Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 30 juin 2021, n° 19/04713

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

L'Atelier de l'objet (SARL)

Défendeur :

DDR Serti (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Conseiller :

M. Gilles

Avocats :

Me Etevenard, Me Autier, Me Lacoste

T. com. Lyon, du 20 févr. 2019

20 février 2019

La société DDR Serti avait pour activité essentielle le sertissage de pierres précieuses.

La société L'Atelier de l'objet est spécialisée dans la réalisation de bijoux à l'intention de maisons de joaillerie.

La société L'Atelier de l'objet a confié pendant huit années des prestations de sertissage à la société DDR Serti pour la réalisation de pièces à l'attention de ses propres clients. À partir de 2015, la société DDR Serti a cessé de recevoir des commandes de la part de la société l'Atelier de l'objet.

La société DDR Serti a estimé avoir subi de ce fait une rupture brutale des relations commerciales établies.

Par acte extrajudiciaire du 9 juillet 2015, et au visa de l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce, la société DDR Serti, alors in bonis, arguant d'un préjudice résultant d'une rupture brutale de relations commerciales établies du fait de la société L'Atelier de l'objet, a saisi le tribunal de commerce de Lyon d'une demande indemnitaire principale de 106 359,48 euros dirigée contre la société L'Atelier de l'objet.

C'est ainsi que, par jugement du 13 avril 2016, le tribunal de commerce de Lyon a condamné L'Atelier de l'objet à verser à la société DDR Serti la somme principale de 106 359,48 euros.

La concluante a interjeté appel de ce jugement.

Par arrêt du 7 mars 2018, la cour d'appel de Paris a annulé ce même jugement, au visa des articles L. 641-9-1 al. 1 du code de commerce et 372 du code de procédure civile et au motif essentiel que l'instance n'avait pas été reprise par le liquidateur de la société DDR Serti entre temps placée en liquidation judiciaire.

Le liquidateur de la société DDR Serti a saisi le tribunal de commerce de Lyon d'une demande identique à la première.

C'est dans ces conditions que le tribunal de commerce de Lyon, par jugement du 20 février 2019 :

S’est déclaré compétent pour connaître de l'affaire ;

A condamné la société L'Atelier de l'objet à payer à Maître X, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société DDR Serti, la somme de 106 359, 48 euros au titre de la perte de sa marge brute sur une durée équivalente au préavis qui aurait dû être respecté ;

A débouté la société L'Atelier de l'objet de toutes ses demandes, fins et prétentions ;

A condamné la société L'Atelier de l'objet à payer à Maître X, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société DDR Serti, la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

A ordonné l'exécution provisoire du présent jugement, nonobstant appel et sans caution ;

A condamné la société L'Atelier de l'objet aux entiers dépens.

Le 28 février 2019, la société L'Atelier de l'objet a interjeté appel de ce jugement devant la Cour d'appel de Paris.

Par arrêt du 9 décembre 2020, la présente Cour a rouvert les débats sur la régularité des conclusions d'intervention de la SELARL Y en sa qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la SARL DDR Serti en remplacement de M. X.

Vu les dernières conclusions avant la clôture de la société L'Atelier de l'objet, notifiées et déposées le 28 mai 2019, demandant à la Cour de :

Vu l'article L. 442-6 5° du code de commerce,

Vu les conclusions,

Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Lyon du 20 février 2019 en toutes ses dispositions ;

Dire que la société concluante n'a pas rompu brutalement les relations établies avec la société DDR Serti ;

Débouter l'intimée de ses demandes accessoires au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Fixer à 10 000 euros le montant de l'indemnité de l'article 700 du code de procédure civile devant être admise au passif de la liquidation de de la SARL DDR Serti.

Vu les dernières conclusions de la SELARL Pierre Martin en sa qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la société DDR Serti notifiées et déposées le 18 janvier 2021, demandant à la Cour de :

Vu l'article L. 442-6, 5° du Code de commerce,

Vu l'article 700 du Code de procédure civile,

Vu la jurisprudence citée,

Dire que la société L'Atelier de l'objet a rompu brutalement les relations commerciales qu'elle entretenait depuis six ans avec la société DDR Serti,

Dire la liquidation de la société DDR Serti recevable et bien fondée en ses demandes de réparation du préjudice qu'elle a subi au titre de cette rupture brutale,

Dire que la société L'Atelier de l'objet ne justifie pas de sa prétendue créance, ni dans son principe, ni dans son quantum,

En conséquence,

Confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Lyon le 20 février 2019 en toutes ses dispositions,

Condamner la société L'Atelier de l'objet au paiement de la somme de 106 359,48 euros, au titre de la perte de sa marge brute sur une durée équivalente au préavis qui aurait dû être respecte,

Débouter en tout état de cause la société L'Atelier de l'objet de sa demande de fixation de sa prétendue créance au passif de la procédure de liquidation judiciaire de la société DDR Serti.

