Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 1 juillet 2021, n° 19/00595

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Cap Endives (SCA), Groupe Perle du Nord (SAS), Primacoop (SCA), Du Marais Audomarois (SCA), Marché de Phalempin (SCA), Bellet (ès qual.), Natur'Coop (SCA), Prim'Santerre (SARL), Cerafel (Association), Association des Producteurs d'endives de France (Association), Celfnord (Syndicat), Union des endiviers (Sté), Fraileg (SARL)

Défendeur :

Autorité de la concurrence, Ministre chargé de l'Economie

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Schmidt

Conseillers :

Mme Maitrepierre, Mme Brun-Lallemand

Avocats :

Me Boccon Gibod, Me Dutto, Me Redon, Selarl Racine, Me Djavadi, Me Ledoux, Me Pasquesoone, Me Bonaldi, Me Morrier, Me Bouviala

CA Paris n° 19/00595

1 juillet 2021

Vu la décision de l'Autorité de la concurrence n° 12-D-08 du 6 mars 2012 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la production et de la commercialisation des endives ;

Vu l'arrêt de la cour d'appel de Paris n° RG 12/06498 du 15 mai 2014 ayant réformé cette décision en toutes ses dispositions et statué à nouveau ;

Vu l'arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 8 décembre 2015 (pourvoi n° 14-19. 589, Bull. n° 167) de renvoi préjudiciel à la Cour de justice de l'Union européenne ;

Vu l'arrêt préjudiciel de la Cour de justice de l'Union européenne du 14 novembre 2017 (affaire APVE e.a., C-671/15) ;

Vu l'arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 12 septembre 2018 ayant cassé en toutes ses dispositions l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 15 mai 2014 susvisé ;

Vu la déclaration de saisine de la cour d'appel de renvoi après cassation déposée au greffe de la Cour le 14 janvier 2019, par la société Groupe Perle du Nord SAS et par les sociétés coopératives agricoles Cambresis Artois Picardie Endives (CAP'Endives), du Marais Audomarois-Sipema, Primacoop, Marché de Phalempin, France Endives, enregistrée sous le n° RG 19/00595 ;

Vu la déclaration de saisine de la cour d'appel de renvoi après cassation déposée au greffe de la Cour le 15 janvier 2019, par l'association Com Econom Agric Reg fruits et légumes (CERAFEL), enregistrée sous le n° 19/00752 ;

Vu la déclaration de saisine de la cour d'appel de renvoi après cassation déposée au greffe de la Cour le 17 janvier 2019, par les sociétés Fraileg SARL et Prim'Santerre SARL, enregistrée sous le n° RG 19/00886 ;

Vu la déclaration de saisine de la cour d'appel de renvoi après cassation déposée au greffe de la Cour le 17 janvier 2019, par l'Union des endiviers, anciennement dénommée Fédération nationale des producteurs d'endives (FNPE), enregistrée sous le n° RG 19/00893 ;

Vu la déclaration de saisine de la cour d'appel de renvoi après cassation déposée au greffe de la Cour le 17 janvier 2019, par l'association des producteurs d'endives de France (APEF), agissant tant à titre personnel que venant aux droits de la section nationale de l'endive (SNE) et de la Fédération du commerce de l'endive (FCE), et par le Comité économique fruits et légumes du Nord de la France (Celfnord), enregistrée sous le n° RG 19/00895 ;

Vu l'ordonnance du délégué du premier président de la Cour, du 18 février 2019, procédant à la jonction de l'ensemble de ces procédures sous le n° RG 19/00595 ;

Vu la déclaration de saisine de la cour d'appel de renvoi après cassation déposée au greffe de la Cour le 28 février 2019, par M. Bellet, agissant en qualité de mandataire ad hoc de l'Union de coopératives Valois-Fruits, enregistrée sous le n° RG 19/04028 ;

Vu l'ordonnance du délégué du premier président de la Cour, du 5 mars 2019, procédant à la jonction des cette procédure enregistrée sous le n° RG 19/04028 aux procédures précédement jointes sous n° RG 19/00595, et indiquant que l'ensemble de ces procédures se poursuivront sous le n° RG 19/00595 ;

Vu l'exposé des moyens et le mémoire en réplique déposés respectivement au greffe de la Cour le 25 juin et le 19 décembre 2019 par l'Union des endiviers ;

Vu l'exposé des moyens et le mémoire en réplique déposés respectivement au greffe de la Cour le 1er juillet et le 17 décembre 2019 par le CERAFEL ;

Vu l'exposé des moyens et le mémoire en réplique déposés respectivement au greffe de la Cour le 4 juillet et le 19 décembre 2019 par la société Groupe Perle du Nord SAS, les sociétés coopératives agricoles Cambresis Artois Picardie Endives (CAP'Endives), du Marais Audomarois-Sipema, Primacoop, Marché de Phalempin, France Endives devenue Natur'Coop, et M. Bellet agissant en qualité de mandataire ad hoc de l'Union de coopératives agricoles Valois-Fruits ;

Vu l'exposé des moyens et le mémoire en réplique déposés respectivement au greffe de la Cour le 4 juillet et le 19 décembre 2019 par les sociétés Fraileg et Prim'Santerre ;

Vu l'exposé des moyens et le mémoire en réplique déposés respectivement au greffe de la Cour le 4 juillet et le 19 décembre 2019 par le Celfnord et l'APEF ;

Vu les observations écrites déposées au greffe de la Cour le 28 octobre 2019 par l'Autorité de la concurrence ;

Vu les observations écrites déposées au greffe de la Cour le 30 octobre 2019 par le ministre chargé de l'économie ;

Le ministère public ayant reçu communication des déclarations de saisine de la cour de renvoi après cassation, des mémoires et des pièces du dossier ;

Après avoir entendu à l'audience publique du 13 février 2020, les conseils des demandeurs au recours, qui ont été mis en mesure de répliquer et qui ont eu la parole en dernier, ainsi que le représentant de l'Autorité de la concurrence et celui du ministre chargé de l'économie.

FAITS ET PROCÉDURE

1. La Cour est saisie, sur renvoi après cassation (Cass. Com., 12 septembre 2018, pourvoi n° 14-19. 589), de plusieurs recours contre une décision de l'Autorité de la concurrence n° 12-D-08 du 6 mars 2012 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la production et de la commercialisation des endives (ci-après la « décision attaquée »).

I. LE SECTEUR RÉGLEMENTE DE LA PRODUCTION ET LA COMMERCIALISATION DES ENDIVES

2. Cette affaire posant, pour l'essentiel, la question de l'articulation entre la réglementation européenne concernant le secteur des fruits et légumes et les règles du droit de la concurrence, il convient de présenter ce secteur, en particulier celui de la production et de la commercialisation des endives, avant d'exposer la réglementation qui lui est applicable.

A. Le secteur

1. La production des endives

3. La Cour renvoie sur ce point aux développements non critiqués de la décision attaquée (paragraphes 3 à 16). Il demeure néanmoins utile de rappeler les principaux éléments suivants, existant à la date de la décision attaquée et demeurés inchangés.

4. La France se situe au premier rang des producteurs d'endives en Europe, devant la Belgique et les Pays-Bas.

5. Sur le territoire national, il existe principalement deux bassins de production :

- le premier bassin, qui est prépondérant, se situe dans les régions Nord-Pas-de-Calais et Picardie, devenues la région Hauts-de-France ;

- le second bassin, de moindre importance, se situe dans la région Bretagne.

6. La présente affaire couvre ces deux bassins de production.

7. Le processus de production des endives se décompose en trois étapes principales, à savoir :

- tout d'abord, la culture des racines en plein champ ; cette opération, dite d' « emblavement », dure environ six mois (le semis des graines a lieu au cours du mois de mai et l'arrachage des racines entre octobre et novembre) ;

- ensuite, la conservation des racines en chambre froide (entre une semaine et huit mois afin d'étaler la période de production) ;

- enfin, la culture des racines en sol (en pleine terre) ou, le plus souvent, hors-sol (dans des bacs en salles, dans l'obscurité, l'humidité et à une certaine température), afin de provoquer la croissance des bourgeons et le développement de feuilles ; cette opération dite de « forçage » dure environ trois semaines (entre novembre et avril).

8. Une fois ce processus abouti, les feuilles des endives sont séparées de leurs racines (opération dite de « cassage »), puis épluchées, triées et emballées.

9. La production des endives est organisée par campagnes. Les campagnes commencent le 1er septembre d'une année (dans un temps proche du début de la récolte des racines) et se terminent le 31 août de l'année suivante.

10. La standardisation de la production aboutit à une disponibilité régulière des endives tout au long de l'année. La période constante de « forçage » (d'environ trois semaines) permet d'anticiper la date de finalisation de la production et d'augmenter ainsi la prévisibilité de l'offre, qui connaît néanmoins une contrainte majeure, commune à la plupart des fruits et légumes, tenant à leur caractère périssable, ce qui empêche leur stockage durable et réduit ainsi la possibilité d'ajuster l'offre à la demande au moyen de la gestion des stocks.

11. L'endive générique, issue d'une variété de chicorée (« witloof », c'est-à-dire « feuilles blanches » en flamand), l'endive dite « Perle du Nord », ainsi que l'endive dite « Carmine » (issue d'un croisement avec deux autres variétés de chicorée d'origine italienne, de Chiogga et de Vérone), obéissent toutes à ce processus de production.

12. La présente affaire concerne le secteur des endives génériques, ainsi que celui des endives dénommées « Carmine » et « Perle du Nord ». Sont visées les endives destinées à la consommation humaine, en l'état frais, et non à l'issue d'une transformation industrielle.

2. La commercialisation des endives

13. Les endives destinées à la consommation humaine en l'état frais ne peuvent, en principe, être commercialisées (à l'intérieur comme à l'extérieur de l'Union européenne) que si elles répondent à certaines normes, l'objectif poursuivi étant de garantir leur qualité, ainsi que la loyauté des échanges.

14. S'agissant de leur commercialisation en France, celle-ci repose essentiellement, selon la décision attaquée (paragraphe 24, non contesté), sur des organisations de producteurs (ci-après « OP »), lesquelles peuvent revêtir diverses formes juridiques (telles que celles, notamment, des associations de producteurs agricoles, des syndicats agricoles, des sociétés coopératives agricoles et leurs unions, des sociétés commerciales et des groupements d'intérêt économique). Selon la décision attaquée (lors de son adoption en 2012), environ 75% des producteurs d'endives faisaient partie d'OP.

15. Les producteurs qui se regroupent en OP sont en principe tenus, sauf cas particuliers, de passer par l'intermédiaire de la seule OP dont ils sont membres pour commercialiser leur production. Cette règle, dite de l'apport total, qui sera précisée aux paragraphes 29 et suivants du présent arrêt, poursuit un objectif de renforcement de la position de négociation des producteurs sur le marché, en regroupant davantage l'offre, face à une demande sans cesse plus concentrée émanant pour l'essentiel de la grande distribution et des centrales d'achat.

16. Ce regroupement de l'offre, par les membres d'une même OP, peut être accentué par le choix des producteurs indépendants, non membres d'une OP, de vendre tout ou partie de leur production auprès des bureaux commerciaux des OP, plutôt que de s'adresser à des négociants ou grossistes, ces bureaux, comme les négociants et grossistes, revendant ensuite aux grandes enseignes, aux centrales d'achat ou aux détaillants.

17. Toujours selon la décision attaquée (paragraphe 24, non contesté), les producteurs indépendants représentaient, à l'époque, environ 20% des producteurs d'endives et une grande partie d'entre eux, issue du bassin du Nord de la France, était membre de l'association des producteurs vendeurs d'endives (dite APVE), chargée de représenter leurs intérêts dans la région, laquelle ne constitue pas une OP.

18. Dans les bassins du Nord et de la Bretagne, plusieurs OP se sont, à leur tour, regroupées en associations d'organisations de producteurs (ci-après « AOP »). Ces entités, qui peuvent revêtir les mêmes formes juridiques que les OP, sont essentiellement présentes dans le secteur des fruits et légumes (avis n° 18-A-04 de l'Autorité de la concurrence, du 3 mai 2018, relatif au secteur agricole, paragraphe 121).

19. La quasi-totalité des entités actives dans l'un ou l'autre des bassins de production sont parties à la présente procédure, à l'exception de l'APVE et des OP membres de l'AOP du bassin breton.

B. La réglementation du secteur

20. Le secteur des fruits et légumes, comprenant les endives, relève d'une organisation commune de marchés (ci-après « OCM »), dont l'encadrement résulte d'une série de règlements européens.

21. Le cadre juridique applicable en la matière, à l'époque des faits reprochés (de 1998 à 2012), découle de plusieurs règlements, à savoir, dans l'ordre chronologique :

- premièrement, le règlement (CE) n° 2200/96 du Conseil, du 28 octobre 1996, portant organisation commune des marchés dans le secteur des fruits et légumes, applicable jusqu'au 31 décembre 2007 (ci-après le « règlement de base ») ;

- deuxièmement, le règlement (CE) n° 659/97 de la Commission, du 16 avril 1997, et le règlement (CE) n° 103/2004, du 21 janvier 2004, de la Commission, portant modalités d'application du règlement (CE) n° 2200/96 du Conseil en ce qui concerne le régime des interventions dans le secteur des fruits et légumes (ci-après les « règlements d'application du règlement de base ») ;

- troisièmement, le règlement (CE) n° 1184/2006 du Conseil, du 24 juillet 2006, portant application de certaines règles de concurrence à la production et au commerce des produits agricoles ;

- quatrièmement, le règlement (CE) n° 1182/2007 du Conseil, du 26 septembre 2007, établissant des règles spécifiques pour le secteur des fruits et légumes, modifiant les directives 2001/112/CE et 2001/113/CE, ainsi que les réglements (CEE) n° 827/68, (CE) n° 2200/96, précité, dit le « règlement de base », (CE) n°2201/96, (CE) n° 2826/2000, (CE) n° 1782/2003 et (CE) n° 318/2006, et abrogeant le règlement (CE) n° 2202/96 ; ce règlement (ci-après le « règlement portant réforme du règlement de base ») est applicable à compter du 1er janvier 2008 ;

- cinquièmement, le règlement (CE) n° 1234/2007 du Conseil, du 22 octobre 2007, portant organisation commune des marchés dans le secteur agricole et dispositions spécifiques en ce qui concerne certains produits de ce secteur (ci-après le « règlement OCM unique ») ; il est applicable, pour le secteur des fruits et légumes, à compter du 1er janvier 2008 ;

- sixièmement, le règlement (CE) n° 361/2008 du Conseil, du 14 avril 2008, modifiant le règlement OCM unique a, en substance, incorporé le règlement portant réforme du règlement de base dans ledit règlement OCM unique tout en abrogeant le règlement de base ; ce règlement est applicable, s'agissant des modifications du règlement OCM unique concernant le secteur des fruits et légumes, à compter du 1er juillet 2008 (ci-après le « règlement refonte »).

22. Depuis lors, deux autres règlements du Parlement européen et du Conseil ont été adoptés dans le secteur, mais ne sont pas applicables à la date des faits reprochés (le règlement (UE) n°1308/2013, ainsi que le règlement (UE) 2017/2393, dit « règlement omnibus »).

23. Il résulte des règlements applicables à la date des faits reprochés, ce qui reste d'actualité, que les OP et les AOP constituent les principaux acteurs de l'OCM du secteur des fruits et légumes, dont elles assurent, à leur niveau, le fonctionnement décentralisé (voir, notamment, les considérants 7 du règlement de base et 10 du règlement portant réforme du règlement de base). Ce rôle découle des objectifs qui leur sont confiés, auxquels sont associées certaines exigences pour qu'une entité soit qualifiée et reconnue comme OP ou AOP. D'autres entités peuvent jouer un rôle important dans l'OCM des fruits et légumes : les organisations interprofessionnelles (ci-après les « OI »). Ce cadre juridique étant au c'ur des débats dans la présente affaire, il convient d'en exposer les principaux éléments avant de faire état des développements de la procédure et de la teneur des débats devant cette Cour.

24. Seront successivement exposés, d'une part, les objectifs confiés aux OP, AOP et OI, d'autre part, les conditions de qualification et de reconnaissance de celles-ci.

1. Les objectifs confiés aux OP, AOP et OI

25. Des objectifs essentiels au secteur des fruits et légumes ont été initialement confiés aux seules OP. Leur réalisation a été ensuite étendue aux AOP, de sorte qu'une AOP peut exercer toute activité d'une OP (article 5 du règlement portant réforme du règlement de base, repris par l'article 125 quater du règlement OCM unique).

26. Ces objectifs consistent, notamment :

- premièrement, à assurer la programmation de la production et son adaptation à la demande, notamment en quantité et en qualité ;

- deuxièmement, selon le règlement de base, à promouvoir la concentration de l'offre et la mise sur le marché de la production de ses membres, puis, selon le règlement portant réforme du règlement de base, ainsi que la règlement OCM unique, à concentrer l'offre et à mettre sur le marché la production afférente ;

- troisièmement, à réduire ou optimiser les coûts de production et à « régulariser » les prix à la production (au sens de réguler ou stabiliser les prix).

27. Les objectifs confiés aux OI sont comparables (articles 19 du règlement de base, 20 du règlement portant réforme du règlement de base, et 123 du règlement OCM unique). Rassemblant des représentants d'activités économiques liées à la production, au commerce et/ou à la transformation des fruits et légumes, sans accomplir elles-mêmes de telles activités, leur rôle consiste, notamment :

- premièrement, à améliorer la connaissance et la transparence de la production et du marché ;

- deuxièmement, à contribuer à une meilleure coordination de la mise sur le marché des produits, notamment par des recherches ou des études de marché ;

- troisièmement, à élaborer des contrats-types, en vue de faciliter les négociations entre l'échelon des producteurs/OP, en amont de la filière, et les échelons présents en aval (au stade de la transformation, du négoce ou de la distribution).

28. Les objectifs confiés à l'ensemble de ces organismes se retrouvent dans les trois principales règles et mesures suivantes, étant précisé que les OI ne sont concernées que par la dernière d'entre elles :

- la règle de l'apport total, déjà évoquée ;

- les mesures de retrait du marché ;

- l'extension des règles adoptées par les OP, AOP et OI.

a) La règle de l'apport total

29. La règle de l'apport total s'inscrit dans le cadre du deuxième objectif, de concentration de l'offre. Elle est issue du règlement de base. En effet, son article 11, paragraphe 1, point c), sous 3), définit l'organisation de producteurs comme une « personne morale (...) dont les statuts obligent les producteurs associés, notamment, à (...) vendre par l'intermédiaire de l'organisation de producteurs la totalité de leur production concernée ». Le considérant 11 précise que la prise en charge de l'ensemble de la production par les OP répond à l'existence de fonds opérationnels et à la nécessité d'en assurer le bon fonctionnement.

30. Cette règle a été reprise en substance par l'article 3, paragraphe 2, du règlement portant réforme du règlement de base, puis par l'article 125 bis, paragraphe 1, point c), du règlement OCM unique, ce dernier disposant : « Les statuts d'une organisation de producteurs dans le secteur des fruits et légumes obligent les producteurs associés, notamment à (...) vendre par l'intermédiaire de l'organisation de producteurs la totalité de leur production concernée ».

31. La règle de l'apport total est assortie de plusieurs tempéraments.

32. En effet, le règlement de base dispose, en son article 11, paragraphe 1, point c), sous 3) :

« Toutefois, si l'organisation de producteurs l'autorise et dans les conditions qu'elle détermine, les producteurs associés peuvent :

- à raison de 25% au maximum de leur production s'il s'agit d'organisations de producteurs de fruits et légumes constituées (...) [à l'initiative même des producteurs] et de 20% pour les producteurs membres d'autres types d'organisations de producteurs, effectuer, sur leur lieu d'exploitation, des ventes directes au consommateur pour ses besoins personnels ;

et en outre

- commercialiser, eux-mêmes ou par l'intermédiaire d'une autre organisation de producteurs déterminée par leur propre organisation, les produits qui représentent un volume marginal par rapport au volume de production commercialisable de cette dernière ;

- commercialiser, eux-mêmes ou par l'intermédiaire d'une autre organisation de producteurs déterminée par leur propre organisation, les produits qui, du fait de leurs caractéristiques, ne relèvent pas, a priori, des activités commerciales de cette dernière ;

- être autorisés, selon la procédure prévue à l'article 46, à conclure de manière dérogatoire, dégressive et transitoire jusqu'au 31 décembre 1999, des contrats directs avec les entreprises de transformation pour certains produits ».

33. Ces différents tempéraments, à l'exclusion du quatrième, ont été repris par le règlement portant réforme du règlement de base (article 3, paragraphe 3), puis par le règlement OCM unique (article 125 bis, paragraphe 2), le deuxième et le troisième dans des termes quasi-identiques. Quant au premier tempérament, il a été élargi et assoupli afin d'accroître l'attractivité des OP (considérant 11 du règlement portant réforme du règlement de base) : les ventes directes au consommateur peuvent être réalisées non seulement sur le lieu d'exploitation du producteur, mais aussi en dehors, et ce dans les limites d'un pourcentage fixé par les États membres à un niveau ne pouvant être inférieur à 10%.

b) Les mesures de retrait du marché

34. La réglementation européenne a fait l'objet de plusieurs évolutions en la matière. Pendant la période litigieuse, on peut distinguer l'état du droit existant avant et après 2008.

1) Avant 2008

35. Le règlement de base a ouvert aux OP et AOP la faculté de prendre des mesures de retrait du marché de certaines catégories de fruits et légumes, au rang desquelles figurent les endives.

36. Cette faculté résulte de son article 23, paragraphe 1 :

« Pour les produits visés à l'article 1er paragraphe 2 qu'elles déterminent, les organisations de producteurs ou leurs associations peuvent ne pas mettre en vente les produits apportés par les associés, à concurrence des volumes et pendant les périodes qu'elles jugent opportuns ».

37. La possibilité pour les OP de recourir à des retraits du marché n'est pas nouvelle, mais le règlement de base marque une évolution par rapport au régime antérieur, issu du règlement (CEE) n° 1035/72 du Conseil, du 18 mai 1972, portant organisation commune des marchés dans le secteur des fruits et légumes (non applicable à la période des faits reprochés et abrogé par le règlement de base).

38. En effet, l'article 15, paragraphe 1, du règlement 1035/72, précité, prévoyait que, pour tous les fruits et légumes, les OP ou les AOP pouvaient « fixer un prix de retrait en deçà duquel les OP ne pouvaient mettre en vente les produits apportés par leurs adhérents ».

39. Dans ce cas, les OP ou, le cas échéant, les AOP, soit étaient tenues d'octroyer aux producteurs associés une indemnité pour les quantités de produits demeurant invendues (pour certaines catégories de produits ne comprenant pas les endives), soit disposaient d’une simple faculté en ce sens (pour d’autres catégories de produits comprenant les endives).

40. Il était précisé que « les États membres pouvaient fixer le niveau maximum des prix de retrait ».

41. Ce dispositif de retrait devait être notifié par l'OP concernée aux autorités nationales qui devaient à leur tour le notifier à la Commission européenne : étaient attendus la liste des produits concernés, la période d'application des « prix de retrait », ainsi que les niveaux des « prix de retrait » envisagés et pratiqués (article 15, paragraphe 2).

42. En 1996, le législateur européen a souhaité encadrer davantage le recours aux mesures de retrait. Le considérant 16 du règlement de base précise l'objectif poursuivi :

« (…) en vue de stabiliser les cours, il est souhaitable que les organisations de producteurs puissent intervenir sur le marché, en particulier en décidant de ne pas mettre en vente certaines quantités de produits, à certaines périodes ; (…) ces opérations de retrait ne peuvent être envisagées comme un débouché de substitution au marché (…) ; dès lors, leur financement communautaire ne doit, d'une part, être assuré que pour un pourcentage déterminé de la production et doit, d'autre part, se limiter à une indemnité communautaire réduite, sans préjudice de l'utilisation à cette fin des fonds opérationnels ».

43. L'un des règlements d'application du règlement de base, à savoir le règlement n°103/2004, précité, en son article 8, paragraphe 2, rappelle cette limite fixée aux opérations de retrait :

« (…) les retraits sont un instrument de stabilisation, à court terme, de l'offre sur le marché des produits du frais (…) [ils] ne doivent en aucun cas constituer un débouché de substitution du marché ».

44. Les règlements d'application du règlement de base précisent les contours de l'obligation de notification préalable des opérations de retrait.

45. Le premier règlement d'application exige que les OP et les AOP notifient aux autorités nationales compétentes chaque opération de retrait, au moins vingt-quatre heures à l'avance, en détaillant notamment la liste des produits destinés à l'intervention, ainsi que la quantité estimée pour chaque produit concerné, et précise qu'à défaut de notification préalable, les produits retirés ne peuvent être écoulés qu'après autorisation de l'État membre (article 8, paragraphe 1).

46. Le second règlement d'application renforce le dispositif, d'une part, en assortissant l'obligation de notification préalable de la réalisation subséquente par les autorités nationales compétentes d'opérations de contrôle, dont l'issue conditionne l'octroi de l'autorisation des mesures de retrait (articles 6 et 23) et, d'autre part, en exigeant que les opérations de « dénaturation » des produits retirés du marché se réalisent en présence desdites autorités (article 23, paragraphe 2, et sixième considérant).

47. Il appartient aux OP et AOP de déterminer la destination des produits retirés du marché (article 23, paragraphe 2, du règlement de base) parmi celles prévues par le règlement (article 30 et considérant 17), à savoir la distribution gratuite à des institutions caritatives ou publiques, la transformation, l'alimentation animale ou l'usage non alimentaire. Cette délimitation de la destination des produits vise à éviter que ceux-ci ne soient détruits (si possible) ou réintroduits dans le circuit commercial habituel (ce qui entraverait l'écoulement normal de la production et priverait ainsi la mesure de retrait des effets escomptés).

48. Les opérations de retrait du marché ont vocation à être financées par un fonds opérationnel constitué par les OP. Ce fonds est alimenté par, d'une part, des contributions financières des producteurs associés, assises sur les quantités ou la valeur des fruits et légumes effectivement commercialisées sur le marché et, d'autre part, une aide financière communautaire (article 15, paragraphes 1et 2, du règlement de base). L'utilisation du fonds opérationnel pour le financement des retraits du marché est subordonnée à l'approbation par les autorités nationales compétentes d'un programme opérationnel, répondant à certains objectifs, tels que la réduction des retraits, et au financement duquel contribue également le fonds opérationnel (article 15, paragraphes 3 et 4, du même règlement). La part du fonds opérationnel qui peut être consacrée au financement des retraits ne peut dépasser un certain pourcentage, déterminé annuellement et de manière dégressive pendant les six premières années à compter de la date d'approbation du premier programme opérationnel présenté par l'OP concernée (article 15, paragraphe 3, dudit règlement).

2) Depuis 2008

49. Le règlement portant réforme du règlement de base (article 9) a maintenu la possibilité de recourir à des mesures de retrait, tout en intégrant celles-ci dans le cadre de programmes opérationnels à titre de mesures de prévention et de gestion de crises, ces programmes opérationnels demeurant par ailleurs financés par les fonds opérationnels à condition d’être approuvés par les autorités nationales compétentes.

50. Le considérant 21 du règlement portant réforme du règlement de base explique ce changement de perspective :

« La production des fruits et légumes est imprévisible et les produits sont périssables. La présence d'excédents, même s'ils ne sont pas excessifs, peut significativement perturber le marché. Plusieurs régimes de retrait du marché ont été mis en oeuvre, mais ils se sont révélés difficiles à gérer. Il convient donc d'introduire des mesures supplémentaires de gestion de crises, dont l'application sera aussi aisée que possible. L'intégration de toutes ces mesures dans les programmes opérationnels des (…) [OP] apparaît comme la meilleure approche possible dans ces conditions et devrait également permettre de rendre les (…) [OP] plus attrayantes aux yeux des producteurs (...) ».

51. Parallèlement, la part de l'aide financière communautaire est augmentée, mais uniquement dans certains cas (article 10, paragraphes 1 et 4, du règlement portant réforme du règlement de base). En effet, par dérogation au principe selon lequel l'aide financière communautaire est limitée à 50% du montant des dépenses réelles effectuées, cette aide couvre la totalité des dépenses en cas de retraits du marché, à la double condition, d'une part, que ces retraits n'excèdent pas 5% du volume de la production commercialisée de chaque OP et, d'autre part, que les produits soient écoulés d'une certaine manière (distribution gratuite à des institutions caritatives ou publiques).

52. Ce dispositif a été repris aux articles 103 quater et quinquies du règlement OCM unique et du règlement refonte.

c) L'extension des règles adoptées par les OP, les AOP et les OI

53. Afin de renforcer leur rôle en faveur de la stabilisation du marché, le règlement de base (article 18 et considérant 14) a admis la possibilité pour les OP ou les AOP d'obtenir des autorités nationales l'extension de leurs propres règles, dans certaines matières (notamment, en matière de connaissance de la production, de production, de commercialisation et de retraits d'intervention), aux producteurs indépendants établis dans leur circonscription.

54. Cette faculté a également été ouverte aux OI par le règlement de base (article 21, combiné au considérant 15), pour certaines matières seulement (notamment, en matière de connaissance de la production et du marché, de commercialisation, de promotion et de mise en valeur de la production).

55. S'agissant de l'extension des règles adoptées par une OP ou une AOP, elle est encadrée par une série de conditions :

- premièrement, l'OP ou l'AOP dont émanent ces règles doit être considérée comme représentative de la production concernée et des producteurs de la circonscription économique couverte par elle, ce qui implique qu'elle regroupe au moins deux tiers des producteurs de la circonscription économique dans laquelle elle opère et couvre au moins deux tiers de la production de cette circonscription (article 18, paragraphes 1 et 3, du règlement de base, modifié par le règlement portant réforme du règlement de base, comme indiqué au paragraphe 56 du présent arrêt) ;

- deuxièmement, ces règles doivent être d'application depuis au moins une campagne de commercialisation et leur caractère obligatoire par extension doit être limité à une période maximale de trois campagnes de commercialisation (article 18, paragraphe 1, du règlement de base, modifié par le règlement portant réforme du règlement de base, comme indiqué au paragraphe 56 du présent arrêt) ;

- troisièmement, ces règles ne doivent pas porter préjudice aux autres producteurs de l'État membre et de la Communauté et être contraires aux réglementations communautaire et nationale en vigueur (article 18, paragraphe 4, du règlement de base, repris à l'identique à l'article 14, paragraphe 4, du règlement portant réforme du règlement de base) ;

- quatrièmement, les autorités nationales compétentes sont tenues de notifier à bref délai à la Commission européenne les règles qu'elles ont rendues obligatoires par extension, ce qui peut conduire lesdites autorités à abroger la mesure d'extension lorsque la Commission constate, notamment, soit, que ces trois premières conditions ne sont pas respectées (constat issu de contrôles a posteriori), soit que l'article du traité interdisant les ententes est applicable à l'accord, à la décision ou à la pratique concertée dont l'extension est décidée, soit que la concurrence dans une partie substantielle du marché intérieur se trouve exclue par la mesure en cause (article 18, paragraphe 5, du règlement de base, repris à l'identique par les articles 15 et 16 du règlement portant réforme du règlement de base).

56. Le règlement portant réforme du règlement de base a maintenu l'essentiel du dispositif tout en apportant les modifications suivantes :

- premièrement, les règles adoptées par les OP ou AOP en matière de retraits du marché ne sont plus susceptibles d'être étendues ; en dehors des règles en matière de connaissance de la production, de production et de commercialisation, qui demeurent susceptibles étendues, les seules règles nécessaires à la mise en oeuvre des mesures de prévention et de gestion des crises qui peuvent l'être sont celles concernant la promotion et la communication des fruits et légumes, et non les retraits du marché (article 14, paragraphe 1, dudit règlement) ;

- deuxièmement, pour satisfaire à la première condition de représentativité, il suffit qu'une OP regroupe au moins 50 % des producteurs de la circonscription économique dans laquelle elle opère et couvre au moins 60 % du volume de production de cette circonscription (article 14, paragraphe 3) ;

- troisièmement, les règles concernant la connaissance de la production, la commercialisation, ainsi que la promotion et la communication dans un contexte de prévention et de gestion de crises, ne sont plus soumises à la condition d'être d'application depuis au moins une campagne de commercialisation, mais ne peuvent pas être étendues pendant plus d'une campagne de commercialisation (article 14, paragraphe 1, alinéa 3).

57. Ce dispositif a été repris aux articles 125 septies, octies, nonies et undecies du règlement OCM unique.

58. S'agissant de l'extension des règles adoptées par une OI, elle est soumise à des conditions comparables (article 20 du règlement de base ; article 23 du règlement portant réforme du règlement de base ; article 125 terdecies du règlement OCM).

2. Les conditions de qualification et de reconnaissance des OP, AOP et OI

59. La qualification d'une entité en tant qu'OP, AOP ou OI repose sur une série de critères ou conditions, dont la plupart ont été posés par le règlement de base, le règlement portant réforme de ce dernier se limitant à quelques modifications ou ajustements dans ce domaine, ce qui a été repris par le règlement OCM unique puis le règlement refonte.

60. Le premier critère de qualification tient à l'origine de la constitution de l'entité concernée : une OP est constituée à l'initiative des producteurs de catégories de fruits ou légumes (article 11, paragraphe 1, sous a, du règlement de base, repris par l'article 3, paragraphe 1, sous a, du règlement portant réforme du règlement de base). Autrement dit, le regroupement de l'offre au moyen de la constitution d'OP se réalise sur une base volontaire (considérant 7 du règlement de base). Il en va de même pour une AOP : une AOP est constituée à l'initiative des OP, à condition toutefois que ces dernières soient reconnues comme telles (article 5 du règlement portant réforme du règlement de base, repris à l'article 125 quater du règlement OCM unique). Selon la même logique, une OI est définie comme étant constituée à l'initiative de la totalité ou d'une partie des représentants des activités économiques liées à la production, au commerce et/ou à la transformation des produits dans le secteur des fruits et légumes (article 19, paragraphe 1, sous b, du règlement de base, repris à l'article 20, sous b, du règlement portant réforme du règlement de base, article 123, paragraphe 3, du règlement OCM unique).

61. Le deuxième critère de qualification tient aux objectifs confiés à l'entité concernée. À cet égard, le règlement de base énumère une série d'objectifs, déjà évoqués précédemment, sans être exhaustif (article 11, paragraphe 1, sous b : une OP « a notamment pour but (...) »). Dans le même sens, le règlement portant réforme du règlement de base précise que ces objectifs peuvent être poursuivis de manière alternative ou cumulative (article 3, paragraphe 1, sous c : une OP « a un ou plusieurs objectifs suivants (...) »).

62. Il en va de même pour la qualification d'AOP. En effet, comme cela a déjà été indiqué au paragraphe 25 du présent arrêt, la réalisation de ces objectifs, initialement réservée aux seules OP, a été ensuite étendue aux AOP (article 5 du règlement portant réforme du règlement de base, repris par l'article 125 quater du règlement OCM unique).

63. Quant à la qualification des OI, il est également renvoyé aux objectifs qui leur sont confiés (paragraphe 27 du présent arrêt).

64. Le troisième critère, qui est propre aux OP, concerne les statuts de l'entité concernée (article 11, paragraphe 1, sous c, du règlement de base, repris à l'article 3, paragraphes 1, sous d, et 2, du règlement portant réforme du règlement de base). Ce critère des statuts est étroitement lié à celui, qui vient d'être indiqué, afférant aux objectifs, ainsi qu'à celui, qui sera abordé ultérieurement, de la reconnaissance. C'est ce qui ressort du considérant 12 du règlement portant réforme du règlement de base : « Une organisation de producteurs ne devrait être reconnue par l'État membre où elle est située comme propre à contribuer à la réalisation des objectifs de l'organisation commune des marchés que si ses statuts lui imposent ainsi qu'à ses membres un certain nombre d'obligations (...)».

65. La règle de l'apport total, déjà évoquée, en lien avec l'objectif de concentration de l'offre, figure dans la liste des obligations que les OP doivent intégrer dans leurs statuts. Les autres obligations statutaires devant être imposées aux producteurs associés consistent :

- premièrement, à appliquer, en matière de connaissance de la production, de production, de commercialisation et de protection de l'environnement, les règles adoptées par l'OP ;

- deuxièmement, à n'être membres, au titre de la production d'un produit ou catégorie de produits, tels que les légumes, d'une exploitation donnée, que d'une seule OP ;

- troisièmement, à fournir les renseignements qui sont demandés par l'OP à des fins statistiques et qui concernent notamment les superficies, les récoltes, les rendements et les ventes directes ;

- quatrièmement, à régler les contributions financières prévues par les statuts pour la mise en place et l'approvisionnement du fonds opérationnel.

66. Le quatrième et dernier critère de qualification, qui est expressément prévu pour la seule qualification d'OP (article 11, paragraphes 1, sous e, et 2, du règlement de base, repris et complété aux articles 3, paragraphe 1, sous e, et 4, du règlement portant réforme du règlement de base), mais qui est transposable pour celle d'AOP ou d'OI, tient à la reconnaissance de l'entité concernée par les autorités nationales compétentes. Cette reconnaissance est à son tour subordonnée à la satisfaction d'une série de conditions cumulatives, qui varient selon qu'il est question d'une OP, d'une AOP ou d'une OI.

67. S'agissant de la reconnaissance comme OP, l'entité concernée doit (selon les articles précités) :

- premièrement, répondre aux critères précédemment énoncés, éléments de preuve à l'appui ;

- deuxièmement, réunir un nombre minimal de membres et couvrir un nombre minimal de production commercialisable, éléments de preuve également à l'appui ;

- troisièmement, offrir la garantir suffisante de pouvoir réaliser leurs activités convenablement dans la durée ainsi qu'en termes d'efficacité et de concentration de l'offre ;

- quatrièmement, mettre effectivement leurs membres en mesure d'obtenir l'assistance technique nécessaire pour la mise en oeuvre de pratiques culturales respectueuses de l'environnement et mettre effectivement à leur disposition, le cas échéant, les moyens techniques nécessaires pour le stockage, le conditionnement et la commercialisation des produits ;

- cinquièmement, assurer une gestion commerciale et comptable appropriée de leurs activités ;

- sixièmement, ne pas détenir de position dominante sur un marché déterminé, à moins que cela ne soit nécessaire à la poursuite des objectifs visés à l'article 33 du traité (c'est-à-dire les objectifs de la politique agricole commune, ci-après « la PAC ») ; cette condition a été introduite par le règlement portant réforme du règlement de base (article 4, paragraphe 1, sous g).

68. Une fois reconnue comme OP, l'entité concernée est soumise à un contrôle à intervalles réguliers des autorités nationales compétentes, ces dernières étant chargées de s'assurer du respect des exigences découlant de la réglementation européenne. En cas de non-respect ou d'irrégularités, lesdites autorités sont tenues d'infliger des sanctions et, si nécessaire, de retirer la reconnaissance octroyée, auquel cas elles doivent notifier cette décision de retrait à la Commission européenne, à l'instar des décisions d'octroi ou de refus de reconnaissance (article 12 du règlement de base et article 4, paragraphe 2, du règlement portant réforme du règlement de base).

69. S'agissant de la reconnaissance comme AOP, l'entité concernée doit, selon l'article 5 du règlement portant réforme du règlement de base :

- d'une part, être regardée par l'État membre considéré comme étant capable d'exercer effectivement ses activités, lesquelles sont identiques à celles d'une OP (comme cela a déjà été indiqué à plusieurs reprises) ;

- d'autre part, ne pas détenir une position dominante sur un marché déterminé, à moins que cela ne soit nécessaire à la poursuite des objectifs visés à l'article 33 du traité (cette condition est identique à la sixième condition requise pour la reconnaissance d'une OP).

70. En France, les comités économiques agricoles (désignés « comités de bassin »), dont l'institution remonte à 1962 (loi n° 62-933 du 8 août 1962 d'orientation agricole), apparaissent comme une préfiguration des AOP.

71. En effet, l'article L.552-1 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction en vigueur pendant une partie de la période litigieuse (jusqu'à son abrogation par l'ordonnance n° 2010-459 du 6 mai 2010 modifiant les livres Ier, V et VI du code rural), définissait les comités économiques agricoles de la manière suivante :

« Afin d'harmoniser les disciplines de production, de commercialisation, de prix et d'appliquer des règles communes de mise en marché, les organismes reconnus énumérés à l'article précédent [les OP reconnues] et les syndicats agricoles à vocation générale ou spécialisée peuvent se grouper pour constituer, dans une région déterminée, et pour un même secteur de produits (…) un comité économique agricole. (…) Les comités économiques agricoles édictent des règles communes à leurs membres (…), contribuent à la mise en oeuvre des politiques économiques nationales et communautaires et peuvent être consultés sur les orientations de la politique de filière les concernant ».

72. Il n'est pas contesté que les comités économiques agricoles agréés peuvent être assimilés à des AOP reconnues. Cette assimilation découle de dispositions d'ordre réglementaire (article 1er du décret n° 2000-1053 du 24 octobre 2000 relatif à l'organisation économique dans le secteur des fruits et légumes, repris à l'article 1er du décret n° 2007-509 du 3 avril 2007 relatif aux comités économiques agricoles dans le secteur des fruits et légumes et modifiant le livre V du code rural) :

« Les comités économiques agricoles agréés dans le secteur des fruits et légumes sont considérés comme des associations d'organisations de producteurs au sens du 1 de l'article 18 du règlement du 28 octobre 1996 [le règlement de base] ».

73. Le règlement de base précisant que les OP doivent être entendues comme ayant été reconnues par l'État membre concerné (article 11, paragraphe 1, sous e), il en va de même pour les AOP. Il résulte de la combinaison de ces textes que les comités économiques agréés dans le secteur des fruits et légumes doivent être considérées comme des AOP reconnues.

