marge commerciale ;
- qu’elle ignorait qu’ADF soumissionnerait également ;
Mais, considérant qu’il ressort des éléments de l’enquête qu’en réalité SIF a soumissionné à l’instigation d’ADF en sachant que cette société soumissionnerait également ;
Que l’offre de SIF est la copie servile de celle d’ADF à la seule différence près que les prix ont été uniformément majorés ;
Que les deux offres comprennent la pose ;
Considérant que la concertation entre les deux sociétés est ainsi établie, SIF ayant fait une offre plus onéreuse de manière à faire apparaître celle d’ADF plus avantageuse, faussant ainsi le jeu normal du marché ;
Considérant qu’en agissant pour exécuter le marché en commun avec ADF SIF avait l’obligation de révéler au maître d’œuvre, conformément à la législation en vigueur, l’accord de sous-traitance liant les deux entreprises ;
Que cette dissimulation a faussé le jeu de la concurrence ;
Considérant que, si la sanction pécuniaire infligée à SIF (60 000 F) est, comme celle-ci le relève, supérieure à celle infligée à (25 ADF 000 F), elle ne saurait être critiquée, puisqu’elle a été fixée en tenant compte. d’une part, du chiffre d’affaires de chacune des sociétés, d’autre part, du rôle respectif de chacune d’entre elles dans leur action nuisible à l’économie, le montant des condamnations prononcées représentant 0,33 P. 100 du chiffre d’affaires de S.I.F. et 0,80 p. 100 de celui d’ADF,
Par ces motifs :
Rejette le recours formé par la société SIF et maintient le montant de la sanction prononcée contre elle.
Met à sa charge l’intégralité des dépens du présent recours.