CA Riom, 3e ch. civ. et com., 30 juin 2021, n° 18/01869
RIOM
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
Société d'études de révision et d'expertise comptables (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Chalbos
Conseiller :
Mme Theuil-Dif
Prononcé publiquement le 30 Juin 2021, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Madame Anne-Laurence CHALBOS, Président, et par Mme Christine VIAL, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Vu la communication du dossier au ministère public le 13 février 2020 et ses conclusions écrites du 24 février 2020 reçues le même jour au greffe de la troisième chambre civile et commerciale, dûment communiquées par la communication électronique le 25 février 2020 aux parties qui ont eu la possibilité d'y répondre utilement ;
EXPOSE DU LITIGE
Mme Céline C. exerce en nom propre l'activité d'expert-comptable à Saint-Eloy-les-Mines (63).
Mme Angélique B. a été employée au sein de ce cabinet en CDI à compter du 24 octobre 2011. Elle a démissionné de son poste de collaboratrice comptable par courrier en date du 11 janvier 2017. Son préavis devait expirer le 12 février 2017, mais le 2 février 2017 Mme C. a remis en main propre à Mme B. une lettre de dispense de préavis.
Le 6 février 2017, Mme B. a signé un contrat de travail auprès de la SARL SEREC (Société d'Etudes de Révision et d'Expertise Comptables) ayant son siège social à Clermont-Ferrand, mais le poste exercé se trouvant à Commentry, dans un cabinet secondaire de la SARL SEREC.
Après avoir obtenu deux ordonnances sur requête auprès du président du tribunal de grande instance de Montluçon d'une part et auprès du président du tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand d'autre part, Mme C. a introduit une procédure à l'encontre de son ancienne salariée devant le conseil des prud'hommes de Riom aux fins de solliciter sa condamnation à lui payer des dommages et intérêts en réparation des préjudices financier et moral subis du fait du non-respect des dispositions de l'article L.1222-1 du code du travail et de l'article 8.5.2 de la convention collective nationale des experts-comptables.
Par acte d'huissier du 16 octobre 2017, Mme C. a fait assigner la SARL SEREC devant le tribunal de commerce de Clermont-Ferrand aux fins de la voir condamner à lui payer la somme de 168 508 euros à titre de dommages et intérêts au titre des faits de concurrence déloyale dont s'est rendue coupable la SARL SEREC.
Par jugement du 6 septembre 2018, le tribunal a :
- débouté Mme C. de l'ensemble de ses demandes formées à l'encontre de la SARL SEREC ;
- débouté la SARL SEREC de sa demande reconventionnelle à titre de dommages et intérêts ;
- dit n'y avoir lieu à indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné Mme C. aux dépens.
Le tribunal a considéré notamment que la démission de son poste par Mme B. n'était pas le fait d'une politique de débauchage organisée par la SARL SEREC ; que c'était Mme B. seule qui avait décidé de donner sa démission et voulant continuer de travailler dans la région où elle vivait avec son époux, elle avait somme toute assez peu de choix et le sien s'était d'autant plus orienté vers la SARL SEREC que la rémunération était attractive ; à qu'il n'y avait eu aucun détournement de clientèle, les clients ayant librement choisi de quitter le cabinet de Mme C. ; que le fait pour Mme B. d'avoir communiqué les honoraires comptables du cabinet C. n'était en rien à l'origine du départ des quatre clients visés.
Mme Céline C. a interjeté appel de cette décision le 20 septembre 2018.
Par conclusions déposées et notifiées le 11 juin 2019, l'appelante demande à la cour, au visa des articles 1382 et 1383 du code civil devenus les articles 1240 et 1241, de :
- infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes formées contre la SARL SEREC, déboutée de sa demande d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamnée aux dépens ;
- en conséquence, condamner la SARL SEREC à lui payer la somme de 168 508 euros à titre de dommages et intérêts, outre intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation avec capitalisation ;
- ordonner la publication dans le journal LA MONTAGNE secteur Riom, de la décision de condamnation de la SARL SEREC ;
- débouter la SARL SEREC de l'ensemble de ses conclusions, demandes, fins et prétentions ;
- condamner la SARL SEREC à lui payer une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;
- condamner la SARL SEREC à supporter le coût des droits proportionnels prévus par l'article 10 du décret n°96-1080 du 12 décembre 1996 portant fixation du tarif des huissiers de justice en matière civile et commerciale.