74. S'agissant de la reconnaissance comme OI, l'entité concernée doit (articles 19, paragraphe 2 du règlement de base, 21 du règlement portant réforme du règlement de base, et 125 duodecies du règlement OCM) :

- exercer son activité dans une ou plusieurs régions de l'État membre concerné ;

- représenter une part significative de la production, du commerce et/ou de la transformation des fruits et légumes et des produits transformés à base de fruits et légumes, dans la ou les régions considérées ;

- mener au moins deux des activités indiquées précédemment au titre des objectifs qui leur sont confiés (paragraphe 27 du présent arrêt) ;

- ne pas accomplir, par elle-même, d'activités de production, de commercialisation et/ou de transformation de fruits et légumes ou de produits transformés à base de fruits et légumes ;

- ne pas être engagée dans des accords, décisions et pratiques concertées qui peuvent entraîner toute forme de cloisonnement des marchés, nuire au bon fonctionnement de l'OCM, créer des distorsions de concurrence non indispensables pour atteindre les objectifs de la PAC, des discriminations ou éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits ou qui comportent la fixation de prix (dans ce dernier cas, sans préjudice des mesures prises par les OI dans le cadre de l'application de dispositions spécifiques de la réglementation communautaire).

II. LA GENÈSE DE L'AFFAIRE, LA PROCÉDURE ENGAGÉE ET LA DÉCISION DE

L'AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

75. À la suite de divers échanges entre la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (ci-après la « DGCCRF ») et différents acteurs du secteur des endives, lesdits échanges remontant pour le premier d'entre eux à la fin de l'année 2000 (voir liste des annexes du rapport de la DGCCRF, cotes 96 et 97), des opérations de visites et saisies ont été réalisées dans leurs locaux, le 12 avril 2007, sur autorisation du juge des libertés et de la détention du 3 avril (cotes 101 à 111).

76. Ces opérations de visites et saisies ont été réalisées par les agents de la DGCCRF dans les locaux des entités suivantes (cotes 114 à 150) :

- le Comité économique agricole de la région du Nord (ci-après « Celfnord ») ;

- la Fédération nationale de producteurs d'endives (ci-après la « FNPE ») ;

- la Section nationale endives (ci-après « SNE »).

77. Estimant que l'enquête diligentée par la DGCCRF, dont il a été fait état dans un rapport du 1er février 2008, avait mis en évidence l'existence d'ententes sur le prix des endives, entre les différents acteurs du secteur, le ministre chargé de l'économie a, le 11 juillet 2008, saisi de cette situation le Conseil de la concurrence, devenu l'Autorité de la concurrence (ci-après « l'Autorité »).

78. Le 12 octobre 2010, une notification de grief a été adressée à une série d'entités (dix-huit en tout), à savoir (dans l'ordre alphabétique) :

- l'association des producteurs vendeurs d'endives (ci-après « APVE ») ;

- l'association des producteurs d'endives de France (ci-après « APEF ») ;

- le Celfnord, précité ;

- le Comité économique régional agricole fruits et légumes (ci-après « Cérafel ») ;

- la FNPE, précitée ;

- la SNE, précitée ;

- la fédération du commerce de l'endive (ci-après « FCE ») ;

- la société Cambresis Artois Picardie Endives (ci-après « Cap'Endives ») ;

- la société Fraileg ;

- la société France Endives ;

- la société Nord Alliance ;

- la société Marché de Phalempin ;

- la société Primacoop ;

- la société Prim'Santerre ;

- la société Groupe Perle du Nord ;

- la société Soleil du Nord ;

- la société du Marais audomarois (ci-après « Sipema ») ;

- la société Valois-Fruits.

79. Aux termes de cet acte, il est reproché à ces entités un seul et même grief, à savoir « d'avoir participé à une entente complexe et continue sur le marché français de l'endive, consistant en une concertation sur les prix et les offres promotionnelles, en un échange régulier d'informations stratégiques servant à mettre en place une police des prix ainsi que des mesures de dénaturation obligatoires », étant ajouté que « ces pratiques, qui ont eu pour objet d'imposer sur le marché français de l'endive un mode d'organisation se substituant au libre jeu de la concurrence, par une collusion généralisée entre les producteurs, sont prohibées par l'article L.420-1 du code de commerce et par l'article 101 du Traité ».

80. La notification de grief précise que ces pratiques « ont été mises en oeuvre s'agissant :

- du Celfnord, des OP membres du Celfnord, de l'APVE et de la FNPE, depuis au moins 1995 ;

- de la SNE et du Cérafel depuis 1998 ;

- de la SAS Groupe du Nord et de la FCE depuis 2005 ;

- de l'APEF depuis 2008 ;

et n'ont toujours pas cessé ».

81. La rapporteure désignée dans cette affaire, auprès de l'Autorité, a déposé son rapport le 25 juillet 2011.

82. Par sa décision n° 12-D-08 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la production et de la commercialisation des endives (ci-après « la décision attaquée »), adoptée le 6 mars 2012, l'Autorité :

- en premier lieu, a écarté diverses contestations portant sur la régularité de la procédure (quant à la durée de celle-ci, la loyauté de l'instruction, les droits de la défense, le contenu et la notification des griefs), ainsi que sur la prescription ;

- en deuxième lieu, a retenu l'existence d'une pratique d'entente prohibée par l'article 81, paragraphe 1, du traité CE, devenu l'article 101, paragraphe 1, du TFUE et par l'article L.420-1 du code de commerce ;

- en troisième lieu, a retenu que cette entente, qualifiée de complexe et continue, avait consisté, tout d'abord, en une concertation sur les prix, au moyen de différents dispositifs, ensuite, en une concertation sur les quantités d'endives mises sur le marché et, enfin, en un système d'échanges d'informations stratégiques ayant servi à mettre en place une police des prix (dénommé Infocl@r) ; elle a considéré que ces diverses pratiques, qualifiées d'anticoncurrentielles par objet, tendaient à la fixation en commun d'un prix minimum de vente à la production et avaient permis aux producteurs et à plusieurs de leurs organisations professionnelles de maintenir des prix de vente minima ;

- en quatrième lieu, a retenu que le point de départ de ces pratiques remontait à janvier 1998 et que celles-ci s'étaient poursuivies de manière continue et étaient toujours en cours à la date de la présente décision, de sorte que ces pratiques auraient duré un peu plus de quatorze ans ;

- en cinquième lieu, a retenu que les dix-huit entités en cause avaient participé à cette entente dite complexe et continue ;

- en sixième lieu, a écarté le bénéfice réclamé par les entités en cause :

D’une part, du régime spécifique réservé par la réglementation européenne aux pratiques se rapportant à la production et au commerce des fruits et légumes lorsque ces pratiques sont nécessaires à la réalisation des objectifs de la PAC et ;

D’autre part, de l'exemption individuelle prévue dans certains cas particuliers, quel que soit le secteur concerné, par l'article 101, paragraphe 3, du TFUE et l'article L.420-4 du code de commerce ;

- en septième lieu, a infligé à chacune des entités en cause, à l'exception de l'une d'elles (Nord Alliance), des sanctions pécuniaires de divers montants (allant de 5000 à 1 186 930 euros), à savoir de 50 000 euros pour l'APEF, de 5 000 euros pour l'APVE, de 100 000 euros pour le Celfnord, de 75 000 euros pour le Cérafel, de 5 000 euros pour la FCE, de 80 000 euros pour la FNPE, de 5 000 euros pour la SNE, de 103 800 euros pour Cap-Endives, de 83 000 euros pour Fraileg, de 587 430 euros pour France Endives, de 1 1 886 930 euros pour le Marché de Phalampin, de 891 900 euros pour Primacoop, de 127 000 euros pour Prim'Santerre, de 5 730 euros pour Groupe Perle du Nord, de 72 000 euros pour Soleil du Nord, de 251 700 euros pour Sipema et, de 341 100 euros pour l'union de coopératives agricoles Valois-fruits ;

- en huitième lieu, a assorti ces sanctions pécuniaires :

D’une part, d'une injonction, adressée à l'APEF ou à tout autre organisme responsable du système d'échanges d'informations dénommé Infocl@r de modifier ce système par lequel les producteurs déclarent les volumes et les prix de vente de leur production, afin que celui-ci se limite :

- à enregistrer des données passés, anonymes et suffisamment agréées pour exclure toute identification des opérateurs ;

- à diffuser des informations en matière de coûts ou de prix sous forme de mercuriales ou d'indices statistiques, étant précisé que toute utilisation du système en vue d'assurer un contrôle des prix et du volume des produits vendus est proscrite ;

D’autre part, d'une obligation de publication d'un résumé de la présente décision.

III. LES SUITES DE LA PROCÉDURE

A. Les recours contre la décision attaquée

83. Presque toutes les entités en cause (toutes, à l'exception de l'APVE et de Nord Alliance) ont formé, devant la Cour, des recours en annulation et, subsidiairement, en réformation de la décision précitée de l'Autorité (décision attaquée).

84. Parallèlement, estimant que l'exécution immédiate de cette décision entraînerait des conséquences manifestement excessives à leur égard, la plupart de ces entités (à l'exception du Cérafel et de la société Groupe Perle du Nord, outre l'APVE et la société Nord Alliance) ont demandé le sursis à l'exécution de celle-ci, lequel a été ordonné en partie pour la société Marché de Phalempin et en totalité pour les autres demandeurs, par trois décisions du délégué du premier président de la Cour, rendues le 26 juin 2012 (n° RG 12/08904, 12/08905, 12/08906).

1. L'arrêt de la cour d'appel, première saisie

85. Par un arrêt du 15 mai 2014 (RG n° 2012/06498), la Cour a réformé en toutes ses dispositions la décision attaquée et, statuant à nouveau, a dit qu'il n'était pas établi que les entités en cause avaient enfreint les articles 101 TFUE et L.420-1 du code de commerce, aux motifs :

- qu'il n'était pas démontré que ces organismes étaient sortis des missions qui leur étaient confiées par la réglementation OCM applicable dans le cadre de la PAC, ainsi que par le droit national ;

- qu'au demeurant, l'existence d'une entente complexe et continue n'était pas caractérisée.

2. Le pourvoi en cassation et le renvoi préjudiciel devant la Cour de justice de l'Union européenne

86. L'affaire a été ensuite portée devant la Cour de cassation, sur pourvoi du président de l'Autorité (pourvoi n° 14-19. 589), ce qui a conduit la Commission européenne (en application de l'article 15, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relative à la mise en oeuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité) à présenter devant ladite Cour des observations écrites, en tant qu'amicus curiae, afin d'apporter son éclairage sur la question de l'applicabilité des règles de concurrence dans le domaine agricole, en particulier dans le secteur de la production et de la commercialisation des endives.

87. Par un premier arrêt, du 8 décembre 2015 (Bull n° 167), la Cour de cassation a décidé de saisir la Cour de justice de l'Union européenne (ci-après, la « Cour de justice » ou « CJUE ») des deux questions préjudicielles suivantes :

« 1) Des accords, décisions ou pratiques d'organisations de producteurs, d'associations d'organisations de producteurs et d'organisations professionnelles, qui pourraient être qualifiés d'anticoncurrentiels au regard de l'article 101 TFUE, peuvent-ils échapper à la prohibition prévue par cet article du seul fait qu'ils pourraient être rattachés aux missions dévolues à ces organisations dans le cadre de l'organisation commune du marché et ce, alors même qu'ils ne relèveraient d'aucune des dérogations générales prévues successivement par l'article 2 des règlements (CEE) n° 26 du Conseil du 4 avril 1962 et (CE) n° 1184/2006 du Conseil du 24 juillet 2006 et par l'article 176 du règlement (CE) n° 1234/2007 du Conseil du 22 octobre 2007 ?

2) Dans l'affirmative, les articles 11, § 1, du règlement n° 2200/96, 3, § 1, du règlement n° 1182/2007, et 122, alinéa 1, du règlement n° 1234/2007, qui fixent, parmi les objectifs assignés aux organisations de producteurs et leurs associations, celui de régulariser les prix à la production et celui d'adapter la production à la demande, notamment en quantité, doivent-ils être interprétés en ce sens que des pratiques de fixation collective d'un prix minimum, de concertation sur les quantités mises sur le marché ou d'échange d'informations stratégiques, mises en oeuvre par ces organisations ou leurs associations, échappent à la prohibition des ententes anticoncurrentielles, en tant qu'elles tendent à la réalisation de ces objectifs ? ».

3. L'arrêt de la Cour de justice

88. La Cour de justice a répondu à ces questions préjudicielles par un arrêt rendu, en grande chambre, le 14 novembre 2017 (affaire APVE e.a., C-671/15).

89. Par cet arrêt, elle a dit pour droit :

« L'article 101 TFUE, lu conjointement avec l'article 2 du règlement n° 26 du Conseil, du 4 avril 1962, portant application de certaines règles de concurrence à la production et au commerce des produits agricoles, l'article 11, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 2200/96 du Conseil, du 28 octobre 1996, portant organisation commune des marchés dans le secteur des fruits et légumes, l'article 2 du règlement (CE) n° 1184/2006 du Conseil, du 24 juillet 2006, portant application de certaines règles de concurrence à la production et au commerce de certains produits agricoles, tel que modifié par le règlement (CE) n° 1234/2007 du Conseil, du 22 octobre 2007, l'article 3, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 1182/2007 du Conseil, du 26 septembre 2007, établissant des règles spécifiques pour le secteur des fruits et légumes, modifiant les directives 2001/112/CE et 2001/113/CE ainsi que les règlements (CEE) n° 827/68, (CE) n° 2200/96, (CE) n° 2201/96, (CE) n° 2826/2000, (CE) n° 1782/2003 et (CE) n° 318/2006, et abrogeant le règlement (CE) n° 2202/96, ainsi que l'article 122, premier alinéa, et les articles 175 et 176 du règlement n° 1234/2007, tel que modifié par le règlement (CE) n° 491/2009 du Conseil, du 25 mai 2009, doit être interprété en ce sens que :

- des pratiques qui portent sur la fixation collective de prix minima de vente, sur une concertation relative aux quantités mises sur le marché ou sur des échanges d'informations stratégiques, telles que celles en cause au principal, ne peuvent être soustraites à l'interdiction des ententes prévue à l'article 101, paragraphe 1, TFUE lorsqu'elles sont convenues entre différentes organisations de producteurs ou associations d'organisations de producteurs, ainsi qu'avec des entités non reconnues par un État membre aux fins de la réalisation d'un objectif défini par le législateur de l'Union européenne dans le cadre de l'organisation commune du marché concerné, telles que des organisations professionnelles ne disposant pas du statut d'organisation de producteurs, d'association d'organisations de producteurs ou d'organisation interprofessionnelle au sens de la réglementation de l'Union européenne, et

- des pratiques qui portent sur une concertation relative aux prix ou aux quantités mises sur le marché ou sur des échanges d'informations stratégiques, telles que celles en cause au principal, peuvent être soustraites à l'interdiction des ententes prévue à l'article 101, paragraphe 1, TFUE lorsqu'elles sont convenues entre membres d'une même organisation de producteurs ou d'une même association d'organisations de producteurs reconnue par un État membre et qu'elles sont strictement nécessaires à la poursuite du ou des objectifs assignés à l'organisation de producteurs ou à l'association d'organisations de producteurs concernée en conformité avec la réglementation de l'Union européenne ».

90. À l'appui de cette interprétation du droit de l'Union, la Cour de justice développe une analyse en trois temps.

91. Dans un premier temps (points 34 à 39 de l'arrêt), après avoir rappelé que l'article 42 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ci-après « TFUE ») reconnaît la primauté de la PAC par rapport aux objectifs du traité dans le domaine de la concurrence, ainsi que le pouvoir du législateur de l'Union de décider dans quelle mesure les règles de concurrence trouvent à s'appliquer dans le secteur agricole, la Cour de justice en déduit que les interventions dudit législateur en la matière n'ont pas pour objet d'établir de simples dérogations ou justifications à l'interdiction des pratiques visées à l'article 101, paragraphe 1, et à l'article 102 du TFUE, mais d'exclure du champ d'application de ces articles des pratiques qui en relèveraient normalement, si elles intervenaient dans un autre secteur que la PAC.

92. Dans un deuxième temps (points 39 à 50 de l'arrêt), la Cour de justice indique que, dans le secteur des fruits et légumes, le législateur de l'Union a précisé l'articulation de la PAC et des règles de concurrence, successivement et sans modification substantielle, à l'article 1er du règlement n° 62, à l'article 1er bis du règlement n° 1184/2006, puis à l'article 175 du règlement OCM unique.

93. Elle rappelle qu'aux termes dudit article 175, « sauf si le présent règlement en dispose autrement, les articles [101 à 106 du TFUE] et leurs modalités d'exécution s'appliquent, sous réserve des dispositions des articles 176 à 177 du présent règlement, à l'ensemble des accords, décisions et pratiques visés à l'article [101, paragraphe 1, et à l'article 102 du TFUE] se rapportant à la production ou au commerce des produits relevant du présent règlement ».

94. La Cour de justice déduit de ces dispositions que, dans le secteur des fruits et légumes, l'article 101, paragraphe 1, du TFUE n'est pas applicable dans deux cas, à savoir :

- d'une part, lorsque les pratiques concernées relèvent des dispositions des articles 176 et 176 bis du règlement OCM unique, ce qui recouvre, notamment, l'hypothèse de pratiques qui feraient partie d'une organisation nationale de marché ou qui seraient nécessaires à la réalisation des objectifs de la PAC ;

- d'autre part, « lorsque le règlement OCM en dispose autrement », ce qui recouvre l'hypothèse de pratiques adoptées par des OP ou AOP qui seraient nécessaires pour atteindre un ou plusieurs des objectifs qui leur sont confiés par l'article 122, premier alinéa, et l'article 125 quater du règlement OCM unique, la réalisation de ces objectifs pouvant rendre nécessaire, afin de garantir l'effet utile des règlements portant OCM dans le secteur des fruits et légumes, le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent un fonctionnement normal des marchés et, en particulier, à certaines formes de coordination et de concertation entre producteurs agricoles.

95. Toutefois, la Cour justice indique que ces cas d'exclusion du champ d'application de l'interdiction des ententes doivent être interprétés strictement et que les pratiques concernées ne doivent pas excéder, conformément au principe de proportionnalité, ce qui est strictement nécessaire pour atteindre les objectifs confiés aux OP ou AOP.

96. Dans un troisième temps (points 51 à 67 de l'arrêt), la Cour de justice précise les conséquences qu'il convient de tirer du principe de proportionnalité. Ces conséquences ont trait au statut des entités en cause, au périmètre et à la portée des pratiques concernées. Il s'ensuit une série de conditions cumulatives à remplir pour parvenir à l'exclusion de certaines pratiques du champ d'application des règles de concurrence.

97. Au titre de la première condition, il est précisé que les pratiques concernées ne peuvent être considérées comme nécessaires pour atteindre un ou plusieurs objectifs de l'OCM considéré que si elles sont mises en oeuvre par des entités effectivement habilitées pour ce faire, conformément à la réglementation applicable à l'OCM, ce qui suppose que lesdites entités aient fait l'objet d'une reconnaissance par un État membre, en tant qu'OP, AOP ou OI.

98. À supposer que cette première condition relative au statut des entités en cause soit remplie, il est exigé (ce qui constitue une deuxième condition) que les pratiques concernées revêtent un caractère purement interne à une seule OP ou à une seule AOP, les objectifs qui sont confiés à ces entités par les règlements européens ne pouvant concerner que la production et la commercialisation des produits provenant de leurs seuls membres. S'il est rappelé que ces objectifs peuvent justifier certaines formes de coordination et de concertation, lorsque ces pratiques sont convenues entre les producteurs membres d'une même OP ou AOP reconnue, il est précisé que celles adoptées, non pas au sein d'une OP ou d'une AOP, mais entre OP ou entre AOP, a fortiori lorsque ces pratiques impliquent au surplus des entités non reconnues comme telles par un État membre, excèdent ce qui est nécessaire à l'accomplissement des missions confiées aux OP et AOP, de sorte qu'elles ne sauraient échapper au champ d'application de l'interdiction des ententes.

99. À supposer que ces deux premières conditions concernant le statut des entités en cause et le périmètre des pratiques concernées soient réunies, il est précisé que ces pratiques doivent répondre à des exigences supplémentaires, en fonction de leur objet. À cet égard, une distinction est opérée entre trois catégories de pratiques, selon qu'elles portent soit sur des échanges d'informations stratégiques, soit sur la concertation relative aux quantités ou volumes des produits mis sur le marché, soit sur la coordination de la politique tarifaire.

100. S'agissant des échanges d'informations stratégiques, leur nécessité est admise pour atteindre chacun des objectifs confiés par la réglementation européenne aux OP et AOP, mais il est précisé que de tels échanges entre producteurs d'une même OP ou d'une même AOP ne sont susceptibles d'être proportionnés que s'ils interviennent effectivement aux fins de l'objectif ou des objectifs assignés à cette OP ou à cette AOP et se limitent aux seules informations strictement nécessaires à la réalisation de ces objectifs.

101. S'agissant du volume des produits mis sur le marché, il est admis que l'objectif de régulation des prix à la production, afin d'assurer un niveau de vie équitable à la population agricole, peut justifier une coordination en la matière entre producteurs d'une même OP ou AOP. Il est renvoyé sur ce point au régime des interventions et des retraits prévus par le règlement de base (article 23) et réformé par le règlement OCM unique (article 103 quater, paragraphe 2, sous a).

102. S'agissant de la politique tarifaire, il est également admis qu'une certaine forme de coordination peut être justifiée en la matière par l'objectif consistant à concentrer l'offre afin de renforcer la position des producteurs face à une demande sans cesse plus concentrée, notamment, lorsque l'OP ou AOP concernée s'est vue confiée par ses membres la charge de commercialiser l'ensemble de sa production, ce qui est en principe le cas en vertu de la règle de l'apport total prévue par le règlement OCM unique (articles 125 bis, paragraphe 1, sous c), et 125 quater). Toutefois, il est précisé que la fixation collective de prix minima de vente (au sein d'une OP ou d'une AOP), lorsqu'elle ne permet pas aux producteurs écoulant eux-mêmes leur propre production de pratiquer un prix inférieur à ces prix minima, ne peut être considérée comme proportionnée aux objectifs de régulation des prix ou de concentration de l'offre, dans la mesure où cette pratique a pour effet d'affaiblir le niveau déjà réduit de concurrence existant sur les marchés de produits agricoles, en raison, notamment, de la faculté reconnue aux producteurs de se regrouper en OP et en AOP afin de concentrer leur offre.

4. L'arrêt de cassation et la saisine de la cour de renvoi

103. Par un second arrêt, du 12 septembre 2018, la Cour de cassation a tiré les conséquences de cet arrêt de la Cour de justice, notamment, en relevant d'office un moyen, tiré d'une série de dispositions du droit européen et national, ce qui l'a conduite à casser, en toutes ses dispositions, l'arrêt attaqué, pour défaut de base légale, au motif que la cour d'appel (première saisie) avait retenu que les pratiques en cause pouvaient être soustraites à l'application des articles 101 du TFUE et L.420-1 du code de commerce (qui interdisent les ententes), sans rechercher si les conditions de soustraction des pratiques à cette interdiction, telles que mises en évidence par l'arrêt précité de la Cour de justice, étaient réunies.

104. Toutes les entités qui avaient formé un recours en annulation et, subsidiairement, en réformation de la décision attaquée ont saisi la Cour, en tant que cour de renvoi, à l'exception de la société Soleil du Nord.

MOTIVATION

105. À titre liminaire, il importe d'indiquer que le moyen pris de la violation des règles de la prescription, soutenu en premier lieu par le Celfnord et l'APEF (cette dernière agissant tant en son nom personnel que venant aux droits de la SNE et de la FCE), est indissociable du moyen de fond portant sur la question de la qualification des pratiques en cause comme revêtant un caractère continu, de sorte qu'il conviendra, le cas échéant, d'examiner ces moyens ensemble, à la suite de l'examen de ceux ayant trait à la procédure.

I. SUR LA PROCÉDURE

106. Quatre moyens de procédure sont développés au soutien de l'annulation de la décision attaquée. Ces moyens sont pris d'une violation du droit à être jugé dans un délai raisonnable, de l'imprécision du grief notifié, de la violation du principe du contradictoire et du secret du délibéré.

A. Sur le moyen pris de la violation du droit à être jugé dans un délai raisonnable

107. Les sociétés Fraileg et Prim'Santerre, ainsi que le Celfnord et l'APEF (cette dernière agissant tant en son nom personnel que venant aux droits de la SNE et de la FCE) soutiennent que la notification des griefs, la procédure d'instruction et, partant, la décision attaquée, doivent être annulées, la durée excessive de la procédure, conjuguée à l'ancienneté des faits reprochés, ayant porté une atteinte effective, concrète et irrémédiable à leurs droits de la défense, en méconnaissance des exigences du procès équitable.

108. Elles font valoir que la procédure ayant débuté le 22 novembre 2000, date de l'audition du directeur du Celfnord par les agents de la DGCCRF, et ayant abouti à la décision attaquée (du 6 mars 2012), la procédure a duré en tout plus de dix ans, ce qui ne saurait être justifié par la prétendue complexité ou l'ampleur de l'affaire. Le Celfnord et l'APEF critiquent plus particulièrement la durée de la procédure conduite par la DGCCRF, soulignant son manque de diligences entre mai 2001 et mai 2007, alors que les autorités compétentes étaient constamment informées par les entités en cause des pratiques mises en oeuvre. Celles-ci mettent également en exergue la longueur du délai s'étant écoulé entre la date des faits reprochés, certains remontant à janvier 1998, et le jour où lesdites entités ont su qu'elles auraient à en répondre.

109. Le Celfnord et l'APEF font également valoir qu'il en est résulté une atteinte caractérisée à leurs droits de la défense, l'écoulement du temps rendant difficile le recueil d'éléments de preuve à décharge en raison, d'une part, du changement de plusieurs responsables travaillant dans ces entités à la date des faits et, d'autre part, de l'impossibilité matérielle de classer et d'archiver la masse de documents utiles (courriers, courriels, notes internes, publicités, documents de travail, notes de réunion, factures), dans la mesure où ces documents auraient permis de démontrer, notamment, la rareté de la diffusion des seuils de prix, considérés par ces entités comme indicatifs, l'absence de prise en compte de ces seuils de référence par les OP, ainsi que l'absence d'imposition d'une quelconque sanction en cas d'inobservation de ces prix. À cet égard, elles observent que, dans l'hypothèse où l'existence d'une infraction complexe et continue serait retenue, la situation des parties aurait été plus favorable si les perquisitions et saisies permettant de sauvegarder tous les éléments de preuve à décharge avaient été effectuées plus tôt (avant avril 2007).

110. En réponse, l'Autorité soutient que le temps écoulé entre la date des faits reprochés et le début de la procédure devant elle ne saurait être pris en compte pour apprécier la durée de la procédure au regard des exigences du procès équitable, seules s'appliquant pendant cette période les règles de prescription. Elle précise que seule la durée de la procédure conduite par elle doit être prise en compte et que cette procédure comporte deux phases successives : une phase préliminaire d'enquête, allant de sa saisine (le 11 juillet 2008) à la notification du grief (le 12 octobre 2010), puis une phase d'instruction contradictoire, ouverte par la notification du grief et achevée par la présentation de l'affaire devant le Collège (le 15 novembre 2011). L'Autorité estime que la durée de chacune de ces deux phases de la procédure conduite devant elle n'est pas déraisonnable au regard de la complexité et de l'ampleur de l'affaire. Elle fait valoir qu'à supposer même que la durée de la procédure ne s'avérait pas raisonnable, les entités en cause ne rapportent pas la preuve d'une atteinte irrémédiable, effective et concrète à leurs droits de la défense, se bornant à évoquer, d'une part, un changement de responsables, sans justifier d'aucune circonstance concrète rendant impossible l'audition des personnes ayant quitté les entités en cause et, d'autre part, l'impossibilité de produire des documents utiles, sans démontrer que ces documents aient pu exister, alors que de nombreux documents relatifs à la période préalable à la saisine de l'Autorité ont été versés au dossier tant par le services de l'instruction que par les parties. À cet égard, elle rappelle que, selon une jurisprudence établie, il incombe à tout opérateur économique, au titre de son devoir général de prudence et de vigilance, de veiller à la conservation de ses livres et archives comme de tous éléments permettant de retracer son activité, afin de disposer des preuves nécessaires pour pouvoir se défendre dans l'hypothèse d'actions judiciaires ou administratives.

111. Le ministre chargé de l'économie conteste l'existence d'une prétendue inertie de la DGCCRF, cette dernière étant intervenue à plusieurs reprises auprès des professionnels, non seulement en février et mai 2001, par des rappels de la loi à l'occasion de certaines initiatives prises par le Celfnord, mais aussi les années suivantes comme en attestent divers documents recueillis lors des opérations de visite et saisie. Il en déduit qu'étant informées du caractère anticoncurrentiel de leurs pratiques, il appartenait aux entités en cause de conserver tous les éléments à décharge utiles à leur défense.

Sur ce, la Cour,

112. Les exigences du procès équitable, découlant de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après « CSDH »), imposent à l'Autorité, en tant que juridiction au sens dudit article, l'obligation de se prononcer dans un délai raisonnable sur le bien-fondé des griefs qui lui sont soumis, de même que la notification de ces griefs aux personnes en cause doit intervenir dans un délai raisonnable.

113. En outre, il résulte d'une jurisprudence constante que la durée de la procédure à prendre en compte pour examiner si l'Autorité a satisfait à cette obligation comprend, non seulement, la phase d'instruction contradictoire, courant à compter de la notification des griefs, mais aussi, la phase préalable, courant à compter de la saisine de l'Autorité, la durée de cette phase préalable étant susceptible de porter atteindre aux droits de la défense en rendant plus difficile le recueil d'éléments de preuve à décharge.

114. Il résulte d'une jurisprudence également constante que le caractère raisonnable dudit délai s'apprécie au regard, notamment, de l'ampleur et de la complexité de l'affaire, ainsi que du comportement des parties au cours de la procédure, et que la sanction qui s'attache à la violation par l'Autorité de son obligation de se prononcer dans un délai raisonnable n'est pas l'annulation de la procédure mais la réparation du préjudice résultant éventuellement du délai subi, sous réserve, toutefois, que ce délai n'ait pas causé à chacune des parties formulant un grief à cet égard une atteinte personnelle, effective et irrémédiable à son droit de se défendre.

115. Contrairement à ce que soutiennent les entités concernées, la durée de la procédure à prendre en compte pour examiner si l'Autorité a satisfait à son obligation de respecter un délai raisonnable ne s'étend pas à la phase d'enquête conduite par la DGCCRF, avant la saisine de l'Autorité. En effet, la durée de l'enquête conduite par la DGCCRF ne relève pas du propre fait de l'Autorité et ne lui est pas davantage imputable, de sorte que sa durée n'entre pas dans les prévisions de l'article 6 CSDH. Au surplus, et à supposer que le délai de l'enquête de la DGCCRF ne soit pas, à lui seul, raisonnable, sa sanction ne pourrait être que la réparation du préjudice résultant éventuellement du délai subi.

116. En l'espèce, il convient donc de prendre en compte la seule durée de la procédure devant l'Autorité, laquelle s'étend de la date de sa saisine, le 11 juillet 2008, à celle de la décision attaquée, le 6 mars 2012, soit une durée d'un peu plus de trois ans.

117. Cette durée n'est pas déraisonnable eu égard à l'ampleur et à la complexité de l'affaire.

118. En effet, la procédure a porté sur l'ensemble des acteurs de la filière des endives, comprenant, d'une part, la production de celles-ci, dans les deux principaux bassins existant sur le territoire national, ce qui revêt une ampleur particulière, la France se situant au premier rang des producteurs d'endives en Europe, et d'autre part, leur commercialisation, ce qui implique une multiplicité et une diversité d'entités, dix-huit entités s'étant vues notifiées des griefs. En outre, il leur était reproché une infraction complexe et continue, remontant pour certaines d'entre elles à 1995, et prenant diverses formes, à savoir, premièrement, une concertation sur les prix des endives génériques, ainsi que des endives « Perle du Nord » et « Carmine », au moyen d'une série de mécanismes tarifaires (prix minium, cours pivot, bourse aux échanges, bourse au cadran, prix cliquet, coordination des offres promotionnelles), deuxièmement, un échange régulier d'informations stratégiques servant à mettre en place une police des prix et, troisièmement, des mesures de dénaturation obligatoires. Au surplus, la question centrale de l'articulation entre les règles de la PAC et du droit de la concurrence, qui a donné lieu à des développements substantiels dans le rapport établi par la rapporteure désignée par l'Autorité et a justifié un renvoi préjudiciel de la Cour de cassation à la Cour de justice, a accru l'ampleur et la complexité de l'affaire.

119. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la durée de la procédure devant l'Autorité présente un caractère raisonnable.

120. À titre surabondant et en tout état de cause, les entités concernées n'établissent pas concrètement et précisément en quoi la durée de la procédure aurait porté une atteinte personnelle, effective et irrémédiable à leur droit de se défendre.

121. En effet, tout d'abord, elles se bornent à faire valoir que le changement de plusieurs responsables travaillant dans ces entités à la date des faits empêche le recueil d'éléments de preuve à décharge, sans indiquer l'identité de ces personnes, ainsi que la date de leur départ, et sans expliquer en quoi leur départ serait de nature à rendre impossible leur témoignage, ni en quoi leur témoignage serait nécessaire ou utile pour les besoins de leur défense (voir, en ce sens, notamment, arrêt de la CJUE du 21 septembre 2006, affaire NVG, C-105/04, points 55 à 61, invoqué par le Celfnord, l'APEF et l'Autorité).

122. Au demeurant, il ressort du dossier que de nombreux responsables à la date des faits ont été entendus par les agents de la DGCCRF ou par la rapporteure auprès de l'Autorité : le directeur du Celfnord et de la SNE (cotes 96 et 1770), le président de la section régionale endives (ci-après « SRE ») du Celfnord également président de la coopérative Endives du Valois, laquelle est membre de l'OP Valois-Fruits, rattachée à la société Groupe Perle du Nord (cotes 96 et 1930), le gérant, ainsi qu'un cadre administratif de la société Fraileg (cotes 97, 4792 et 5813), le président et co-gérant de la société Prim'Santerre (cotes 97 et 4665), le président de la société Marché de Phalempin (cotes 97 et 4397), le président de la société Primacoop (cotes 97 et 4517), le responsable du « marketing » de la société Groupe Perle du Nord (cotes 97 et 4240), le gérant de l'APEF (cotes 97 et 5775), le président de l'APVE (cotes 97 et 4364), le président de la FCE (cotes 97 et 4227), l'animateur de la FCE (cotes 97 et 4185), le président de la FNPE (cotes 96, 4175 et 5796), ainsi que son directeur (cotes 96 et 4143).

123. En outre, comme l'a rappelé à juste titre l'Autorité dans ses observations, il résulte d'une jurisprudence constante qu'il incombe à tout opérateur économique, au titre de son devoir général de prudence et de vigilance, de veiller à la conservation de ses livres et archives comme de tous éléments permettant de retracer son activité, afin de disposer des preuves nécessaires pour pouvoir se défendre dans l'hypothèse d'actions judiciaires ou administratives. Ces mesures de prudence et de vigilance s'imposaient d'autant plus à l'égard du Celfnord et de la SNE que le directeur du Celfnord a été entendu par les agents de la DGCCRF dès le 22 novembre 2000 (cote 96) et que, le 10 janvier 2001, le directeur régional de la DGCCRF de Lille a invité ce dernier, ainsi que le président du SNE, à une réunion afin de s'assurer que certaines initiatives, telles que la gestion des promotions et le dispositif Infocl@r n'étaient pas contraires au droit de la concurrence, étant précisé qu'à l'occasion de cette réunion, qui s'est tenue le 30 janvier 2001, il a été rappelé l'interdiction de toute police des prix, et qu'en mai 2001, le directeur général de la DGCCRF a adressé au président du Celfnord un courrier attirant son attention sur les difficultés juridiques posées par les pratiques relatives à la « cellule de coordination inter-OP de gestion des promotions » (rapport d'enquête de la DGCCRF, pages 86 et 83).

124. Il ne saurait être valablement tiré argument du volume des documents qu'il aurait été nécessaire de conserver. En effet, comme le relève à juste titre l'Autorité dans ses observations, de nombreux documents relatifs à la période préalable à sa saisine ont été versés au dossier tant par le services de l'instruction que par les parties. De même, il ressort du dossier (cotes 114 à 7537) que, lors des opérations de visites et saisies effectuées par les agents de la DGCCRF, le 12 avril 2007, de nombreux documents ont été recueillis, portant sur plusieurs années auparavant, certains d'entre eux concernant la fin des années 90 et le début des années 2000 (par exemple, tonnages contrôlés en 96/97, compte-rendu de la réunion du « séminaire endives » de mai 2000, rapport d'activité de la SNE pour la même année, compte-rendu de « réunions transnationales endives » d'avril 2001, rapport des vente Infocl@r d'octobre de la même année). C'est ce que confirme le rapport de la rapporteure désignée par l'Autorité (paragraphe 51) : il est relevé que les calendriers de prix minimum pour les campagnes 1995 à 1998 ont tous été trouvés lors des opérations de visites et saisies dans les locaux du Celfnord, de l'APEF et de la SNE et, par conséquent, ont été conservés pendant plus de quinze années par ces organismes. Si les entités en cause allèguent que d'autres documents complémentaires auraient été utiles pour les besoins de leur défense, elles ne précisent pas la nature de ces documents et n'expliquent pas pourquoi ces documents n'ont pas pu être conservés à l'instar de ceux qui ont été saisis.

125. Il s'ensuit que le moyen pris de la violation du droit à être jugé dans un délai raisonnable doit être rejeté.

B. Sur le moyen pris de l'imprécision du grief notifié

126. Les sociétés Fraileg et Prim'Santerre soutiennent que la notification du grief qui leur a été adressée n'est pas suffisamment précise pour les besoins de leur défense, faute d'indiquer, en particulier, en quelle qualité les faits allégués leur sont reprochés (en tant que sociétés indépendantes ou en tant que membres d'une entité également en cause).

127. L'Autorité répond que, comme la décision attaquée l'a expliqué, la notification du grief est suffisamment précise. Elle rappelle que ces sociétés y sont expressément visées en qualité d'organisation de producteurs et observe que le fait qu'elles aient pu participer à l'infraction en une autre qualité est sans incidence sur la clarté du grief notifié.

128. Le ministre chargé de l'économie renvoie également à la motivation de la décision attaquée sur ce point et considère que ce moyen tend en réalité à contester la décision sur le fond.

Sur ce, la Cour,

129. La notification des griefs doit être suffisamment claire et précise pour permettre à son destinataire de savoir ce qui lui est reproché afin d'exercer utilement sa défense.

130. En l'espèce, c'est à juste titre que l'Autorité, dans la décision attaquée, par des motifs que la Cour fait siens (paragraphes 323 à 326), a retenu que la notification du grief, de quatre-vingt deux pages, était suffisamment précise quant à la matérialité des faits reprochés, aux éléments de preuve avancés, à la qualification juridique envisagée (entente complexe et continue), et à la qualité en laquelle les sociétés Fraileg et Prim'Santerre étaient mises en cause, à savoir en tant qu'organisation de producteurs ayant participé aux réunions organisées par la SRE du Celfnord, à l'échange d'informations confidentielles dans le cadre d'Infocl@r, aux divers accords sur les prix, ainsi qu'aux conventions de gestion de l'offre.

131. D'ailleurs, il ressort des observations des sociétés Fraileg et Prim'Santerre en réponse à la notification du grief (page 14) que c'est bien en tant qu'OP, membre d'une entité (Celfnord puis APEF), et non en tant que sociétés indépendantes, qu'elles ont compris avoir été mises en cause.

132. Par ailleurs, elles ne sauraient valablement tirer argument de ce que la notification du grief se fonderait sur une interprétation du droit applicable méconnaissant l'existence de dérogations spécifiques au droit de la concurrence pour soutenir que ladite notification serait imprécise, cet argument, qui soulève une question de fond, étant sans incidence sur la régularité de celle-ci.

133. Il s'ensuit que le moyen pris de l'imprécision de la notification de grief doit être rejeté.

C. Sur le moyen pris de la violation des principes de la contradiction et de l'égalité des armes

134. Le Celfnord, l'APEF, l'Union des endiviers, les sociétés Fraileg et Prim'Santerre, ainsi que les sociétés Groupe Perle du Nord, CAP'Endives, Sipema, Phalempin, Natur'Coop (anciennement France Endives), et M. Bellet (en sa qualité de mandataire ad'hoc de Valois-Fruits), (ci-après « la société Groupe Perle du Nord et les sociétés CAP'Endives et autres ») soutiennent que l'Autorité a violé le principe de la contradiction en se fondant, dans la décision attaquée, sur plusieurs arrêts, émanant de la Cour de cassation ou des juridictions de l'Union, prononcés après la séance tenue devant l'Autorité, laquelle a marqué la fin de l'instruction, ce qui aurait privé ces entités d'en débattre contradictoirement.

135. L'Union des endiviers ajoute qu'une violation supplémentaire des principes de la contradiction et de l'égalité des armes découle de la mention, dans la décision attaquée, du changement de dénomination sociale de la FNPE (devenue l'Union des endiviers), alors qu'il s'agit d'un fait extérieur aux débats, intervenu après la fin de l'instruction.

136. En réponse, l'Autorité fait valoir que les arrêts mentionnés se limitent à reprendre fidèlement une jurisprudence constante, de sorte que la référence à ceux-ci ne saurait constituer des « moyens » ou des « motifs » de droit nouveaux. De même, la décision attaquée s'étant limitée à prendre acte d'un changement de dénomination sociale, cet élément objectif ne saurait faire l'objet de débats.

137. Le ministre chargé de l'économie développe des observations comparables.

Sur ce, la Cour,

138. Le principe de la contradiction, applicable à la procédure devant l'Autorité, interdit à celle-ci de fonder sa décision sur d'autres éléments de fait et de droit que ceux figurant au dossier auquel les parties ont pu avoir accès.

139. En l'espèce, les arrêts qu'il est reproché à l'Autorité d'avoir mentionnés dans la décision attaquée, parmi de nombreux autres auxquels il est fait référence, se bornent à apporter une récente illustration d'une jurisprudence constante sur des notions habituelles en droit de la concurrence, à savoir, la notion d'affectation du commerce entre les États membres, celle d'entente complexe et continue et celle de restriction par objet, à distinguer de celle de restriction par effet, ce qu'au demeurant, les entités en cause ne contestent pas.