Condamner la société L'Atelier de l'objet au paiement de la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

SUR CE

LA COUR

- Sur la rupture brutale des relations commerciales

Les moyens soutenus par la société Atelier de l'objet, le joaillier, au soutien de son appel sur le principe de sa responsabilité pour rupture brutale des relations commerciales établies, ne font que réitérer sous une forme nouvelle, mais sans justification complémentaire utile, ceux dont le premier juge a connu et auxquels il a répondu par des motifs exacts que la cour adopte, sans qu'il soit nécessaire de suivre les parties dans le détail d'une discussion se situant au niveau d'une simple argumentation.

Il sera seulement ajouté ce qui suit.

A l'appui de son appel, la société L'Atelier de l'objet fait essentiellement valoir que la rupture de la relations commerciales (sic] entre les parties est exclusivement imputable à la société DDR Serti, le façonnier, qui a unilatéralement et substantiellement modifié cette relation à l'occasion d'un travail qu'elle lui avait confié sur une boîte dite « boîte russe » qu'un client lui avait demandé de sertir moyennant le prix de 51 000 euros qu'elle lui a facturé.

Le joaillier reproche au façonnier d'avoir, une fois le travail accompli, refusé de venir lui rapporter l'objet dans ses locaux parisiens, contrairement à l'usage entre-eux établi depuis le début de leur relation de huit années et de l'avoir retourné sans prévenir par la voie postale. Il précise qu'il a reçu le paquet postal le 23 février 2015.

Or, le joaillier fait valoir qu'un tel procédé était inadapté compte tenu de la valeur de l'objet après sertissage, de l'ordre de 100 000 euros, alors que la Poste ne garantit qu'une valeur déclarée de 5 000 euros et que l'assureur ne garantit les objets confiés à des tiers qu'à hauteur de 20 000 euros, ce qui est en principe suffisant lors de la remise à un sous-traitant car, en ce cas, un bordereau est établi pour transférer les risques à celui-ci qui reçoit toujours l'objet de la main à la main.

Le joaillier fait valoir que la restitution de l'objet par voie postale était inacceptable en l'espèce, compte tenu des limites de garantie, des usages de la profession et des risques de perte ou de détérioration.

Le joaillier expose que contrairement à ce que les premiers juges ont retenu, les deux objets qui lui ont été restitués au mois de décembre 2014 après avoir été confiés au façonnier, et qui appartenaient au même client JAR, ne peuvent avoir donné lieu à une rupture brutale des relations commerciales qui lui serait imputable.

Le façonnier expose au contraire, à partir d'un courriel au joaillier du 2 mars 2015, que la rupture brutale a été commencée par la demande de restituer plusieurs pièces planifiées pour le début de cette même année et qu'ensuite aucun travail ne lui aurait plus été confié à cette période.

Sur ce, la Cour, examinant les deux restitutions litigieuses en décembre 2014 d'objets confiés au façonnier relève en premier lieu que :

- par bon de livraison n° 101 du 4 novembre 2014, un sautoir dit "boules écrasées de tourmaline rose" (référence PJ9248) a été confié au façonnier ainsi que des pierres ;

- par bon de livraison n° 108 du 16 décembre 2014, ce sautoir a été restitué ainsi que les pierres dites « boules à rondelles » qui n'avaient pas été serties.

Il est constant que cette restitution a eu lieu en l'état, le travail n'ayant pas été achevé.

Or, rien ne prouve que la restitution de cet objet a été motivée par la circonstance que le façonnier avait apporté un retard contraire à ses obligations dans la mise en œuvre du travail, au regard des délais de réalisation escomptés par le client la société JAR. Par des courriels du mois de mars 2015, le façonnier s'est plaint de cette restitution imposées et l'attestation Dufour, circonstanciée, le confirme.