Elle rappelle au préalable que par jugement définitif du 24 avril 2018, le conseil des Prud'hommes de Riom a condamné Mme B. pour exécution déloyale de son contrat de travail ; que par ailleurs, la Chambre Régionale de Discipline a prononcé le 27 juin 2018 une sanction de réprimande à l'encontre de M. B., cogérant de la SARL SEREC.
Elle soutient que les initiatives prises par la SARL SEREC avaient pour but de déstabiliser le cabinet C. et de lui soutirer une partie de sa clientèle, et ce, en soustrayant des informations confidentielles et en débauchant une salariée. Mme B. était la plus ancienne des salariées de Mme C., il n'existait aucun contexte conflictuel entre elles, et Mme B. avait un contact privilégié avec la clientèle qu'elle suivait dans le bassin démographique des Combrailles. La SARL SEREC avait conscience de ces données en lui faisant une offre d'embauche comportant une rémunération à hauteur de 20 % des honoraires facturés pour chaque nouveau client amené par Mme B.. Or, étrangement, le contrat de travail ne reprend pas cette clause de rémunération. Elle constate par ailleurs que Mme B. travaille désormais à Commentry, soit à 20 kilomètres de Saint-Eloy-les-Mines.
Elle fait valoir qu'à la suite des constations de l'huissier de justice, il résulte que Mme B., durant son temps de travail, a recueilli des informations confidentielles et couvertes par le secret professionnel pour les divulguer à la SARL SEREC en la personne de M. B. ; que la SARL SEREC a transmis des devis à des clients du cabinet C. après que Mme B. les ait démarchés en ce sens et ait renseigné la SARL SEREC sur les honoraires pratiqués par le cabinet C. ; que Mme B. a procédé durant son temps et sur son lieu de travail, à la rédaction de lettre de démission, recourant au modèle du cabinet C..
Son préjudice se décompose de la manière suivante :
- une perte en 15 jours de quatre clients sur un portefeuille de quarante (51 830 euros) ;
- l'émission de pénalités pour non-respect des préavis de départ (5 183 euros) ;
- une atteinte à l'image du cabinet auprès des clients (62 330 euros et 31 165 euros) ;
- une désorganisation de l'équipe de Mme C. ( 8 000 euros) ;
- une atteinte morale indéniable pour Mme C. (10 000 euros).
Par conclusions déposées et notifiées le 29 janvier 2020, la SARL SEREC demande à la cour, vu les articles 1315, 1382, 1383 du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, de :
- juger recevable mais mal fondé l'appel interjeté par Mme C. à l'encontre du jugement ;
- en conséquence, confirmer le jugement en ce qu'il a retenu qu'aucun acte de concurrence déloyale n'était imputable à la SARL SEREC et a débouté Mme C. de l'ensemble de ses demandes ;
- réformant le jugement pour le surplus,
- dire et juger recevable et bien fondé l'appel incident interjeté par la SARL SEREC à l'encontre de Mme C. ;
- y faisant droit :
- condamner Mme C. à payer à la SARL SEREC la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice commercial et moral subi du fait des manœuvres de dénigrement et de déstabilisation dont elle fait l'objet dans le cadre du litige ;
- condamner Mme C. à payer à la SARL SEREC la somme de 5 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner Mme C. aux dépens avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP C. - de R. - C. - B. - G..
La SARL SEREC conteste tout débauchage fautif. Elle soutient que Mme B. avait décidé de démissionner compte tenu de l'atmosphère délétère de travail ; que Mme B. n'était nullement liée par une clause de non-concurrence ; que si celle-ci pensait que certains clients allaient la suivre, cela n'engageait qu'elle ; que le mode de rémunération de Mme B. n'a aucune incidence sur le litige.
Par ailleurs, elle fait valoir que les éléments recueillis dans le cadre des ordonnances sur requête, sont essentiellement des échanges de mails entre Mme B. et M. B. concernant le contrat de travail et la démission.