140. La circonstance que la décision attaquée les ait mentionnés ne peut donc caractériser une violation du principe de la contradiction.

141. Par ailleurs, l'Autorité s'étant bornée dans la décision attaquée à prendre acte d'un changement de dénomination sociale, lequel n'a eu aucune incidence sur la situation juridique de l'entité en cause et sa qualité de partie, ce qui n'est au demeurant pas allégué par cette dernière, il est vain de soutenir que, par ce simple constat, l'Autorité a violé le principe de la contradiction.

142. Dès lors, il convient de rejeter le moyen pris de la violation du principe de la contradiction.

D. Sur le moyen pris de la violation du secret du délibéré

143. Le Celfnord, l'APEF, l'Union des endiviers, les sociétés Fraileg et Prim'Santerre, la société Groupe Perle du Nord et les sociétés CAP'Endives et autres soutiennent que l'Autorité a violé le secret du délibéré à plusieurs titres, d'une part, en diffusant un communiqué de presse relatif à la décision attaquée avant la publication de celle-ci et, d'autre part, en informant par avance la presse du contenu de celle-ci.

144. À cet égard, il est observé que le communiqué de presse relatif à la décision attaquée, mis en ligne sur le site de l'Autorité, porte la date du 5 mars 2012, soit la veille du prononcé de la décision attaquée. Il est ajouté que le document produit par l'Autorité pour démontrer que ce communiqué n'a été diffusé que le 6 mars révèle que le contenu de la décision attaquée a été transmis au service de presse de l'Autorité la veille au soir en vue de rédiger celui-ci, ce qui porterait également atteinte au secret du délibéré. Enfin, il est constaté que plusieurs articles de presse commentant la décision attaquée ont été publiés (dans « Le Monde », « Le Parisien », et « Le Figaro »), le jour même de son prononcé, peu de temps après le moment auquel aurait eu lieu, selon l'Autorité, la première consultation externe de son communiqué de presse. Il en est déduit, vu le temps nécessaire pour la rédaction, la mise sous presse et la distribution, que ces articles ont nécessairement été rédigés avant la diffusion du communiqué de presse, ce qui implique que le journaliste à l'origine du premier article publié ait eu connaissance, pour le rédiger, du contenu de la décision attaquée avant que celle-ci ne soit officiellement rendue publique.

145. En réponse, l'Autorité fait valoir que la date du 5 mars 2012 a été mentionnée par erreur dans son communiqué de presse et précise, élément de preuve à l'appui, que celui-ci n'a été mis en ligne que le lendemain matin, à 10 heures, soit après la notification de la décision attaquée aux parties. Elle soutient qu'aucune violation du secret du délibéré ne saurait résulter du fait que certains services internes, chargés de la notification de la décision ou de sa diffusion, aient pu en prendre connaissance quelques heures avant ses destinataires. Elle avance qu'il est possible que le journaliste ayant rédigé le premier article publié le 6 mars (en ligne à 11H04) ait eu connaissance de la décision attaquée avant le premier accès extérieur au communiqué de presse en ligne (enregistré à 11h02), les destinataires de la décision étant en possession de celle-ci dès 10 heures et ayant pu librement diffuser le document ou son contenu.

146. Le ministre chargé de l'économie constate que le premier article publié (dans « Le Monde ») utilise le conditionnel quant à l'entente, sa durée et ses participants. Il en déduit, en se prévalant en ce sens d'un arrêt de la Cour de cassation (Com., 29 juin 2007, Bouygues Telecom, pourvoi n° 07-10. 303, Bull. n° 181), qu'un doute subsiste sur la preuve d'une violation du secret du délibéré.

Sur ce, la Cour,

147. Les délibérations du collège de l'Autorité de la concurrence sont couvertes par le secret du délibéré, ce qui fait obstacle à la diffusion d'informations sur la décision qui en est issue avant que celle-ci ne soit communiquée aux parties.

148. En l'espèce, il est constant que l'Autorité a diffusé sur son site internet un communiqué de presse, concernant la décision attaquée, intitulé « 6 mars 2012 : secteur de la production et de la commercialisation des endives », et que la capture d'écran de ce communiqué de presse comporte en bas de page la mention « copyright, Autorité de la concurrence, 5 mars 2012 ».

149. Toutefois, il résulte des explications circonstanciées données par l'Autorité (jointes en annexe 1 de ses observations écrites) que cette date du 5 mars ne correspond pas à la date de mise en ligne dudit communiqué, mais à celle de la création de ce document dans l'outil d'administration du site et, que les « logs » du service internet de l'Autorité confirment que ce communiqué n'a été consulté pour la première fois que le 6 mars, à 10h58 mn en interne (depuis un poste de l'Autorité) et à 11h01 en externe.

150. Contrairement à ce que suggèrent les entités, ces explications de l'Autorité ne sont pas inconciliables avec le bref laps de temps qui s'est écoulé entre, d'une part, l'heure de cette première consultation externe du communiqué de presse (à 11h01) et, d'autre part, celle de la mise en ligne (à 11h04) puis de la publication sur support papier (vers 13h) de l'article du journal « Le Monde » faisant état de la décision attaquée, comme celle de la mise en ligne (à 11h10) des articles correspondants dans le « Le Figaro » et « Le Parisien ».

151. En effet, il est constant que cette décision a été communiquée aux conseils des parties, par voie électronique, le 6 mars, à 10h02, de sorte qu'à compter de cet instant, celle-ci n'était plus couverte par le secret du délibéré et que les journalistes concernés ont donc pu en être informés ou en obtenir une copie, avant la diffusion du communiqué de presse et rédiger leur article, sans que cette situation ne soit susceptible de caractériser une quelconque violation du secret du délibéré.

152. Au demeurant, à titre surabondant, la Cour relève que la décision comporte un résumé de celle-ci (figurant en ses pages 135 à 137), dont la publication a été ordonnée par l'Autorité (dans certains journaux et aux frais des entités en cause), et que le contenu de ce résumé a été intégralement repris dans le communiqué de presse de l'Autorité, de sorte que les informations contenues dans ce communiqué étaient déjà connues des parties avant la diffusion de celui-ci, dès la communication de la décision dont elles ont été destinaires. Il ne saurait donc être déduit du bref laps de temps s'étant écoulé entre la première consultation externe du communiqué de presse et la mise en ligne des articles de presse une violation du secret du délibéré.

153. Dans ces circonstances, il n'est pas établi que la diffusion du communiqué de presse de l'Autorité, ainsi que la publication des articles considérés dans « Le Monde », « Le Figaro » et « Le Parisien » procèdent d'une violation du secret du délibéré.

154. Enfin, c'est en vain qu'il est reproché à l'Autorité d'avoir transmis à son service de presse des éléments sur la décision attaquée la veille au soir de son prononcé, en vue de la diffusion du communiqué de presse le lendemain matin (une fois la décision communiquée aux parties), cette pratique n'étant pas, en elle-même, constitutive d'une violation du secret du délibéré, dès lors que la transmission de ces informations demeure interne à l'Autorité.

155. Il convient donc de rejeter le moyen pris de la violation du secret du délibéré.

IV. SUR L'APPLICABILITÉ DES RÈGLES DE CONCURRENCE AUX PRATIQUES EN CAUSE

156. Comme cela a déjà été indiqué aux paragraphes 92 à 97 du présent arrêt, il résulte de l'arrêt de la Cour de justice rendu dans la présente affaire que, pour déterminer si l'article 101, paragraphe 1, du TFUE, est applicable à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des fruits et légumes, il importe d'examiner, en premier lieu, le statut des entités en cause et, en second lieu, la matérialité, le périmètre et, le cas échéant, la portée desdites pratiques. Contrairement à ce que soutiennent la société Groupe Perle du Nord et les sociétés CAP'Endives et autres, la circonstance qu'en l'espèce la notification de grief comporte un grief unique visant l'ensemble des entités en cause, sans distinction selon leur statut respectif, ne s'oppose pas à ce que la Cour examine séparément chacune des pratiques reprochées à ces différentes entités, conformément aux exigences de l'arrêt précité.

A. Sur le statut des entités en cause

157. À l'exception de l'Union des endiviers (anciennement dénommée FNPE), toutes les entités en cause qui demeurent partie sà la procédure revendiquent le statut d'OP ou d'AOP : le Celfnord, l'APEF, les sociétés Groupe Perle du Bord, CAP'Endives et autres, aini que les sociétés Fraileg et Prim'Santerre.

158. L'Autorité fait valoir :

- que le Celfnord, la Cérafel et l'APEF constituent des AOP ;

- que la SRE du Celfnord, la FCE et l'APVE sont des associations professionnelles non reconnues par l'État ;

- que la FNPE (devenue l'Union des endiviers) est un syndicat agricole ;

- que les sociétés CAP'Endives et autres, ainsi que les sociétés Fraileg et Prim'Santerre sont des OP.

Sur ce, la Cour,

159. Comme cela a déjà été indiqué aux paragraphes 89 et suivants du présent arrêt, il résulte de l'arrêt de la Cour de justice rendu dans la présente affaire que, dans le secteur des fruits et légumes, des pratiques qui portent sur la fixation collective de prix minima de vente, sur une concertation relative aux quantités mises sur le marché ou sur des échanges d'informations stratégiques, ne peuvent être soustraites à l'interdiction des ententes prévue à l'article 101, paragraphe 1, TFUE et sont donc soumises aux règles de concurrence, lorsqu'elles sont convenues entre différentes OP ou AOP, ainsi qu'avec des entités non reconnues par un État membre aux fins de la réalisation d'un objectif défini par le législateur de l'Union européenne dans le cadre de l'OCM concerné, telles que des organisations professionnelles ne disposant pas du statut d'OP, d'AOP ou d'OI au sens de la réglementation de l'Union.

160. Afin de tirer les conséquences de cette jurisprudence, la présente Cour a invité les entités en cause qui demeurent parties à la procédure à produire avant l'audience, s'ils existent, les arrêtés ministériels de reconnaissance de la qualité d'OP, d'AOP ou d'OI, poendant la période litigieuse (de janvier 1998 à mars 2012). Plusieurs arrêtés ont été produits. Ceux-ci concernent seulement une partie, et non la totalité, des entités en cause.

161. Il en ressort qu'il convient de classer lesdites entités en trois catégories :

- premièrement, celles reconnues comme OP ;

- deuxièmement, celles reconnues comme AOP ou comme assimilées à une AOP ;

- troisièmement, celles non reconnues, ni comme OP, ni comme AOP, ni comme OI.

1. Les entités reconnues comme OP

162. Il résulte des arrêtés ministériels du 30 octobre 1997 portant reconnaissance des organisations de producteurs (publiés au JORF n° 301 du 28 décembre 1997), que ces arrêtés ont reconnu en qualité d'OP les entités suivantes :

- l'Union de coopératives agricoles Valois-Fruits (pour les pommes, les poires et les endives, dans la circonscription Nord-Ouest) ;

- la société Fraileg (pour la catégorie des légumes, dans la circonscription Nord-Ouest et Est) ;

- la société Marché de Phalempin (pour certains fruits et les légumes destinés au marché du frais, dans la circonscription Nord-Ouest et Est) ;

- la société Cap'Endives (pour la catégorie des légumes, dans la circonscription Nord-Ouest et Est) ;

- la société du Marais audomarois, dite Sipema (pour la catégorie des légumes, dans la circonscription Nord-Ouest et Est) ;

- la société Prim'Santerre (pour la catégorie des légumes, dans la circonscription Nord-Ouest et Est) ;

- la société Primacoop (pour la catégorie des légumes, dans la circonscription Nord-Ouest et Est).

163. Aux termes de ces arrêtés, la reconnaissance de chacune de ces entités a pris effet, de manière rétroactive, à compter du 30 juin 1997.

164. La reconnaissance de la société Marché de Phalempin en tant qu'OP, notamment dans le secteur des endives destinées au marché du frais, se trouve confirmée par un arrêté ministériel du 22 juin 2000 portant reconnaissance d'une organisation de producteurs (JORF n° 277 du 30 novembre 2000). La portée de cette reconnaissance est d'ailleurs étendue à l'ensemble de la catégorie des fruits et légumes.

165. Ces arrêtés ne faisant l'objet d'aucune contestation quant à leur légalité et leur retrait n'étant pas allégué, il y a lieu de considérer toutes les entités qui y sont désignées comme ayant la qualité d'OP dans le secteur concerné par la présente affaire, et ce à compter du 30 juin 1997, sans qu'il soit besoin de vérifier si chacune de ces entités remplissait effectivement toutes les conditions requises pour leur reconnaissance (conditions énumérées au paragraphe 67 du présent arrêt).

166. En outre, il résulte d'un arrêté ministériel, également pris le 22 juin 2000 (JORF n° 277 du 30 novembre 2000) que celui-ci porte reconnaissance de la société coopérative agricole France Endives (devenue Natur'Coop) en qualité d'OP, dans le secteur des fruits et légumes et dans la circonscription du Nord-Ouest et Est (s'agissant de la catégorie des légumes). En l'absence de dispositions contraires, cette reconnaissance a pris effet le lendemain de la publication dudit arrêté au JORF, soit le 1er décembre 2000, c'est-à-dire exactement un an après le début d'exploitation de la société France Endives, celle-ci remontant, selon la décision attaquée (paragraphe 57, ce qui n'est pas remis en cause), au 1er décembre 1999.

167. La validité de cet arrêté n'étant pas non plus contestée, ni son retrait allégué, il y a lieu de retenir que la société France Endives disposait de la qualité d'OP dans le secteur concerné par la présente affaire, et ce à compter du 1er décembre 2000.

168. Il s'ensuit que c'est à juste titre que l'Autorité, dans la décision attaquée (paragraphe 26), a retenu que chacune des entités en cause constituait une OP dans le secteur des endives

169. Bien que les sociétés Nord Alliance et Soleil du Nord ne soient plus parties à la procédure, la première n'ayant pas formé de recours contre la décision attaquée et la seconde n'ayant pas saisi la Cour en tant que juridiction de renvoi, la Cour relève, dans le même sens que la décision attaquée (paragraphe 26), qu'il s'agit également d'OP reconnues.

170. S'agissant de Nord Alliance, il n'est pas contesté qu'elle a été créée en décembre 1999 et a été reconnue comme OP, principalement pour le secteur des endives et des choux-fleurs, dans le département du Nord. Elle n'a perdu cette qualité que juste après la décision attaquée. En effet, elle a fait l'objet d'un arrêté, du 3 avril 2012, portant retrait de la reconnaissance en qualité d'organisation de producteurs de fruits et légumes (JORF n° 101 du 28 avril 2012), en raison de sa dissolution amiable et de sa mise en liquidation.

171. Quant à la société Soleil du Nord, elle a été reconnue en qualité d'OP (pour la catégorie des légumes, dans la circonscription Nord-Ouest et Est) par les arrêtés ministériels du 30 octobre 1997, précités.

172. Il est constant que toutes ces OP étaient membres du Celfnord avant de rejoindre l'APEF.

2. Les entités reconnues comme AOP ou assimilées

173. À titre liminaire, la Cour précise que l'enjeu de la qualification d'une entité comme étant une AOP reconnue ou assimilée est tout aussi important que celui attaché à la qualification d'OP reconnue. Cette qualification, d'OP ou d'AOP, est nécessaire et suffisante pour déterminer si l'entité concernée est habilitée, conformément à la réglementation de l'OCM du secteur des fruits et légumes, à poursuivre un ou plusieurs des objectifs de cet OCM.

174. En effet, contrairement à ce que suggère l'Autorité dans ses observations écrites (paragraphe 80), en faisant référence aux conclusions de l'avocat général à la Cour de justice désigné dans la présente affaire (point 95), et comme le soutiennent à juste titre le Celfnord et l'APEF (page z de leur note préliminaire et complémentaire), la poursuite des objectifs de l'OCM du secteur des fruits et légumes n'est pas réservée aux seules entités chargées de la commercialisation des produits. S'il existe en droit français une distinction entre les AOP dites « de commercialisation », qui en sont chargées afin de regrouper l'offre, et celles dites « de gouvernance », destinées à jouer un rôle de pilotage national, par produit ou groupe de produits, afin de mieux ajuster l'offre à la demande, de renforcer la position des producteurs et d'optimiser les actions de prévention et de gestion des crises, cette distinction, qui n'existe pas en droit de l'Union, ni semble-t-il dans d'autres États membres (voir l'avis n° 08-A-07 du 7 mai 2008, du Conseil de la concurrence, relatif à l'organisation économique de la filière fruits et légumes, paragraphe 35), est dépourvue d'incidence sur le point de savoir si une entité est habilitée, conformément à la réglementation de l'OCM du secteur des fruits et légumes, à poursuivre un ou plusieurs des objectifs dudit OCM. C'est ce qui résulte de l'arrêt rendu par la Cour de justice dans la présente affaire.

175. En effet, aux points 51 et 52 de son arrêt, la Cour de justice a rappelé, d'une part, que « les OP et les AOP constituent les éléments de base assurant, à leur niveau, le fonctionnement décentralisé des OCM » et, d'autre part, que, selon la réglementation de l'OCM concernée, « les États membres reconnaissent les OP ou les AOP qui, notamment, ont précisément en charge l'un des objectifs définis par le législateur de l'Union et énumérés [par ladite réglementation] » (souligné par la Cour).

176. Dès lors, il suffit qu'une entité soit chargée de l'un de ces objectifs pour être éligible à la reconnaissance en qualité d'AOP, sous réserve de remplir les autres conditions requises (voir paragraphes 25, 26, 61, 66 et 69 du présent arrêt). Or, la circonstance qu'une entité ne soit pas chargée de la commercialisation de la production n'affecte pas sa capacité à poursuivre un ou plusieurs de ces autres objectifs. Il s'ensuit qu'à l'instar d'une AOP dite de commercialisation, une AOP dite de gouvernance a vocation à poursuivre l'un ou plusieurs objectifs de l'OCM du secteur des fruits et légumes et, partant, à assurer, à son niveau, le fonctionnement décentralisé de celle-ci. Par conséquent, la circonstance qu'une AOP soit de gouvernance, et non de commercialisation, est inopérante pour déterminer si des pratiques mises en oeuvre par celle-ci relèvent ou non du champ d'application de l'article 101, paragraphe 1, du TFUE, portant interdiction des ententes.

177. Ces précisions liminaires étant apportées, il convient à présent de vérifier si les entités en cause qui se réclament de la qualité d'AOP et sont considérées comme telles par l'Autorité présentent effectivement cette qualité.

a) Le Celfnord : un comité économique agricole agréé (bassin du Nord)

178. Il est constant que le Celfnord a été créé en 1967, en tant que syndicat professionnel, puis a été agréé par un arrêté ministériel du 30 juin 1998 (JORF n° 187 du 14 août 1998), en qualité de comité économique agricole. Cet agrément vaut pour le secteur des fruits et légumes dans une circonscription recouvrant plusieurs départements (Aisne, Nord, Oise, Pas-de-Calais, Somme et Seine-Maritime).

179. Or, comme cela a déjà été indiqué au paragraphe 72 du présent arrêt, les comités économiques agricoles agréés sont assimilables à des AOP reconnues, de sorte que le Celfnord, une fois agréé en qualité de comité économique agricole, doit être regardé comme une AOP reconnue.

180. Les statuts du Celfnord, versés aux débats, confirment que les objectifs qui lui sont confiés, en tant que comité économique agricole agréé, correspondent à ceux poursuivis par une AOP reconnue, plus précisément par une AOP de gouvernance.

181. Le Celfnord soutient avoir acquis, avant même l'adoption de l'arrêté ministériel du 30 juin 1998, précité, la qualité de comité économique agricole. Il se prévaut en ce sens d'une liste d'arrêtés ministériels, antérieurs à 1998, portant extension des règles édictées par le comité économique agricole du Nord de la France (soit, précisément, le Comité économique fruits et légumes du Nord de la France, dit Celfnord), notamment dans le secteur des endives. Toutefois, il ne résulte pas clairement de ces arrêtés que le Celfnord était déjà agréé, avant juin 1998, en tant que comité économique agricole. En effet, si ces arrêtés désignent le Celfnord comme étant un comité économique agricole, ils ne mentionnent nullement l'existence d'un agrément préalable à ce titre. D'ailleurs, l'article L.554-1 du code rural, précité, dans sa rédaction en vigueur au 30 septembre 1990, ne réservait pas la procédure d'extension des règles aux comités économiques agricoles agréés, mais à ceux « justifiant d'une expérience suffisante de certaines disciplines », ce qui n'est pas totalement équivalent, la satisfaction de cette condition pouvant résulter d'un agrément en tant que comité économique agricole, mais ne l'exigeant pas néanmoins, ni formellement, ni systématiquement.

182. La qualité du Cefnord en tant que comité économique agréé n'est donc établie qu'à compter du 15 août 1998, soit le lendemain de la publication de l'arrêté portant agrément de celui-ci. Par conséquent, sa qualité d'entité assimilée à une AOP reconnue n'est également établie qu'à compter de cette date.

183. Il ressort de la décision attaquée (paragraphe 38) et du dernier mémoire du Celfnord et de l'APEF (paragraphe 10), que l'activité de celui-ci a fortement décru à la suite de l'adoption de l'ordonnance du 6 mai 2010, précitée. En effet, le règlement OCM unique de 2007, dont cette ordonnance a tiré les conséquences, a renforcé le rôle des AOP, ce qui a conduit à l'abandon des comités économiques agricoles, structurés par région et par secteur de produits, au profit des AOP, de dimension nationale et organisées par produit. Il résulte de la décision du délégué du premier président, du 26 juin 2012, précitée, ayant sursis à l'exécution d'une partie de la décision de l'Autorité, que le Celfnord s'est vu retirer son agrément, sans précision sur la date de ce retrait.

184. En l'état des pièces figurant au dossier, la Cour retient donc que la qualité du Celfnord en tant qu'entité assimilée à une AOP reconnue est établie à compter du 15 août 1998, et ce au moins jusqu'au 6 mai 2010.

b) Le Cérafel : un comité économique agricole agréé puis une AOP reconnue (bassin de la Bretagne)

185. Créé en 1965, le Cérafel a été agréé en qualité de comité économique agricole, dans le secteur des fruits et légumes, par un arrêté ministériel du 29 octobre 1998 (JORF n° 303 du 31 décembre 1998), dont la validité n'est pas contestée. Il y est mentionné que la circonscription territoriale de ce comité s'étend à plusieurs départements de la région Bretagne (Côtes-d'Armor, Finistère, Ille-et-Vilaine, Morbihan). Cet agrément a donné lieu ultérieurement, le 12 juillet 2001, à une déclaration en préfecture en tant que comité économique agricole (JORF associations, 4 août 2001, annonce n° 751).

186. Il s'ensuit que, comme cela vient d'être indiqué pour le Celfnord, le Cérafel a acquis, en tant que comité économique agricole agréé, une qualité équivalente à celle d'une AOP reconnue, et ce dès le lendemain de la publication de l'arrêté précité, soit le 1er janvier 1999.

187. Comme l'a relevé à juste titre l'Autorité, dans la décision attaquée (paragraphe 43), la qualité d'AOP, dans le secteur des fruits et légumes, lui a ensuite été formellement reconnue par un arrêté ministériel du 4 décembre 2008 (JORF n° 30 du 5 février 2009), dont la validité n'est pas non plus contestée. Il y est précisé que cette reconnaissance porte sur une zone constituée des départements sur lesquels ses OP membres opèrent, et ce pour une liste de produits comportant notamment les endives.

188. Il s'ensuit que la qualité du Cérafel en tant qu'entité reconnue est établie dès le 1er janvier 1990, soit le lendemain de la publication de l'arrêté portant agrément de celui-ci en tant que comité économique agricole.

c) La société Groupe Perle du Nord : une AOP reconnue en décembre 2008 (bassin du Nord)

189. Il est constant que la société (SAS) Groupe Perle du Nord a été créée le 1er juillet 2004 par six OP reconnues, déjà évoquées, qui sont également membres de l'APEF (les sociétés France Endives, Cap'Endives, Marché de Phalempin, Primacoop, Sipema et Valois-Fruits). L'objet de cette société, immatriculée le 5 août 2004, est de promouvoir la commercialisation des endives produites par ses membres sous une marque commune dénommée « Perle du Nord », à laquelle est associée le respect d'un cahier des charges spécifique destiné à garantir la qualité des produits.

190. Comme l'a relevé à juste titre l'Autorité, dans la décision attaquée (paragraphe 67), la société Groupe Perle du Nord a été reconnue en qualité d'AOP par un arrêté ministériel du 12 décembre 2008 (JORF n° 14 du 17 janvier 2009). Sa zone de reconnaissance est constituée des départements sur lesquels ses OP membres opèrent (à savoir dans le bassin du Nord).

191. En revanche, il n'est pas établi ni allégué que cette entité ait bénéficié dès sa création d'un statut équivalent à celui d'une AOP reconnue.

192. Il s'ensuit que la qualité de la société Groupe Perle du Nord en tant qu'AOP reconnue n'est établie qu'à compter du 18 janvier 2009, soit le lendemain de la publication de l'arrêté lui reconnaissant cette qualité.

d) L'APEF : une AOP reconnue en décembre 2008 (ensemble du territoire national)

193. Comme l'a indiqué à juste titre l'Autorité, dans la décision attaquée (paragraphes 39 et 40), l'APEF (pour mémoire, « l'association des producteurs d'endives de France ») a été constituée le 28 août 2008, en tant qu'association de producteurs d'endives, déclarée à la préfecture le 3 septembre suivant (JORF associations, 13 septembre 2008, annonce n° 877) et reconnue comme AOP par arrêté ministériel du 24 décembre de la même année (JORF n° 35 du 11 février 2009). Aux termes de cet arrêté, l'APEF est reconnue comme AOP sur l'ensemble du territoire national pour les endives et leurs produits dérivés. Il s'agit d'une AOP de gouvernance.

194. Il ressort de ses statuts, versés au dossier (annexe n° 58 du mémoire du Celfnord et de l'APEF), qu'elle est essentiellement composée d'OP reconnues, les producteurs indépendants pouvant en faire partie mais y jouant un moindre rôle. La liste des OP qui en sont membres n'est pas précisée, mais il constant qu'elle est constituée des neuf OP reconnues déjà citées, qui étaient auparavant membres du Celfnord, à savoir :

- l'Union de coopératives agricoles Valois-Fruits ;

- la société Fraileg ;

- la société Marché de Phalempin ;

- la société Cap'Endives ;

- la société du Marais audomarois, dite Sipema ;

- la société Prim'Santerre ;

- la société Primacoop ;

- la société Soleil du Nord ;

- la société coopérative agricole France Endives (devenue Natur'Coop).

195. La validité de l'arrêté du 12 décembre 2008, précité, n'étant pas contestée et le retrait de celui-ci n'étant pas allégué, la Cour retient que la qualité de l'APEF en tant qu'AOP reconnue est établie dès le 12 février 2009, soit le lendemain de la publication dudit arrêté.

3. Les entités non reconnues

a) La SNE

196. La SNE (pour mémoire, la Section Nationale Endives) est une association créée le 19 juin 1998, par le Celfnord, le Cérafel et la FNPE. Elle a été déclarée en préfecture le 13 août suivant (JORF associations, 19 septembre 1998, annonce n° 843).

197. Elle était hébergée par le Celfnord, en raison de l'importance du bassin de production du Nord de la France. D'ailleurs, le président et le directeur du Celfnord étaient, en même temps, président et directeur de la SNE.

198. Selon ses statuts, versés aux débats, son objet principal consistait à « renforcer la filière endives par la coordination des actions des sections régionales adhérentes [du Celfnord et du Cérafel] et des OP reconnues pour le produit concerné ».

199. Selon l'APEF, laquelle vient aux droits de la SNE, cette dernière a cessé toute activité depuis 2010.

200. Il a été précisé à l'audience que la SNE n'a jamais été reconnue comme AOP, ni d'ailleurs comme une OI, ce qui explique l'absence de production d'un quelconque arrêté ministériel de reconnaissance, en dépit de l'invitation adressée en ce sens par la Cour à l'ensemble des parties.

b) La FCE

201. La FCE (la Fédération du commerce de l'endive) est une association constituée le 9 décembre 2004 et déclarée à la préfecture le 26 janvier 2005. Elle regroupe les principaux acteurs du secteur de l'endive (OP, commerce de gros, expéditeurs, producteurs vendeurs).

202. Ses statuts, versés au dossier (cote 4194), définissent son objet comme consistant, notamment :

- à défendre les intérêts des entreprises exerçant le commerce d'expédition des endives ;

- représenter les entreprises exerçant le commerce d'expédition d'endives auprès des pouvoirs publics, et des organisations professionnelles concernées ;

- à organiser les échanges d'informations entre ses membres ;

- à concevoir et mettre en oeuvre, seule ou en concertation avec d'autres organisations, directement ou indirectement, toute action dont le but est de promouvoir le produit endive, de favoriser sa valorisation et le développement de ses ventes.

203. Selon l'APEF, laquelle vient aux droits de la FCE, cette dernière a cessé toute activité depuis 2011.

204. Il a été précisé à l'audience (également par l'APEF) que la FCE n'a jamais été reconnue comme AOP, ce qui explique, là aussi, l'absence de production d'un quelconque arrêté ministériel de reconnaissance, en dépit de l'invitation adressée en ce sens par la Cour à l'ensemble des parties. En outre, il est constant que la FCE n'a jamais été reconnue comme OI.

c) La FNPE (devenue l'Union des endiviers)

205. La FNPE est présentée par l'Union des endiviers comme un syndicat défendant les intérêts économiques et sociaux de la profession endivière et des producteurs qui la composent. Il est constant qu'elle ne bénéficie pas du statut d'OP, d'AOP ou d'OI. Il est également constant qu'elle était membre du Celfnord (entité assimilable à une AOP reconnue), ainsi que de la SNE (entité non reconnue).

d) L'APVE

206. L'APVE (pour mémoire, l'association des producteurs d'endives) n'est plus partie à la procédure, mais il est nécessaire de préciser son statut afin de déterminer si les pratiques en cause, auxquelles il lui est reproché d'avoir participé, peuvent relever du champ d'application des règles de concurrence. Chargée de représenter les intérêts des producteurs indépendants du bassin du Nord de la France, cette association, créée le 19 avril 1994, est considérée comme un syndicat par la décision attaquée (paragraphe 700). À l'instar de la FNPE, elle ne bénéficiait pas du statut d'OP, d'AOP ou d'OI, mais était néanmoins membre d'une entité assimilable à une AOP, à savoir le Celfnord.

207. Ces précisions sur le statut de chacune des entités en cause étant apportées, il convient à présent d'examiner la matérialité, le périmètre et, le cas échéant, la portée des pratiques reprochées afin de déterminer si ces dernières relèvent du droit européen de la concurrence ou seulement du droit de la PAC.

B. Sur la matérialité, le périmètre et la portée des pratiques en cause

208. Comme cela a déjà été indiqué au paragraphe 98 de la présente décision, il résulte de l'arrêt de la Cour de justice rendu dans la présente affaire que, pour déterminer si des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des fruits et légumes relèvent du champ d'application de l'article 101, paragraphe 1, du TFUE, interdisant les ententes, il importe d'examiner le périmètre des pratiques en cause, afin de rechercher si ces dernières revêtent un caractère purement interne à une OP ou à une AOP (dès lors que celles-ci sont reconnues) et, le cas échéant, lorsqu'il est établi que telle ou telle pratique revêt ce caractère, d'analyser la portée de celle-ci.

209. S'agissant du périmètre des pratiques en cause, il convient de rappeler (voir même paragraphe 98) que, dans l'arrêt précité, la Cour de justice a précisé que, si les objectifs confiés par la réglementation européenne aux OP et AOP, quant à la production et la commercialisation des produits provenant de leurs seuls membres, peuvent justifier certaines formes de coordination et de concertation, lorsque ces pratiques sont convenues entre membres d'une même OP ou d'une même AOP reconnue, il n'en va pas de même de celles adoptées, entre différentes OP ou AOP, a fortiori lorsque ces pratiques impliquent, au surplus, des entités non reconnues comme telles par un État membre, de telles pratiques excédant ainsi ce qui est nécessaire à l'accomplissement des missions confiées aux OP et AOP, ce qui exclut ipso facto la possibilité de les soustraire de la prohibition des ententes.

210. Invitée par la Cour à préciser le périmètre de chacune des pratiques en cause, l'Autorité a produit un tableau mentionnant, pour chaque pratique, les entités concernées, sur lequel les parties ont fait valoir leurs observations.

211. Il convient donc d'examiner successivement les différentes pratiques en cause.

1. Sur les pratiques d'échanges d'informations au moyen du système « Infocl@r »

212. Le Celfnord et l'APEF soutiennent que les pratiques d'échanges d'informations en cause étaient indispensables à la réalisation de leurs missions de programmation et d'adaptation de la production à la demande, ainsi que de régularisation des prix. Ces entités estiment qu'il n'est pas établi par l'Autorité que ces pratiques étaient allées au-delà du nécessaire. À cet égard, elles font valoir que le système Infocl@r, au moyen duquel les pratiques d'échanges d'informations en cause ont eu lieu, constitue un outil de connaissance rétrospective du marché, dont le principe a été admis par le pouvoir réglementaire (décret n° 2000-1053 du 24 octobre 2000 relatif à l'organisation économique dans le secteur des fruits et légumes, déjà évoqué au paragraphe 72 du présent arrêt) et dont la mise en oeuvre ne permet pas la diffusion des données en temps réel et ne porte pas atteinte à la confidentialité des données échangées, les opérateurs alimentant le système et le Celfnord l'administrant n'ayant accès qu'à des données agrégées. Selon elles, s'il est vrai que le Celfnord a exceptionnellement eu accès à des données nominatives, cet accès était nécessaire afin de détecter des anomalies émanant de telle ou telle OP (erreurs lors de la saisie des données dans le système Infocl@r ; absence ou défaut de transmission des données) et d'y remédier afin de garantir la qualité du service Infocl@r (sans mettre en place une prétendue police des prix).

213. La société groupe Perle du Nord et les sociétés CAP'Endives et autres font également valoir que le système Infocl@r ne fonctionnait pas en temps réel et ne diffusait pas de données stratégiques et/ou confidentielles. Elles en déduisent que les pratiques en cause ne sauraient être qualifiées d'échanges d'informations stratégiques et, partant, qu'il importe peu que ces échanges aient été étendus aux producteurs indépendants, au lieu de rester cantonnés aux producteurs membres des OP. Elles considèrent qu'en tout état de cause, quel que soit le périmètre des échanges, les pratiques en cause étaient proportionnées et répondaient effectivement aux conditions posées par la Cour de justice dans l'arrêt rendu dans la présente affaire.

214. Les sociétés Fraileg et Prim'Santerre font valoir que le système Infocl@r était indispensable pour réaliser les missions incombant aux OP et AOP et qu'il avait d'ailleurs été autorisé par voie du décret précité. Elles indiquent également que cet outil ne fonctionnait pas en temps réel, permettait de préserver la confidentialité des données et n'avait pas servi à mettre en place un contrôle des prix.

215. Le Cérafel fait valoir qu'il n'a jamais participé aux échanges relatifs à Infocl@r, qu'il n'a jamais utilisé ni Infocl@r, ni les données issues de ce système, lequel était propre aux organismes du Nord de la France.

216. L'Autorité rappelle que la Cour de justice, dans son arrêt rendu dans la présente affaire, n'a pas validé le système Infocl@r, mais simplement admis, d'une manière générale, que des pratiques d'échanges d'informations stratégiques peuvent, à certaines conditions, être proportionnées. Elle avance qu'il n'est pas exclu qu'un système d'échanges d'informations, tel que celui initialement prévu dans le cadre d'Infocl@r, aurait pu être proportionné au regard des missions dévolues aux OP ou AOP, à condition d'être mis en oeuvre au sein d'une seule et même OP ou AOP. Or, elle soutient que tel n'était pas le cas dans la mesure où, dès sa création, Infocl@r était accessible aux membres du Celfnord, lequel comprenait des organisations autres que des producteurs d'endives, et, par la suite, a été ouvert aux producteurs indépendants, puis aux opérateurs commerciaux, et enfin à tous les producteurs qui le souhaitaient à compter de 2006. Elle ajoute que s'il est vrai qu'Infocl@r a été validé, en son principe, par le décret précité, cela ne rend pas pour autant licite une utilisation du système à d'autres fins que celle assignée, en particulier en vue de conforter le bon fonctionnement d'une entente entre concurrents sur les prix.

217. Le ministre chargé de l'économie fait également valoir que le système Infocl@r était ouvert aux producteurs indépendants et ajoute que la société Groupe Perle du Nord avait, elle aussi, un accès privilégié aux informations communiquées.

Sur ce, la Cour,

218. Comme cela a déjà été indiqué au paragraphe 100 de la présente décision, au point 63 de l'arrêt rendu dans la présente affaire, la Cour de justice a précisé que les objectifs confiés aux OP et AOP, consistant à assurer la programmation de la production et son adaptation à la demande, à concentrer l'offre et à mettre sur le marché la production de ses membres, ainsi qu'à régulariser les prix à la production, impliquent nécessairement des échanges d'informations stratégiques entre les producteurs individuels membres de l'OP ou de l'AOP concernée, dans la mesure où ces échanges sont destinés, notamment, à connaître les caractéristiques de la production de ceux-ci. Au même point de cet arrêt, la Cour de justice a également précisé que de tels échanges, entre producteurs d'une même OP ou d'une même AOP, ne sont susceptibles d'être proportionnés que s'ils interviennent effectivement aux fins de l'objectif ou des objectifs assignés à cette OP ou à cette AOP et se limitent aux seules informations strictement nécessaires à la réalisation de ces objectifs.

219. En apportant ces précisions, la Cour de justice a explicité, pour les pratiques d'échanges d'informations stratégiques, ce qu'elle entendait, aux points 56 et suivants de son arrêt, par pratiques internes à une OP ou à une AOP. En effet, au point 63, précité, sont successivement visés des échanges d'informations stratégiques « entre les producteurs individuels membres de l'OP ou de l'AOP concernée » ou, autrement dit, « entre producteurs d'une même OP ou d'une même AOP ». Ces formules s'inscrivent dans la logique des principes retenus au point 57 de l'arrêt précité : « (…) les missions de programmation de la production, de concentration de l'offre et de mise sur le marché (…) et de régularisation des prix à la production, dont la charge peut être confiée à une OP ou à une AOP en vertu de la réglementation applicable à (…) [l'OCM] concernée, ne peuvent concerner que la production et la commercialisation des produits des seuls membres de l'OP ou de l'AOP concernée. Partant, elles ne peuvent justifier certaines formes de coordination ou de concertation qu'entre producteurs membres d'une même OP ou d'une même AOP reconnue par l'État ». Il s'ensuit que, pour être regardées comme internes à une OP ou AOP, des pratiques d'échanges d'informations stratégiques doivent être circonscrites à des échanges entre producteurs membres d'une même OP ou d'une même AOP et porter uniquement sur la production et la commercialisation de leurs propres produits.

220. En l'espèce, il convient donc d'examiner si tel est le cas des pratiques d'échanges d'informations en cause. Sont essentiellement en cause celles effectuées au moyen du système informatique dénommé Infocl@r.

221. Il est constant que ce système a été mis en place par le Celfnord en 1999 (décision du conseil d'administration du Celfnord du 11 mars et du 8 juin 1999), afin de disposer d'informations plus précises que celles fournies, d'une part, par le service des nouvelles des marchés (dit SNM), rattaché au ministère de l'agriculture et destiné à assurer la transparence des marchés agricoles et alimentaires par la connaissance des prix et l'analyse de la conjoncture, et, d'autre part, par le service communément appelé « flash SNM de 11h », propre au secteur endivier. En effet, ces deux services préexistants étaient considérés comme insuffisants, le premier, en partie payant, reposant sur des déclarations volontaires, de nature à relativiser la fiabilité des informations recueillies, le second se limitant à dresser une synthèse des intentions de vente ou d'achat des opérateurs en amont ou en aval, avant la réalisation de la majorité des transactions, sans refléter par conséquent l'état réel du marché. C'est dans ce contexte qu'a été mis en place le système Infocl@r administré successivement par le Celfnord puis l'APEF. A la différence des services préexistants, ce système repose sur des déclarations obligatoires (et non simplement volontaires), portant sur l'ensemble des ventes déjà réalisées par les OP (et non sur des intentions de transactions).

222. Selon le rapport général d'activité du Celfnord pour l'année 1999 (cote 2180), le serveur Infocl@r est destiné à gérer les informations sur les prix et les quantités « entre les OP et/ou leurs opérateurs commerciaux », ces derniers étant les bureaux commerciaux des OP.

223. La charte d'utilisation d'Infocl@r, approuvée par l'Assemblée générale du Celfnord du 27 juin 2001 (cote 7711), précise l'objectif poursuivi : « Le Celfnord a décidé de s'équiper d'un système d'échanges d'informations automatisé afin de doter les opérateurs d'un outil d'informations globales de connaissance du marché, d'aide à la décision commerciale, qui puisse leur permettre d'adapter leur stratégie d'entreprise dans le prolongement de celle définie collectivement. Ces opérations de collecte d'informations sur le marché ont pour objectif d'améliorer la connaissance de l'offre et d'éviter la formation de prix irrationnels fondés sur des rumeurs spéculatives, sa régulation et son adaptation à la demande (...). L'objectif est de centraliser les informations concernant les volumes des apports, des stocks et des ventes, ainsi que le prix logés départ des produits vendus au jour le jour ».