En second lieu, s'agissant du collier dit jade /turquoise vertes (référence PJ9324), celui-ci a été remis au façonnier en vue de le sertir, ainsi que 30 rondelles, le 03 octobre 2014. Alors que selon le document justifiant de la restitution de ce bijou produit par le liquidateur il est établi que le travail à réaliser sur cette pièce requérait 50 rondelles et 18 boules de différentes dimensions, il est établi que seulement les 30 rondelles ont été remises au façonnier qui les a restituées les 18 décembre 2014, 25 novembre et 17 décembre 2014. Si les boules et les pierres correspondant aux mentions manuscrites figurant sur la gauche du document n'ont jamais été confiées au façonnier par le joaillier qui n'a établi aucun "confié" en ce sens, ainsi que le fait valoir celui-ci, rien ne prouve davantage qu'il n'avait pas reçu les pierres de la part du client JAR.

Il se déduit des explications des parties et des pièces que le travail sur ce collier dit jade/turquoise verte a été confié au joaillier par le même client (JAR) que le sautoir dit « boules écrasées de tourmaline rose » (référence PJ9248) déjà mentionné et pour lequel le façonnier s'est plaint par écrit auprès du joaillier d'une restitution imposée et préjudiciable dès le mois de mars 2015, le caractère incompréhensible et dommageable de cette restitution imposée étant corroboré par l'attestation Dufour déjà mentionnée.

Si le joaillier a pu obtenir de la part de la société JAR une attestation, celle-ci ne mentionne aucune circonstance relative à ces deux restitutions litigieuses et se borne à évoquer le blocage s'agissant de la boîte russe.

Il est constant que le travail afférent à ces deux ouvrages engageait plusieurs semaines de chiffre d'affaires pour le façonnier qui y comptait légitimement.

Il est également constant qu'au mois de janvier 2015, le volume d'affaires confié au façonnier a été particulièrement réduit (4 242 euros) au regard de l'habitude (32 127 euros en décembre 2014 et, selon le joaillier, 26 810 euros étaient prévus pour février 2015.

Il se déduit de ces éléments que la rupture des relations commerciales établies n'est pas imputable au façonnier à cause de la boîte russe mais qu'elle est survenue antérieurement du fait de la restitution imposée, injustifiée et préjudiciable des deux objets déjà mentionnés (PJ9248 et PJ 9324)

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a retenu que la rupture était brutale et était imputable au joaillier.

- Sur le préjudice

Cependant, le jugement sera infirmé sur le préjudice fixé à la perte de 12 mois de préavis, s'agissant d'une relation commerciale établie depuis 8 ans, dans le contexte d'un marché artisanal certes spécialisé et étroit où tous les acteurs se connaissent, mais où il n'est nullement démontré que la situation de quasi mono-clientèle du façonnier lui ait été imposée par le marché.

En particulier, l'attestation Mailles établie par le responsable du sertissage chez Cartier, démontre qu'en 2014 le façonnier avait refusé du travail à cette maison.

Le préjudice indemnisable sera donc réduit à 8 mois.

Les éléments comptables certifiés de chiffres d'affaires et de marge retenus par le jugement entrepris et qui ne sont pas contestés seront pris pour base de l'évaluation.

Le préjudice indemnisable est donc fixé à la somme de 70 906,32 euros correspondant à la perte de 8 mois de marge, sur la base des moyennes de chiffre d'affaires réalisés entre avril 2012 et mars 2015.

- Sur les autres demandes et les frais

Pour le surplus, le jugement entrepris sera confirmé.

Les parties conserveront la charge de leurs dépens d'appel.

En équité, il ne sera pas alloué d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS:

Infirme le jugement entrepris, mais seulement en ce qu'il a fixé le préjudice de la société DDR Serti en liquidation judiciaire à la somme de 106 359,48 euros et en ce qu'il a condamné la société L'Atelier de l'objet à payer cette somme,

Statuant à nouveau de ce chef,

Condamne la société Atelier de l'objet à payer à la SELARL Pierre Martin ès qualités la somme de 70 906,32 euros au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies,

Pour le surplus,

Confirme le jugement entrepris et y ajoutant,

Déboute les parties de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Laisse les dépens d'appel à la charge de la partie qui les a exposés.