S'agissant des clients prétendument détournés, elle observe que deux d'entre eux sont le mari et la belle-sœur de Mme B.. Concernant les deux autres clients (ne pouvant ainsi être considéré comme un départ massif), elle rappelle que la clientèle est volatile, que ces deux clients sont partis en raison de leurs liens particuliers avec Mme B. ou encore de leur mécontentement concernant les services rendus par Mme C.. Aucune donnée confidentielle n'a été extraite par Mme B., et encore moins sciemment utilisée par la SARL SEREC.
Elle conteste enfin les préjudices invoqués par Mme C. et met en avant leur incohérence.
Il sera renvoyé pour l'exposé complet des demandes et moyens des parties à leurs dernières conclusions.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 13 février 2020.
L'affaire audiencée le 25 mars 2020 a été renvoyée à l'audience du 5 mai 2021 en raison de la crise sanitaire.
MOTIFS
- Sur la concurrence déloyale
Fondée sur le régime de la responsabilité civile délictuelle, la concurrence déloyale suppose l'existence d'une faute, d'un dommage et d'un lien de causalité entre cette faute et ce dommage.
Le droit d'exercer une activité professionnelle est une liberté fondamentale. Un ancien employeur ne saurait faire échec au droit qu'a tout salarié qui n'est plus lié à lui, et qui n'est débiteur d'aucune clause de non-concurrence, de passer au service de tel de ses concurrents de son choix, quelle que puisse être la répercussion de ce changement d'employeur sur une clientèle dont la liberté reste entière, sauf à démontrer l'existence de manœuvres déloyales.
Par ailleurs, le débauchage de salariés est fautif lorsqu'il est le résultat de manœuvres déloyales de la part du nouvel employeur. En vertu du principe de la liberté du travail, le fait pour une entreprise de débaucher le personnel d'une de ses concurrentes ne constitue pas par principe un acte de concurrence déloyale. Il n'est pas donc interdit à une entreprise de proposer un nouvel emploi à un salarié encore en poste au sein d'une autre entreprise en situation de concurrence. Pour être fautif, le transfert de salariés doit avoir eu pour effet une désorganisation de l'entreprise et non une simple perturbation.
En outre, s'agissant des manœuvres, le débauchage est le fait pour un opérateur de procéder à un recrutement, d'initier une action ou une manœuvre ciblée en direction d'un salarié afin de susciter sa démission et de le convaincre d'accepter une offre d'embauche. Le nouvel employeur procède au recrutement d'un salarié après avoir effectué une démarche particulière et ciblée destinée à obtenir de sa part une démission, une incitation à la rupture doit avoir existé de la part de l'opérateur qui accueille un nouveau salarié.
En l'espèce, Mme C. reproche tout d'abord à la SARL SEREC, le débauchage de Mme Angélique B., salariée à forte ancienneté et implantée localement.
Il est établi que Mme C. qui exerce la profession d'expert-comptable a reçu en date du 11 janvier 2017 la lettre de démission de Mme B., l'une de ses deux collaboratrices du cabinet secondaire de Saint-Eloy-les-Mines, et notamment la plus ancienne. Le 2 février 2017, Mme C. a remis en main propre à Mme B. une lettre de dispense de son préavis qui expirait normalement le 12 février 2017.
Mme B. a trouvé un nouvel emploi de comptable au sein du cabinet secondaire de Commentry de la SARL SEREC dont le siège social se situe à Clermont-Ferrand, soit à environ 20 kilomètres de Saint-Eloy-les-Mines. Le contrat de travail est en date du 6 février 2017.
Il sera précisé que le contrat de travail liant Mme C. et Mme Angélique B. ne prévoyait pas de clause de non-concurrence.
L'offre d'embauche faite par la SARL SEREC à Mme B. comportait une clause de rémunération à hauteur de 20 % du chiffre d'affaires du client pour tout nouveau client apporté au cabinet par cette dernière. Cette clause n'a toutefois pas été reprise dans le contrat de travail de Mme B..