224. Ces documents décrivent l'organisation du système, tel qu'il a été conçu initialement. Il en résulte qu'après chaque vente, l'opérateur (l'OP ou son bureau commercial) doit, le jour même, dans les délais les plus proches de la vente (au plus tard avant minuit), saisir les données correspondantes sur un ordinateur dédié (dénommé « PC de communication ») en vue de se connecter au serveur. Ce serveur transmet automatiquement ces informations à la base de données Infocl@r, laquelle les récupère à intervalles réguliers. Il en va de même pour les données concernant les volumes des apports et des stocks, c'est-à-dire des volumes disponibles à la vente : ces données doivent être saisies en début et en fin de journée. L'ensemble de ces données est ultérieurement traité par le Celfnord au moyen d'outils statistiques, permettant de dresser une synthèse des enregistrements des données communiquées (synthèses du disponible à la vente et synthèses de la mise en marché). À l'issue, ces données sont transmises à l'ordinateur dédié en vue de les rendre accessibles, à certaines conditions, aux utilisateurs de l'outil Infocl@r, généralement dès le lendemain de la réalisation des ventes. La charte d'utilisation d'Infocl@r (de 2001) encadre l'accès à ces données afin de garantir l'anonymat et la confidentialité de celles-ci : si l'opérateur peut consulter les « statistiques de ses propres données (synthèses personnelles) », il ne peut en revanche consulter les autres statistiques qu'à la double condition que ces statistiques, d'une part, portent sur « des produits qu'il aura lui-même renseignés » et, d'autre part, constituent des « statistiques globales ou agrégées (non nominatives) ».

225. Un dispositif comparable a été prévu, fin 2004, pour les ventes d'endives de la variété Carmine (seules ou associées aux ventes d'endives génériques) : tous les opérateurs commerciaux agréés pour la première mise en marché d'endives Carmine doivent déclarer quotidiennement les volumes dont ils disposent à la vente, ainsi que la totalité des ventes effectuées (quantités, conditionnement, prix). Une « page Carmine » est spécialement ouverte à cet effet sur le serveur Infocl@r. En retour, il est prévu que ces opérateurs aient accès à l'information « sur la globalité des quantités offertes à la vente, sur les quantités globalement vendues, sur les prix moyens et mini – maxipar conditionnement », étant précisé qu'Infocl@r « peut également permettre à chaque opérateur d'informer les autres sur des besoins ou des disponibilités en produits » (cote 5495).

226. Il ressort du dossier qu'initialement destiné aux seuls OP membres du Celfnord et à leurs bureaux commerciaux et organisé de manière à assurer le caractère confidentiel des données échangées, le système Infocl@r a été élargi à d'autres acteurs et la confidentialité de celles-ci n'a pas été pleinement garantie.

227. S'agissant, en premier lieu, de la confidentialité des données échangées, il ressort du dossier que, contrairement à l'objectif de confidentialité poursuivi par la charte d'utilisation d'Infocl@r, le Celfnord a diffusé aux OP concernées une série de synthèses issues d'Infocl@r qui, présentées sous la forme de tableaux, indiquent, pour chaque OP, nommément désignée, le volume des ventes réalisées et/ou le prix minimum de production (prix dit « PMP »).

228. Ainsi, le 16 octobre 2001, soit à peine trois mois après l'adoption de la charte d'utilisation d'Infocl@r, le Celfnord a adressé à l'ensemble des OP du secteur endivier un rapport précisant, pour chaque OP nommément désignée, des ventes pour la semaine du 8 au 13 octobre 2001(cote 1536). D'autres rapports, également non anonymisés, portant sur « la part de volumes en Perle par rapport aux autres marques (hors catégorie 2) » (pour le 28 septembre 2005, cote 1574, et plusieurs jours consécutifs en janvier 2007, cote 1570), ainsi que sur « la part du volume Perle par rapport au total volume des OP Perle » (rapport concernant une journée de janvier 2007, cote 1569), ont été envoyés par le Celfnord à l'ensemble des OP Perle du Nord, c'est-à-dire les sociétés CAP'Endives et autres (télécopies du 29 septembre 2005 et du 31 janvier 2007). L'absence d'anonymisation des OP, à la source de chaque jeu distinct de données, se retrouve dans un autre tableau de synthèse concernant le tonnage d'endives mises en marché pendant la campagne 2004/2005 (cotes 655 et 656). Il en va de même des synthèses portant sur le volume des ventes réalisées et le prix PMP pendant les périodes du 1er septembre 2004 au 31 mai 2005 (cote 662), puis du 1er septembre 2005 au 31 mai 2006 (cote 660). Ces différentes synthèses, non anonymisées, ont été envoyées par le Celfnord aux différentes OP membres du Celfnord (télécopie du 31 mai 2006).

229. Ces pièces remettent en cause la thèse avancée par la société Groupe Perle du Nord et les sociétés CAP'Endives et autres, selon laquelle le système Infocl@r ne diffusait pas de données confidentielles et/ou stratégiques, mais uniquement des données agrégées et anonymisées. C'est donc en vain que ces sociétés se fondent sur le prétendu caractère non stratégique des données échangées pour en déduire que l'accès des producteurs indépendants à la base de données Infocl@r (ce qui sera constaté dans les paragraphes suivants) ne pose aucune difficulté, la Cour de justice, dans l'arrêt rendu dans la présente affaire, se limitant à faire référence aux échanges d'informations stratégiques.

230. S'agissant, en second lieu, du périmètre des échanges d'informations en cause, comme le rappelle l'Autorité dans ses observations (paragraphe 139), sans être contredite, les données enregistrées dans le système Infocl@r étaient accessibles, dès la création dudit système, aux membres du Celfnord, au rang desquelles figuraient, outre des OP reconnues, des entités non reconnues telles que l'APVE. Il s'ensuit que, dès l'origine, ces échanges d'informations stratégiques n'étaient pas circonscrits à des échanges entre producteurs membres d'une même OP ou d'une même AOP ou entité assimilée.

231. Par la suite, l'accès aux données transmises, par les OP membres du Celfnord et leurs bureaux commerciaux, a été ouvert aux producteurs indépendants (non adhérents aux OP membres du Celfnord) et finalement à l'ensemble des producteurs qui le souhaitent, ce qui a élargi le périmètre des échanges.

232. Cette décision a été prise, le 30 août 2006, à l'unanimité, lors de la réunion du conseil d'administration de la section régionale endives (SRE) du Celfnord, à laquelle ont participé notamment (outre certaines OP membres du Celfnord) le président et le directeur de la SNE, ainsi que des représentants de l'APVE, de la FNPE et de la FCE, c'est-à-dire des entités non reconnues ni comme OP, ni comme AOP ou OI (cote 1239 et suivantes).

233. Cette décision, adoptée de manière concertée en partie avec des entités non reconnues comme telles, a été suivie de lettres du président du Celfnord adressées par télécopie à l'ensemble des producteurs afin de les informer de l'envoi gratuit et quotidien, pendant tout le mois de septembre, des données contenues dans la base Infocl@r, portant sur les quantités et les prix des ventes effectuées par toutes les OP, ainsi que de la poursuite de ces envois, pendant toute la saison, à ceux qui le souhaitent (cotes 2263 et 2267).

234. L'accès des producteurs indépendants à ces données a été confirmé par le président et directeur de la société Primacoop (OP membre du Celfnord) lors de son audition le 27 août 2007 (cote 4516). D'ailleurs, dans leur mémoire, les sociétés CAP'Endives et autres, parmi lesquelles figure la société Primacoop, ne contestent pas l'analyse selon laquelle les données de la base Infocl@r n'ont pas été réservées aux OP, mais ont également été diffusées aux producteurs indépendants.

235. Le compte-rendu d'une réunion téléphonique du bureau de la PNPE du 7 août 2006 (cote 3793), qui s'est tenue peu avant la réunion de la SRE précitée, à laquelle a participé la FNPE, reflète l'objectif poursuivi :

« L'ensemble des participants s'accorde à dire que l'élément fondamental de la gestion du marché est la défense du prix minimum de production. Les OP et les principaux producteurs indépendants doivent s'engager à maintenir un prix quels que soient les moyens mis en oeuvre pour y parvenir (indemnisation des invendus ou non). M. A... pense qu'il sera délicat pour le Celfnord d'organiser des contrôles sans engagement écrit de chaque opérateur (l'opérateur Y ne signerait pas d'engagement selon M. A...). Afin de mieux contrôler les éventuels « dérapages », il est donc nécessaire d'instaurer une transparence totale sur les prix pratiqués :

- que tous les opérateurs importants du marché (OP ou indépendants) participent à Infocl@r ;

- que tous les producteurs disposent au jour le jour des prix moyens et des volumes de la veille pour permettre la définition d'un prix cohérent ».

236. Il résulte de cet élargissement de périmètre que le système Infocl@r ne s'est pas limité à des échanges de données entre les producteurs membres des OP faisant partie du Celfnord, qui porteraient exclusivement sur la production et la commercialisation de leurs propres produits, mais s'est étendu à des échanges entre l'ensemble des producteurs (y compris les producteurs indépendants) et par conséquent à des données portant sur la production et la commercialisation de l'ensemble de leurs produits (y compris de ceux issus de producteurs indépendants).

237. D'autres éléments caractérisent un élargissement du périmètre des échanges d'informations stratégiques, au profit, d'une part, de la société Groupe Perle du Nord et, d'autre part, de la FCE, dont la création de l'une et l'autre remonte à 2004 et qui sont toutes les deux mises en cause depuis 2005 (aux termes de la notification du grief).

238. Tout d'abord, s'agissant de la société Groupe Perle du Nord, il ressort du dossier que celle-ci bénéficiait d'un accès privilégié aux données d'Infocl@r, comme le démontre l'audition, le 4 septembre 2007, de son responsable et animateur marketing (cotes 4240 à 4242) :

« La SAS Groupe Perle du Nord a accès aux données Infocl@r indirectement, en demandant à l'informaticien du Celfnord de nous fournir des statistiques spécifiques à Perle du Nord. Infocl@r pour la marque Perle du Nord est notre seul outil statistique ».

239. À cette occasion, il est précisé que le prix des endives Perle du Nord est fixé quotidiennement par référence au prix moyen fourni par Infocl@r, lui-même alimenté, notamment, par les OP rattachées à la société Groupe Perle du Nord (les sociétés CAP'Endives et autres) :

« En ce qui concerne la politique tarifaire de la marque Perle du Nord, il y a un objectif de prix à la production ; c'est d'avoir une plus-value de l'ordre de 15 centimes d'euros pour rémunérer l'effort qualitatif (...) La plus-value de 15 centimes d'euros est calculée sur le prix moyen du sachet d'un kilo d'endive générique de la veille. Les prix sont fixés tous les jours par les bureaux de vente. Nous prenons comme référence le prix moyen fourni par Infocl@r, renseigné par tous ceux qui ont un accord Infocl@r, notamment toutes nos OP Perle du Nord. (...) La définition du cours Perle du Nord à 15 centimes d'euros au-dessus du prix moyen Infocl@r de la veille a, à ma connaissance, toujours existé ».

240. D'ailleurs, la charte d'utilisation de la marque collective Perle du Nord (2001), approuvée lors de l'Assemblée générale du Celfnord du 27 juin 2001, du temps où celui-ci était titulaire de cette marque, avant la création de la société Groupe Perle du Nord, confirme que les producteurs d'endives Perle du Nord étaient tenus de renseigner la base de données Infocl@r : il est précisé que chaque producteur doit être connecté à Infocl@r pour la totalité de son activité et transmettre régulièrement ses données de marché (cote 7722).

241. Au surplus, il résulte de l'audition de l'animateur de la FCE, réalisée par les agents de la DGCCRF le 10 septembre 2007, que celui-ci reçevait chaque jour des informations du système Infocl@r (cote 4185) :

« Je suis destinataire des rapports Infocl@r ; je reçois tous les jours les synthèses des ventes de la veille, par segment de produit et par OP (prix moyen, prix maxi, prix mini, et les volumes). Parmi ces chiffres figurent les données Perle du Nord, mais je n'ai pas le détail (dans les rapports que je reçois elles sont incluses dans la catégorie I). Cet outil statistique me donne un résultat après-vente et me permet de confirmer une tendance ».

242. Il résulte de l'ensemble de ces développements sur le périmètre des pratiques, que le système Infocl@r, loin de se limiter à des échanges d'informations stratégiques entre les producteurs membres des OP faisant partie du Celfnord et portant exclusivement sur la production et la commercialisation de leurs produits, s'est étendu non seulement à d'autres membres du Celfnord, tels que l'APVE, mais aussi à des non-membres, à savoir, premièrement, les producteurs indépendants (à la suite d'une décision prise lors d'une réunion de la SRE du Celfnord à laquelle ont participé notamment des entités non reconnues au titre de la PAC, à savoir la SNE, l'APVE, la FNPE et la FCE), deuxièmement, la société Groupe Perle du Nord, laquelle n'a été reconnue comme AOP qu'en décembre 2008, les échanges intervenus incluant en conséquence des données concernant leurs productions respectives (d'endives génériques et des marques Perle du Nord et Carmine), et troisièmement, la FCE, qui constitue, comme cela vient d'être indiqué, une entité non reconnue, et dont aucune des entités susmentionnées n'était membre (ni le Celfnord, ni la SNE, ni l'APVE, ni la FNPE).

243. Dès lors, à la lumière de l'arrêt précité de la Cour de justice (points 58 et 59), ces pratiques d'échanges d'informations stratégiques excèdaient ce qui était nécessaire à l'accomplissement des missions confiées au Celfnord dans le cadre de la mise en oeuvre de la PAC et, partant, rentrent dans le champ d'application des règles de concurrence.

244. La circonstance, invoquée par la société Groupe Perle du Nord et les sociétés CAP'Endives et autres, que les producteurs indépendants étaient représentés au sein du Celfnord par l'APVE ne remet pas en cause cette analyse. En effet, cette circonstance n'est pas de nature à conférer aux échanges d'informations stratégiques en cause un caractère purement interne au Celfnord au sens de l'arrêt de la Cour de justice précité. Il en va ainsi dans la mesure où, comme cela a déjà été indiqué (voir paragraphe 219 du présent arrêt), il ressort de cette jurisprudence que, pour être regardées comme purement internes à une OP ou AOP, des pratiques d'échanges d'informations stratégiques doivent être circonscrites à des échanges entre producteurs membres d'une même OP ou d'une même AOP, lesquels sont destinés à porter uniquement sur la production et la commercialisation de leurs produits. Or, par définition, les producteurs indépendants ne sont membres d'aucune OP. Le fait que leurs intérêts soient représentés au sein du Celfnord par l'APVE est indifférent dès lors que cette association n'est pas une OP. Au demeurant, et en tout état de cause, il est constant que les données ainsi échangées portaient, notamment, sur la production et la commercialisation des produits issus des producteurs indépendants en général, que ces derniers soient membres ou pas de l'APVE, ce qui va au-delà du périmètre fixé par la Cour de justice pour retenir l'existence de pratiques purement internes à une OP ou à une AOP.

245. Il ne saurait en aller différemment à compter de la date à laquelle, en 2008, l'administration du système Infocl@r a été reprise par l'APEF, en particulier au sein de sa section dénommée « Section Organisation et Maîtrise de l'Offre et du Marché » (ci-après « SOMO »).

246. En effet, si l'article 5 des statuts de l'APEF (figurant à l'annexe 58 du mémoire du Celfnord et de l'APEF) prévoit que peuvent en être membres les « producteurs individuels lorsqu'ils n'adhèrent à aucune OP » et si ces derniers peuvent adhérer en outre au SOMO (cette adhésion étant facultative) et, à ce titre, en vertu de l'article 9 du règlement intérieur du SOMO (cote 5772), être tenus à des obligations déclaratives quotidiennes, portant notamment sur les volumes et le « prix logé départ » des ventes du jour, afin d'alimenter la base de données Infocl@r, il n'est pas contesté que les producteurs dits individuels ou indépendants (non affiliés à une OP) pouvaient avoir accès à cette base de données, qu'ils soient membres ou pas de l'APEF et adhérents ou non au SOMO, ce qui va également au-delà du périmètre de pratiques purement internes à une OP ou à une AOP.

247. Au demeurant, et en tout état de cause, l'accès de la société Groupe Perle du Nord aux données contenues dans la base Infocl@r suffit à exclure l'existence d'échanges d'informations stratégiques purement internes au Celfnord puis à l'APEF. En effet, cette entité, qui est une AOP reconnue depuis décembre 2008, est distincte du Celfnord comme de l'APEF. La circonstance que les OP membres de l'AOP Groupe Perle du Nord (les sociétés CAP'Endives et autres) aient été, en même temps, membres du Celfnord puis de l'APEF est indifférente : cette circonstance n'entame en rien l'altérité ou la spécificité de la société Groupe Perle du Nord, qui demeure une entité distincte de l'un comme de l'autre. D'ailleurs, il résulte de l'audition du responsable et animateur marketing de la société Groupe Perle du Nord, réalisée en 2007 (avant la création de l'APEF), que cette société avait accès aux données de la base Infocl@r, de manière indirecte, grâce à l'informaticien du Celfnord (voir paragraphe 237 du présent arrêt), et non directement comme cela est généralement le cas pour les membres du Celfnord.

248. En conclusion, la matérialité des pratiques en cause portant sur des échanges d'informations stratégiques, via le système Infocl@r, est établie et celles-ci, en raison de leur périmètre, relèvent, comme l'a retenu à juste titre l'Autorité (décision attaquée, paragraphes 254 et 452), du champ d'applicaton des règles de concurrence.

249. La Cour retient que les pratiques en cause ont débuté le 11 mars 1999, soit à la date à laquelle il a été décidé de mettre en place du système Infocl@r. Les parties expliquent, sans être contredites par l'Autorité, que le système Infocl@r a été supprimé à la suite de la décision attaquée (dernières écritures du Celfnord et de l'APEF, paragraphes 250 et 251, des sociétés Fraileg et Prim'Santerre, paragraphe 59, et des sociétés Groupe Perle du Nord et CAP'Endives et autres, page 68, lesquelles précisent qu'il n'a pas été possible de modifier le système dans le sens requis par l'Autorité, de sorte qu'il a été décidé de le supprimer afin de ne pas risquer une nouvelle sanction). Il s'ensuit que lesdites pratiques étaient toujours en cours au 6 mars 2012, date de la décision attaquée.

2. Sur les pratiques portant sur les dénaturations obligatoires

250. Le Celfnord et l'APEF font valoir que les mesures dites de « dénaturation », c'est-à-dire de destruction des produits en phase terminale de « forçage », constituent des mesures de prévention et de gestion de crises, répondant à l'objectif de stabilisation des cours, dont la poursuite leur est confiée par la réglementation européenne. Ils soulignent que ces mesures sont expressément autorisées par le règlement de base sous les termes de « mesures de retrait » (article 23), de même que l'extension des règles adoptées par les OP ou AOP en la matière à l'ensemble des producteurs de leur circonscription (article 18). Ils soutiennent que la procédure suivie par le Celfnord pour l'extension de ses propres règles est conforme à la réglementation européenne : trois arrêtés d'extension ont été adoptés (en 1999, 2002 et 2005) dans le respect de la limite de trois ans chacun, et ont été notifiés à la Commission européenne sans susciter de réaction de sa part. Ils précisent que la phase finale de « forçage », au cours de laquelle se réalisent les opérations de dénaturation, correspond à la période de passation des commandes, de sorte que les endives retirées du marché ont bien été proposées à la vente et constituent donc des invendus, entrant dans les prévisions des arrêtés portant extension de l'obligation de retirer du marché « les produits qui n'ont pas été vendus à un prix au moins égal au prix de retrait ». Ils indiquent que les autorités nationales compétentes étaient informées de ces opérations : les représentants de l'État étaient systématiquement présents lors des assemblées générales du Celfnord au cours desquelles ces opérations étaient discutées, et, au surplus, l'Office national interprofessionnel des fruits et des légumes et d’horticulture (ci-après « l'ONIFLHOR ») était régulièrement informé des opérations de dénaturation obligatoire et de dédit en cas de non-dénaturation.

251. La société Groupe Perle du Nord et les sociétés CAP'Endives et autres développent la même argumentation et précisent que le règlement de base (de 1996) ne subordonne pas l'adoption de mesures de retrait à l'existence d'une situation de crise conjoncturelle.

252. Les sociétés Fraileg et Prim'Santerre font valoir que le secteur endivier avait été déclaré en situation de crise conjoncturelle au cours des campagnes 2005-2006 et 2006-2007.

253. Le Cérafel soutient qu'il n'a pas participé directement à la prise des décisions concernant les prix de retrait et les systèmes de dénaturation dans le bassin du Nord, mais qu'il a simplement eu connaissance de certaines d'entre elles. Il fait valoir que les échanges qui ont eu lieu à ce sujet avec le Celfnord s'inscrivaient strictement dans le cadre d'une convention conclue avec l'ONIFLHOR le 15 mai 2000, en application du décret portant création de celui-ci, dans les mesures où cette convention, comme celle conclue parallèlement par le Celfnord, lui imposait de dialoguer ensemble, dans le cadre de la SNE, afin de coordonner leurs actions régionales de gestion du marché.

254. L'Union des endiviers indique que la FNPE n'a pas directement participé aux pratiques de dénaturation obligatoire, ces dernières ayant été réalisées dans le cadre du Celfnord, dont il était seulement membre, comme le permettait l'article L.552-1 du code rural, avant son abrogation par voie d'ordonnance le 6 mai 2010. Elle soutient que ces pratiques sont licites à la lumière de l'arrêt rendu par la Cour de justice dans la présente affaire, dans la mesure où lesdites pratiques rentreraient dans les missions du Celfnord, en sa qualité d'entité reconnue, consistant à concentrer l'offre, et à assurer la programmation de la production et son adapatation à la demande (en quantité et en qualité).

255. L'Autorité fait valoir, notamment, que les mesures de dénaturation obligatoire en cause n'ont pas été adoptées dans le cadre de la prévention et de la gestion de crises au sens de l'article L.611-4 du code rural, tel que précisé par l'arrêté du 24 mai 2005 modifié, fixant les modalités d'application de cet article. À cet égard, elle rappelle que le secteur endivier n'a été déclaré en situation de crise conjoncturelle, au sens de ces textes, que pendant 37 jours ouvrés au cours de la campagne 2005-2006 et pendant 38 jours ouvrés au cours de la campagne 2006-2007, alors que les mesures de dénaturation obligatoire, prévues par les conventions de gestion de l'offre (conclues par le Celfnord avec les producteurs volontaires), ont été mises en oeuvre dès la campagne 1997-1998 et jusqu'en 2007, de sorte que de très nombreuses opérations de dénaturation ont été pratiquées hors période de crise. L'Autorité souligne que les acteurs du secteur avaient eux-mêmes admis, lors du séminaire endives tenu à Reims en juin 2003, que ces mesures, conçues au départ comme un « outil conjoncturel, de dernier recours », avaient « dérivé vers le structurel ».

256. Le ministre chargé de l'économie fait valoir que les pratiques de concertation sur les quantités d'endives mises sur le marché, comme d'autres pratiques en cause, avaient contribué à soutenir des mécanismes de fixation collective des prix, et que, si le Celfnord avait joué un rôle central dans la conception et le suivi de ces mesures, ces dernières ont été convenues et mises en oeuvre avec le concours d'autres organismes professionnels, non membres du Celfnord.

Sur ce, la Cour,

257. Comme cela a déjà été indiqué au paragraphe 101 de la présente décision, l'arrêt rendu par la Cour de justice dans la présente affaire a précisé, au point 64, que l'objectif de régulation des prix à la production, afin d'assurer un niveau de vie équitable à la population agricole, peut justifier une coordination, entre producteurs d'une même OP ou AOP, concernant les volumes de produits agricoles mis sur le marché. La Cour de justice renvoie sur ce point au régime des interventions prévu par le règlement de base (article 23) et réformé par le règlement OCM unique (article 103 quater, paragraphe 2, sous a).

258. Comme cela a également été indiqué aux paragraphes 35 et 36 présent arrêt, l'article 23 du règlement de base, auquel se réfère la Cour de justice, a expressément ouvert aux OP et AOP la faculté de prendre des mesures de retrait du marché de certaines catégories de fruits et légumes, dont les endives, selon les termes suivants :

« Pour les produits (…) qu'elles déterminent, les organisations de producteurs ou leurs associations peuvent ne pas mettre en vente les produits apportés par les associés, à concurrence des volumes et pendant les périodes qu'elles jugent opportuns ».

259. Pour mémoire, le considérant 16 dudit règlement, en lien avec l'article 23, précise l'objectif poursuivi :

« (…) en vue de stabiliser les cours, il est souhaitable que les organisations de producteurs puissent intervenir sur le marché, en particulier en décidant de ne pas mettre en vente certaines quantités de produits, à certaines périodes ; (…) ces opérations de retrait ne peuvent être envisagées comme un débouché de substitution au marché (…) ».

260. Il est rappelé que chaque opération de retrait doit faire l'objet d'une notification préalable auprès des autorités nationales compétentes, au moins 24 heures à l'avance (voir paragraphe 44 du présent arrêt).

261. Pour mémoire également, l'article 9, paragraphe 2, sous a), du règlement portant réforme du règlement de base, repris à l'identique à l'article 103 quater, paragraphe 2, sous a), du règlement OCM, auquel se réfère la Cour de justice, a maintenu la possibilité de recourir à des mesures de retrait, tout en intégrant ce dispositif dans la catégorie des mesures répondant à l'objectif de prévention et de gestion de crises (voir paragraphes 49 et 52 du présent arrêt), ce qui tend à en restreindre l'usage, comme l'a relevé l'avocat général de la Cour de justice désigné dans la présente affaire, dans ses conclusions (paragraphes 81 et 132).

262. Par ailleurs, comme cela a déjà été indiqué au paragraphe 53 du présent arrêt, afin de renforcer le rôle des OP et des AOP en faveur de la stabilisation du marché, le règlement de base (article 18 et considérant 14), a admis la possibilité pour celles-ci d'obtenir des autorités nationales l'extension de leurs propres règles, notamment en matière de retraits d'intervention, et ce en vue de les rendre obligatoires pour les producteurs indépendants établis dans leur circonscription. Cette possibilité est néanmoins encadrée, notamment, par une procédure particulière, de notification à bref délai, à la Commission européenne, des règles rendues obligatoires par extension (voir paragraphe 55 du présent arrêt).

263. Toutefois, comme cela a été indiqué au paragraphe 56 du présent arrêt, cette possibilité d'extension des règles a été supprimée en matière de retraits d'intervention, par le règlement portant réforme du règlement de base (article 14, paragraphe 1), repris par le règlement OCM unique (article 125 septies, paragraphe 1, sous a).

264. En l'espèce, il est constant que seules sont en cause des pratiques portant sur des dénaturations (c'est-à-dire de destruction de la marchandise en phase finale de « forçage ») et plus précisément sur celles dites obligatoires (imposées aux producteurs), et non simplement volontaires (proposées aux producteurs).

265. Il ressort du dossier que des mesures de dénaturation obligatoire ont été convenues dès la campagne 1997-1998, dans le cadre de conventions dites de gestion de l'offre, conclues par le Celfnord avec plus de trois cents producteurs, ayant la qualité de membre d'OP adhérentes au Celfnord ou de producteur indépendant (cotes 5890 à 7537). Etaient concernés les producteurs d'endives cultivant plus de 5 hectares et mettant sur le marché plus de 100 tonnes d'endives chacun et à chaque saison (cote 1487). Ces conventions ont été conclues avant que le Celfnord n'acquiert, le 15 août 1998, la qualité d'entité assimilée à une AOP reconnue.

266. Aux termes de ces conventions, le producteur conventionné s'engageait, pendant la campagne considérée (du 1er septembre 1997 au 31 août 1998) :

- d'une part, à déclarer, chaque fin de semaine, le nombre de bacs entrés en salle de « forçage » durant la semaine écoulée ;

- d'autre part, à retirer de sa salle de « forçage », pour dénaturation, le nombre de bacs en phase finale de « forçage » qui lui sera indiqué (par notification d'un avis de dénaturation), étant précisé que cette dénaturation obligatoire devait être réalisée sous le contrôle de représentants du Celfnord, donner lieu à l'établissement d'un bordereau de dénaturation signé par chaque partie, et s'opérer par retournement des bacs ou pulvérisation d'eau de javel sur les salades et les racines. Ces dénaturations obligatoires devaient être indemnisées selon des modalités qui seraient prévues pour chaque opération, cette indemnité étant versée directement au producteur (producteur indépendant), ou par l'intermédiaire des OP du Celfnord (producteur membre d'une de ces OP). Le financement de ces opérations était assuré par une cotisation spécifique fixée par la SRE du Celfnord.

267. Ces conventions de gestion de l'offre ont été renouvelées par tacite reconduction pendant plusieurs campagnes successives, étant précisé qu'entre temps le Celfnord a acquis la qualité d'entité assimilée à une AOP reconnue.

268. Pour la campagne 2003-2004, ces conventions ont été complétées par les précisions suivantes (cotes 1476 et 1524) :

- en cas de crise grave, le producteur s'engage (dénaturation obligatoire) à dénaturer 15% au maximum de ses bacs prévus pour la semaine qui lui sera indiquée (pourvu qu'il ait un minimum de 5 bacs à dénaturer) ; en contrepartie, il bénéficie d'une l'indemnisation dont le montant maximum est fixé à 10 euros par bac ;

- le producteur peut s'exonérer de cette obligation de dénaturation en s'acquittant, à titre de dédit, d'une somme de 40 euros par bac non dénaturé ;

- le producteur qui décide (dénaturation volontaire) de réduire ses entrées de bacs, durant les semaines dites de « zones rouges » (7 semaines sont identifiées comme à risque de fin octobre à fin mars), d'au minimum 15% est exonéré de dénaturation obligatoire et de dédit, moyennant la conclusion d'un avenant à la convention.

269. En juillet 2004, une nouvelle convention de gestion de l'offre, dénommée « convention individuelle de participation », comprenant notamment une obligation de dénaturation en phase finale de forçage, sans dérogation ni dédit, a été proposée (cote 2401), mais n'a pas été adoptée (cote 2394) : le conseil d'administration de la SRE du Celfnord, réuni le 31 août 2004, a estimé que cette convention était inutile, le mécanisme d'extension des règles permettant déjà de mettre en oeuvre les mesures proposées (voir paragraphe 278 du présent arrêt).

270. De nombreuses opérations de dénaturation obligatoire ont ainsi eu lieu, pendant la quasi-totalité des campagnes évoquées (sous réserve des campagnes de 2004/2005 et de 2006/2007), à savoir :

- 1997/1998 (cotes 721, 7671, 7673, 7674 à 7680, 7682, 7683, 7684, 7695) ;

- 1998/1999 (cote 721) ;

- 1999/2000 (cote 721) ;

- 2000/2001 (cotes 1439 et 7661) ;

- 2001/2002 (cotes 2729, 2731, 2774) ;

- 2002/2003 (cotes 441 à 444, 1401 à 1403, 1414, 1436 et 1437, 1441 à 1443,1513 et 1514, 1516 et 1517, 1680, 1684, 1784, 2153, 2712 à 2714, 2754 à 2757, 2774 et 2775, 7661) ;

- 2003/2004 (cotes 743,1429, 1446, 1447, 1488, 1524, 1784, 2153, 2156, 2521, 2574) ;

- 2005/2006 (cotes 1255, 670, 679, 1834, 1861, 2365).

271. Il est constant que la quasi-totalité de ces opérations ont été réalisées en application de décisions prises par la SRE du Celfnord, portant concertation sur les quantités d'endives mises sur le marché, et qui ont donné lieu à notification par celle-ci d'avis de dénaturation, adressés individuellement à chacun des producteurs concernés. Aux termes de ces avis (voir, par exemple, cotes 1429, 1446, 2729, 2731, 2774), il était indiqué : « la SRE a décidé d'engager une opération de dénaturation obligatoire dans le cadre de la gestion de l'offre endives » ou « dans le cadre de la convention des gestions de l'offre signée [par le producteur concerné] ». Il était également précisé les modalités de l'opération, à savoir les dates de réalisation de la dénaturation, le volume de marchandises à dénaturer (à déterminer en fonction d'un certain pourcentage de bacs d'endives entrés en salle de forçage en semaine N-3 pour une récolte prévue en semaine N, le forçage durant environ 3 semaines), le montant de l'éventuelle indemnisation par bac dénaturé et de l'éventuel dédit par bac non dénaturé, ainsi que les dates de réalisation des contrôles sur place par les représentants du Celfnord.

272. Il est également constant que ces opérations de dénaturation obligatoire ont été réalisées par les producteurs membres d'OP faisant partie du Celfnord, ainsi que par des producteurs indépendants, au rang desquels figurent ceux ayant conclu avec ce dernier des conventions de gestion de l'offre.

273. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que lesdites opérations sont l'aboutissement d'un processus d'échanges conduit par le Celfnord, non seulement avec les OP qui en sont membres, dans le cadre des réunions de la SRE auxquelles celles-ci participent, mais aussi avec des producteurs indépendants qui, par définition, n'en sont pas membres, mais qui s'en sont rapprochés en souscrivant des conventions de gestion de l'offre.

274. De prime abord, ces pratiques n'apparaissent donc pas comme purement internes au Celfnord en ce qu'elles ne sont pas circonscrites aux producteurs qui sont membres des OP en faisant partie.

275. Toutefois, la question se pose de savoir si le mécanisme d'extension des règles, évoqué par l'avocat général de la Cour de justice désigné dans cette affaire (point 135 de ses conclusions) et invoqué notamment par le Celfnord, la société Groupe Perle du Nord et les sociétés CAP'Endives et autres, ne nécessite pas d'affiner l'analyse.

276. En effet, comme cela a déjà été indiqué (paragraphe 53 du présent arrêt), afin de renforcer leur rôle en faveur de la stabilisation du marché, le règlement de base (article 18 et considérant 14) a expressément prévu la possibilité pour les AOP, comme pour les OP, d'obtenir des autorités nationales l'extension de leurs propres règles dans certaines matières, notamment celle des retraits dits d'intervention, et ce en vue de les rendre obligatoires pour les producteurs indépendants établis dans leur circonscription. Cette possibilité concernant les retraits d'intervention n'a été supprimée qu'en 2008 par le règlement portant réforme du règlement de base (voir paragraphe 56 du présent arrêt).

277. Ce mécanisme d'extension des règles constitue donc un outil spécifique de la PAC, rattaché au régime des interventions (auquel renvoie la Cour de justice au point 64 de son arrêt), qui permet aux OP et AOP, sur leur initiative, d'étendre les effets de leurs règles de gestion de l'offre, afin d'optimiser leurs efforts de stabilisation du marché. Cet outil étant mis à disposition des OP et AOP, on ne saurait leur reprocher d'être sorties de leur mission par le seul fait d'y avoir eu recours, soit en soumettant une proposition en ce sens à l'administration, soit en faisant application des arrêtés dits d'extension, une fois ceux-ci adoptés. Les pratiques portant sur des retraits rendus obligatoires à l'égard des producteurs indépendants, par l'effet d'arrêtés d'extension de règles, ne sont donc pas, en tant que telles, contraires au principe de proportionnalité, sur lequel s'est fondé la Cour de justice, dans l'arrêt précité, pour définir les conditions d'applicabilité des règles de concurrence. En effet, ces pratiques n'excèdent pas ipso facto ce qui est nécessaire à l'accomplissement des missions des OP et AOP. De ce point de vue, elles peuvent être assimilées à des pratiques internes à une OP ou AOP.

278. En l'espèce, il est constant que, nonobstant l'existence de conventions de gestion de l'offre conclues par le Celfnord avec, notamment, les producteurs indépendants, trois arrêtés portant extension des règles édictées par celui-ci ont été adoptés pendant la période des dénaturations en cause (avant la suppression en 2008 de la possibilité d'extension des règles en matière de retrait), à savoir :

- tout d'abord, l'arrêté du 24 février 1999 (JORF n° 65 du 18 mars 1999), pour les campagnes 1998/1999, 1999/2000 et 2000/2001 ;

- ensuite, l'arrêté du 31 janvier 2002 (JORF n° 42 du 19 février 2002), pour les campagnes 2001/2002, 2002/2003 et 2003/2004 ;

- enfin, l'arrêté du 29 mars 2005 (JORF n° 89 du 16 avril 2005), pour les campagnes 2004/2005, 2005-2006 et 2006/2007.

279. Il est également constant que ces arrêtés répondent aux conditions exigées par la réglementation européenne alors en vigueur (voir paragraphe 55 du présent arrêt), tenant, premièrement, à la représentativité de l'entité concernée (cette condition étant également exigée pour la reconnaissance d'une entité comme indiqué aux paragraphes 66 et 67 du présent arrêt et le Celfnord étant assimilée à une AOP reconnue depuis le 15 août 1998), deuxièmement, à l'antériorité des règles faisant l'objet de l'extension et, troisièmement, à la notification à bref délai desdits arrêtés à la Commission européenne (comme en attestent les communications publiées au JOUE, série C, n° 81 du 13 mars 2001, page 2, n° 301 du 5 décembre 2002, page 2, et n° 277 du 20 novembre 2007, page 8). Dans ses observations devant la Cour de cassation (paragraphe 49), jointes à celles de l'Autorité devant la présente Cour, la Commission européenne a précisé ne pas avoir donné suite à ces différentes notifications (absence d'observations, de demande d'informations complémentaires ou de décisions de retrait de l'extension).

280. La quatrième condition, relative à la durée maximale des mesures d'extension, est également satisfaite. En effet, contrairement à ce que suggère l'Autorité dans la décision attaquée (paragraphes 428 et 430), en précisant que le caractère obligatoire par extension doit être limité à une période maximale de trois campagnes de commercialisation, l'article 18 du règlement de base se borne à cantonner les effets dans le temps des mesures nationales d'extension, sans faire obstacle au renouvellement de celles-ci à l'expiration du délai maximal de trois ans qui leur est attaché. D'ailleurs, l'adoption consécutive des trois arrêtés d'extension en cause, régulièrement notifiés à la Commission européenne, n'a suscité aucune réaction de sa part à la suite de ces notifications, ni de commentaires lors de ses observations devant la Cour de cassation. Si la Commission européenne a précisé, dans lesdites observations, que les communications relatives à ces notifications d'arrêtés d'extension prennent le soin d'indiquer que cette publication « ne préjuge ni des observations que la Commission pourrait faire (…) ni des informations complémentaires qu'elle pourrait demander (…) ni des décisions qu'elle pourrait prendre en application de l'article 18, paragraphe 5, du règlement (CE) n° 2200/96 », il n'en demeure pas moins que celle-ci n'a pris aucune initiative en ce sens plusieurs mois après chacune de ces publications, qui se sont succédées pendant neuf ans sans poser de difficultés qui auraient été de nature à justifier une réaction de sa part.

281. Quant aux opérations de dénaturation obligatoire elles-mêmes, il est constant qu'elles ont toutes été réalisées en phase finale de « forçage », avant l'étape du « cassage » puis du conditionnement. Ces opérations peuvent être regardées comme des retraits d'intervention au sens de l'article 23 du règlement de base, à savoir des mesures consistant à « ne pas mettre en vente les produits ». C'est ce qui explique que les autorités nationales, en particulier l'ONIFLHOR, étaient informées de ces opérations de dénaturation (cotes 1399 et 7680 à 7684), comme l'exige l'article 8, paragraphe 1, du règlement de base (voir paragraphe 44 du présent arrêt, déjà rappelé).

282. Les règles adoptées par le Celfnord en matière de dénaturation obligatoire étaient donc éligibles, en tant que règles adoptées en application de l'article 23 du règlement de base, à la procédure d'extension prévue à l'article 18 du même règlement.

283. À cet égard, il n'est pas sérieusement contesté que ces règles étaient couvertes par les arrêtés d'extension précités.

284. Tout d'abord, le libellé de ces arrêtés ne s'y oppose pas. En effet, si chacun d'eux vise l'« obligation de retirer du marché les produits qui n'ont pas pu être vendus à un prix au moins égal au prix de retrait, compte tenu éventuellement des coefficients (…) [d'adaptation d'emballage pour les produits conditionnés] », cela n'implique pas nécessairement que les produits à retirer aient été préalablement conditionnés, ni qu'ils aient été invendus après avoir été proposés à la vente en cet état. D'ailleurs, à l'alinéa suivant, le conditionnement ne figure pas parmi les modalités d'intervention à respecter : il est uniquement fait « obligation de respecter les modalités d'interventions de marché appliquées par le comité économique en ce qui concerne les périodes d'intervention et la destination des invendus ».

285. En outre et surtout, subordonner les retraits au conditionnement des produits reviendrait à priver largement d'effet utile le mécanisme de retrait prévu par la réglementation européenne en tant qu'outil de gestion de l'offre, consistant à adapter la production à la demande, en vue de réguler les prix à la production. Il ressort d'ailleurs du dossier que le recours aux mesures de retrait était nettement moins couteux en phase finale de forçage qu'au stade ultérieur, le conditionnement représentant environ un tiers du prix de revient, ce qui avait pour effet d'augmenter de manière importante le montant de l'indemnisation des retraits, par rapport à celui résultant des dénaturations avant conditionnement (cotes 453 et 1774). Il était donc logique, pour préserver la viabilité du système, que l'extension des règles de retrait ne se limite pas aux produits conditionnés, mais recouvre également les produits en phase finale de forçage.

286. Les règles adoptées par le Celfnord en matière de dénaturation obligatoire, en application de l'article 23 du règlement de base, étant couvertes par les arrêtés d'extension considérés, pris sur le fondement de l'article 18 dudit règlement, la mise en oeuvre de ces règles à l'égard des producteurs indépendants relevant de sa circonscription (situés dans bassin du Nord) s'inscrit, en principe, dans la poursuite de l'objectif, confié au Celfnord, de régulation des prix.

287. Il s'ensuit que les pratiques portant sur les dénaturations obligatoires applicables, notamment, aux producteurs indépendants du bassin de Nord par extension des règles ne sont pas, en tant que telles, contraires au principe de proportionnalité.

288. Néanmoins, en premier lieu, il ressort du dossier que le Cérafel a été associé à plusieurs reprises, au cours d'une partie des périodes couvertes par lesdits arrêtés d'extension, aux pratiques conduites par le Celfnord, relatives aux dénaturations obligatoires.

289. En effet, les contacts dont fait état la décision attaquée (paragraphes 491 à 496) démontrent que le Cérafel n'a pas seulement été informé par le Celfnord des décisions prises par ce dernier en matière de dénaturation (télécopie de mars 2003, cote 1399), mais qu'il a également été amené à échanger avec lui de différentes manières :

- soit en donnant son accord sur les décisions de dénaturation obligatoire prises par celui-ci (réunion de la SRE du Celfnord du 16 avril 2003, cote 441) ;

- soit en demandant au Celfnord de mettre en place une dénaturation obligatoire d'envergure, sur 20 % des bacs, pendant trois semaines, sans dédit, contrôlée et sanctionnée en cas de non-respect (lettre du 30 mars 2006, juste après une période de crise déclarée pendant 3 jours ouvrés, du 17 au 21 mars 2006, et juste avant une nouvelle période de crise déclarée, de 24 jours ouvrés, du 31 mars au 5 mai 2006, cotes 20 et 1210) et ;

- soit, plus généralement, ayant été sollicité par le Celfnord pour s'associer à l'effort de maîtrise de l'offre (lettre de décembre 2005, cote 1228), en exprimant sa solidarité à l'égard de l'action de gestion de marché initiée par le Celfnord et son souhait de voir celle-ci se poursuivre jusqu'au terme de la campagne (courriel de février 2006, cote 2652), ainsi que ses attentes ou ses regrets face à l'application seulement partielle du plan de gestion du marché adopté par le Celfnord pour la campagne 2005/2006 et à l'absence d'adoption par celui-ci de celui envisagé pour la campagne 2006/2007 (réunion du conseil d'administration de la SRE du Celfnord, de juillet 2006, à laquelle ont participé trois représentants du Cérafel, outre la FCE et la FNPE, cote 1229 ; échange de lettres en août et octobre 2006, cotes 2629 à 2632).

290. Contrairement à ce que soutient le Cérafel, ces échanges avec le Celfnord ne s'inscrivaient pas strictement dans le cadre de la convention conclue avec l'ONIFLHOR (cote 8063). En effet, outre que cette convention n'a été conclue que pour l'année 2000, elle n'imposait au Cérafel d'obligation d'information en matière de retrait que dans les rapports entre le Cérafel et ses adhérents (les OP du bassin breton), ainsi qu'entre le Cérafel et l'ONIFLHOR, et non pas à l'égard du Celfnord. De plus, cette obligation ne portait que sur « les volumes ayant déjà fait l'objet de retrait du marché », c'est-à-dire sur des opérations de retrait déjà effectuées.

291. Au surplus, il résulte de l'audition du directeur du Celfnord (cote 1775), ainsi que de celle du directeur de la société Prim'Santerre (cote 4670), que le bassin breton a participé aux pratiques de dénaturation obligatoire, notamment au cours de la campagne 2005/2006, et que celui-ci a toujours suivi en la matière les propositions qui lui avaient adressées par le Celfnord « en période de crise », étant précisé qu'ont été officiellement déclarés comme tels 37 jours ouvrés lors de la campagne 2005/2006 et 38 jours ouvrés lors de la campagne 2006/2007 (cotes 20). L'adhésion du Cérafel au plan de gestion du marché mis en place par la SRE du Celfnord et la réalisation à ce titre d'opérations de dénaturation dans le bassin breton est d'ailleurs confirmée par le rapport d'activité de la SRE du Celfnord pour l'année 2005 (cotes 1834 et 1835). Le processus décisionnel concernant les dénaturations obligatoires et les liens en découlant entre le Celfnord et le Cérafel est expliqué par le président de l'OP Marché de Phalempin, lors de son audition (cote 4400) : « Les décisions (…) de dénaturation se prennent d'abord en section régionale, et sont parfois élargies en section nationale, si les bretons sont d'accord ».

292. Il s'ensuit que les pratiques portant sur les dénaturations obligatoires, n'ont pas toujours eu lieu entre les seuls acteurs de la production du bassin du Nord, à travers le Celfnord, mais aussi, pendant certaines périodes, avec le principal acteur du bassin breton (le Cérafel), autrement dit entre deux AOP régionales ou assimilées (le Celfnord étant assimilé à une AOP reconnue depuis le 15 août 1998). Dès lors, pendant lesdites périodes, nonobstant les arrêtés d'extension alors en vigueur, ces pratiques ne peuvent être regardées comme purement internes au Celfnord.

293. La circonstance que le Cérafel et le Celfnord soient tous les deux membres de la SNE n'a pas pour effet de rendre ces pratiques internes à une AOP nationale puisque, comme cela a déjà été indiqué au paragraphe 201 du présent arrêt, la SNE n'en a pas le statut, contrairement à l'APEF (qui a été créée après la période des dénaturations en cause).

294. En deuxième lieu, il ressort du dossier que certaines opérations de dénaturation obligatoire ont été décidées par la SNE. Ce fut le cas, fin novembre 2002, lors du blocus des centrales d'achats (cotes 2742 et 2748). Dès lors que ces décisions ont été adoptées par la SNE, entité non reconnue, au cours d'une réunion téléphonique, dont la convocation (cote 2745) et le compte-rendu (cotes 2742 et 2743) démontrent qu'y ont participé non seulement le Celfnord et le Cérafel, entités assimilables à des entités reconnues, mais aussi la FNPE, entité non reconnue (ni comme OP, ni comme AOP, ni comme OI), les pratiques portant sur ces dénaturations obligatoires ne sauraient échapper à l'application des règles de concurrence.

295. En troisième lieu, en tout état de cause, à supposer même que les pratiques reprochées, pendant toute la période couverte par les arrêtés d'extension (des campagnes 1998/1999 à 2006/2007), puissent être considérées comme purement internes au Celfnord, il convient de rappeler que, selon la Cour de justice (point 62 de son arrêt), pour que de telles pratiques soient pleinement conformes au principe de proportionnalité, et échappent en conséquence au champ d'application des règles de concurrence, encore faut-il que lesdites pratiques « s'inscrive[nt] effectivement et strictement dans la poursuite du ou des objectifs qui lui sont assignés en conformité avec la réglementation relative à l'organisation commune du marché concerné ».

296. À cet égard, si, en vertu du règlement de base (en vigueur pendant la période litigieuse), le déclenchement d'opérations de dénaturation n'est pas expressément subordonné à l'existence d'une crise conjoncturelle, mais repose essentiellement sur l'appréciation des OP ou AOP, ces dernières étant chargées de déterminer les périodes pendant lesquelles elles jugent opportun de recourir à cet outil de gestion de l'offre, en vue de réguler les prix à la production, il n'en demeure pas moins que, comme le précisent le seizième considérant du règlement de base, ainsi que l'article 8, paragraphe 2, du règlement n° 103/2004 portant application du règlement de base, ces opérations de retrait ne peuvent constituer un débouché de substitution au marché (voir paragraphe 42 et suivant du présent arrêt).

297. Or, en l'espèce, il ressort des éléments du dossier que les pratiques de dénaturation obligatoire sont allées au-delà de ce qui était strictement nécessaire pour réguler les prix.

298. En effet, le compte-rendu du « séminaire endives », organisé à Reims le 5 et 6 juin 2003 par le Celfnord en partenariat avec la SNE, enseigne que les dénaturations obligatoires, conçues au départ comme un outil conjoncturel de gestion de l'offre, de « dernier recours », tend à devenir structurel, 17 opérations de dénaturation obligatoires ayant été réalisées pendant la campagne de 2000/2001, et 12 pendant celle de 2002/2003 (cote 7661). Dans le même sens, le compte-rendu de la réunion du conseil d'administration de la SRE du Celfnord, qui s'est tenue peu de temps après (le 3 juillet 2003), indique qu'un certain nombre d'endiviers souhaite l'arrêt des dénaturations qui deviennent structurelles et incitent au sur-remplissage des salles de forçage (cote 1678).

299. Une décision a été prise en ce sens lors de la réunion de la SRE du 16 décembre 2003 (cote 1662). Toutefois, le rythme des dénaturations est demeuré intense : le bilan des interventions de gestion du marché établi par le Celfnord fait état de 13 opérations de dénaturation obligatoire décidées entre le 23 janvier et le 25 mars 2004, dont plusieurs le même jour (cote 743).

300. Dans le même sens, lors de son audition le 27 août 2007, le président de l'OP Primacoop a précisé :

« Historiquement, le Celfnord a mis en place une convention de gestion de l'offre, signée par l'ensemble des producteurs d'endives de plus de 5 hectares, qui acceptaient de jeter des bacs d'endives dans certaines conditions. Cela ne concernait pas que les OP. Cela a été signé par l'ensemble des producteurs. Cette convention, qui visait les bacs, a ensuite laissé la possibilité de jeter des équivalents endives catégorie II. Cela était coûteux et diminuait l'effet de la mesure car on indemnisait la dénaturation d'endives qui n'auraient de toutes les façons pas été vendues. Ensuite a été inventé le dédit, pour les producteurs qui avaient des clients pour leur marchandise et qui avaient la possibilité de racheter les bacs qu'ils ne détruisaient pas. La gestion de l'offre ne faisait pas vraiment l'objet de contrôles (…) Il y avait (…) des producteurs qui repiquaient des racines de mauvaise qualité, en prévision de la dénaturation (…). La dernière année, il y a deux ou trois ans, il y a eu jusqu'à 17 dénaturations à la suite sans que le prix remonte » (cote 37).

301. L'audit intitulée « Dynamisation de la filière » et les réunions qui ont eu lieu à cette occasion (le 2 février et le 13 avril 2004) confirment cette appréciation : les dénaturations obligatoires sont considérées comme « trop répétitives, structurelles, aveugles et peu efficaces ». Trop répétitives et structurelles « car elles étaient parfois engagées durant plusieurs semaines et de ce fait, certains producteurs s'organisaient pour créer de la marchandise à dénaturer ». Aveugles « car elles conduisaient à éliminer de belles endives alors que les « bas de gamme » étaient résolument mis sur le marché, à bas prix, voire sans prix ». Peu efficaces « car quand l'habitude s'installe, des comportements correctifs voire peu responsables se font jour, ne serait-ce que pour garder sa part de marché ».

302. La SRE du Celfnord se fonde sur ces éléments pour expliquer sa décision, prise au cours de l'année 2004, de dénoncer les conventions de gestion de l'offre conclues, notamment, avec les producteurs indépendants, et de réfléchir en conséquence à l'élaboration d'une nouvelle convention prévoyant des « mesures exceptionnelles de gestion du marché en cas de crise grave, soit très conjoncturelles et/ou imprévisibles (grèves des transports par exemple), soit quand les prix de marché sont démesurément bas » (cote 1478). Ce projet n'a pas abouti : une nouvelle convention a été proposée en juillet 2004, mais n'a pas été adoptée, le mécanisme d'extension des règles permettant déjà de mettre en oeuvre les mesures proposées (voir paragraphe 269 du présent arrêt). Les dénaturations obligatoires ont, semble-t-il, connu une accalmie durant la campagne 2004/2005 (du 1er septembre 2004 au 31 août 2005), mais ont repris de manière significative dès la campagne suivante (2005/2006), sans doute en partie en lien avec la crise conjoncturelle déclarée pendant trente-sept jours ouvrés au cours de cette campagne et pendant trente-huit jours ouvrés pendant la campagne suivante 2006/2007 (cotes 21, 1775 et 4670).

303. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que, pendant les campagnes 2000/2001, 2002/2003 et 2003/2004, les mesures et opérations de dénaturation obligatoire sont allées au-delà de ce qui était strictement nécessairement pour réguler les prix, à tel point que, selon les acteurs de la filière, « certains producteurs s'organisaient pour crééer de la marchandise à dénaturer », ce qui revenait à concevoir les retraits « comme un débouché de substitution au marché », contrairement à ce qui est précisément indiqué au seizième considérant du règlement de base, ainsi qu'à l'article 8, paragraphe 2, du règlement n° 103/2004 portant application du règlement de base.

304. Il s'ensuit qu'en tout état de cause, quel que soit leur périmètre, les pratiques portant sur les dénaturations obligatoires qui sont intervenues pendant ces campagnes (soit du 1er septembre 2000 au 31 août 2004), dont la matérialité est établie, ne sauraient échapper à l'application des règles de concurrence.

305. Quant à celles intervenues pendant les campagnes 2005/2006 et 2006/2007, retenues à juste titre par l'Autorité (paragraphes 155, 168 et 459 de la décision attaquée) comme ayant duré au moins jusqu'au 17 juin 2007 (date limite d'effets des décisions de gestion du marché prises par la SRE du Celfnord en mai 2006, cote 1317), elles ne sauraient davantage y échapper, nonobstant les arrêtés d'extension en vigueur concernant ces campagnes et les périodes de crise déclarées au cours de celles-ci, dès lors qu'il est établi que ces pratiques ne sont pas purement internes au Celfnord, mais impliquent également le Cérafel.

306. Seules les pratiques intervenues entre le 1er septembre 1998 et le 1er septembre 2000 échappent à l'application des règles de concurrence, compte tenu des arrêtés d'extension en vigueur concernant les compagnes 1998/1999 et 1999/2000.

307. En conclusion, c'est à juste titre que l'Autorité (décision attaquée, paragraphes 254 et 452) a retenu que les pratiques en cause portant sur les dénaturations obligatoires relèvent du champ d'application des règles de concurrence, mais seulement en ce qui concerne celles intervenues entre le 1er septembre 2000 et le juin 2007.

3. Sur les pratiques portant sur la politique tarifaire

308. Les pratiques portant sur la politique tarifaire, qui sont reprochées, revêtent deux dimensions : certaines concernent les endives génériques et de marque, d'autres sont propres aux endives revêtues des marques « Perle du Nord » et « Carmine ». Ces pratiques seront examinées successivement en ces deux dimensions.

a) Sur les pratiques concernant le prix des endives génériques et de marque

309. Le Celfnord et l'APEF font valoir que les pratiques en cause, concernant principalement la fixation d'un prix minimum, s'inscrivaient dans le cadre des missions de régularisation des prix et de stabilisation des cours qui leur sont confiées par la réglementation européenne et nationale. À cet égard, ils soutiennent que ces pratiques ne consistaient pas en la fixation d'un prix minimum obligatoire, mais en la diffusion d'un seuil indicatif en cas d'enrayement des prix à la baisse à un niveau menaçant le revenu des producteurs, ce qui apparenterait lesdites pratiques au mécanisme légal du prix de retrait, le prix minimum étant d'ailleurs défini en vue de la fixation d'un prix de retrait. Ils en déduisent que l'Autorité, dans la décision attaquée (paragraphes 411 et 412), ne saurait leur opposer le principe selon lequel la fixation d'un prix minimum ne figure pas parmi les règles pouvant faire l'objet d'une procédure d'extension en vue de les rendre obligatoires aux producteurs indépendants, dans la mesure où les prix en cause, d'une part, sont dépourvus de caractère obligatoire et, d'autre part, se rattachent nécessairement aux règles en matière de retrait, lesquelles rentrent explicitement dans le champ de la procédure d'extension prévue par la réglementation européenne. Ils font valoir que les pratiques de retrait étaient systématiquement notifiées aux autorités de contrôle, en particulier à l'ONIFLHOR, et ont été rendues obligatoires par arrêtés d'extension pendant toute la période en cause. En outre, ils estiment que chacune des différentes pratiques reprochées ne revêtent pas l'importance, la fréquence et la durée qui leur est prêtée dans la décision attaquée et contestent l'existence d'une police de prix. Par ailleurs, ils soutiennent que la coordination des offres promotionnelles se borne à prévoir, de manière indicative, des calendriers de promotion, en vue d'adapter l'offre à la demande, de sorte que cette coordination ne saurait constituer une action directe sur les prix proposés.

310. La société Groupe Perle du Nord et les sociétés CAP'Endives et autres développent un argumentaire comparable. Elles précisent que la fixation d'un prix de retrait était expressément prévue par le règlement (CEE) n° 1035/72 (article 15 et considérant 13), sans être remise en cause par les règlements postérieurs, ainsi que par l'article L.551-1 du code rural (dans sa rédaction en vigueur jusqu'au 6 mai 2010, soit pendant la période des pratiques en cause). Elles font valoir que le prix de retrait n'est rien d'autre qu'un prix minimum fixé collectivement, de sorte que l'Autorité a tort de considérer que la possibilité de fixer un prix de retrait n'entraîne pas celle de fixer un prix minimum.

311. Par ailleurs, après avoir indiqué que l'essentiel des pratiques en cause a eu lieu au sein de la SRE du Celfnord, elles estiment que l'Autorité ne démontre pas, de manière circonstanciée, comme l'exige la Cour de justice dans l'arrêt rendu dans la présente affaire, que les pratiques en cause étaient intervenues en dehors des OP ou des AOP reconnues. Selon elles, la circonstance que certains organismes, comme la FNPE ou le Cérafel, aient pu ponctuellement participer à des réunions avec le Celfnord ou être informés des décisions de celui-ci n'a rien d'illicite, dans la mesure où cela ne signifie pas qu'ils aient été acteurs des pratiques en cause ou que leur intervention aurait conduit à étendre les décisions du Celfnord à des OP qui n'en étaient pas membre. À cet égard, il est avancé que le droit européen se limite à prohiber l'extension de mesures permises au sein d'une AOP à des OP qui n'en sont pas membres et qu'en l'espèce, sous la réserve des extensions de retrait aux producteurs indépendants, qui étaient régulièrement imposées par arrêté ministériel, les décisions du Celfnord ne visaient toujours que ses membres. Quant aux réunions ou échanges concernant la SNE, il est indiqué que cette entité se confondait largement avec la SRE du Celfnord qui prenait de fait les décisions.

312. Enfin, il est soutenu que les pratiques en cause n'ont pas excédé les missions confiées au Celfnord, consistant à stabiliser les cours en défendant un prix minimum et en organisant une concertation sur les prix au profit de ses membres, le cas échéant, via des pratiques de retrait. À cet égard, il est précisé que l'Autorité n'a pas établi la prétendue fixation d'un prix minimum pendant toute la période litigieuse et que les autres pratiques en cause, éparses et ponctuelles, se rattachent essentiellement à des pratiques de retrait permises par la réglementation.

313. Les sociétés Fraileg et Prim'Santerre font valoir, dans le même sens, que le mécanisme d'un « cours pivot » (en-deça duquel les opérateurs ne vendent plus leur production), en corrélation avec les pratiques de dénaturation (mises en place par un système de conventions de gestion de l'offre), et d'un « prix cliquet » (prix en-dessous duquel les produits retournent à l'offreur mais qui n'est pas un prix minimum) ont pour unique but d'éviter un effondrement des prix ne permettant plus au producteur d'être rémunéré en cas de déséquilibre entre l'offre et la demande, de sorte que ces pratiques intervenues au sein des OP et dans le cadre des missions confiées aux AOP entrent dans le cadre des objectifs d'adaptation de la production à la demande et de régularisation des prix permettant le maintien d'un niveau de vie équitable à la population agricole.

314. Le Cérafel soutient qu'il a pu avoir connaissance des décisions prises par les OP et AOP du Nord de la France, mais qu'il n'y a pas souscrit et ne les a pas appliquées, aucune preuve n'étant d'ailleurs apportée en ce sens. Il admet avoir pratiqué un prix de retrait, mais d'un montant nettement inférieur à celui pratiqué par le bassin du Nord, de sorte que son action ne pouvait contribuer à créer un prix commun artificiellement bas. Il précise que les « prix pivot » et « prix cliquet » sont des notions propres au bassin du Nord et qu'il a mis en place un système de vente au cadran spécifique, différent de celui pratiqué dans le Nord, ce qui explique la différence des prix pratiqués entre les deux bassins et exclut en conséquence l'existence d'une quelconque concertation en la matière.

315. L'Union des endiviers indique que les comptes-rendus du conseil d'administration de la FNPE portant sur plusieurs réunions du Celfnord concernant la défense d'un prix minimum de production, évoqués par la décision attaquée (paragraphe 517), s'expliquent par le fait que ce syndicat participait à ces réunions en sa qualité de membre du Celfnord, conformément à l'article L.552-1 du code rural. Il est précisé que le prix à la production correspond au prix de revient et que ces prix ne peuvent être qu'indicatifs dans la mesure où les produits ne sont pas commercialisés par les OP mais par des bureaux de vente qui répondent à des offres de prix et sont soumis au bon vouloir des intermédiaires ou des distributeurs. Il est également soutenu que les pratiques en cause s'inscrivent toutes dans la poursuite de l'objectif de régularisation des prix à la production, ce qui implique nécessairement une intervention sur les prix, au moyen d'outils de régulation.

316. L'Autorité fait valoir que, si la réglementation européenne a accru progressivement le rôle des OP et AOP, elle ne les a jamais autorisées à imposer le respect de prix minima à leurs membres et encore moins à se concerter pour l'appliquer de concert. Elle soutient que les pratiques en cause, de concertation de prix minima, ne sont nullement assimilables à des pratiques facultatives de retrait dès lors que ces dernières font référence à la possibilité, pour une OP ou AOP, de définir un prix en- dessous duquel les producteurs associés ne pouvaient mettre en vente une certaine quantité (et non la totalité) des produits apportés par les adhérents. À cet égard, il est rappelé que les pratiques de retrait ont été fortement encadrées par la réglementation européenne. En outre, il est précisé que les entités en cause ne sauraient justifier leur comportement en se fondant sur les articles L.551-1 et L.552-1 du code rural, ces derniers, à supposer qu'ils autorisaient certaines des pratiques en cause, étant incompatibles ou contraires au droit de l'Union, ce qui a conduit à leur abrogation en 2010, et nécessitait, d'ici là, d'écarter leur application en vertu du principe de primauté du droit européen sur le droit national. En réponse à une question écrite posée par la Cour en vue de l'audience, sur le périmètre des pratiques en cause, l'Autorité a précisé que la seule pratique qui peut être regardée comme étant interne à une AOP est celle pratiquée par l'APEF concernant la fixation d'un prix de retrait (voir les paragraphes 121 à 123 de la décision attaquée).

317. Le ministre chargé de l'économie considère que les mécanismes tarifaires en cause visaient, selon différentes modalités, à aboutir à un accord collectif sur la fixation de prix minima de vente à la production, la défense de ce prix revêtant un caractère central pour l'ensemble des acteurs de la filière. Il est précisé que de nombreuses initiatives sont venues compléter, à compter de l'année 2002, la diffusion hebdomadaire de prix minima : mise en place d'un cours pivot par la SNE et la SRE du Celfnord, système de bourse aux échanges créé par une décision de la SRE du Celfnord et piloté par la FCE, reconstitution par la SRE du Celfnord d'un marché au cadran organisé autour d'un prix cliquet, fixation d'un prix de retrait mis en oeuvre par la SOMO de l'APEF. À cet égard, il est indiqué que ces diverses pratiques de concertation sur les prix n'ont pas été convenues au sein d'une seule et même AOP reconnue, mais ont, au-delà du Celfnord, mobilisé plusieurs organismes professionnels distincts, de sorte que ces pratiques ne sauraient échapper au droit des ententes.

Sur ce, la Cour,

318. Comme cela a déjà été indiqué au paragraphe 102 de la présente décision, la Cour de justice a précisé, au point 65 de l'arrêt rendu dans la présente affaire, que l'objectif de concentration de l'offre, afin de renforcer la position des producteurs face à une demande sans cesse plus concentrée, peut justifier une certaine forme de coordination de la politique tarifaire des producteurs individuels au sein d'une OP ou d'une AOP, notamment lorsque l'OP ou l'AOP concernée s'est vue confier par ses membres la charge de commercialiser l'ensemble de leur production.

319. Ce point 63 de l'arrêt, précité, s'inscrit dans le prolongement du point 57, déjà cité, aux termes duquel « (...) les missions de programmation de la production, de concentration de l'offre et de mise sur le marché (...) et de régularisation des prix à la production, dont la charge peut être confiée à une OP ou à une AOP en vertu de la réglementation applicable à (…) [l'OCM] concernée ne peut concerner que la production et la commercialisation des produits des seuls membres de l'OP ou de l'AOP concernée. Partant, elles ne peuvent justifier certaines formes de coordination ou de concertation qu'entre producteurs membres d'une même OP ou d'une même AOP reconnue par l'État ».

320. Il résulte de ces développements de jurisprudence que, pour être regardées comme internes à une OP ou à une AOP, des pratiques portant sur la politique tarifaire doivent être circonscrites à des échanges entre producteurs membres d'une même OP ou d'une même AOP et porter uniquement sur la commercialisation de leurs propres produits.

321. En l'espèce, il convient donc d'examiner si tel est le cas des pratiques reprochées concernant :

- premièrement, la fixation d'un « prix minimum » ou d'un « cours pivot » ;

- deuxièmement, la mise en place d'une bourse aux échanges et la fixation d'un prix cliquet ;

- troisièmement, les offres promotionnelles ;

- quatrièmement, la fixation d'un « prix de retrait ».

i) Sur la fixation d'un prix minimum et d'un cours pivot

322. Il ressort du dossier que, de fin décembre 1997 à fin février 1998, chaque semaine, le Celfnord a diffusé aux « OP endives » une série de télécopies faisant référence à un « prix minimum payé producteur », au titre des décisions venant d'être prises par la SNE pour la gestion du marché de l'endive pendant la semaine considérée (cotes 5722 à 5729 et 7669, 7670, 7672, 7673, 7675, 7676 et 7678). Ce prix est fixé, sous la rubrique intitulée « Respect du prix minimum payé producteur », par catégorie et conditionnement d'endives : sont visées les endives de la marque Perle du Nord ou d'une marque propre à une OP, ainsi que les endives génériques, de catégorie I et II, conditionnées en vrac de 5kg ou emballées.

323. Un document du 10 octobre 2001, ayant pour entête la SNE et pour titre « Plan d'actions conjoncturelles endives pour la campagne 2001-2002 » (cote 448), explique ce dispositif de « gestion des prix minima » (cote 453) au titre de propositions d'actions « qui ont montré leur efficacité depuis plusieurs années » :« À certains moments, il est parfois nécessaire voire impératif d'établir un prix minimum de marché et de le défendre. Cette gestion de niveau de prix par catégorie est délicate car ce niveau de prix doit être compatible avec ce que le marché est en mesure d'accepter, eu égard notamment à la pression des produits concurrents et à la réactivité de la distribution. Cette défense des prix minima s'accompagne inéluctablement de marchandises invendues qui ne doivent surtout pas être remises sur le marché du frais. De ce fait, la SN 'Endives' [la SNE] doit prendre en charge les écarts entre le prix de vente à l'industrie ou la totalité du prix minimum en cas de destruction. (...) Ces dégagements sont organisés par les Comités entre les OP et les usines ».

324. Il en ressort que ce « prix minimum payé producteur » constitue un outil de gestion par réduction de l'offre, destiné à s'assurer que le prix du marché du frais ne descende pas en-dessous d'un certain niveau en bradant la marchandise. Cette défense d'un certain niveau de prix conduisant à des invendus, les producteurs ne parvenant pas à vendre la totalité de leur production au-dessus du prix fixé se voient indemnisés par la SNE, d'un montant égal, soit à ce prix (en cas de destruction de la marchandise), soit à la différence entre ce prix et celui de la vente sur le marché de la transformation industrielle (en cas de vente sur ce marché, moins profitable que celui du marché du frais).

325. Cette proposition d'action, émise par la SNE, le 10 octobre 2001, en se fondant expressément sur l'expérience acquise « pendant plusieurs années », a été rapidement suivie d'effets puisque le compte-rendu de la réunion de la SRE du Celfnord, en date du 30 novembre 2001, à laquelle a participé, notamment, le président de la SNE (cote 1193), établit qu'il a été décidé de « mettre en place un prix minimum sur la base d'1 euro, prix de marché pour un produit Perle du Nord ou équivalent conditionné en vrac de 5 kgs » et d'en débattre au niveau régional au préalable, ce qui a conduit la SRE du Celfnord, lors de la réunion dont il est rendu compte, à retenir ce niveau de prix minimum pour la semaine suivante, tout en précisant qu'il s'agit d'un prix devant évoluer à la semaine en fonction du marché.

326. Il résulte de ces éléments que des pratiques portant sur la fixation, la diffusion et la mise en oeuvre du prix minimum à la production sont intervenus entre la SNE, entité non reconnue, et le Celfnord, entité assimilée à une AOP reconnue. Ces pratiques, dont la matérialité est établie, n'étant pas purement internes à une entité reconnue ou assimilée, elles relèvent du champ d'application des règles de concurrence.

327. À partir de 2002, ce mécanisme du prix minimum à la production évolue, le plus souvent, sous une autre dénomination, à savoir celle de « cours pivot ». C'est ce qui résulte, notamment, de plusieurs comptes-rendus de réunions de la SRE du Celfnord, du 25 février 2002 (cote 1190) et du 25 octobre 2002 (cote 1182), auxquelles a également participé le président de la SNE.

328. Le premier compte-rendu, portant sur la réunion du 25 février 2002, présente le dispositif du cours pivot et l'objectif poursuivi, qui est comparable à celui du prix minimum qui vient d'être exposé :

« L'objectif de l'action mise en oeuvre par la SNE est de stabiliser le marché, ceci au moyen d'une base appelée « cours pivot », et ce pour une marchandise correspondant au cahier des charges Perle du Nord-carton 5kg-catégorie I. L'objectif du dispositif est d'amener les opérateurs commerciaux des OP qui n'arriveraient pas à écouler sur le marché des marchandises [à un prix égal ou supérieur] à ce cours pivot à diriger leurs marchandises non pas sur le marché du frais, au risque de le déstabiliser, mais sur celui de la transformation. Cette action est validée chaque semaine par la SNE qui fixe ce cours pivot au regard de la situation du marché et des capacités de fabrication des industriels notamment. À l'issue de la fixation du cours pivot, les opérateurs s'engagent à « dégager », dans les 6/8 jours qui suivent la décision, vers les industriels de la transformation, les quantités qu'ils jugent nécessaires pour leur permettre de commercialiser sur le marché du frais les différents produits au-dessus du cours pivot. En accord avec les OP d'une part, et les industriels d'autre part, toutes les ventes vers la transformation sont centralisées par le Celfnord pour ce qui est de la négociation des prix, des cahiers des charges, des plannings de livraison et des transports. L'écart du prix entre le cours pivot et le prix de cession aux industriels est pris en charge par la SNE ».

329. Le second compte-rendu, portant sur la réunion de la SRE du Celfnord du 25 octobre 2002, précise (cote 1182) :

« Les opérateurs commerciaux des OP ou leurs structures conventionnées s'interdisent de vendre en-deça de ce cours pivot, si ce n'est qu'avec l'accord formel (par écrit) du président de l'OP et après en avoir averti préalablement le Celfnord ».

330. L'audition du directeur du Celfnord, qui était également directeur de la SNE, par les agents de la DGCCRF (cote 1774) confirme l'objectif et le fonctionnement du dispositif décrit dans le compte-rendu précité, de la réunion du 25 février 2002 :

« En ce qui concerne le système du cours pivot, pour éviter un effondrement des prix ne permettant plus au producteur d'être rémunéré, quand la demande et l'offre ne sont plus équilibrées, il faut ajuster l'offre à la demande. (…) Le cours pivot a pour objet de mettre en oeuvre des dénaturations ou transformations. En deça d'un certain seuil (le cours pivot), le Comité économique [en particulier le Celfnord] se porte acquéreur de la marchandise offerte par les OP ou les producteurs pour les détruire ou organiser sa transformation. Chaque OP adaptait son offre à sa demande. Le système du cours pivot existe depuis 2002. (…) C'est un seuil de déclenchement d'un barème d'indemnisation ».

331. Dans le même sens, la synthèse des réflexions du « séminaire endives » qui s'est tenu à Reims le 5 et 6 juin 2003, ainsi que le rapport d'activité adopté par l'Assemblée générale de la SNE, réunie à cette occasion, rappellent (cotes 474 et 1125) :

« Mise en oeuvre pour la deuxième campagne consécutive, l'objectif de l'action « cours pivot » était de stabiliser le marché (…). L'intérêt de la mesure était d'amener les opérateurs qui n'arrivaient pas à atteindre l'objectif du cours pivot à ne plus brader leurs marchandises sur le marché du frais, au risque de la déstabiliser, mais à la diriger vers la transformation, voire le retrait, avec la prise en charge des coûts soit par la SNE, soit par une cotisation hebdomadaire spécifique ».

332. Ledit rapport d'activité de la SNE indique également que, durant la campagne 2001/2002, celle-ci a du intervenir de façon importante sur le marché, pour faire face à l'effondrement des prix survenu en septembre 2001 à la suite d'une campagne abondante en racines liée à la réussite des semis. Il est précisé : « Gestion d'un cours pivot et dénaturations obligatoires furent les deux outils essentiels de gestion de cette campagne » (cote 474).

333. Il résulte de ces éléments que des pratiques portant sur la fixation et la mise en oeuvre du cours pivot, comme celle du prix minimum à la production, sont intervenues entre la SNE, entité non reconnue, et le Celfnord, entité assimilée à une AOP reconnue. Ces pratiques, dont la matérialité est établie, n'étant pas circonscrites à une entité reconnue ou assimilée, elles relèvent également du champ d'application des règles de concurrence.

334. S'agissant de la durée de ce dispositif du cours pivot, il ressort du dossier qu'il a été régulièrement mis en oeuvre en 2003, moyennant certains ajustements en raison notamment de son coût. C'est ce qui résulte des éléments suivants.

335. Tout d'abord, un tableau intitulé « récapitulatif général de la gestion du prix de défense du marché sur la base du cours pivot, campagne 2002/2003 », établit que le cours pivot a été fixé pendant plusieurs semaines consécutives, du 13 janvier au 22 mars, puis du 14 au 26 avril 2003 (cotes 445 et 446).

336. C'est ce que confirme, pour la semaine du 17 au 22 mars 2003, le compte-rendu de la réunion de la SNE, élargie aux sections régionales, en date du 17 mars 2003 (cote 1387), largement diffusé (aux « OP endives », aux « membres de la SR endives » et « aux membres de la SNE »), qui indique que, pour cette semaine 12, « le cours pivot est maintenu à 1 euro le kilo », tout en ajustant le système par une limitation de la quantité d'invendus indemnisés (« limitation des invendus des OP à 10% de leurs tonnages commercialisés pour la semaine 12, du 17 au 22 mars 2003, sur référence Infocl@r pour les OP du Nord de la France »). De même, une télécopie à l'entête du Celfnord, en date du 25 mars 2003, fait état de la décision prise la veille, par la SNE, de reconduire pour la semaine 13 le cours pivot sur la base de 1 euro/kg (cote 1399). En outre, le compte-rendu d'une réunion de la SNE du 11 avril 2003, évoquée lors de l'audition du directeur de la SNE et du Celfnord, précitée (cote 1772), précise que, pour la semaine du 14 au 19 avril, le cours pivot est réinstallé et fixé à 0,75 euros/kg, avec une limitation des invendus à 5%, ce qui confirme l'évolution observée précédemment, ainsi que le récapitulatif général précité. Au surplus, le compte-rendu de la réunion de la SRE du 16 avril 2003 (à laquelle a participé, notamment, la FNPE, cote 1680), qui confirme également ledit récapitulatif général, indique que, pour la semaine du 22 au 26 avril 2003, le cours pivot est maintenu au même niveau (à 0,75 euro/kg) et assorti d'une limitation identique (invendus à 5%), étant précisé que, face aux critiques du négoce indépendant et aux incompréhensions de certains producteurs, « le cours pivot (...) [étant] un prix d'objectif (...), tout doit être entrepris par les OP, avec au final l'intervention de la SNE et des caisses de péréquation » et rappelé que « ces interventions sont des actions d'ajustement et ne doivent pas générer plus de 5% d'invendus ».

337. Par ailleurs, un document avec l'entête du Celfnord, intitulé « gestion de l'endive d'été », évoqué lors de l'audition du directeur du Celfnord, précitée (cote 1775), recense les décisions prises sur la fixation du cours pivot, pour les semaines 26 à 32, soit du 20 juin au 31 juillet 2003 : 0,75 euro/kg la semaine 26 ; 0,90 euro/kg la semaine 27 ; 1,10 euro/kg les semaines 28 à 30 ; 1 euro/kg la semaine 31.

338. De plus, le compte-rendu de la réunion de la SRE du Celfnord du 10 septembre 2003, à laquelle ont participé notamment le président de la SNE et le président de la FNPE (cotes 1665 et 1670), indique que, pour la campagne 2003/2004, le cours pivot pourra être mis en oeuvre, du 1er octobre 2003 au 15 avril 2004 (soit pendant 28 semaines), dans une certaine fourchette (entre 0,70 et 0,90 euro/kg). Il ressort du dossier que le cours pivot a effectivement été mis en oeuvre pendant le reste de l'année 2003 : pour une semaine en novembre, à compter du 12 (cote 768), et pour deux semaines en décembre, à compter également du 12 (cotes 772 et 773) et du 22 (cote 774). C'est ce que confirme le tableau intitulé « bilan de gestion du cours pivot », dressé en avril 2004 (cote 748), ainsi que celui intitulé « bilan des interventions de gestion du marché endives 2003-2004 », établi le 30 mars 2004 (cote 743).

339. Il s'ensuit qu'en 2003 l'activation du dispositif du cours pivot mis en oeuvre entre, d'une part, la SNE et, d'autre part, la SRE du Celfnord, sans être systématique, était bien plus régulière que ce que prétendent le Celfnord, l'APEF (venant aux droits de la SNE), ainsi que la société Groupe Perle du Nord et les sociétés CAP'Endives et autres.

340. Le recours à ce dispositif s'est poursuivi en 2004. C'est ce qui résulte, pour le début de l'année, d'une série de télécopies envoyées par le Celfnord notamment aux « OP endives » et à la FNPE (président et directeur) faisant état de décisions prises sur ce point, pour plusieurs semaines consécutives, du 5 janvier au 7 février (cotes 777 à 781, 787 et 791). C'est ce que confirme le tableau de bilan de gestion du cours pivot, précité (cote 748), ainsi que celui du bilan des interventions de gestion du marché endives, précité (cote 743). Ce dernier document atteste également de la fixation d'un cours pivot, à plusieurs reprises, au cours des mois de février et mars 2004.

341. Au cours de cette année 2004, le système du cours pivot a évolué. En effet, le niveau d'indemnisation des invendus ne correspond plus systématiquement au niveau du cours pivot, c'est-à-dire à la totalité du montant du cours pivot en cas de destruction de la marchandise ou à la différence entre ce montant et celui du prix de vente de ladite marchandise sur le marché de la transformation industrielle. Cette évolution a été amorcée début janvier 2004, comme le prouve la télécopie du Celfnord du 8 janvier 2004 : il est indiqué que, pour la semaine à venir, « les marchandises qui seraient déclarées invendues et dirigées vers la transformation seront compensées à hauteur de 80% du cours pivot fixé ». Le tableau présentant le bilan des interventions de gestion du marché endives (cote 743), précité, rend compte de cette évolution au cours des mois suivants. Cette évolution se confirme lors des campagnes suivantes, comme le démontrent, notamment, le tableau intitulé « Gestion du marché de l'endive campagne 2005/2006 » (cote 1690), ainsi que le document à l'entête de la FNPE, intitulé « compte-rendu de la réunion téléphonique du bureau [de la FNPE] du 18 mai 2006 » (cote 3820).

342. À partir de 2005, l'expression « cours pivot » n'est quasiment plus employée, si ce n'est à de rares occasions (document à l'entête du Celfnord, intitulé « Endives campagne 2005/2006 », cote 1688 ; document intitulé « tableau récapitulatif des chiffres d'affaires, tonnages endives et indemnisations cours pivot par OP et par campagne depuis 2000 », cotes 5475 et 5476 ; procès-verbal de l'Assemblée générale du Celfnord du 5 juillet 2007, cote 10403).

343. D'autres termes sont utilisés, à savoir :

- « cours de production » (notamment, document à l'entête du Celfnord, intitulé « Endive : campagne

2005/2006, Plan de gestion du marché de l'endive du 29 novembre 2005 au 19 janvier 2006, décision du SRE du 29 novembre 2005 », cote 1223, compte-rendu de la réunion du bureau de la SRE du Celfnord du 2 décembre 2005, évoquée lors de l'audition du responsable-animateur de la FCE par les agents de la DGCCRF, cotes 4187 et 4188, et compte-rendu de la réunion téléphonique du bureau de la FNPE du 8 décembre 2005, cote 3046) ;

- « prix producteur » ou « prix de production » (notamment, lettres du président de la SRE du Celfnord du 6 février 2006, cote 921, et du 20 mars 2006, cote 971, et lettre commune du président de la SRE du Celfnord et du président de la FNPE du 2 mars 2006, cote 971) ;

- « prix minimum production » (notamment, document à entête de la FNPE, intitulé « compte-rendu de la réunion téléphonique du bureau [de la FNPE] du 7 août 2006 », cote 3793 ; documents à l'entête du Celfnord, intitulés « Endive : campagne 2006/2007-Plan de gestion du marché de l'endive, décisions SRE du 8 juin 2006 », cote 2836, et « Plan de gestion campagne endives

2006/2007, adopté à la SRE du 30 août 2006 », cote 2827 ; document à entête de la FNPE, intitulé « compte-rendu de la réunion téléphonée du bureau [de la FNPE] du 14 septembre 2006 », cote 3780) ;

- « prix minimum » (notamment, télécopie du Celfnord, du 26 avril 2006, aux « OP endives », intitulé « note de synthèse de réflexion et de propositions suite aux différentes réunions de producteurs », cote 928 ; document à l'entête de la FNPE, intitulé « compte-rendu de la réunion du bureau [de la FNPE] du 25 août 2006 », cote 3791).

344. Il résulte de cette série de pièces, ainsi que de deux autres pièces (cotes 1721 et 2881), que la défense d'un certain niveau de prix s'est poursuivie durant les campagnes 2005/2006 et 2006/2007 et a mobilisé, de concert, non seulement la SNE et la SRE du Celfnord, mais aussi la FNPE.