Il ressort de la pièce n°30 versée par Mme C. intitulée 'Dossier Compétences Candidat de Mme B.' que cette dernière a répondu à un cabinet de recrutement pour trouver un nouvel emploi de comptable et, a pu déclarer au cours de l'entretien avec la société de recrutement, qu'après la naissance de son troisième enfant, elle avait réfléchi sur son parcours professionnel et avait pris conscience qu'elle ne pouvait plus beaucoup évoluer tant au niveau de son travail que de sa rémunération au sein du poste occupé auprès de Mme C. ; qu'elle souhaitait ainsi trouver un poste similaire au sien avec des possibilités d'évolutions notamment en termes de salaires et de responsabilités. Elle a en outre déclaré être capable de développer le portefeuille clients du cabinet notamment par l'apport de nouveaux clients par son réseau personnel.
Aussi, le tribunal a à juste titre considéré que c'était Mme B. qui avait décidé seule de donner sa démission à Mme C., que celle-ci voulait continuer de travailler dans la région où elle vivait avec son mari et ses trois enfants et qu'elle avait postulé pour travailler dans la SARL SEREC qui proposait un poste à proximité de son domicile avec une rémunération plus attractive.
Il a à bon droit énoncé que la démission de son poste par Mme Angélique B. n'était pas le fait d'une politique de débauchage organisée par la SARL SEREC, les manœuvres de la SARL SEREC n'étant pas caractérisées.
Toutefois, Mme C. reproche également à la SARL SEREC : 'la soustraction et l'échange de données clientèles confidentielles par l'intermédiaire de Mme B. au profit du Cabinet SEREC émetteur de devis'.
Le démarchage de la clientèle d'autrui n'est illicite que par exception, seul l'emploi de certains moyens peut caractériser une faute.
Il est établi que suite au départ de Mme Angélique B., quatre clients du cabinet de Mme C. de Saint-Eloy-les-Mines ont résilié leur contrat pour confier leur comptabilité à la SARL SEREC, à savoir :
- M. Stéphane B. agriculteur qui est le mari de Mme Angélique B. ;
- Mme Eva K., infirmière libérale, qui est la belle-sœur de Mme B. ;
- la SARL PERLD'O, société fleuriste ;
- Mme S., restauratrice.
Mme C. soutient que le départ de ces quatre clients est consécutif au départ de Mme B., que ces départs ont été organisés par celle-ci conjointement avec l'aide de M. B., expert-comptable et gérant de la SARL SEREC.
Mme C. produit aux débats plusieurs courriers électroniques adressés par Mme B. pendant la durée de son préavis, et notamment :
• un courrier du 27 janvier 2017 par lequel elle a adressé la lettre de démission pré-rédigée à Mme Eva K. aux fins de signature ;
• un courrier du 27 janvier 2017 adressé à M. Victor B. gérant de la SARL SEREC son nouvel employeur, au terme duquel elle transmet les données comptables de l'année 2014-2015 de la cliente Mme Isabelle S. et précise le montant des honoraires comptables de l'année ;
• un courrier du 29 janvier 2017 adressé à M. B., au terme duquel elle transmet les données comptables de la SARL PERLD'O, ainsi que le montant des honoraires.
Mme C. produit également un courrier électronique en date du 28 janvier 2017 intitulé 'Proposition d'honoraires' adressé par M. B. de la SARL SEREC à un client Mme S., au terme duquel il indique :
« Madame,
Madame B. nous a fait part de votre sollicitation pour une proposition d'honoraires de notre cabinet. Veuillez trouver ci-joint notre devis.
Afin d'être le plus réactif possible tant au niveau social qu'au niveau comptable, il faudrait en cas d'accord sur le devis présenté, dénoncer votre mission auprès de notre confrère même si a priori vous n'êtes pas engagé par une lettre de mission (Madame B. vous préparera un modèle de dénonciation).
Nous verrons avec elle pour récupérer l'ensemble des pièces nécessaires au bon déroulement de notre mission. »
Or, il a été rappelé ci-dessus que Mme B. s'était vue proposer une prime de 20 % des honoraires hors taxes facturés aux nouveaux clients apportés par la salariée dans le cadre de la proposition d'embauche, et que cette prime n'a pas été reprise dans le contrat de travail, outre le fait que le contrat de travail a été remis à l'huissier de justice postérieurement à sa venue dans le cadre de son intervention autorisée par requête du président du tribunal.