345. En effet, ces pièces indiquent :

- au titre de la campagne 2005/2006, les marchandises qui ne sont pas apportées à la bourse aux échanges font l'objet d'une vente directe par les opérateurs commerciaux des OP à « des prix égaux ou supérieurs à la mise à prix-bourse (ou à des prix d'objectif, forcément supérieurs au cours de production) » (document à l'entête du Celfnord, intitulé « Endive : campagne 2005/2006, Plan de gestion du marché de l'endive du 29 novembre 2005 au 19 janvier 2006, décision du SRE du 29 novembre 2005 », cote 1223) ;

- au cours de cette campagne, « le cours de production fixé pour la semaine 48 à 0,80 euro/kg n'a pas généré de stocks, ni d'invendus significatifs (...) Dans ces conditions, les participants s'accordent pour défendre un cours de production égal ou supérieur à 0,90 euro/kg » (compte-rendu de la réunion du bureau de la SRE du Celfnord du 2 décembre 2005, à laquelle ont participé notamment le président de la SNE et le président de la FNPE, cote 4188) ;

- au cours de la même campagne, « le cours de production a été fixé au départ à 0,90 euros (...)

Certains indépendants court-circuitent le projet en baissant les prix. Il est proposé de faire une action syndicale symbolique auprès de ces producteurs (...) Les producteurs bretons devraient être intégrés au projet (fixation du prix de production, abondement en cas de stocks d'invendus) » (compte-rendu de la réunion téléphonique du bureau de la FNPE du 8 décembre 2005, cote 3046) ;

- toujours au cours de la même campagne, « (...) aux termes de trois mois [décembre 2005 à février 2006] à défendre un prix de production (...) » (lettre du 2 mars 2006, à la double entête et signature du président de la SRE du Celfnord et du président de la FNPE, invitant les producteurs indépendants à une réunion le 14 mars suivant dans les locaux de la FNPE, cote 920) ; « Au terme de ces quatre mois [de décembre 2005 à mars 2006] d'une défense d'un prix producteur (...) » (lettre du président du Celfnord du 20 mars 2006, cote 971) ;

- en prévision de la campagne 2006/2007, il est proposé, dès le 26 avril 2006, de « défendre un prix minimum durant la période de défense du marché, (...) établi par un 'Bureau des présidents' (5 à 7 producteurs/ présidents nommés par la SRE [du Celfnord] ou la SNE) » et conçu comme « un prix minimum de vente incontournable sous aucun prétexte (promotion) » (télécopie du Celfnord, du 26 avril 2006, aux « OP endives », intitulé « note de synthèse de réflexion et de propositions suite aux différentes réunions de producteurs », cote 928) ; le 8 juin suivant, il est question de modifier la composition du « Bureau des présidents », qui reste à créer (trois représentants des OP, un représentant des producteurs associés et un représentant des opérateurs commerciaux conventionnés), et de préciser que ce nouvel organe sera « chargé de mettre en oeuvre ce plan de gestion conjoncturel du marché de l'endive et de l'adapter à la réalité des situations de marché (...) dans le cadre strict des paramètres décidés au préalable par la SNE ou la SRE [du Celfnord] et notamment (…) [d'] arrêter le prix minimum production (PMP) sur la base des cotations, volumes et interventions (référence cadran-bourse et Infocl@r » (…), [de] veiller à ce que la vente directe des marchandises, dont les OP et les producteurs associés ont la charge d'assurer, le soit à des prix égaux ou supérieurs au PMP [et de] fixer les sanctions prévues dans le cadre de ce plan » (document à l'entête du Celfnord, intitulés « Endive : campagne 2006/2007-Plan de gestion du marché de l'endive, décisions SRE du 8 juin 2006 », diffusé notamment au bureau de la FNPE, cote 2836) ;

- en prévision de cette même campagne 2006/2007, « l'ensemble des participants [à la réunion du bureau de la FNPE 7 août 2006] s'accordent à dire que l'élément fondamental de la gestion du marché est la défense du prix moyen production. Les OP et les producteurs indépendants doivent s'engager à maintenir un prix quel que soient les moyens mis en oeuvre pour y parvenir (indemnisation des invendus ou non) » (cote 3793) ;

- toujours en prévision de cette campagne, lors d'une réunion du bureau de la FNPE du 25 août 2006, l'appui des syndicats a été obtenu sur un projet de plan de gestion du marché présenté par le président de la SRE du Celfnord, prévoyant, notamment, d'une part, « la défense d'un prix minimum ferme fixé à la semaine » et, d'autre part, « l'information hebdomadaire des producteurs indépendants du prix minimum à défendre (cette information devra peut-être se faire via le syndicalisme, moins exposé que le Comité [le Celfnord] en matière d'entente sur les prix » (cote 3791) ;

- au titre de la campagne 2006/2007, le plan de gestion du marché adopté pour celle-ci, le 30 août 2006, « sur les bases et principes du plan de gestion mis en oeuvre l'an dernier » se définit, notamment, par la « défense d'un prix minimum production, qui soit un prix minimum impératif, facturé par les OP et les producteurs associés à leur(s) organisme(s) de vente, et surtout pas un prix moyen de vente (de jour ou de la semaine) facturé aux clients » (document à l'entête du Celfnord, intitulé « Plan de gestion campagne endives 2006/2007, adopté à la SRE du 30 août 2006 », cote 2827) ;

- au cours de cette campagne, « le prix minimum production pour cette semaine [mi-septembre 2006] a été fixé à un euro » (document à entête de la FNPE, intitulé « compte-rendu de la réunion téléphonée du bureau [de la FNPE] du 14 septembre 2006 », cote 3780) ;

- au cours de cette même campagne, « l'indemnisation des bacs sera supprimée si le prix minimum de production (...) [supérieur ou égal à 1 euro] n'est pas totalement respecté » (télécopie à l'entête du Celfnord du 12 décembre 2006, intitulé « Compte-rendu des décisions prises lors de la réunion téléphonée du Conseil d'Administration de la SRE du 12 septembre 2006 », ayant comme destinataires, notamment, le président ainsi que le directeur de la FNPE, cote 1721) ;

- toujours au cours de cette même campagne, « un prix minimum doit être défendu par les responsables syndicaux au sein de leurs groupements. Chacun doit faire pression auprès de son commercial pour que le prix soit supérieur de 0,05 à 0,10 euros au prix du marché » (compte-rendu de la réunion téléphonique du bureau de la FNPE du 25 mars 2007, cote 2881).

346. Il s'ensuit qu'à partir de 2005, loin de se limiter, comme l'allèguent le Celfnord, l'APEF (venant aux droits de la SNE), la société Groupe Perle du Nord et les sociétés CAP'Endives et autres, à quelques discussions ou projets, éparses et ponctuels, intervenus uniquement en août et septembre 2006, les concertations sur le prix de vente à la production se sont déployées, au moins, entre novembre 2005 et septembre 2006, et se sont concrétisées par la défense et la fixation d'un prix minimum dans le cadre d'un plan de gestion du marché.

347. Pendant cette période, les pratiques en cause n'étant pas purement internes au Celfnord, entité assimilée à une AOP reconnue, mais ayant également impliqué non seulement la SNE mais aussi la FNPE, entités non reconnues (ni comme AOP, OP ou OI), celles-ci relèvent également du champ d'application des règles de concurrence.

348. Il résulte de l'ensemble de ces développements qu'aucune des pratiques en cause portant sur le prix minimum de vente à la production (quelle que soit la dénomination employée : « prix minimum payé producteur », « cours pivot », « prix minimum production » etc...), ne revêt un caractère purement interne à une entité reconnue comme OP, AOP ou OI, dès lors que toutes ces pratiques ont impliqué non seulement le Celfnord, entité assimilable à une AOP reconnue, mais aussi, la SNE, entité non reconnue comme telle, et, dans certains cas, la FNPE, également non reconnue comme AOP s'agissant d'un syndicat.

349. La circonstance que le Celfnord entretenait des liens étroits avec la SNE et y jouait un rôle majeur en tant que membre en raison de l'importance du bassin du Nord, et que, réciproquement, la SNE participait régulièrement aux réunions de la SRE du Celfnord, ne suffit pas à remettre en cause ce constat. De même, la circonstance que la FNPE était membre à la fois du Celfnord et de la SNE n'est pas de nature à conférer auxdites pratiques un caractère purement interne.

350. En outre, c'est en vain que le Celfnord, l'APEF, la société Groupe Perle du Nord et les sociétés CAP'Endives et autres soutiennent que ces pratiques échappent au champ d'application des règles de concurrence en raison d'un prétendu rapprochement entre prix minimum et prix de retrait.

351. En effet, comme l'a précisé l'avocat général de la Cour de justice désigné dans la présente affaire, dans ses conclusions (point 126), ce qui a été rappelé par l'Autorité dans ses observations, « il ne saurait être tiré argument, pour justifier une pratique de prix minimaux mise en place entre des OP ou AOP de l'existence de prix dits 'de retrait', qui étaient théoriquement envisageables avant la mise en place de l'OCM unique par le règlement n° 1234/2007. Le prix de retrait est en effet défini comme un prix en-dessous duquel les producteurs associés ne mettront pas en vente une certaine quantité (et non la totalité) des produits apportés par leurs adhérents, ces derniers recevant en contrepartie une indemnisation. La production restante des membres de l'OP ou de l'AOP reste soumise aux forces du marché et ne pourra donc être commercialisée à un prix minimum fixé à l'avance par ces membres » (souligné par la Cour). Cette définition du prix de retrait résulte du libellé de l'article 23, paragraphe 1, en lien avec le considérant 16, du règlement de base (voir paragraphes 36 et 42 du présent arrêt). À la différence du prix de retrait, qui se limite à soustraire à la vente une certaine quantité de produits, le prix minimum est indistinctement applicable à la totalité des produits mis en vente, et non à une certaine quantité d'entre eux.

352. Il s'ensuit que c'est à juste titre que l'Autorité (décision attaquée, paragraphes 254, 423 et 452) a retenu que les pratiques en cause portant sur le prix minimum de vente à la production relèvent du champ d'application des règles de concurrence. Si la diffusion par le Celfnord de télécopies faisant référence audit prix remonte à la fin de l'année 1997, la Cour retiendra, comme l'Autorité (décision attaquée, paragraphe 455), que les pratiques en cause ont commencé au moins dès le 27 janvier 1998 (date d'envoi par le Celfnord aux « OP endives » de l'une de ces télécopies). La Cour retiendra également, comme l'Autorité (décision attaquée, paragraphe 102), que la dernière référence au mécanisme du cours pivot figure au procès-verbal de la réunion de l'assemblée générale ordinaire du Celfnord du 5 juillet 2007 (cote 10409, 5ème résolution, sous c).

ii) Sur la mise en place d'une bourse aux échanges et la fixation d'un prix « cliquet »

353. Le 29 novembre 2005, lors d'une réunion sur le plan de gestion du marché pour la campagne 2005/2006, la SRE du Celfnord a décidé de mettre en place une bourse aux échanges de marchandises entre les opérateurs commerciaux et de confier le pilotage de cette bourse à la FCE (voir le compte-rendu de cette réunion en cotes 972 et 973). Pour mémoire (voir paragraphe 201 du présent arrêt), la FCE regroupe les principaux acteurs du secteur endivier (OP, commerce de gros, expéditeurs, producteurs vendeurs).

354. Il ressort du dossier que cette décision de création d'une bourse aux échanges répondait à deux objectifs principaux, à savoir :

- d'une part, fluidifier les échanges ou transferts de marchandises entre OP pour leur permettre de faire face à des commandes importantes en volume et ajuster ainsi l'offre à la demande ;

- d'autre part, accroître la connaissance du marché, au-delà de l'outil Infocl@r, afin de faciliter la prise de décision sur la gestion de celui-ci ; la bourse aux échanges est conçue comme « le baromètre indispensable pour la formation du prix et le constat des invendus éventuels », auquel « s'adosse (…) la gestion du marché » (cote 972, précitée), ainsi que « la référence, l'indicateur du marché, (…) Infocl@r (…) [étant] l'outil n° 2 » (bilan critique du plan de gestion du marché dressé par la SRE du Celfnord le 18 janvier 2006 et complété le 27 mars suivant, cote 974).

355. À cet égard, selon le compte-rendu de cette réunion fondatrice, il est prévu (cote 973) :

- que les OP apportent chaque jour 30 % de leur offre de marchandises sur la bourse aux échanges, « afin que cette dernière ait un effet sur le marché » ;

- que les opérateurs commerciaux des OP, voire d'autres opérateurs commerciaux, rachètent tout ou partie des marchandises mises à la bourse et contribuent ainsi à la « formation d'un prix de référence significatif » ;

- que, parallèlement, les mêmes opérateurs commerciaux des OP assurent la vente des marchandises non apportées à la bourse, « à des prix égaux ou supérieurs à la mise à prix- bourse » ;

- qu'à la clôture de la bourse, les marchandises invendues ou leurs quantités équivalentes fassent rapidement l'objet d'opérations de retrait du marché du frais (par dégagement vers la transformation ou par dénaturation), organisées par les OP ;

- que, le lendemain de la clôture, les OP ayant eu à prendre en charge ces invendus réduisent leurs propres quantités de marchandises mises sur le marché (allégement de l'offre) ;

- que, chaque vendredi (le dernier jour de la semaine d'ouverture de la bourse aux échanges), connaissance prise des invendus, des stocks et des programmes de transformation éventuels, ainsi que des « désengagements » déclarés par les opérateurs commerciaux (c'est-à-dire des renonciations à des commandes acceptées à l'avance), un prix minimum, dit « cours de production », est fixé pour la semaine suivante, par une commission créée à cet effet (appelée « commission paritaire du marché » composée de cinq personnes : deux membres de la SRE du Celfnord, deux membres de la FCE et un représentant du Celfnord), et ce sur la base du prix moyen et des volumes de la semaine précédente (référence bourse et Infocl@r), moyennant un ajustement (dans la limite maximale de 0,05 euro) en fonction de la baisse ou de la hausse des prix, ainsi que de l'absence ou du pourcentage (20 %) des invendus constatés à la bourse aux échanges par rapport aux offres de la semaine ; ce « cours de production » est défini comme « le prix-logé-départ-toutes remises commerciales déduites » (soit le coût de production, majoré de l'emballage, de la mise sur palettes, de la marge et des frais commerciaux, à l'exclusion des frais de remises, rabais, ristournes et transport).

356. Il était prévu que le dispositif pouvait être élargi, par conventions, à des opérateurs ou producteurs associés.

357. La première expérience de cette bourse aux échanges ayant été peu concluante, il a été demandé à la FCE, lors d'une éunion de la SRE du Celfnord du 20 décembre 2005 (cote 2368), de revoir son fonctionnement, ce qui a été fait dès le début de l'année 2006 (cotes 4202, 996 à 998). Il résulte de la présentation de la nouvelle configuration du dispositif, par l'animateur de la FCE, que cette bourse est ouverte une heure par jour du lundi au vendredi, sur le site internet de la FCE. Elle repose sur un mécanisme d'enchères ascendantes : le vendeur propose ses marchandises à un certain prix, constituant l'enchère minimale, et les acheteurs peuvent surenchérir (l'incrément minimum pour surenchérir étant le centime). Il est prévu que le prix minimum des offres (la mise à prix) est invisible à l'écran (lors de son audition, l'animateur de la FCE a expliqué que « personne ne devait savoir qui vendait quoi et à quel prix », cote 46), mais néanmoins indiqué sur le bulletin de la FCE avant la session. Il est question que ce prix minimum des offres soit fixé chaque jour par une commission spécialement créée à cet effet (appelée « commission tarifaire de la bourse », composée d'une « OP Perle », d'une « OP non Perle » et d'un expéditeur) et soit indexé sur le prix Infocl@r J-1 moins 10%.

358. Il ressort du bilan critique du plan de gestion du marché dressé par la SRE du Celfnord le 18 janvier 2006 et complété le 27 mars suivant, précité (cote 974), que ce système n'a pas fonctionné : n'étant pas rentré dans les habitudes, vu le faible volume des apports de marchandises mises en bourse, il « n'a pas joué son rôle d'ajustement et d'indicateur du marché, ni donné le ton du marché, ni permis d'évaluer les excédents ». C'est ce que confirme l'animateur de la FCE lors de son audition (cote 46, précitée) : « La commission tarifaire (...) n'a jamais existé. Un test a été fait en février 2006 sur plusieurs sessions de vente. Au cours de ce test, les vendeurs mettaient leur lot en vente à un prix qu'ils souhaitaient. Les prix étaient différents selon les segments et les opérateurs. Le dispositif consistant à convenir quotidiennement d'un prix minimum par une commission tarifaire n'a jamais existé ».

359. C'est dans ce contexte que l'année suivante, lors d'une réunion du 4 janvier 2007, à laquelle ont participé notamment la FCE, ainsi que la SNE et la FNPE, le conseil d'administration du Celfnord a décidé de mettre en place une nouvelle bourse aux échanges dénommée « cadran/bourse ».

360. Il résulte du compte-rendu de cette réunion (cotes 606 et 607) que la création de ce cadran-bourse répond aux objectifs suivants :

- premièrement, comme auparavant, fluidifier les échanges de marchandises entre les acteurs : « il est établi que les entreprises commerciales, associées aux OP, n'ont pas toujours les volumes nécessaires en quantités et en qualités pour satisfaire, au quotidien, tout ou partie de leurs clients, à partir des seuls approvisionnements de leurs adhérents directs. L'objectif de la bourse/cadran a donc pour (…) objectif de d'optimiser au quotidien [la gestion de] cette inadéquation de l'approvisionnement des producteurs par rapport à la demande » ;

- deuxièmement, renforcer l'attractivité des OP et défendre la rémunération des producteurs qui en sont membres : « Tant que les OP n'auront pas décidé de s'approvisionner prioritairement (pour ne pas dire exclusivement) entre elles, la part sera belle à tous les opérateurs [commerciaux] (…) qui ont décidé d'aller chercher de la marge plutôt que de la valorisation pour leurs adhérents. Bien sûr, la bourse/cadran induira des contraintes nouvelles aux OP et à leurs commerciaux. Parfois de la marge en moins, mais au profit d'une meilleure défense des prix au profit des seuls adhérents des OP. Alors verra-t-on des producteurs se réintéresser aux OP, y adhérer plutôt que « papillonner » autour des opérateurs commerciaux à la recherche de marges confortables » ;

- troisièmement, « former un prix au niveau de la première mise en marché, transparent et permettant une bonne adéquation de l'offre à la demande, mais aussi et surtout d'étalonner la performance des OP et de leurs opérateurs commerciaux ».

361. Il résulte également du compte-rendu de cette réunion que, face au manque d'investissement des opérateurs commerciaux dans la bourse aux échanges, le nouveau dispositif se veut être un « marché de production, (…) animé et géré par les producteurs ».

362. Le fonctionnement de ce nouveau dispositif a été précisé le 4 septembre 2007, lors d'une réunion du conseil d'administration du Celfnord (cote 4930 et suivantes), à laquelle ont également participé notamment la FCE, la SNE et la FNPE, et au cours de laquelle ont été adoptées des conditions générales de vente pour la campagne 2007/2008 (cote 4939 et suivantes).

363. Il en ressort :

- que la bourse/cadran, à enchères dégressives, est un marché de production, mis en oeuvre, animé et géré par les producteurs via leur OP « fédérées » au sein du Celfnord ; l'OP Sipema pilote toutes les ventes, organisées dans sa salle de ventes (à Saint Omer) et accessibles à distance ; la facturation des transactions est centralisée par la société Endives du Nord (présentée comme une filiale du Celfnord) pour le compte des offreurs ;

- qu'il est envisagé, comme auparavant, d'y associer, par convention, les producteurs indépendants ;

- que, chaque jour d'ouverture de la bourse (mercredi, jeudi, vendredi), les OP doivent apporter 10% de leur offre de marchandises, sous peine d'encourir une pénalité de 200 euros (par jour de non-apport) ou de 150 euros (par tonne d'endives non apportée) ;

- que les acheteurs doivent être affiliés à la FCE, présenter une caution bancaire, être présents à chaque vente et « donner la priorité de leurs achats au cadran/bourse avant d'aller prospecter en culture [auprès des producteurs indépendants] » ; la FCE a exprimé son intention d'apporter son concours pour stimuler la demande et animer l'ensemble des acheteurs ;

- que les achats au cadran/bourse se feront à des prix supérieurs à ceux pratiqués en culture, l'objectif étant de valoriser la rémunération des producteurs ;

- que la bourse/cadran donnera le « ton du marché » en formant un prix de marché, ce qui redonnera aux opérateurs commerciaux des repères et arguments vis-à-vis de leurs clients ;

- que les marchandises sont proposées au « prix de production départ dépôt » (soit le coût de production, majoré de l'emballage et de la mise en palettes, sans les frais de chargement et de transport) ;

- que ce mécanisme d'enchères dégressives est assorti d'un « prix cliquet », en-deçà duquel la vente est suspendue, la marchandise demeurant la propriété de l’offreur.

364. Lors d'une réunion du Celfnord consacrée au cadran/bourse, qui s'est tenue le 4 octobre 2007 (cote 4938), à laquelle ont notamment participé l'animateur de la FCE, ainsi que le directeur commun au Celfnord et à la SNE, le « prix cliquet » a été fixé au prix moyen Infocl@r (relatif aux endives de catégorie 1) du jour précédent le cadran/bourse, déduction faite d'un forfait de 0,10 euro/kg. Lors de cette même réunion, il était convenu que, pour les endives de la marque Perle du Nord, le « prix cliquet » serait défini par la société Perle du Nord. Dans une lettre envoyée par fax au Celfnord en vue d'une réunion prévue le 12 octobre sur le cadran/bourse, la société Fraileg estime que « la seule finalité [du dispositif] est de restaurer le cours pivot sous couvert d'un cadran » (cote 4944).

365. Il en résulte que le « prix cliquet », qui constitue une forme de prix minimum de vente, a fait l'objet d'une fixation collective de manière concertée, non pas entre les seuls producteurs des OP faisant partie du Celfnord, entité assimilée à une AOP reconnue, mais aussi avec la SNE et la FCE, entités non reconnues.

366. Le cadran/bourse est devenu opérationnel quelques jours plus tard : la première séance de ventes a eu lieu le 10 octobre 2007. Toutefois, il ressort du compte-rendu de la réunion de la SRE du Celfnord du 7 janvier 2008, à laquelle ont participé notamment la SNE et la FNPE, que ce dispositif n'a pas répondu aux attentes de ses initiateurs et que plusieurs OP ont exprimé leur volonté de ne plus faire d'offres sur le cadran/bourse, ce qui a conduit à une décision de maintien dudit dispositif sur une base volontaire et provisoire, jusqu'à la prochaine réunion de la SRE prévue le 24 janvier 2008 (annexe 16 du mémoire du Celfnord).

367. Il résulte de l'ensemble de ces développements :

- tout d'abord, que les pratiques en cause concernant la bourse aux échanges n'ont pas été circonscrites à des concertations entre producteurs d'une même OP ou AOP reconnue, mais sont intervenues entre, d'une part, une entité assimilable à une AOP reconnue (le Celfnord) et, d'autre part, une entité non reconnue comme telle (la FCE), ayant d'autres membres que les seules OP (acteurs du commerce de gros, expéditeurs, producteurs vendeurs) et chargée, à ce titre (s'agissant d'une bourse entre les opérateurs commerciaux), de piloter le dispositif et de participer à la fixation du prix minimum dit « cours de production » en tant que membre de la commission paritaire du marché (la FCE compte deux des cinq membres de cette commission) ;

- ensuite, que les pratiques en cause concernant la bourse/cadran n'ont pas non plus été circonscrites à des concertations entre producteurs d'une même OP ou AOP reconnue, dans la mesure où, nonobstant la reconfiguration du dispositif en marché de production, la mise en oeuvre de celui-ci ne reposait pas uniquement sur le Celfnord à travers, notamment, les sociétés Endives du Nord et Sipema, mais impliquait aussi la FCE, ainsi que la SNE, entités non reconnues, lesquelles ont participé à la fixation collective du « prix cliquet », ainsi qu'à l'ensemble des réunions de concertations conduites par le Celfnord sur l'organisation du dispositif de bourse/cadran, auxquelles a également participé la FNPE, entité également non reconnue.

368. Ces pratiques ne revêtent donc pas un caractère purement interne au Celfnord.

369. Comme cela a déjà été indiqué (paragraphe 349 du présent arrêt), la circonstance que le Celfnord entretenait des liens étroits avec la SNE et y jouait un rôle majeur en tant que membre en raison de l'importance du bassin du Nord, et que, réciproquement, la SNE participait régulièrement aux réunions de la SRE du Celfnord, ne suffit pas à remettre en cause ce constat. De même, comme cela a déjà également été indiqué (paragraphe précité), la circonstance que la FNPE était membre à la fois du Celfnord et de la SNE n'est pas de nature à conférer auxdites pratiques un caractère purement interne. Bien plus, la FCE n'était membre ni du Celfnord, ni de la SNE, et, réciproquement, ni l'une ni l'autre n'était membre de la FCE, seules les OP en étant membres (outre les producteurs vendeurs, les expéditeurs et les représentants du commerce de gros).

370. Dès lors, c'est à juste titre que l'Autorité (décision attaquée, paragraphes 254, 423 et 452) a retenu que les pratiques portant sur la bourse aux échanges et le cadran bourse, incluant la fixation d'un prix minimum dit « cours de production » et d'un prix dit « cliquet », relèvent du champ d'application des règles de concurrence. La Cour retient que ces pratiques ont commencé le 29 novembre 2005 (date à laquelle la SRE du Celfnord a décidé de mettre en place une bourse aux échanges, cotes 972 et 973) et que leur dernière manifestation correspond à la date limite fixée par la SRE du Celfnord pour le maintien du fonctionnement du cadran/bourse, à savoir le 24 janvier 2008 (annexe 16 du mémoire du Celfnord).

iii) Sur la coordination des offres promotionnelles

371. Il ressort du dossier que, dès l'année 2000, des concertations sur les offres promotionnelles ont eu lieu au sein du Celfnord, à la suite de difficultés rencontrées avec certaines enseignes de la grande distribution du fait de la diffusion de prospectus annonçant des prix de vente aux consommateurs jugés « déstabilisants ». C'est ce qui résulte de l'audition du directeur du Celfnord, le 22 novembre 2000, par les agents de la DGCCRF (cote 2160). Ces concertations se sont tenues lors de réunions téléphoniques organisées par le Celfnord, le mercredi après-midi, avec les présidents des OP ou leurs représentants. Au cours de ces réunions, ces derniers indiquaient s'ils avaient été contactés par des enseignes pour programmer des offres promotionnelles et, le cas échéant, selon quelles modalités (calendrier, prix, volume, périmètre), et il leur était demandé de ne pas s'engager avec des enseignes pratiquant des prix trop bas (inférieurs au « prix logé départ » ou au coût de production).

372. Les comptes-rendus des « séminaires endives », organisés par la SNE et le Celfnord, en mai 2000 au Touquet (cote 504), en mai 2002 (cote 510) et en juin 2003 à Reims (cote 1123 et suivantes), attestent de l'importance accordée par les acteurs du secteur à une gestion concertée des promotions, par région ou par enseigne. Il était envisagé, en conséquence, que la SNE entreprenne une démarche auprès d'Interfel pour introduire en catalogues des « promotion-prix », dans le cadre d'un accord interprofessionnel.

373. La FNPE a soutenu cette idée au point d'élaborer, le 29 août 2003, une « proposition pour un accord interprofessionnel de bonnes pratiques pour l'organisation des promotions commerciales dans la filière endive », en vue de servir de base à la définition d’un tel accord par Interfel (cotes 4132 à 4134). Cette proposition ne se bornait pas à tirer les conséquences de l'article L.441-2 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 sur les nouvelles régulations économiques (dite « loi NRE »), en prévoyant d'autoriser, par voie d'accord interprofessionnel, l'annonce sur tout support, hors lieu de vente, du prix des endives dans le cadre d'offres promotionnelles, et ce à une certaine condition de calendrier (voir point 6 de la proposition, intitulé « Annonce de prix hors lieux de vente »). Il était également question (point 3 de la proposition, intitulé « Echanges d'informations ») de favoriser la cohérence et l'efficacité des actions de promotion en organisant des échanges d'informations entre, d'une part, les organisations représentant la production, qui seraient invitées à indiquer en début de saison le calendrier et la nature des actions de communication et de promotion collective qu'elles envisagent et, d'autre part, les organisations représentant le négoce et la vente aux consommateurs, qui seraient appelées à fournir un calendrier indicatif des actions de promotion habituellement organisées par leurs adhérents pendant la saison, l'ensemble des informations échangées ayant vocation à être régulièrement actualisées.

374. Il ressort du dossier que les concertations portant sur les offres promotionnelles, conduites par le Celfnord, poursuivaient deux objectifs complémentaires, à savoir :

- d'une part, la coordination dans le temps des promotions, afin d'éviter que celles-ci n'arrivent toutes en même temps, dans la mesure où, comme l'a déclaré le président de la SRE du Celfnord lors de son audition, « La FCE coordonne aussi les promotions pour éviter que toutes les promotions arrivent en même temps. Si tout le monde fait le prix promotionnel en même temps, il n'y a plus de promotion ; c'est le prix du marché » (cote 1932) ;

- d'autre part, la défense d'un certain niveau de prix, afin d'empêcher un contournement du dispositif de prix minimum fixé dans le cadre de la gestion du marché (voir paragraphe 322 et suivants du présent arrêt), par des actions de promotion de nature à réduire le prix moyen réellement payé au producteur, telles que celles reposant par exemple sur la formule « 10 % gratuits ou offerts », évoquées lors du « séminaire endive » de Reims (cote 1123), revenant à vendre un certain volume de marchandises à un moindre prix, ce qui a conduit, lors de ce séminaire, à proscrire la conclusion d'accords bilatéraux de ce type entre une enseigne et un opérateur.

375. Contrairement à ce que soutiennent le Celfnord et l'APEF, la coordination des offres promotionnelles ne se bornait donc pas à fixer des calendriers de promotion, mais visait aussi, comme le soulignent l'Autorité et le ministre chargé de l'économie, à encadrer le prix de vente final, en lien avec l'objectif de défense des prix minima à la production.

376. Il ressort également du dossier que les pratiques en cause se sont poursuivies pendant plusieurs années et n'ont pas seulement impliqué le Celfnord et la SNE, en lien avec la FNPE, mais aussi, à partir de 2005, la FCE (une fois constituée).

377. En effet, en premier lieu, dans le prolongement du « séminaire endives » de Reims de juin 2003, au cours duquel avait été exprimé la nécessité de coordonner la totalité des actions de promotions et l'idée de réactiver à cet effet une commission (appelée « Commission Interprofessionnelle du Marché de l'Endive », dite « CIME »), la FCE, constituée à la fin de l'année suivante afin de favoriser le dialogue entre les opérateurs de mise en marché, s'est investie dans cette tâche d'organisation et de gestion des campagnes promotionnelles.

378. C'est ce qui résulte d'une série d'éléments, à savoir :

- tout d'abord, des déclarations concordantes, lors de leurs auditions en 2007, de l'animateur de la FCE (cote 4183), du directeur du Celfnord (cote 73), du président de la SRE du Celfnord (cote 1932, précitée), du président de la FNPE (cote 4175) et du directeur de celle-ci (cote 4145) ;

- ensuite, d'une télécopie envoyée, le 13 février 2006, par le directeur de la SRE du Celfnord en vue de la tenue d'une prochaine réunion du bureau de la SRE, élargie aux présidents des OP et à la FCE, dont l'objet annoncé est de « se coordonner afin de résister aux demandes d'actions promotionnelles actuelles et à venir » (cote 5762) ;

- en outre, du compte-rendu de la décision de la SRE du Celfnord, du 8 juin 2006, selon lequel le bureau des présidents est chargé de « s'assurer avec la FCE de la bonne organisation des promotions pour lesquelles les OCC [opérateurs commerciaux conventionnés] se sont engagés de déclarer de façon précise et détaillée (enseignes, dates, nature des produits, prix et volumes engagés) » (cote 2836) ;

- enfin, d'une télécopie envoyée, le 29 novembre 2006, également par le directeur de la SRE du Celfnord aux membres du conseil d'administration de celui-ci, afin de leur rappeler que, lors d'une précédente réunion (du 22 novembre), « il a été demandé à ce que les présidents d'OP se rapprochent de leurs commerciaux afin qu'ils ne s'engagent pas sur des prix promotionnels durant les semaines allégées, soit les semaines 50 (-20%) et 52 (40%) » et « qu'il a été convenu que l'ensemble de ces engagements soient communiqués au préalable à la FCE » (cote 1714), ce qui confirme l'implication de la FCE dans les pratiques de concertation sur les offres promotionnelles.

379. En deuxième lieu, la FNPE ne s'est pas bornée à élaborer la proposition d’accord interprofessionnelle, précédemment évoquée, mais est intervenue régulièrement auprès des grandes enseignes de la distribution pour dénoncer des offres promotionnelles à des prix jugés trop bas. Lors de son audition par les agents de la DGCCRF, le directeur de la FNPE a cité plusieurs exemples de ce type d'interventions, notamment auprès de deux enseignes (cote 77). Le compte-rendu d'une réunion, du 29 août 2006, du conseil d'administration du syndicat des producteurs d'endives de la Somme, donne un autre exemple d'intervention de la FNPE, auprès d'une autre enseigne (cote 4037).

380. Dans le même sens, un communiqué de presse de la FNPE paru, le 6 janvier 2006, dans le journal « Le syndicat agricole », intitulé « Coup de colère des producteurs », rapporte une intervention de la FNPE auprès d'un expéditeur-négociant : « Il n'est pas admissible que certains opérateurs profitent de la politique de la défense du prix soutenue par la majorité, pour prendre des parts de marché en pratiquant des prix en dessous des cours. Ces prix même isolés font référence et tirent le marché à la baisse au détriment de l'ensemble de la profession. C'est la raison pour laquelle une délégation de quelques responsables syndicats est (…) allée rencontrer la SARL (…) qui s'est ainsi rendue complice de promotions à des prix fixés anormalement bas qui déstabilisent le marché » (cote 1250).

381. En outre, dans ses observations devant la Cour, la FNPE indique intervenir régulièrement auprès de certains producteurs pour les sensibiliser sur les conséquences de promotions à bas prix.

382. Il résulte de l'ensemble de ces développements que ces pratiques portant sur les offres promotionnelles n'ont pas été circonscrites à des concertations entre producteurs d'une même OP ou AOP reconnue, mais ont impliqué, non seulement le Celfnord, entité assimilable à une AOP reconnue (le Celfnord), mais aussi, le Cérafel, une autre entité de ce type, ainsi que trois entités non reconnues, ni comme AOP, ni comme OP, ni comme OI (la SNE, la FCE et la FNPE). Il s'ensuit que ces pratiques ne revêtent pas un caractère purement interne.

383. Comme cela a déjà été indiqué (paragraphes 349 et 369 du présent arrêt), circonstance que le Celfnord entretenait des liens étroits avec la SNE et y jouait un rôle majeur en tant que membre en raison de l'importance du bassin du Nord, et que, réciproquement, la SNE participait régulièrement aux réunions de la SRE du Celfnord, ne suffit pas à remettre en cause ce constat. De même, comme cela a également été déjà indiqué (paragraphes précités), la circonstance que la FNPE était membre à la fois du Celfnord et de la SNE n'est pas de nature à conférer auxdites pratiques un caractère purement interne. Bien plus, pour mémoire (paragraphe 369 du présent arrêt), la FCE n'était membre ni du Celfnord, ni de la SNE, et, réciproquement, ni l'une ni l'autre n'était membre de la FCE, seules les OP en étant membres (outre les producteurs vendeurs, les expéditeurs et les représentants du commerce de gros). En outre, la circonstance que le Celfnord et le Cérafel étaient tous les deux membres de la SNE n'est pas davantage de nature à conférer aux pratiques en cause un caractère purement interne.

384. Dès lors, c'est à juste titre que l'Autorité (décision attaquée, paragraphes 254, 423, 452 et 457) a retenu que les pratiques en cause portant sur les offres promotionnelles, conduites par le Celfnord, relèvent du champ d'application des règles de concurrence, et ont débuté au moins le 30 mai 2000 (premier jour du « séminaire endives » au Touquet, faisant état de concertations sur les promotions).

385. Par ailleurs, il est établi que l'APEF, une fois constituée (le 28 août 2008), s'est engagée, à la suite du Celfnord, dans la même voie, concernant les offres promotionnelles, comme en attestent le règlement intérieur de sa section dite « SOMO », adopté lors de l'assemblée générale constitutive du 28 août 2008 (cote 5772), ainsi que le document intitulé « les neuf points clés des engagements de la SOMO », envoyé à la DGCCRF en novembre 2008 (cote 5766).

386. Toutefois, il ne ressort pas du dossier que ces pratiques ont continué à impliquer la SNE, la FNPE et la FCE, lesquelles n'étaient pas membres de l'APEF. D'ailleurs, l'institution au sein de la SOMO d'un coordinateur, chargé de centraliser les informations sur les propositions d'offres promotionnelles, de les analyser et, le cas échéant, de les valider avant toute soumission au client, laisse penser que l'APEF a pris le relais de la FCE dans la réalisation de cette tâche.

387. En l'absence d'éléments sur l'implication d'autres entités que l'APEF dans l'adoption des pratiques intervenues en 2008, celles-ci doivent être considérées comme purement internes à l'APEF.

388. Cette dernière n'ayant été reconnue comme AOP que le 24 décembre 2008, il convient d'examiner de manière distincte les pratiques en cause, selon qu'elles sont intervenues avant ou éventuellement après cette date.

389. S'agissant des pratiques intervenues depuis la constitution de l'APEF, soit le 28 août 2008, et avant sa reconnaissance comme AOP, soit le 24 décembre de la même année, elles relèvent, comme l'a retenu à juste titre l'Autorité (décision attaquée, paragraphes 254, 423 et 452), du champ d'application des règles de concurrence dans la mesure où précisément, pendant cette période, l'APEF ne constituait pas une entité reconnue pour les besoins de la PAC.

390. S'agissant des pratiques qui seraient intervenues à compter du 24 décembre 2008, à supposer qu'elles existent (le dossier ne comportant pas d'autres éléments sur ce point que le règlement intérieur du SOMO, lequel remonte à fin août 2008, et le document intitulé « les neufs points clés des engagements de la SOMO », non daté), il n'est pas établi qu'elles remplissent les conditions requises pour relever du champ d'application des règles de concurrence.

391. En effet, il découle de l'arrêt de la Cour de justice rendu dans la présente affaire (voir paragraphe 102 du présent arrêt) que des pratiques portant sur la politique tarifaire, lorsqu'elles sont purement internes à une AOP reconnue, ne sont susceptibles de relever du champ d'application des règles de concurrence que si lesdites pratiques excèdent ce qui est strictement nécessaire à la réalisation de l'objectif de concentration de l'offre confiée à cette entité, dans le cadre de la mise en oeuvre de la PAC, afin de renforcer la position des producteurs face à une demande sans cesse plus concentrée. Comme cela a déjà été indiqué (au même paragraphe du présent arrêt), la Cour de justice a précisé que tel est le cas lorsque la fixation collective de prix minima de vente au sein d'une même OP ou AOP ne permet pas aux producteurs écoulant eux-mêmes leur propre production de pratiquer un prix inférieur à ces prix minima, dans la mesure où cette pratique a pour effet d'affaiblir le niveau déjà réduit de concurrence existant sur les marchés de produits agricoles, en raison, notamment, de la faculté reconnue aux producteurs de se regrouper en OP et en AOP afin de concentrer leur offre. Cette jurisprudence est transposable aux pratiques en cause concernant les offres promotionnelles, en ce que ces pratiques visent, comme cela a déjà été indiqué (paragraphe 374 du présent arrêt), à défendre un certain niveau de prix, et ce afin d'empêcher un contournement du dispositif de prix minimum fixé collectivement dans le cadre de la gestion du marché.

392. En outre, comme l'a précisé l'avocat général de la Cour de justice désigné dans la présente affaire, aux points 51 à 56 de ses conclusions, auxquels la Cour de justice renvoie au point 38 de son arrêt, il appartient aux autorités de poursuites de rapporter la preuve que les pratiques reprochées dans le secteur des fruits et légumes relèvent du champ d'application des règles de concurrence.

393. Il s'ensuit qu'en l'espèce, les pratiques de concertation sur les offres promotionnelles qui auraient été conduites par l'APEF à compter du 24 décembre 2008 (date de sa reconnaissance comme AOP) ne sauraient relever des règles de concurrence que s'il était établi par l'Autorité que ces pratiques n'étaient pas strictement nécessaires à l'objectif de concentration de l'offre en ce qu'elles n'auraient pas permis aux éventuels producteurs écoulant eux-mêmes leurs propres productions (par tempérament à la règle de l'apport total) de pratiquer des prix promotionnels inférieurs à ceux validés par l'APEF.

394. En l'absence d'éléments suffisamment précis sur ce point dans le dossier, les pratiques portant sur les offres promotionnelles qui auraient été conduites par l'APEF à compter du 24 décembre 2008, à supposer qu'elles existent, ne sauraient relever du champ d'application des règles de concurrence.

395. En conclusion, parmi les pratiques reprochées portant sur les offres promotionnelles, celles dont la matérialité est établie et qui relèvent des règles de concurrence sont celles conduites par :

- d'une part, le Celfnord, entre le 30 mai 2000 au moins (date du premier jour du « séminaire endives » au Touquet) et le 28 août 2008 (date de création de l'APEF) ;

- d'autre part, l'APEF, entre le 28 août 2008 (date de sa création) et le 24 décembre 2008 (date de sa reconnaissance comme AOP).

iv) Sur la fixation d'un prix de « retrait » par l'APEF

396. La même solution s'impose pour les pratiques reprochées à l'APEF, portant sur la fixation d'un prix minimum sous couvert d'un prix dit « de retrait », selon les modalités indiquées dans les documents précités (article 10, sous c, et annexe, point 6, du règlement intérieur de la section dite « SOMO » et « Les neuf points clés des engagements de la SOMO », points 1 et 9, envoyé à la DGCCRF en novembre 2008).

397. En effet, il ne ressort pas du dossier que ces pratiques aient impliqué d'autres entités que l'APEF. D'ailleurs, l'Autorité a reconnu, lors de l'audience, que ces pratiques étaient purement internes à l'APEF.

398. En outre, s'il est établi, comme l'a à juste titre retenu l'Autorité (décision attaquée, paragraphes 254, 423 et 452), que les pratiques en cause relèvent du champ d'application des règles de concurrence lorsqu'elles sont intervenues avant que l'APEF ne soit reconnue comme AOP, soit le 24 décembre 2008, il n'en va pas de même pour la période postérieure, en l'absence d'éléments suffisamment précis au dossier de nature à établir que ces pratiques, à supposer qu'elles se soient poursuivies pendant cette période, ne permettaient pas aux éventuels producteurs écoulant eux-mêmes leurs propres productions (par tempérament à la règle de l'apport total) de pratiquer des prix inférieurs à ces prix minima, outrepassant ainsi ce qui était strictement nécessaire à la réalisation de l'objectif de concentration de l'offre.

399. Dès lors, seules les pratiques portant sur le prix dit « de retrait », conduites par l'APEF entre le 28 août (date de sa création) et le 24 décembre 2008 (date de sa reconnaissance comme AOP), relèvent du champ d'application des règles de concurrence.

b) Sur les pratiques concernant le prix de certaines endives de marque

400. Il convient d'examiner successivement les pratiques concernant, d'abord, les endives Perle du Nord et, ensuite, les endives Carmine.

i) Les pratiques concernant les endives « Perle du Nord »

401. La société Groupe Perle du Nord et les sociétés CAP'Endives et autres soutiennent que la détermination d'un prix de vente des endives « Perle du Nord » à un niveau supérieur (de 15 centimes) au prix moyen pratiqué pour les endives génériques, constitue un simple objectif de prix, fixé à titre indicatif. Elles font valoir que les endives vendues sous la marque « Perle du Nord » répondaient à un cahier des charges et à des normes techniques qui assuraient leur qualité supérieure, au bénéfice des consommateurs. Elles précisent que les pratiques en cause ne concernent pas les mêmes parties que celles portant sur les endives génériques et n'ont pas non plus le même objet.

402. Le Celfnord et l'APEF soutiennent que la fixation d'un seuil de référence indicatif pour le prix des endives « Perle du Nord » n'est assortie d'aucune sanction.

403. Le ministre chargé de l'économie fait valoir que des concertations sur les prix des endives de marque « Perle du Nord » et « Carmine » ont été mises en oeuvre et pilotées par le Celfnord, d'une part, et par la FNPE et la SNE, d'autre part.

404. L'Autorité fait le même constat à partir du tableau qu'elle verse aux débats.

Sur ce, la Cour,

405. Comme cela a déjà été indiqué (paragraphe 237 du présent arrêt), il ressort de l'audition du responsable et animateur marketing de la société Groupe Perle du Nord, réalisée le 4 septembre 2007 (cotes 4240 à 4242), que le prix des endives « Perle du Nord » était fixé chaque jour par référence au prix moyen de l'endive générique de la veille, fourni par Infocl@r, et ce à un niveau de 15 centimes au-dessus, et que ce système d'indexation du prix de l'endive Perle du Nord sur celui de l'endive générique a toujours existé. Cette pratique, qui revient à fixer un prix minimum pour les endives « Perle du Nord », est confirmée par l'audition du président de la SRE du Celfnord (également responsable d'une OP faisant partie de la société Groupe Perle du Nord), réalisée le 4 octobre 2007 (cote 1935).

406. Par ailleurs, il résulte du compte-rendu de la réunion du conseil d'administration de la SRE du Celfnord du 11 octobre 2004 (cote 1161) que, peu de temps après sa constitution (en date du 1er juillet 2004), la société Groupe Perle du Nord a mis en place, dès le 1er octobre 2004, un « tarif inter-OP » pour la marque Perle du Nord, qui était fixé lors de réunions se tenant tous les vendredis après-midi entre les opérateurs.

407. Lors de son audition le 4 septembre 2007, déjà citée, l'animateur et responsable marketing de ladite société a expliqué en quoi consistait ce « tarif inter-OP » :

« L'expression tarif inter-OP fait référence aux transferts entre OP. Toutes les OP ne disposent pas des mêmes quantités de Perle du Nord et donc doivent pouvoir échanger de la marchandise. Ceci doit se faire (…) pour que l'OP qui revend puisse quand même y trouver sa marge. Aujourd'hui, ce tarif est situé à 5 à 8 centimes en-dessous du cours Perle du Nord du jour (prix moyen Infocl@r de la veille majoré de 15 centimes) » (cote 4221).

408. Le système ainsi décrit est comparable à celui du mécanisme d'échanges inter-OP, examiné précédemment. D'ailleurs, comme cela a déjà été indiqué (paragraphe 322 du présent arrêt), lors d'une réunion du Celfnord consacrée au cadran/bourse, qui s'est tenue le 4 octobre 2007 (cote 4938), il était convenu que, pour les endives de la marque Perle du Nord, le « prix cliquet » serait défini par la société Groupe Perle du Nord.

409. Si la mise en place du « tarif inter-OP » remonte au mois d'octobre 2004, la Cour retiendra, comme l'Autorité (décision attaquée, paragraphe 523 et 529), que les pratiques en cause sont établies à partir du 1er janvier 2005, date à partir de laquelle, aux termes de la notification du grief, ces pratiques sont reprochées à la société Groupe Perle du Nord. La Cour retient également que leur existence est encore établie le 4 octobre 2007, comme en atteste l'audition précitée du responsable d'une OP faisant partie de la société Groupe Perle du Nord, intervenue à cette date.

410. Il est également établi que ces pratiques ont été conduites et mises en oeuvre par la société Groupe Perle du Nord, pendant une période antérieure à sa reconnaissance en qualité d'AOP, laquelle n'est intervenue qu'à la fin de l'année 2008. Au surplus, ces pratiques se sont appuyées, par un système d'indexation, sur la politique tarifaire définie par d'autres entités (la SNE et le Celfnord).

411. Dès lors, c'est à juste titre que l'Autorité (décision attaquée, paragraphes 254, 423 et 452) a retenu que les pratiques portant sur la politique tarifaire des endives « Perle du Nord », conduites par la société Groupe Perle du Nord, relèvent du champ d'application des règles de concurrence.

ii) Les pratiques concernant les endives « Carmine »

412. L'Union des endiviers (ex « FNPE ») précise que la marque collective « Carmine » a été enregistrée à l'Institut national de la propriété industrielle (INPI) le 28 janvier 1997, par le Celfnord, devenu ainsi titulaire de la marque. Elle explique qu'à la demande du Celfnord, la FNPE a géré pendant de nombreuses années (jusqu'à la création de l'AFEP en 2008, qui a repris cette activité) un centre de recherche et d'expérimentation sur cette nouvelle variété d'endive, et que la commercialisation de celle-ci, débutée en 1998, a rendu nécessaire la création d'un comité de pilotage comprenant, notamment, le président de la SNE et l'Union des endiviers, auquel a succédé, une fois le produit lancé, une « commission Carmine », créée au sein de la SRE du Celfnord. Il est soutenu que ledit comité de pilotage, destiné à promouvoir le lancement d'une nouvelle variété, s'est vu confier, en collaboration avec le Celfnord, propriétaire de la marque, une mission purement technique n'ayant pas pour objet de fixer de prix, ce prix étant fixé entre le bureau de vente et le distributeur, et non par le Celfnord. En outre, l'Union des endiviers conteste avoir été à l'initiative de mesures de sanction en cas de non-respect d'un prix conseillé.

413. Le Celfnord et l'APEF développent un argumentaire comparable sur l'absence de sanction en cas de non-respect d'un prix qualifié de purement indicatif.

414. L'Autorité et le ministre chargé de l'économie font valoir les mêmes éléments que ceux exposés précédemment, concernant le prix des endives « Perle du Nord ».

Sur ce, la Cour,

415. Il ressort du dossier que le comité de pilotage, destiné à promouvoir le développement de l'endive « Carmine » et animé par la SNE et la FNPE, ne se bornait pas à une mission purement technique, mais était également amené à débattre de questions de politique tarifaire en vue d'assurer la cohérence des prix pratiqués par les producteurs d'endives « Carmine ».

416. En effet, une note de travail, élaborée et envoyée par la FNPE, en vue d'une réunion téléphonique du comité de pilotage prévue le 1er octobre 2004, comporte un point 5, intitulé « Organisation commerciale », qui indique les éléments suivants (cote 2790) :

« Faut-il maintenir la « concertation » hebdomadaire et les échanges d'informations sur le marché pour maintenir une cohérence dans les prix »

La fonction d'animation que cela sous-entend doit être assurée au niveau du Celfnord ou transférée au futur CCE, avec tout ce qui s'y rattache (information sur les prix, contrôles de déclarations et le cas échéant des factures, application de sanctions éventuelles etc...).

Bon nombre de ces questions ne relèvent sans doute plus de la seule autorité du comité de pilotage mais doivent être débattues avec les intéressés (producteurs et commerciaux).

Jusqu'à présent, cela s'est fait de façon informelle et il serait souhaitable de constituer une commission ou section Carmine au sein de la SRE [du Celfnord]

(…)

Quel pouvoir de contrôle pour la SNE et la FNPE qui sont jusqu'à présent garantes du développement de Carmine face à l'ensemble de la profession  ? ».

417. Si ce document fait état d'interrogations et d'une réflexion sur l'évolution à venir du rôle du comité de pilotage en matière tarifaire, il témoigne, néanmoins, d'un investissement significatif de cet organe dans le processus de concertation en la matière et de l'intérêt d'institutionnaliser les échanges sur ce point avec les producteurs et les commerciaux en créant une enceinte dédiée à l'endive « Carmine » au sein de la SRE du Celfnord.

418. Un extrait d'une note de préparation d'une réunion du 4 novembre 2004, également élaborée et diffusée par la FNPE, précise le contexte et les enjeux de la question de la cohérence des prix :

« Faute d'avoir pu centraliser l'offre et sa première mise en marché, c'est par la concertation entre les différents opérateurs qu'il faut rechercher une cohérence des prix qui favorise la vente tout en garantissant la rémunération des producteurs.

(...)

Cependant, la défense sans faille d'un prix commun ne peut s'envisager que dans le cadre d'une maîtrise des quantités quotidiennement mises en marché et donc des règles et des moyens de dégagement des volumes qui ne trouvent pas acheteurs en frais (transformation ou retrait destruction).

(…)

Dans ces conditions, les acteurs de la filière Carmine doivent se reposer la question des moyens de gérer un marché émergent.

Est-il toujours possible, compte tenu de l'augmentation des quantités, de continuer à essayer de fixer et tenir un niveau de prix logé départ s'imposant à tous, au risque de créer des invendus auquel cas il faut prévoir une « gestion » de ces invendus « (…) Faut-il au contraire libérer les prix au gré de l'offre et de la demande et des opportunités, sans aucune « régulation » et donc avec le risque de voir ces prix se dégrader dès qu'un opérateur commercial sera un peu trop chargé » Peut-on trouver une voie médiane où tout en laissant une relative liberté des prix de première mise en marché, on mette en place un système modérateur dans lequel les ventes qui s'écarteraient de façon trop significative de la moyenne des prix constatée sur Infocl@r, période par période, entraineraient des pénalités » (cote 2793).

419. Ce document montre à quel point la FNPE s'était emparée de la question de politique tarifaire et jouait un rôle de facilitateur dans la conduite des concertations sur ce point.

420. C'est ce que confirme un autre document, du 22 novembre 2004, à l'entête de la FNPE, sur lequel figure le logo de la marque « Carmine » (cote 2792).

421. Tout d'abord, il est indiqué que, « lors de la réunion du 4 novembre 2004, deux questions importantes sont restées sans réponse », dont l'une portait sur la fixation en début de saison du « prix logé départ », et que cette question a donné lieu, d'une part, à une enquête auprès des producteurs afin de connaître le prix souhaité par eux, laquelle n'a pas permis de dégager une fourchette de prix représentative et, d'autre part, à des positions divergentes des commerciaux.

422. Ensuite, cette question de politique tarifaire étant restée en suspens, il est précisé :

« À la lumière des saisons précédentes et compte tenu de l'accroissement des volumes à commercialiser, il semblerait donc souhaitable de se fixer, dès le début de la saison, un prix logé départ de 1,40 euros la barquette, soit 4,66 euros le kg conditionné en 300 g (…) ce qui, par rapport à l'enquête sur les coûts de production, réalisée l'hiver dernier, devrait encore permettre aux producteurs, sauf accident de production, de dégager une marge satisfaisante après déduction des frais de mise en marché et de cotisation (0,15 euros/kg). Sur cette question de prix comme sur la question des moyens de maintenir une discipline et une cohérence tarifaire entre opérateurs commerciaux, les producteurs sont invités à en débattre avec leurs commerciaux d'ici la fin de la semaine, pour que ces derniers puissent en faire la synthèse lors de la réunion téléphonique à laquelle ils sont invités ».

423. En exprimant ainsi sa position sur la question de la fixation du « prix logé départ » de l'endive Carmine, afin de faire avancer la concertation sur ce point entre les producteurs et les commerciaux, la FNPE, en tant que syndicat ayant en charge la défense des intérêts des producteurs, confirme son engagement sur la question tarifaire et sa volonté de peser dans le débat sur ce point.

424. D'ailleurs, tant le président que le directeur de la FNPE ont participé à cette réunion du 26 novembre 2004, comme en atteste le compte-rendu établi par la FNPE, dans un document, à son entête, intitulé « Relevé des conclusions de la réunion téléphonique des structures de mise en marché Carmine du vendredi 26 novembre 2004 ». Ce document est reproduit dans le procès-verbal d'audition du directeur du Celfnord et de la SNE, par les agents de la DGCCRF (cote 1777), lequel a indiqué, à cette occasion, que cette réunion du 26 novembre 2004, à laquelle il a participé, avait été animée par la FNPE (cote 1778).

425. Ce compte-rendu précise qu'au cours de cette réunion, « il a été convenu de fixer les prix logés départ minimum suivants : pour le barquettes et sachets 300 g : 1,40 euro la pièce, soit 4,66 euro/kg, quel que soit le « colisage », par 6, 10 ou 12 ; pour le vrac 2,5 kg : 4,20 euro/kg ».

426. Il ressort également de ce document qu'outre la FNPE, la SNE et le Celfnord, ont participé à cette réunion téléphonique, non seulement, certaines OP du Celfnord, mais aussi, une OP relevant du bassin breton, ainsi que des opérateurs indépendants et producteurs vendeurs. La participation de cette OP bretonne s'explique par le fait que, comme l'a précisé le directeur du Celfnord et de la SNE, lors de son audition, « il y a un accord pour l'utilisation de la marque Carmine par les bretons » (cote 1773).

427. Il résulte de l'ensemble de ces développements que la SNE et la FNPE, entités non reconnues (comme OP, AOP ou OI), ont joué un rôle majeur dans la conduite des concertations portant sur la fixation du prix minimum de vente à la production de l'endive Carmine et que ces concertations n'ont pas seulement impliqué le Celfnord, entité assimilable à une AOP reconnue, et les producteurs membres d'OP en faisant partie, mais aussi, des producteurs membres d'une OP du bassin breton ne relevant donc pas du Celfnord, ainsi que des commerciaux, entités non reconnues.

428. En outre, il ressort du dossier que la FNPE, comme la SNE, suivait de près les prix pratiqués concernant l'endive Carmine.

429. C'est ce qui résulte d'un document, à la double entête SNE et FNPE et comportant le logo de la marque « Carmine », intitulé « Principales décisions de la réunion téléphonique du mardi 21 décembre 2004 » (cote 5748). À titre de « point sur le marché », il est indiqué que « deux opérateurs vendent le vrac Carmine à un prix < 4 euros, soit bien en-dessous du prix de référence, fixé à 4,20 euros ».

430. Ce même document indique également que, malgré de multiples relances, deux OP, nommément désignées, ne communiquent toujours pas à Inflocl@r leurs données sur la vente d'endives Carmine et que, si ce défaut de communication persiste, des sanctions seront envisagées à leur encontre. En effet, comme cela a déjà été indiqué (paragraphe 225 du présent arrêt), dès la fin de l'année 2004, tous les opérateurs commerciaux agréés pour la première mise en marché d'endives Carmine devaient déclarer quotidiennement les volumes dont ils disposaient à la vente, ainsi que la totalité des ventes effectuées (quantités, conditionnement, prix).

431. L'attention particulière portée, à la fois par la SNE et la FNPE, au respect des prix fixés est confirmée par une lettre à l'entête « Carmine/Section endives, FNPE », signée par le président de la SNE, adressée le 25 mars 2005 à une OP produisant de l'endive Carmine (cote 66). Après avoir fait état de « prix de vente Carmine aberrants », relevés à Marseille le 17 février 2005 et à Brie-Comte-H... le 1er mars suivant, il est demandé à cette OP de confirmer par écrit les prix qu'elle a pratiqués car ces informations « laissent à penser que les prix d'achats annoncés ne sont pas en relation avec le prix de vente décidé par l'ensemble des opérateurs Carmine pour la saison 2004-2005 qui est de 1,40 euro la barquette de 300 g ».

432. Le suivi vigilant effectué par la SNE et la FNPE sur les prix pratiqués confirme le rôle majeur de ces deux entités, non reconnues, dans la défense d'un prix minimum à la production de l'endive Carmine.

433. Dès lors, c'est à juste titre que l'Autorité (décision attaquée, paragraphes 254, 423 et 452) a retenu que les pratiques en cause, entre autres pratiques concertées relatives au prix minimum, relèvent du champ d'application des règles de concurrence. La Cour retient que pratiques ont eu lieu au moins entre le 1er octobre 2004 (date de la note de travail envoyée par la FNPE en vue de la réunion du comité de pilotage du même jour, cote 2790 précitée) et le 25 mars 2005 (date de la lettre du président de la SNE à une OP, cote 66 précitée).

434. En conclusion de l'ensemble des développements sur la matérialité, le périmètre et la portée des pratiques en cause, la Cour estime que c'est à juste titre que l'Autorité a retenu que les règles de concurrence étaient applicables aux pratiques suivantes :

- premièrement, les pratiques d'échanges d'informations stratégiques au moyen du système Infocl@r, intervenues entre le 11 mars 1999 et le 6 mars 2012 au moins, ayant impliqué le Celfnord, la SNE, l'APVE, la FNPE, puis, à partir de 2005, la société Groupe Perle du Nord et la FCE et, à compter du 28 août 2008, l'APEF ;

- deuxièmement, les pratiques portant sur les dénaturations obligatoires qui sont intervenues entre le 1er septembre 2000 et le 17 juin 2007 et qui ont impliqué le Celfnord, la SNE et la Cérafel ;

- troisièmement, les pratiques portant sur le prix minimum et le cours dit « pivot », intervenues au moins entre le 27 janvier 1998 et le 5 juillet 2007 ayant impliqué le Celfnord, la SNE et la FNPE ;

- quatrièmement, les pratiques portant sur la bourse aux échanges et le cadran bourse (incluant la fixation d'un prix minimum dit « cours de production » et d'un prix dit « cliquet »), intervenues entre le 29 novembre 2005 et le 24 janvier 2008, ayant impliqué le Celfnord, la SNE, la FCE et la FNPE ;

- cinquièmement, les pratiques portant sur les offres promotionnelles, intervenues entre le 30 mai 2000 et le 24 décembre 2008, ayant impliqué le Celfnord, la SNE, la FNPE, puis, à partir de 2005, la FCE, et à compter du 28 août 2008, l'APEF ;

- sixièmement, les pratiques portant sur le prix dit « de retrait », intervenues entre le 28 août et le 24 décembre 2008, ayant impliqué l'APEF ;

- septièmement, les pratiques portant le prix des endives de la marque « Perle du Nord », intervenues au moins entre 1er janvier 2005 et le 4 octobre 2007, ayant impliqué la société Groupe Perle du Nord

;

- huitièmement, les pratiques portant sur le prix des endives de la marque « Carmine », intervenues au moins entre le 1er octobre 2004 et le 25 mars 2005, ayant impliqué la SNE, la FNPE et le Celfnord.

435. En revanche, contrairement à ce qu'a retenu l'Autorité dans la décision attaquée, la Cour précise qu'échappent au champ d'application des règles de concurrence les pratiques suivantes :

- premièrement, les pratiques portant sur les dénaturations obligatoires qui sont intervenues entre le 1er septembre 1998 et le 1er septembre 2000 et ont impliqué le Celfnord ;

- deuxièmement, les pratiques portant sur les offres promotionnelles qui seraient intervenues à compter du 24 décembre 2008 et auraient impliqué l'APEF ;

- troisièmement, les pratiques portant sur le prix dit « de retrait », qui seraient intervenues à compter du 24 décembre 2008 et auraient impliqué l'APEF.

III. SUR L'APPLICATION DES RÈGLES DE CONCURRENCE AUX PRATIQUES EN CAUSE

A. Sur la qualification d'entente unique, complexe et continue

436. Le Celfnord et l'APEF soutiennent que l'Autorité ne rapporte pas la preuve, au regard du standard de preuve requis, de l'existence d'une entente unique, complexe et continue.

437. Sur le prétendu caractère unique de l'entente, elles font valoir que l'Autorité n'aurait pas dû se limiter à affirmer que les pratiques en cause s'inscrivaient dans un plan global visant à fausser le jeu de la concurrence, mais aurait dû examiner si celles-ci ne se rattachaient pas, ce qui serait effectivement le cas, à des justifications objectives tenant à l'exercice des missions qui leur sont confiées par la réglementation européenne dans le cadre de l'OCM du secteur concerné. Elles estiment que l'objectif de contrôle des prix avancé par l'Autorité ne saurait constituer un objectif unique dès lors que cet objectif concerne seulement les pratiques de concertation sur les prix et non les autres pratiques.

438. Sur le prétendu lien de complémentarité entre les pratiques, elles font valoir que la preuve de cet élément, qu'elles tiennent pour une condition de qualification d'une entente unique, suppose de démontrer que les pratiques étaient unies par un lien de nécessité, de sorte que, prises individuellement, elles n'auraient pas permis d'atteindre l'objectif unique. À cet égard, elles contestent l'existence d'un tel lien entre les concertations sur les prix et celles sur les offres promotionnelles, les premières pouvant être mises en oeuvre en l'absence des secondes, lesquelles tendaient d'ailleurs à favoriser une diversité des prix et non leur alignement, l'objectif escompté étant d'éviter que les promotions n'arrivent toutes en même temps. Elles contestent également l'appréciation selon laquelle le système Infocl@r était indispensable à la pérennité de l'entente en ce qu'il aurait permis de mettre en oeuvre une surveillance des prix et de faciliter ainsi l'exercice de représailles, dès lors que, selon ces entités, ni police des prix, ni sanctions n'ont été mises en oeuvre et, qu'au demeurant, la diffusion de prix de référence n'a eu lieu que pendant 37 semaines tout au plus alors que le système Infocl@r a été utilisé pendant plus de 10 ans. Enfin, le Celfnord et l'APEF font valoir qu'il ne serait être tiré argument de l'emploi de l'expression « plan global » dans des documents émanant des entités en cause, cette expression ne revêtant pas le même sens que celui existant en droit de la concurrence.

439. Sur le prétendu caractère continu de l'entente, elles soutiennent que la démonstration de la continuité d'une volonté coupable après l'acte initial ne suffit pas à établir le caractère continu d'une entente complexe ; encore faut-il démontrer que la complémentarité et l'objet unique des pratiques sont caractérisés pendant toute la durée des pratiques, ce qui n'était pas le cas, par exemple, du cours pivot de 2003-2004 et du marché du cadran de 2007, le premier n'étant pas nécessaire au second. Elles estiment qu'en tout état de cause, l'Autorité n'a pas démontré que les pratiques avaient été mises en oeuvre de manière régulière et ininterrompue pendant quatorze ans (de janvier 1998 à mars 2012), la plupart des éléments du dossier se rapportant uniquement à la période de septembre 2002 à octobre 2007, laquelle comprend en outre de longues périodes de vide, notamment entre novembre 2003 et octobre 2004. Elles font également valoir que ni la diffusion régulière de comptes-rendus de réunions tenues à intervalles réguliers, ni l'existence du système Infocl@r depuis juin 1999, ni la mise en oeuvre de conventions de gestion de l'offre entre 1997 et 2004 ne sauraient, en tant que telles, démontrer la continuité de pratiques d'entente, ces éléments n'étant pas intrinsèquement anticoncurrentiels.

440. La société Groupe Perle du Nord et les sociétés CAP'Endives et autres développent une argumentation similaire.

441. Sur le prétendu caractère unique de l'objectif poursuivi et la prétendue complémentarité des pratiques en cause, elles soutiennent que celles-ci ont été mises en place, de manière ponctuelle et évolutive, pour répondre, à divers moments, à des situations de crise, sans aucune cohérence d'ensemble, entre des acteurs différents relevant de statuts également différents. Elles avancent que la notification d'un même grief d'entente unique, complexe et continue à l'ensemble des entités en cause, alors que certaines pratiques étaient licites et que toutes les parties n'étaient pas soumises aux mêmes règles, s'oppose à ce que la Cour se prononce sur l'illicéité de certaines pratiques de certaines parties prises isolément. La société Groupe Perle du Nord fait plus particulièrement valoir qu'en dehors du système Infocl@r qu'elle estime licite, elle n'a participé qu'à des pratiques portant sur les produits de la marque Perle du Nord, lesquelles n'ont, selon elle, aucun lien avec les pratiques de régulation de l'ensemble du marché qui sont reprochées à d'autres entités, de sorte qu'il serait artificiel de lui reprocher une participation à une entente unique, complexe et continue qui aurait été commise par l'ensemble des parties à la procédure.

442. Sur le prétendu caractère continu des pratiques, elles font valoir qu'à supposer qu'Infocl@r, qui n'avait en soi rien d'illicite, ait été, comme l'avance l'Autorité, au service des pratiques en cause, le caractère marginal des pratiques dont l'illicéité résulterait d'un détournement du système de la PAC ne pourrait remettre en cause qu'à de rares occasions la licéité d'Infocl@r.

443. Les sociétés Fraileg et Prim'Santerre soutiennent, dans le même sens, que les pratiques en cause, loin de poursuivre un objectif anticoncurrentiel, visaient avant tout à se conformer en partie à la réglementation applicable dont l'objectif consiste à réguler les prix à la production et à harmoniser les disciplines de production, de commercialisation et de prix en vue de défendre un niveau de revenu équitable pour les producteurs. Elles précisent que les OP n'étant pas toutes concernées par les mêmes pratiques, comme en atteste le tableau dressé par le rapporteur de l'Autorité en page 88 de son rapport, il n'est pas possible, face à une telle disparité, de retenir l'existence d'un lien de complémentarité entre les pratiques. Elles font valoir qu'il n'est pas non plus possible de retenir la continuité des pratiques en cause un grand nombre d'entre elles ayant eu une durée limitée dans le temps et ayant cessé sans être reconduites, comme c'est le cas, par exemple, de la bourse aux échanges, du cadran bourse ou du prix cliquet. Elles en déduisent que les pratiques en cause, en ce qu'elles sont diversifiées, saccadées, inégales dans le temps et mises en place par des organisations professionnelles distinctes, ne peuvent être regardées comme un comportement continu dans le cadre d'un plan d'ensemble décidé et pour lesquelles chacun des acteurs aurait mis en oeuvre constamment et uniformément l'objectif principal poursuivi par ledit plan.

444. Le Cérafel fait valoir qu'à supposer que les entités en cause aient dépassé les missions qui leur sont confiées dans le cadre de la PAC, des comportements infractionnels uniquement ponctuels peuvent être établis, ce qui ne suffit pas à démontrer l'existence d'une entente unique, complexe et continue depuis janvier 1998.

445. En réponse, l'Autorité fait valoir que, dans la décision attaquée, il a été démontré de manière précise que, d'une part, chacune des pratiques en cause avaient pour objet de restreindre la concurrence et, d'autre part, qu'elles étaient unies par des liens de complémentarité attestant de l'existence d'un objectif anticoncurrentiel unique consistant à soustraire la fixation du prix des endives au libre jeu du marché en maintenant, par différents moyens, ce prix à un niveau artificiel. Elle précise que la circonstance que les pièces documentaires contenant l'expression « plan de gestion du marché » ou « plan global » fassent principalement référence à la période 2005 à 2007 ne remet nullement en cause le fait que les pratiques mises en oeuvre, avant ou après cette période, poursuivaient ce même objectif, mais tend à démontrer la sophistication à laquelle était parvenue l'entente au cours de ces campagnes. Elle soutient que la complémentarité des pratiques a été établie au moyen du modus operandi commun aux producteurs d'endives, par l'entremise d'organisations professionnelles telles que la SNE, le Celfnord et l'APEF, qui organisaient des réunions physiques et téléphoniques et dont les décisions, prises au niveau national ou régional, selon une répartition des rôles, s'inscrivaient dans une entente globale. Elle estime que la complémentarité des pratiques résulte également, notamment, du système d'échange d'informations Infocl@r, dans la mesure où ce dernier a été mis au service de l'objectif poursuivi par les pratiques en cause consistant à maintenir un niveau artificiellement élevé du prix de l'endive, de sorte qu'il est indissociable de celles-ci.

446. Le ministre chargé de l'économie développe une argumentation comparable.

447. Sur la complémentarité des pratiques en cause, il fait valoir que celles-ci ont eu pour objet de maintenir, directement ou indirectement, un prix minimum à la production pour l'ensemble des variétés d'endives. Se fondant sur les comptes-rendus de réunions et l'audition des différents responsables des entités en cause, il relève que l'ensemble des participants s'accordait sur le fait que l'élément fondamental de la gestion de marché était le maintien du prix minimum de production, quels que soient les moyens pour y parvenir. Il en déduit qu'à cette fin il était nécessaire pour les producteurs et leurs organisations, au-delà de la diffusion d'un prix minimum, de fixer des règles strictes permettant d'influencer la détermination du prix par le marché, telles que la gestion des quantités offertes (conventions de gestion de l'offre, dénaturations obligatoires) et l'encadrement du prix de vente final (coordination des offres promotionnelles). Il estime que ces différents mécanismes convergeaient tous, de manière plus ou moins directe, vers un même objectif commun de maintien d'un prix minimum à la production permettant le contournement du jeu normal du marché par une fixation artificielle de prix, un contrôle des quantités disponibles et un accroissement de la transparence du secteur via Infocl@r.

448. Sur la continuité des pratiques, il fait valoir que l'existence de périodes de suspension est sans incidence sur le caractère continu des pratiques dès lors que celles-ci ont été reprises selon des modalités similaires par les entités en cause, peu important que certaines d'entre elles n'aient pas pris part à l'ensemble des pratiques. Il estime que le caractère continu des pratiques découle des contacts réguliers entre les producteurs et les organismes professionnels concernés, ainsi que sur le système Infocl@r, qui assurait la pérennité des pratiques en tant qu'outil de surveillance du respect de celles-ci.

Sur ce, la Cour,

449. Selon une jurisprudence constante (voir, notamment, arrêts de la Cour de justice du 7 janvier 2004, Commission/Anic Partecipazioni, C-49/92 P, points 81 et 114, Aalborg Portland e.a./Commission, C-204/00 P, C-205/00 P, C-211/00 P, C-213/00 P, C-217/00 P et C-219/00 P, point 258, du 6 décembre 2012, Commission/Verhuizingen Coppens, C-441/11P, point 41, et du 24 juin 2015, Fresch Del Monte Produce, C-293/13P et C-294/13P, point 156, ainsi que l'arrêt du Tribunal de l'Union européenne du 10 novembre 2017, Icap e.a./Commission, T-180/15, point 205), une violation de l'article 81, paragraphe 1, CE devenu l'article 101, paragraphe 1, du TFUE peut résulter non seulement d'un acte isolé, mais également d'une série d'actes ou bien encore d'un comportement continu, quand bien même un ou plusieurs éléments de cette série d'actes ou de ce comportement continu pourraient également constituer, en eux-mêmes et pris isolément, une violation de ladite disposition. Ainsi, lorsque les différentes actions s'inscrivent dans un « plan d'ensemble », en raison de leur objet identique faussant le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun, la responsabilité de ces actions peut être imputée aux entreprises ayant pris part à tout ou partie de ces comportements en fonction de la participation à l'infraction considérée dans son ensemble.

450. Il s'ensuit qu'une série d'actes ou de comportements adoptés par plusieurs entreprises peut être qualifiée d'infraction unique dès lors que celles-ci poursuivent un objectif unique consistant à fausser le jeu de la concurrence. Cette qualification repose sur l'existence d'un « plan d'ensemble », fondé sur un objectif anticoncurrentiel commun, à la réalisation duquel concourt cette série d'actes ou de comportements. L'existence de ce « plan d'ensemble » peut se déduire d'un faisceau d'indices graves, précis et concordants, pouvant porter, notamment, en fonction des circonstances propres à chaque cas d'espèce, sur la similarité ou la complémentarité des comportements, des acteurs et de la chronologie des pratiques.

451. Si la complémentarité entre les différents actes ou comportements peut servir, en tant qu'indice objectif, à qualifier une infraction unique, les juridictions européennes ont précisé qu'elle ne constitue pas une condition requise pour la qualification de ladite infraction (voir, notamment, arrêt de la Cour de justice du 19 décembre 2013, Siemens AG, C-239/11P, points 247 et 248, et arrêts du Tribunal de l'Union européenne du 15 décembre 2016, Philips et Philips France/Commission, T-762/14, point 169, et du 28 mars 2019, Prometon SpA, T-433/16, point 246).

452. Ainsi, contrairement à ce que soutiennent le Celfnord et l'APEF, il n'est pas nécessaire de vérifier si les différentes pratiques en cause présentent un lien de complémentarité, en ce sens que chacune d'elles vise à faire face à une ou à plusieurs conséquences du jeu normal de la concurrence, et contribuent, par leur interaction, à la réalisation d'un objectif unique anticoncurrentiel (voir, notamment, arrêt de la Cour de justice du 26 janvier 2017, Villeroy & Boch, C-644/13P, point 50, et arrêts du Tribunal, précités, Philips et Philips France/Commission, point 169, et Prometon SpA, point 246).

453. En revanche, il est nécessaire de vérifier s'il n'existe pas d'éléments factuels susceptibles de remettre en cause l'existence d'un plan d'ensemble (voir, notamment, arrêts de la Cour de justice précités, Siemens AG, points 247 et 248, et Villeroy& Boch, point 50, et du Tribunal, précités, Philips et Philips France/Commission, point 169, et Prometon SpA, point 246).

454. En l'espèce, l'entente unique et complexe reprochée repose sur plusieurs pratiques dont la description (effectuée au II sous B du présent arrêt) révèle, s'agissant de celles entrant dans le champ d'application des règles de concurrence, qu'elles constituent, prises isolément, des ententes, accords ou pratiques concertées prohibées par les articles 101, paragraphe 1, du TFUE et L. 420-1 du code de commerce.

455. Contrairement à ce que semblent suggérer la société Groupe Perle du Nord et les sociétés CAP'Endives et autres, la circonstance que la notification de grief repose sur un seul grief d'entente unique, complexe et continue, commun à toutes les parties, ne s'oppose pas à cette analyse. En effet, dès lors qu'il est établi que les pratiques reprochées sont soumises aux règles de concurrence, il est nécessaire d'examiner si ces pratiques, prises isolément, sont illicites au regard desdites règles et, le cas échéant, en présence de pratiques établies comme illicites, si ces dernières poursuivent un « plan d'ensemble » reposant sur un objet unique anticoncurrentiel.

456. La Cour constate que les pratiques en cause ont pris des formes variées, d'accords ou des pratiques concertées. Au rang des accords figurent, notamment, les conventions de gestion de l'offre conclues entre le Celfnord et les producteurs, par lesquelles ces derniers s'engageaient à procéder à des dénaturations obligatoires d'endives aux dates et selon les volumes fixés par celui-ci. D'autres formes de coordination, constitutives de pratiques concertées, ont également été adoptées, au moyen principalement de réunions (physiques ou téléphoniques), ainsi que d'échanges de lettres et de courriels. Des pratiques concertées ont également eu lieu par le biais du système Infocl@r, en tant que support d'échanges d'informations stratégiques.

457. Chacune des pratiques en cause, quelle que soit la forme adoptée (accord ou pratique concertée), est prohibée par l'article 101, paragraphe 1, du TFUE.

458. En effet, sont expressément interdites par cet article les pratiques qui consistent à « fixer de façon directe ou indirecte les prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction ».

459. Or, tel est bien le cas, en l'espèce, des pratiques précédemment examinées relatives à la politique tarifaire, aux dénaturations obligatoires et aux échanges d'informations au moyen du système « Infocl@r ».

460. Il en va ainsi, en premier lieu, des pratiques relatives à la politique tarifaire, qui portent fixation d'un prix minimum de vente à la production des endives. En effet, contrairement à ce que soutiennent le Celfnord, l'APEF et l'Union des endiviers, les prix ainsi fixés ne sont pas simplement incitatifs, mais obligatoires. C'est le cas à la fois, pour les endives génériques et de marque et, plus spécifiquement, pour les endives de marque « Perle du Nord » et « Carmine ».

461. S'agissant des endives génériques et de marque, le caractère obligatoire du prix minimum de vente à la production résulte des éléments suivants :

- de la série de télécopies diffusées par le Celfnord aux « OP endives » faisant référence à un « prix minimum payé producteur » (pour les endives de la marque Perle du Nord ou d'une marque propre à une OP, ainsi que pour les endives génériques, de catégorie I et II, conditionnées en vrac de 5kg ou emballées), dont le montant est précisé sous la rubrique intitulée « Respect du prix minimum payé producteur » (souligné par la Cour, voir paragraphe 364 du présent arrêt) ; l'emploi du terme « respect » témoigne de la volonté de conférer, dès l'origine, un caractère obligatoire au prix minimum ;

- du compte-rendu de la réunion de la SRE du Celfnord du 25 octobre 2002 (souligné par la Cour, voir paragraphe 329 du présent arrêt, cote 1182) :

« Les opérateurs commerciaux des OP ou leurs structures conventionnées s'interdisent de vendre en-deça de ce cours pivot, si ce n'est qu'avec l'accord formel (par écrit) du président de l'OP et après en avoir averti préalablement le Celfnord » ;

- de deux lettres du 8 février 2002, à l'entête du Celfnord, adressées par son directeur à deux OP qui en sont membres (cotes 1628 et 1629), qui attestent de la surveillance par le Celfnord des prix pratiqués et l'importance du système Infocl@r comme outil de surveillance du respect du prix fixé ; après avoir mis en cause les défaillances de chacune de ces OP dans la transmission de leurs données sur la base Infocl@r, il est indiqué :

« Nous profitons également de la présente pour vous adresser le bilan du contrôle effectué en semaine 5 sur les prix pratiqués au regard des décisions de la Section Nationale [SNE] où l'ensemble des OP s'étaient engagées à ne pas vendre d'endives de catégorie I Perle du Nord [c'est-à-dire d'endives de catégorie I, type Perle du Nord] en-dessous de 1, 50 euro. Nous avons également profité de mettre en comparaison les chiffres que vous nous avez fournis avec ceux transmis dans le cadre d'Infocl@r. Enfin, nous vous informons que conformément à la Section régionale [SRE], un comptable missionné par l'A.F.A prendra contact dès la semaine prochaine avec votre OP pour un contrôle de comptabilité afin de vérifier la véracité des informations transmises.

À cet effet, vous voudrez bien mettre à disposition de cette personne votre Grand Livre, le Journal des Apports, ainsi que le Journal des Ventes, outre les facturations émises pendant cette semaine 5 » ;

- d'une série de pièces déjà citées au paragraphe 345 du présent arrêt, dont il ressort que :

* le projet de plan de gestion du marché de la campagne 2006/2007, présenté par le président du Celfnord, lors d'une réunion du bureau de la FNPE du 25 août 2006, au cours de laquelle l'appui des syndicats a été recueilli, fait référence à « la défense d'un prix minimum ferme fixé à la semaine » (cote 3791) ;

* le plan de gestion du marché adopté pour cette même campagne, le 30 août 2006, « sur les bases et principes du plan de gestion mis en oeuvre l'an dernier » se définit, notamment, par la « défense d'un prix minimum production, qui soit un prix minimum impératif, facturé par les OP et les producteurs associés à leur(s) organisme(s) de vente, et surtout pas un prix moyen de vente (de jour ou de la semaine) facturé aux clients » (document à l'entête du Celfnord, intitulé « Plan de gestion campagne endives 2006/2007, adopté à la SRE du 30 août 2006 », cote 2827) ;

* au cours de cette même campagne, « l'indemnisation des bacs sera supprimée si le prix minimum de production (...) [supérieur ou égal à 1 euro] n'est pas totalement respecté » (télécopie à l'entête du Celfnord du 12 décembre 2006, intitulé « Compte-rendu des décisions prises lors de la réunion téléphonée du conseil d'administration de la SRE du 12 septembre 2006 », cote 1721) ;

- du document intitulé « les 9 points clés des engagements de la SOMO », déjà cité (cote 5766), dont il ressort du point 9 que le non-respect des règles de retrait, au rang desquelles figure celle concernant le prix dit « de retrait », est passible d'une sanction pécuniaire dont le montant sera directement prélevé sur la caution versée par l'adhérent.

462. L'ensemble de ces documents démontre une volonté commune, initiale et persistante de conférer un caractère obligatoire au prix minimum fixé pour la vente à la production des endives génériques et de marque.

463. S'agissant du prix minimum propre aux endives « Perle du Nord », le président de la SRE du Celfnord, également responsable d'une OP faisant partie de la société Groupe Perle du Nord, a indiqué aux agents de la DGCCRF, lors de son audition en octobre 2007 :

« On ne fait jamais de Perle du Nord d'avance, on n'emballe qu'après commande. Donc si nous n'obtenons pas le prix d'au moins la catégorie I de la veille (source Infocl@r) majorée de 15 centimes, nous ne faisons pas de Perle du Nord. Nous n'avons pas le droit de vendre moins de 15 centimes au-dessus, mais on peut appliquer un plus grand différentiel. Le producteur qui vendrait de la Perle du Nord sans appliquer la majoration de 15 centimes d'euros encourt une amende de 150 par infraction. Ce n'est pas une grosse pénalité par rapport aux pénalités pour non-respect du cahier des charges [600 euros] » (cote 1935).