Il sera observé que le Conseil des Prud'hommes de Riom a estimé dans son jugement du 13 mars 2018, aujourd'hui définitif, que Mme B. qui ne justifiait ni de l'accord du client, ni de l'accord de son employeur, avait adressé à son futur employeur des éléments sur les clients qu'elle suivait et sur le montant des honoraires pratiqués, alors qu'elle demeurait liée par son contrat de travail et l'obligation de loyauté qui en découlait jusqu'au terme du préavis ; que cette attitude associée au fait qu'il lui avait été promis par son nouvel employeur une prime par client apporté, constituait un manquement à l'exécution de bonne foi du contrat de travail.
La SARL SEREC soutient que Mme B. lui a dressé les courriels de sa propre initiative. S'agissant du courrier électronique du 29 janvier 2017 à la SARL PERLD'O, il n'a appelé aucune réponse de la part de M. B.. S'agissant du dossier S., la SARL SEREC estime que les informations transmises par Mme B. n'ont pas un caractère confidentiel à l'exception de l'honoraire comptable de l'année pratiqué par Mme C. : toutefois, aucune initiative n'a été prise par le cabinet SEREC car c'est Mme S. qui a demandé à Mme B. de transmettre ces informations.
Il ne peut être considéré comme prouvé que le départ de M. Stéphane B. (le mari de Mme Angélique B.), de Mme Eva K. (la belle-sœur de Mme Angélique B.), et de la SARL PERLD'O (dont la co-gérante Mme Angélique T. est une amie d'enfance de Mme Angélique B.) constituerait la preuve des manquements reprochés par Mme C. à la SARL SEREC. En effet, il est fréquemment constaté que des proches d'un collaborateur d'un expert-comptable quittent le professionnel qu'ils avaient choisi en considération notamment de la présence de ce collaborateur au sein du cabinet, pour ensuite confier leurs travaux au nouveau professionnel qui a embauché ce salarié.
Toutefois, l'envoi du courrier électronique du 28 janvier 2017 de M. B. gérant de la SARL SEREC à Mme S. relatif à la proposition d'honoraires, au moment où Mme Angélique B. exécutait son préavis au sein du cabinet de Mme C., accompagné d'un devis établi sur la base des indications communiquées la veille par Mme B., indications recueillies à l'occasion de l'exercice de son contrat de travail, constitue un acte de concurrence déloyale, contrairement à ce qu'a considéré le tribunal.
Il est ainsi établi que la SARL SEREC a récupéré par l'intermédiaire d'un salarié d'un concurrent des informations confidentielles détenues par ce concurrent à propos de ses clients, et notamment les honoraires pratiqués, pour ensuite émettre un devis auprès d'un client et faire procéder à la rupture de son contrat par l'intermédiaire du salarié en question, le tout en faisant signer à ce dernier une promesse d'embauche avec intéressement sur tout nouveau client apporté.
- Sur le préjudice
Il appartient aux juridictions du fond de réparer dans les limites des conclusions des parties et d'apprécier souverainement, le préjudice tant matériel que moral subi par la victime d'actes de concurrence déloyale, en faisant application du principe de la réparation intégrale.
Par ailleurs, en matière de concurrence déloyale, l'existence d'un préjudice s'infère nécessairement des actes déloyaux constatés.
En l'espèce, s'appuyant sur un rapport d'expertise comptable amiable établi par M. B., expert près la cour d'appel de Riom et sur des documents comptables établis par ses soins, Mme C. sollicite les sommes suivantes :
• 51 830 euros au titre de la perte de quatre clients en 15 jours sur un portefeuille de quarante, qui représentaient 8 % du chiffre d'affaires de l'établissement, avec un calcul établi sur la base de la perte de marge brute sur une durée de 10 ans ;
• 5 183 euros au titre de pénalités pour non-respect des préavis de départ ;
• 62 330 euros et 31 165 euros au titre de l'atteinte à l'image du cabinet, la première somme correspondant l'entrée restreinte de nouveaux clients et la seconde aux départs de clients déjà présents ;
• 8 000 euros au titre de la désorganisation de l'équipe au sein du cabinet ;
• 40 000 euros au titre de l'atteinte morale.
La faute commise par la SARL SEREC telle que retenue ci-dessus a contribué à créer une perte de gains pécuniaires pour le cabinet de Mme C.. Toutefois, compte-tenu des développements précédents et notamment des relations familiales ou amicales existant entre Mme Angélique B. et trois des clients sur les quatre invoqués, la perte financière ne peut concerner que le client Mme S..
Il ressort de l'attestation de Mme C. que le chiffre d'affaires réalisé pour le dossier de Mme S. s'élève à 3 450 euros HT, ce qui a été repris par l'expert M. B.. Ce dernier estime que la marge sur coût variable s'élève à 2 161 euros HT.
Il considère que Mme C. pouvait conserver ses clients durant environ 10 ans compte tenu du 'turnover' de clientèle. Néanmoins, ce chiffre n'est étayé par aucun autre élément et il conviendra de ne retenir que la perte de marge brute pour le client Mme S. sur une moyenne de trois années, soit une somme arrondie à 6 500 euros (2 161 x3). Le surplus des éléments pris en compte dans le rapport de M. B., qui plus est non contradictoire, est purement hypothétique. Mme C. en sera déboutée (à savoir les pénalités pour non-respect du préavis et l'atteinte à l'image).
La demande d'indemnisation au titre de la désorganisation de l'équipe n'est pas non plus établie.
Les faits de concurrence déloyale caractérisés à l'encontre de la SARL SEREC sont néanmoins à l'origine d'un préjudice moral subi par Mme C. qui sera réparé par l'octroi d'une indemnité de 3 000 euros.
Par ailleurs, Mme C. sollicite la publication dans le journal LA MONTAGNE secteur Riom, de la décision de condamnation de la société SEREC, faisant valoir que la rumeur de l'existence d'une action judiciaire n'est pas de nature à éclaircir la vision des clients actuels et potentiels, et qu'une publication claire et officielle s'impose.
La cour a indemnisé l'ensemble du préjudice subi par Mme C. du fait des actes de concurrence déloyale constatés. La sanction de publication de la décision n'apparaît pas opportune à ce jour.
- Sur la demande de dommages et intérêts formée par la SARL SEREC
La SARL SEREC sollicite une indemnité de 20 000 euros en réparation du préjudice commercial et moral subi du fait des manœuvres de dénigrement et de déstabilisation dont elle fait l'objet dans le cadre du présent litige.
Mme C. ayant toutefois obtenu partiellement gain de cause en appel où il a été reconnu l'existence d'actes de concurrence déloyale, la demande de la SARL SEREC sera dans ces circonstances, nécessairement rejetée.
- Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
La SARL SEREC qui succombe au principal, supportera la charge des dépens de première instance et d'appel.
Rien ne justifie en l'espèce de mettre à la charge de la SARL SEREC les seuls frais que la loi a expressément mis à la charge du créancier aux termes de l'article R.444-5 du code de commerce.
Enfin, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, la SARL SEREC sera condamnée à verser à Mme C. une indemnité de 3 000 euros.
PAR CES MOTIFS :
La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, mis à la disposition des parties au greffe de la juridiction ;
Infirme le jugement et, statuant à nouveau,
Dit que la SARL SEREC a commis des actes de concurrence déloyale au détriment de Mme Céline C. ;
Condamne en conséquence la SARL SEREC à payer à Mme Céline C. les sommes suivantes correspondant à des dommages et intérêts :
• 6 500 euros au titre du préjudice financier ;
• 3 000 euros au titre du préjudice moral ;
Dit que ces sommes porteront intérêts à compter de l'arrêt et seront capitalisées conformément à l'article 1343-2 du code civil ;
Déboute Mme Céline C. du surplus de ses demandes ;
Déboute la SARL SEREC de sa demande de dommages et intérêts ;
Condamne la SARL SEREC à payer à Mme Céline C. la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SARL SEREC aux dépens de première instance et d'appel.