464. Il résulte de cette audition que la vente d'endives « Perle du Nord » à un prix inférieur à celui fixé, correspondant à 15 centimes au-dessus du prix moyen de l'endive générique de la veille, est soumise à une sanction financière, ce qui démontre le caractère obligatoire de ce prix.

465. Quant au prix minimum propre aux endives « Carmine », il ressort du dossier que la FNPE, comme la SNE, suivait de près les prix pratiqués.

466. Ainsi, le document, à la double entête SNE et FNPE et comportant le logo de la marque « Carmine », intitulé « Principales décisions de la réunion téléphonique du mardi 21 décembre

2004 » (cote 5748) indique, à titre de « point sur le marché », que « deux opérateurs vendent le vrac Carmine à un prix < 4 euros, soit bien en-dessous du prix de référence, fixé à 4,20 euros ».

467. Ce même document précise que, malgré de multiples relances, deux OP, nommément désignées, ne communiquent toujours pas à Infocl@r leurs données sur la vente d'endives Carmine et que, si ce défaut de communication persiste, des sanctions seront envisagées à leur encontre. En effet, comme cela a déjà été indiqué (paragraphe 225 du présent arrêt), dès la fin de l'année 2004, tous les opérateurs commerciaux agréés pour la première mise en marché d'endives Carmine devaient déclarer quotidiennement les volumes dont ils disposaient à la vente, ainsi que la totalité des ventes effectuées (quantités, conditionnement, prix).

468. Ces éléments témoignent du caractère obligatoire du prix dit « de référence » des endives « Carmine », qui constitue un prix minimum de vente à la production, et de l'importance du système Infocl@r comme outil de surveillance du respect du prix fixé.

469. Les pratiques portant fixation de ces différentes formes de prix minimum de vente à la production, à caractère obligatoire, et non pas simplement indicatif, sont prohibées par l'article 101, paragraphe 1, du TFUE.

470. Il en va de même, en deuxième lieu, des pratiques relatives à la bourse aux échanges et au cadran/bourse, auxquelles sont associées la fixation d'autres formes de prix minimum (« cours production » et « prix cliquet », lequel est comparable au « cours pivot »), ces pratiques, concernant les échanges entre opérateurs commerciaux, visant à former un prix de référence significatif de nature à « donner le ton » du marché.

471. En troisième lieu, s'agissant des pratiques précédentes évoquées relatives à la coordination des offres promotionnelles, elles sont également prohibées par l'article 101, paragraphe 1, du TFUE, en ce qu'elles ont consisté à la fois à fixer les conditions de transaction relatives au calendrier des offres promotionnelles, et à soutenir, de manière indirecte, la fixation du prix minimum obligatoire de vente à la production, en encadrant le prix de vente final pour éviter un contournement de ce dispositif de prix (voir les objectifs poursuivis par lesdites pratiques, exposés aux paragraphes 374 et 375 du présent arrêt).

472. Il en va de même, en quatrième lieu, des pratiques portant sur les dénaturations obligatoires, en ce qu'elles ont visé non seulement à limiter la commercialisation des endives, par des mesures tendant, pendant une période significative (1er septembre 2000 au 31 août 2004), à ériger lesdites dénaturations comme un débouché de substitution au marché (voir paragraphes 298 et 303), mais aussi, ainsi que l'a retenu à juste titre la décision attaquée (paragraphes 425 et 446), à soutenir, par une réduction des volumes ainsi mis sur le marché, la fixation du prix minimum obligatoire de vente à la production, dont le contrôle a pu être opéré par le bias du systètme d'échanges d'informations Infocl@r.

473. En cinquième et dernier lieu, s'agissant précisément des pratiques d'échanges d'informations au moyen du système Infocl@r, elles sont également prohibées par l'article 101, paragraphe 1, du TFUE, à un double titre.

474. Elles le sont, tout d'abord, en elles-mêmes, dans la mesure où ces échanges portent sur les prix pratiqués et les volumes vendus la veille, c'est-à-dire sur des informations précises et stratégiques, quasi-quotidiennes et proches du temps réel des ventes, sans que l'anonymat des données échangées ne soit suffisamment garanti. En raison de ces caractéristiques, le système Infocl@r n'est pas comparable à un système diffusant des informations sous forme de mercuriales ou d'indices, qui porteraient sur des données passées, anonymes et suffisamment agrégées entre elles pour exclure l'identification des opérateurs. C'est précisément la raison pour laquelle la décision attaquée (paragraphes 751et 752) a enjoint aux responsables du système Infocl@r de le modifier en ce sens.

475. À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence européenne constante (voir, notamment, arrêts de la Cour de justice du 2 octobre 2003, Thyssen Stahl/Commission, C-194/99 P, point 89, du 4 juin 2009, T-Mobile Netherlands e.a., C-8/08, point 35, et du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, C-286/13 P, points 120 et 121), si l'exigence d'autonomie, inhérente aux règles de concurrence et selon laquelle tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu'il entend suivre sur le marché commun, n'exclut pas le droit des opérateurs économiques de s'adapter intelligemment au comportement constaté ou attendu de leurs concurrents, elle s'oppose néanmoins « rigoureusement », comme le souligne la Cour de justice, à toute prise de contact direct ou indirect entre lesdits opérateurs dès lors que cet acte est de nature soit à influencer le comportement sur le marché d'un concurrent actuel ou potentiel, soit à dévoiler à un tel concurrent le comportement qu'il a été décidé de tenir sur ce marché ou qu'il a été envisagé d'adopter sur celui-ci, dans la mesure où ces échanges sont susceptibles d'atténuer ou de supprimer le degré d'incertitude sur le fonctionnement du marché.

476. En l'espèce, les pratiques d'échanges d'informations en cause sont également prohibées en ce qu'elles servent de support à la réalisation des autres pratiques reprochées en facilitant :

- d'une part, la prise de décisions dites de « gestion du marché », telles que le recours à des dénaturations obligatoires et la fixation du prix minimum obligatoire de vente à la production et ;

- d'autre part, le suivi et la vérification du respect des prix ainsi fixés.

477. Il résulte de l'ensemble de ces développements que les différentes pratiques en cause sont prohibées par l'article 101, paragraphe 1, du TFUE.

478. Nonobstant leur diversité, quant à leur forme et leur objet, ces pratiques présentent de fortes similitudes :

- quant aux produits concernés : toutes les pratiques concernent un même produit, à savoir l'endive ; la circonstance que certaines pratiques soient propres à l'endive de marque Perle du Nord ou à celle de marque Carmine ne suffit pas à remettre en cause leur lien étroit avec les autres pratiques, ces dernières concernant à la fois les endives génériques et de marque, dont les marques Perle du Nord et Carmine ;

- quant aux entités ayant pris part aux pratiques : le Celfnord, puis l'APEF, ont participé à toutes les pratiques, dont elles constituent successivement le moteur comme le dénominateur commun ; la circonstance que les entités en cause relèvent de statuts différents, si elle revêt un caractère déterminant pour savoir si les pratiques reprochées relèvent du champ d'application des règles de concurrence, est indifférente à ce stade de l'analyse, s'agissant de déterminer si ces différentes pratiques constituent, ensemble, une infraction unique et complexe ;

- quant aux modalités de réalisation des pratiques : leur réalisation a reposé, principalement, sur des réunions de concertation, physiques ou téléphoniques, organisées le plus souvent par le Celfnord, mais aussi par la SNE et/ou la FNPE, comme en attestent les nombreux comptes-rendus de réunion figurant au dossier (déjà cités dans les développements du présent arrêt concernant la matérialité, le périmètre et la portée des pratiques en cause) ;

- quant à la finalité des pratiques : l'ensemble des pratiques avait pour finalité la fixation, la mise en oeuvre et la défense d'un prix minimum obligatoire de vente à la production des endives, soit de manière directe comme les pratiques portant directement sur un prix minimum (désigné comme tel ou selon les termes de « cours pivot », « cours production », « prix cliquet » ou « prix de retrait »), soit de manière indirecte en jouant sur les différents paramètres de formation du prix, telles que :

* les pratiques portant sur la bourse aux échanges et le cadran/bourse qui visaient à la fois à améliorer la connaissance du marché afin de faciliter la prise de décisions dites de gestion de celui-ci, et à former un prix de référence significatif de nature à donner le ton du marché ;

* les pratiques consistant à indexer le prix de vente à la production des endives Perle du Nord sur celui du prix moyen pratiqué la veille pour l'endive générique (écart de 15 centimes au-dessus), ce qui revient à fixer un prix minimum pour la vente à la production des endives « Perle du Nord », et tendait à éviter le risque que la vente à un moindre prix d'endives Perle du Nord n'entraîne une baisse du prix de vente à la production des endives génériques, en-deça du prix minimum fixé ;

* les pratiques relatives aux offres promotionnelles, consistant à défendre un certain niveau de prix de vente en aval, qui visaient à empêcher que des actions de promotion, par un contournement du dispositif de prix minimum, ne réduisent en amont le prix moyen réellement payé au producteur ;

* les pratiques portant sur les dénaturations obligatoires, la destruction des marchandises constituant, comme le prix minimum, un outil de gestion du marché par réduction de l'offre, destiné à s'assurer que le prix du marché du frais ne descende pas en-dessous d'un certain niveau en bradant la marchandise ;

* les pratiques relatives au système Infocl@r, qui visaient, comme celles concernant la bourse aux échanges et le cadran/bourse, à disposer d'une meilleure connaissance de l'offre et des prix pratiqués afin de faciliter la prise de décisions dites de gestion du marché, telles que la fixation d'un prix minimum obligatoire, et de veiller au respect de celui-ci.

479. Il résulte de ces éléments que, nonobstant leur diversité ainsi que celle des entités en cause, les pratiques reprochées présentaient non seulement de fortes similitudes, mais, bien plus, un lien de complémentarité, en ce que chacune d'elles était destinée à s'opposer aux conséquences du jeu normal de la concurrence, en contribuant par une interaction entre elles, à la fixation et au maintien, d'une manière artificielle, d'un certain niveau du prix de vente à la production des endives.

480. Ces similitudes et ce lien de complémentarité entre les pratiques étayent l'existence d'un « plan d'ensemble » poursuivant un objectif unique, consistant à soustraire la fixation du prix de l'endive au libre jeu du marché, au-delà de l'objectif de régulation des prix.

481. Le fait qu'une série de documents émanant des entités en cause emploient l'expression « plan de gestion du marché de l'endive » (voir, notamment, cotes 1223, 1690, 2836) ou « plan d'actions conjoncturelles endives » (voir, notamment, cote 448), et énumèrent, à ce titre, différentes mesures faisant l'objet des pratiques en cause, constitue un indice supplémentaire de l'existence de ce « plan d'ensemble ».

482. L'articulation de ce « plan d'ensemble » autour de cet objectif unique se déduit également du compte-rendu d'une réunion téléphonique du bureau de la FNPE du 7 août 2006 (cote 3793) : « L'ensemble des participants s'accorde à dire que l'élément fondamental de la gestion du marché est la défense du prix minimum de production ».

483. Aucun élément du dossier ne vient contredire cette analyse.

484. À cet égard, en vertu de la jurisprudence européenne précitée, il est indifférent, au stade de la qualification d'entente unique, complexe et continue, que certaines entités en cause (telles que la SNE, le Cérafel, l'APVE, la FNPE, la FCE et la société Groupe Perle du Nord) n'aient pas pris part à toutes les pratiques.

485. En outre, l'objectif unique poursuivi par l'ensemble de ces pratiques, consistant à soustraire la fixation du prix de l'endive au libre jeu du marché, au-delà de l'objectif de « régularisation » des prix à la production, confère à l'entente en cause un caractère restrictif de concurrence par objet, eu égard non seulement à la teneur des pratiques qui la composent (voir paragraphes 461 à 475 du présent arrêt), mais aussi au contexte économique et juridique dans lequel elles s'insèrent, et ce compte tenu de la nature des produits concernés, de consommation courante, et de la structure du marché considéré, caractérisé (comme la Cour de justice l'a relevé au point 66 de l'arrêt rendu dans la présente affaire) par un niveau déjà réduit de concurrence du fait, notamment, de la faculté reconnue aux producteurs de se regrouper en OP et AOP afin de concentrer leur offre.

486. À cet égard, c'est en vain que le Celfnord, l'APEF, ainsi que les sociétés Fraileg et Prim'Santerre, soutiennent, au stade de la qualification de l'entente unique et complexe, que les pratiques en cause poursuivaient non pas un objectif anticoncurrentiel, mais un objectif fondamental de la PAC, à savoir la défense de la rémunération des producteurs.

487. En effet, si, comme l'a précisé la Cour de justice dans l'arrêt rendu dans la présente affaire (points 63 à 65), l'objectif de « régularisation » des prix à la production afin d'assurer un niveau de vie équitable à la population agricole, ainsi que l'objectif de concentration de l'offre, peuvent justifier certaines formes de coordination ou de concertation portant sur la politique tarifaire et les volumes des produits agricoles mis sur le marché, ainsi que certains échanges d'informations stratégiques, encore faut-il que de telles pratiques demeurent internes à une OP ou AOP et soient proportionnées à ces objectifs. Or, comme cela a déjà été indiqué (partie II du présent arrêt), la plupart des pratiques en cause (celles à présent examinées) ont dépassé le cadre fixé, par la réglementation européenne et précisé par la Cour de justice dans l'arrêt précité, pour le bon fonctionnement de l'OCM du secteur concerné.

488. Pour les mêmes motifs, c'est en vain que les sociétés Groupe Perle du Nord et CAP'Endives et autres font valoir que les réunions de concertation organisées par la SRE du Celfnord et la SNE, au cours desquelles ont été adoptées la plupart des pratiques reprochées, n'étaient pas secrètes mais s'inscrivaient dans le cadre institutionnel défini par la PAC pour l'accomplissement des missions confiées aux OP et AOP.

489. Dès lors, c'est à juste titre que l'Autorité (décision attaquée, paragraphe 391) a retenu que les pratiques en cause constituaient une entente unique et complexe

490. En second lieu, s'agissant du caractère continu de l'infraction, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence européenne constante (voir, notamment, arrêt de la Cour de justice précité, Verhuizingen Coppens NV, point 72 et la jurisprudence citée, et, tout récemment, l'arrêt de la Cour de justice du 18 mars 2021, Prometon SpA, C-440/19 P, point 112), l'absence de preuve de l'existence d'un accord au cours de certaines périodes déterminées, ou, tout au moins, de sa mise en oeuvre par une entreprise au cours d'une période donnée, ne fait pas obstacle à ce que l'infraction soit regardée comme constituée durant une période globale plus étendue que celles-ci, dès lors qu'une telle constatation repose sur des indices objectifs et concordants. Il résulte également de la jurisprudence (voir, notamment, arrêt de la Cour de justice du 26 septembre 2018, Infineon Technologies AG, C-99/17 P, point 53, et arrêt précité, Prometon SpA, point 112) que, dans le cadre d'une infraction s'étendant sur plusieurs années, le fait que les manifestations de l'entente interviennent à des périodes différentes, pouvant être séparées par des laps de temps plus ou moins longs, demeure sans incidence sur l'existence de cette entente, pour autant que les différentes actions qui font partie de cette infraction poursuivent une seule finalité et s'inscrivent dans un plan d'ensemble. Il a également été précisé (voir, notamment, arrêt de la Cour de justice précité, Aalborg Portland e.a., point 260, et arrêt duTribunal, précité, Icap, point 219) que si, dans le cadre d'un accord global s'étendant sur plusieurs années, un décalage de quelques mois entre les manifestations de l'entente importe peu, l'élément déterminant étant que les différentes actions s'inscrivent dans un plan d'ensemble, il est néanmoins nécessaire de se fonder sur des éléments de preuve se rapportant à des faits suffisamment rapprochés dans le temps, de façon qu'il puisse être raisonnablement admis que l'infraction s'est poursuivie de façon ininterrompue entre deux dates précises. Selon la même jurisprudence (voir l'arrêt du Tribunal, précité, Icap, point 218 et jurisprudence citée), la notion de plan d'ensemble permet de présumer que la commission d'une infraction n'a pas été interrompue même si, pour une certaine période, le dossier ne comprend pas de preuve de la participation de l'entreprise concernée à cette infraction, pour autant que celle-ci a participé à l'infraction avant et après cette période et pour autant qu'il n'existe pas de preuves ou d'indices pouvant laisser penser que l'infraction s'était interrompue en ce qui la concerne.

491. En l'espèce, comme cela a déjà été indiqué, il est établi que les pratiques en cause s'inscrivaient dans un plan d'ensemble et poursuivaient un objectif unique, consistant à soustraire la fixation du prix de l'endive au libre jeu du marché. Dès lors, il convient de vérifier que les manifestations de l'entente se rapportent à des faits suffisamment rapprochés dans le temps.

492. En revanche, conformément cette jurisprudence, sont dépourvues d'incidence les circonstances, invoquées par les sociétés Fraileg et Prim'Santerre, selon lesquelles :

- d'une part, les pratiques reprochées sont intervenues à des périodes différentes ;

- d'autre part, certaines entités n'ont pas directement pris part à toutes les pratiques et certaines pratiques sont d'une durée plus limitée que d'autres et n'ont pas été reconduites, telles que celles relatives à la bourse aux échanges, au cadran/bourse et au prix « cliquet ».

493. En l'espèce, il résulte de l'examen de la matérialité des pratiques (partie II, sous B, du présent arrêt) que, contrairement à ce que soutiennent le Celfnord et l'APEF, loin de se limiter aux périodes comprises entre, d'une part, septembre 2002 et novembre 2003 et, d'autre part, octobre 2004 et octobre 2007, de nombreux éléments du dossier établissent le caractère continu de l'entente unique et complexe en cause entre janvier 1998 et mars 2012, comme l'a justement retenu la décision attaquée.

494. Ainsi, comme le démontrent les constatations opérées lors de l'examen de la matérialité des pratiques relevant du champ d'application des règles de concurrence, conduites par le Celfnord puis l'APEF, portant sur la fixation d'un prix minimum de vente à la production, entendu sous ses différentes appellations (« prix minimum production », « cours pivot », « prix cliquet » ou « prix de retrait »), celles-ci sont intervenues dès le 27 janvier 1998 et se sont échelonnées jusqu'au 24 décembre 2008, comme l'établissent en particulier :

- la série de télécopies envoyées par le Celfnord aux « OP endives », portant diffusion du prix minimum fixé (jusque fin février 1998) ;

- les nombreuses pièces mentionnées aux paragraphes 323 à 340 du présent arrêt, se rapportant à des faits intervenus au moins entre le 10 octobre 2001 (date du document intitulé « Plan d'actions conjoncturelles endives pour la campagne 2001-2002 », cote 448, indiquant que le dispositif de « gestion des prix minima » fait partie des actions « qui ont montré leur efficacité depuis plusieurs années ») et le 30 mars 2004 (date du document intitulé « bilan des interventions de gestion du marché endives 2003-2004 », cote 743) ;

- les autres pièces mentionnées aux paragraphe 345 du présent arrêt, se rapportant à des faits intervenus entre le 29 novembre 2005 (date du document intitulé « Endive : campagne 2005/2006, Plan de gestion du marché de l'endive du 29 novembre 2005 au 19 janvier 2006, décision du SRE du 29 novembre 2005 », cote 1223) et le 12 septembre 2006 (date de la télécopie du document intitulé « Compte-rendu des décisions prises lors de la réunion téléphonée du Conseil d'administration de la SRE du 12 septembre 2006 », cote 1721) ;

- le règlement intérieur de la section « SOMO » de l'APEF, adopté lors de son assemblée générale constitutive du 28 août 2008 (cote 5772), et le document intitulé « les neuf points clés des engagements de la SOMO », envoyé à la DGCCRF en novembre 2008 (cote 5766).

495. Il est ainsi établi, par des éléments de preuve directe, que les pratiques de fixation d'un prix minimum se sont réalisées, à des dates suffisamment rapprochées dans le temps, eu égard au rythme des campagnes calqué sur le calendrier de production, et ont perduré entre 1998 et 2008 en dépit de courtes périodes de suspension provisoire (au maximum entre le 30 mars 2004 et le 29 novembre 2005), étant précisé que d'autres pratiques ont été mises en oeuvre sur ces périodes poursuivant le même objectif commun.

496. Les pratiques d'échanges d'informations stratégiques au moyen du système Infocl@r sont ainsi intervenues sans interruption entre le 11 mars 1999 et le 6 mars 2012 au moins, soit depuis la création de ce système jusqu'à la date de la décision attaquée, aucun élément du dossier n'établissant que son fonctionnement a été interrompu au cours de cette période.

497. La Cour ajoute, comme cela avait déjà été indiqué (paragraphe 475 du présent arrêt), que ces pratiques d'échanges d'informations, qui étaient en elles-mêmes illicites, ont également concouru à la réalisation des autres pratiques en cause comme instrument de contrôle ou de mise en oeuvre.

498. Les pratiques relatives à la fixation d'un prix minimum de vente à la production ayant débuté en janvier 1998 et la durée des échanges d'informations stratégiques (du 11 mars 1999 au 6 mars 2012) ayant couvert une période significative de l'entente unique, et ce sans interruption, ces différents moyens mis en oeuvre pour la réalisation de l'objectif commun poursuivi par les membres de l'entente suffisent à établir le caractère continu de l'infraction sur toute la période retenue par la décision attaquée, étant précisé que les autres pratiques, telles qu'elles ont été précédemment constatées (en partie II, B) ont également relayé ce plan d'ensemble au cours de cette période. Cette analyse est sans préjudice de l'examen spécifique des périodes de participation individuelle des entités en cause aux différentes pratiques la constituant, qui sera opéré ultérieurement et dont il sera tenu compte au stade de la détermination du montant des sanctions.

499. Dès lors, c'est à juste titre que l'Autorité (décision attaquée, paragraphe 391) a retenu que l'ensemble des pratiques qui ont été identifiées comme relevant des règles de concurrence constituait une entente unique, complexe et continue.

500. Les premières pratiques mises en oeuvre pour atteindre l'objectif commun ayant débuté à compter du 28 janvier 1998 et celles qui ont perduré le plus longtemps ayant cessé, au plus tôt, le 6 mars 2012, c'est à juste titre que l'Autorité (décision attaquée, paragraphe 462) a retenu que cette entente complexe, unique et continue avait duré quatorze ans et un mois.

501. C'est donc en vain que le Celfnord et l'APEF font valoir qu'en l'absence d'entente continue, la prescription quinquennale prévue à l'article L.462-7, alinéa 1, du code de commerce, dans sa rédaction en vigueur jusqu'au 20 novembre 2012, est acquise pour les faits antérieurs au 2 avril 2002, soit ceux intervenus cinq ans avant l'ordonnance autorisant les visites et saisies dans les locaux du Celfnord.

502. En outre et en tout état de cause, la Cour relève que le premier acte tendant à la recherche et à la constatation des faits, au sens de l'article précité, remonte à l'audition du directeur du Celfnord, réalisée le 22 novembre 2000, par les agents de la DGCCRF dans le cadre de leur enquête, et dont il a été dressé procès-verbal (cotes 2158 à 2162). Cet acte interruptif de prescription, qui vaut pour l'ensemble des entités en cause, suffit à faire échec au jeu de ladite prescription.

503. Dès lors, c'est à juste titre que l'Autorité (décision attaquée, paragraphe 282) a écarté le moyen tiré de la prescription quinquennale, prévue à l'article L.462-7, alinéa 1, du code de commerce, dans sa rédaction alors en vigueur.

B. Sur la participation des entités en cause à l'entente unique, complexe et continue

504. Le Celfnord et l'APEF, cette dernière venant aux droits de la SNE et de la FCE, ne soutiennent qu’aucune des conditions dégagées par la jurisprudence européenne pour imputer à une entreprise la responsabilité de pratiques mises en oeuvre dans le cadre d'une entente unique, complexe et continue, ne sont réunies en l'espèce. À cet égard, ces entités font valoir, tout d'abord, qu'elles-mêmes, ni la SNE, ni la FCE n'ont pu prendre part à l'intégralité des pratiques dans la mesure où certaines de ces entités ont été créées postérieurement au début des pratiques, tandis que d'autres ont cessé leurs activités avant la fin desdites pratiques. Elles en déduisent que ces entités ne pouvaient avoir connaissance des comportements qui auraient été adoptés avant leur création ou après leur cessation d'activités. Elles estiment, en outre, qu'en raison des missions confiées par la réglementation européenne aux OP et AOP et de l'absence d'interprétation de leur étendue par la Cour de justice à la date des faits reprochés, il serait pour le moins « fantaisiste » de soutenir qu'elles pouvaient avoir connaissance du prétendu caractère infractionnel des pratiques et, a fortiori, qu'elles étaient prêtes à en accepter le risque, d'autant plus que, s'il est envisageable qu'une personne puisse prévoir un comportement mis en oeuvre postérieurement à sa cessation d'activités, il est en revanche difficile de concevoir qu'elle puisse accepter le risque d'un tel comportement.

505. L'Union des endiviers, anciennement dénommée FNPE, conteste le principe même de sa participation à une entente anticoncurrentielle, ainsi que la durée de sa prétendue participation à celle-ci.

506. Sur le principe, elle soutient qu'elle-même (comme auparavant la FNPE) ayant été membre du Celfnord jusqu'en 2010, ainsi que le permettait alors l'article L.552-1 du code rural, avant son abrogation par voie d'ordonnance le 6 mai 2010, il ne saurait lui être reproché d'avoir, dans le cadre de cette structure, reconnue comme comité économique agricole, participé, comme le prévoyait ce texte, à une politique d'harmonisation des disciplines de prix, en lien avec la défense des revenus des producteurs dont elle est chargée. À cet égard, elle soutient que son action s'est toujours inscrite dans le cadre de cette structure, pendant toute la période de sa prétendue participation aux pratiques reprochées (du 22 novembre 2002 au 28 août 2008). Elle avance que la Cour de justice, dans l'arrêt rendu dans la présente affaire, a jugé que ce type de structure pouvait déroger aux règles de concurrence, et en déduit qu'il ne peut être fait grief à la FNPE d'avoir participé, en tant que membre du Celfnord, à des pratiques anticoncurrentielles, dont le Celfnord était au demeurant seul responsable, ce qui exclut que la responsabilité desdites pratiques soit également imputable à la FNPE.

507. Sur la durée de sa participation, elle critique la décision attaquée, notamment, en ce qu'elle s'est fondée sur l'absence de distanciation publique de sa part depuis sa dernière participation aux pratiques, fixée au 4 octobre 2007, pour retenir que sa participation avait duré jusqu'à la création de l'APEF en août 2008. Sur ce point, elle soutient que n'étant pas une entreprise commerciale, elle n'avait pas à formaliser de distanciation publique à l'égard d'entreprises qui n'étaient pas ses concurrentes, alors que l'objet même du syndicat est la défense des intérêts de ses membres producteurs, qui sont également membres d'OP. Elle estime qu'il ne peut être demandé à un syndicat de dénoncer publiquement des pratiques qu'il a considéré, à tort ou à raison, comme légales, pour en déduire qu'il a continué à participer à ces pratiques. L'Union des endiviers soutient, en conséquence, qu'aucune preuve n'étant apportée de sa participation aux pratiques après le 4 octobre 2007, la seule période qui peut être incriminée est celle du 22 novembre 2002 au 4 octobre 2007.

508. Le Cérafel soutient que, s'il pouvait avoir connaissance des décisions prises par les OP et les AOP du Nord de la France, il n'a pas souscrit aux décisions prises en leur sein, ni appliqué celles-ci. Il fait valoir que son président, dans un article de presse publié en 1995, avait mis publiquement en avant la volonté du Cérafel de ne pas mettre en oeuvre de mesures d'intervention de nature à créer un prix artificiellement élevé ou de soutenir artificiellement la production, et que cette déclaration d'intention s'est concrétisée par la spécificité de la politique tarifaire qu'il a adoptée et du système de vente au cadran en vigueur dans le bassin breton.

509. La société Groupe Perle du Nord et les sociétés CAP'Endives et autres soutiennent que la responsabilité individuelle des OP est injustifiée à plusieurs titres.

510. En premier lieu, elles estiment que les éléments figurant au dossier ne permettent pas d'imputer à chacune des OP en cause une entente unique, complexe et continue pendant quatorze ans (à supposer que celle-ci soit démontrée). À cet égard, elles ne contestent pas leur participation individuelle aux réunions de la SRE du Celfnord répertoriées dans le tableau figurant au paragraphe 540 de la décision attaquée (entre les années 2001 et 2007), mais allèguent qu'aucun lien n'est établi entre ces réunions et les pratiques anticoncurrentielles en cause, faute de précisions sur l'objet de ces réunions, et qu'à supposer même que tel fût le cas, elles n'avaient aucune conscience de participer à un plan global anticoncurrentiel, étant fondées à considérer que le Celfnord agissait dans le cadre des pouvoirs d'intervention qui lui était confiés par la réglementation OCM. Elles prétendent, en outre, qu'aucun élément du dossier ne permet d'établir leur participation individuelle à l'entente pour la période ni antérieure (dès le 28 janvier 1998) ni postérieure (jusqu'au 6 mars 2012). Sur ce dernier point, elles avancent que l'Autorité ne saurait se fonder sur la seule existence de l'outil Infocl@r, dont elles contestent le caractère critiquable en tant que tel, ni sur le fait qu'elles aient continué à entrer leurs données sur le système Infocl@r, pour imputer à chacune d'entre elles une entente unique, complexe et continue, jusqu'en mars 2012.

511. En deuxième lieu, elles font valoir que les OP étaient tenues, d'une part, d'adhérer au Celfnord, en application de l'article 14 de la loi du 6 octobre 1982, qui prévoyait, avant son abrogation par l'ordonnance n° 2010-459 du 6 mai 2010 modifiant les livres I, V et VI du code rural, que « les groupements de producteurs reconnus doivent adhérer au comité économique agricole compétent dès lors que celui-ci est agréé » et, d'autre part, d'appliquer les décisions prises au sein du Celfnord, en vertu de ses statuts et de son règlement intérieur, et ce sous peine de sanctions, dont la fixation constitue une condition d'agrément des comités agricoles. Elles en déduisent qu'à supposer même qu'elles aient eu conscience du caractère anticoncurrentiel des pratiques en cause, elles n'étaient pas en mesure, dans ce contexte, de s'en distancer publiquement.

512. En troisième lieu, elles font valoir que la décision attaquée, en sanctionnant à la fois les OP et les organismes collectifs dont elles sont membres, aboutit à les condamner plusieurs fois pour les mêmes faits et à leur faire ainsi supporter plusieurs sanctions pour les mêmes faits.

513. Les sociétés Fraileg et Prim'Santerre développent un argumentaire comparable. Elles font, en outre, valoir que la première s'est distancée publiquement des décisions prises au sein du Celfnord, dès 2003, sur le cours pivot, puis en 2005 et 2006, sur les dénaturations obligatoires et le paiement des cotisations, et qu'il ne saurait lui être opposé une participation maintenue à des réunions anticoncurrentielles jusqu'en 2007, cette participation n'invalidant pas sa distanciation publique antérieure mais, au contraire, cette dernière renversant la présomption du caractère illicite de sa participation aux dites réunions.

514. En réponse, l'Autorité fait valoir que, si les entités en cause n'ont pas toutes pris part à l'intégralité des pratiques, notamment en raison de la cessation d'activtés de certaines (Celfnord, FCE et SNE), elles ne pouvaient cependant ignorer, pendant la durée de leur adhésion individuelle à l'infraction, qu'elles participaient à une entente globale sur le marché de l'endive.

515. S'agissant du Celfnord et de l'APEF, elle fait valoir que leur adhésion à l'entente unique, complexe et continue, est attestée par le fait qu'elles ont joué un rôle central dans l'organisation, la gestion et la coordination des différentes composantes de l'infraction, en servant de support logistique à la tenue régulière de réunions à caractère anticoncurrentiel, sous couvert des missions qui leur étaient confiées par les pouvoirs publics. Elle estime que la FNPE a également joué un rôle central dans la fixation des prix minima et dans l'application de l'ensemble des mesures litigieuses, notamment en ce qui concerne les endives « Carmine ».

516. S'agissant du Cérafel, l'Autorité précise que, s'il est constant que celui-ci n'a participé ni aux concertations relatives aux endives « Perle du Nord » et « Carmine », ni au système d'échanges d'informations Infocl@r, il existe néanmoins, selon elle, un faisceau d'indices suffisamment probants pour constater que cette entité a contribué, en connaissance de cause et en acceptant les risques y afférents, à l'objectif unique de l'entente, en approuvant certaines des décisions prises par le Celfnord et la SNE, sans que les déclarations du président du Cérafel en 1995 sur le projet de réforme de l'OCM fruits et légumes soient de nature à caractériser une distanciation publique.

517. S'agissant des sociétés Fraileg et Prim'Santerre, elle relève que ces OP ont participé à de très nombreuses réunions au cours desquelles les pratiques anticoncurrentielles étaient décidées, de sorte que celles-ci ne peuvent pas prétendre avoir ignoré les comportements infractionnels des autres participants, et qu'elles ont appliqué les décisions prises sur les dénaturations obligatoires et le système Infocl@r, en communiquant leurs prix pratiqués, le président de la société Prim'Santerre ayant, en outre, déclaré lors de son audition que cette OP appliquait le cours pivot. S'agissant plus précisément de la société Fraileg, l'Autorité reconnaît que cette OP a manifesté à plusieurs reprises, en 2003 et surtout en 2005, son opposition ferme et claire aux décisions prises lors de certaines réunions de la SRE du Celfnord, mais a néanmoins continué à participer aux réunions jusqu'en 2007, sans qu'une distanciation de sa part quant à l'utilisation détournée du système Infocl@r ne soit établie. Elle précise que si la décision attaquée a retenu la responsabilité de la société Fraileg dans l'entente, elle a tenu compte de son comportement de « franc-tireur » au stade de la détermination du montant de la sanction pécuniaire en la réduisant sensiblement.

518. En ce qui concerne la société Groupe Perle du Nord, ainsi que les sociétés CAP'Endives et autres, l'Autorité relève que celles-ci opèrent, dans leurs observations, une confusion entre la durée totale de l'infraction et la durée de leur participation individuelle respective, étant précisé que la décision attaquée n'a pas retenu la date du 28 janvier 1998 comme date de début des pratiques en ce qui les concerne. Elle soutient que toutes les réunions répertoriées dans le tableau précité (figurant au paragraphe 540 de la décision attaquée) étaient de nature concurrentielle compte tenu du contenu des documents saisis et des propos tenus ainsi que des actions décidées lors de ces réunions.

519. Le ministre chargé de l'économie fait valoir, s'agissant des OP, que, si ces dernières ont l'obligation d'adhérer à un comité économique agricole, rien ne les oblige néanmoins à apporter leur soutien et à respecter les décisions relatives à la fixation de prix minima. S'agissant des organismes professionnels, il estime que leur responsabilité au titre de l'entente unique, complexe et continue est établie par de nombreux documents et déclarations et rappelle que leur degré et durée de participation individuelle, exactement évaluée par la décision attaquée, ne peut être pris en compte qu'au stade de la détermination de la sanction.

Sur ce, la Cour,

520. Il résulte d'une jurisprudence européenne constante (voir, notamment, arrêt de la Cour de justice du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C-49/92 P, points 83, et arrêts précités, Aalborg Portland e.a., point 83, Commission/Verhuizingen Coppens, point 42, Fresh Del Monte Produce, point 157, et Villeroy & Boch, point 48) qu'une entreprise ayant participé à une infraction unique, complexe et continue par des comportements qui lui sont propres peut être tenue pour responsable des comportements mis en oeuvre par d'autres entreprises dans le cadre de la même infraction, pour toute la période de sa participation à l'infraction, lorsqu'il est établi que cette entreprise, non seulement, entendait contribuer par son propre comportement aux objectifs communs poursuivis par l'ensemble des participants, mais aussi, de surcroît, soit avait connaissance des comportements infractionnels envisagés ou mis en oeuvre par d'autres entreprises dans la poursuite des mêmes objectifs, soit pouvait raisonnablement les prévoir et était prête à en accepter le risque.

521. En l'espèce, il est constant que toutes les entités en cause n'ont pas pris part, pendant toute la durée de l'entente, de manière directe, à l'ensemble des pratiques composant l'entente unique, complexe et continue. C'est le cas en particulier du Celfnord, de la SNE, de la FCE, ainsi que de la société Groupe Perle du Nord, certaines d'entre elles ayant été constituées au cours de cette période, tandis que d'autres, au cours de la même période, ont cessé leurs activités. Il est également constant que toutes les entités en cause n'ont pas pris part, de manière directe, à chacune desdites pratiques, telles que celles portant sur le prix de l'endive « Perle du Nord » ou les dénaturations obligatoires.

522. Toutefois, il ressort du dossier que toutes les entités en cause, pendant leurs périodes d'activités respectives, ont directement participé, par leurs propres comportements, à certaines des pratiques reprochées, c'est-à-dire à certains éléments constitutifs de l'entente illicite, selon des modalités différentes quant à leur durée et degré de participation.

523. Dans ces circonstances, pour déterminer leur responsabilité au titre de ladite entente unique, complexe et continue, il convient d'examiner successivement si chacune des entités en cause :

- premièrement, a entendu contribuer par son propre comportement aux objectifs communs poursuivis par l'ensemble des participants ;

- deuxièmement, dans ce cas, avait connaissance des comportements envisagés ou mis en oeuvre par d'autres entreprises dans la poursuite des mêmes objectifs ;

- troisièmement, à défaut d'avoir connaissance de ces comportements, pouvait raisonnablement les prévoir et était prête à en accepter le risque.

524. Contrairement à ce que prétendent certaines des entités en cause, ces dernières ne sauraient échapper à toute responsabilité au seul motif qu'elles n'auraient pas eu conscience du caractère infractionnel des pratiques en cause. En effet, il suffit qu'elles aient entendu et ainsi eu conscience de contribuer par leur propre comportement aux objectifs communs poursuivis par l'ensemble des participants et qu'elles aient eu connaissance des comportements des autres participants poursuivant les mêmes objectifs, ou qu'elles pouvaient raisonnablement les prévoir et étaient prêtes à en accepter le risque, pour que l'entente unique, complexe et continue leur soit imputable.

1. Sur la participation du Celfnord

525. Il résulte du paragraphe 434 du présent arrêt que le Celfnord a directement participé, dans l'ordre chronologique :

- premièrement, aux pratiques sur le « prix minimum production » et le cours dit « pivot », au moins du 27 janvier 1998 (première date de diffusion par le Celfnord aux « OP endives » des prix minimum fixés), au 5 juillet 2007 (date de la dernière réunion du Celfnord faisant référence au « cours pivot ») ;

- deuxièmement, aux pratiques d'échanges d'informations stratégiques au moyen du système Infocl@r, du 11 mars 1999 (date de la première décision du conseil d'administration du Celfnord ayant décidé de la mise en place du système) au 28 août 2008 (date de la création de l'APEF) ;

- troisièmement, à celles portant sur les dénaturations obligatoires, du 1er septembre 2000 (date du début de la campagne 2000/2001, au cours de laquelle le recours aux dénaturations obligatoires, décidé notamment par le Celfnord, est devenu disproportionné) au 17 juin 2007 (limite d'effets des décisions de gestion du marché prises par la SRE du Celfnord en mai 2006) ;

- quatrièmement, à celles portant sur les offres promotionnelles, du 22 novembre 2000 (date de l'audition du directeur du Celfnord par les agents de la DGCCRF, faisant état de concertations au sein du Celfnord sur lesdites offres) au 28 août 2008 (date de création de l'APEF) ;

- cinquièmement, à celles sur le prix des endives de la marque « Carmine », au moins le 26 novembre 2004 (date de la réunion à laquelle a participé le directeur du Celfnord et au cours de laquelle a été fixé le prix minimum des endives « Carmine ») ;

- sixièmement, à celles portant sur la bourse aux échanges et le cadran bourse (incluant la fixation d'un prix minimum dit « cours de production » et d'un prix dit « cliquet »), du 29 novembre 2005 (date de la réunion de la SRE du Celfnord au cours de laquelle a été décidé la mise en place de la bourse aux échanges) au 24 janvier 2008 (date limite fixée par la SRE du Celfnord pour le maintien du fonctionnement du cadran/bourse).

526. Il résulte de ces éléments que le Celfnord a directement participé à l'entente à compter du 27 janvier 1998, soit la date de la première diffusion par celui-ci aux « OP endives » des prix minima de vente à la production, et qu'il a cessé d'y participer le 28 août 2008, ce qui correspond à la date de la création de l'APEF, celle-ci ayant repris les activités de la SRE du Celfnord.

527. Il ressort également des développements précédents sur la matérialité, le périmètre et la portée des pratiques en cause (partie II, sous B), qu'entre ces deux dates, le Celfnord a organisé régulièrement des réunions physiques ou téléphoniques au cours desquelles ont été adoptées, précisées ou actualisées les différentes pratiques susvisées, comme en attestent les avis de convocation à certaines de ces réunions, les nombreux comptes-rendus de réunions figurant au dossier (plus de 30), ainsi que l'audition de plusieurs responsables du Celfnord. L'organisation de ces réunions a été souvent accompagnée de la diffusion par le Celfnord de télécopies tirant les conséquences des prises dans ce cadre : niveau et calendrier des prix minima fixés ; avis de dénaturations obligatoires ; synthèses des ventes issues du système Infocl@r. En outre, le Celfnord a conclu une série de conventions de gestion de l'offre qui ont été tacitement reconduites jusqu'à l'été 2004. Au surplus, il a échangé avec le Cérafel, notamment, en avril 2003, au début de l'année 2005 et en mars 2006, afin de l'associer à la prise de décisions ou à la mise en oeuvre de certaines mesures de dénaturation obligatoire et d'offres promotionnelles, en vue d'étendre l'application de ces mesures au bassin breton.

528. Il ressort également des développements précédents (partie II, sous B) que le Celfnord, en tant que comité du principal bassin de production d'endives, a joué un rôle central dans la conception, l'organisation, la mise en oeuvre et le suivi de la quasi-totalité des pratiques : décision de création et administration du système Infocl@r ; conclusion des conventions de gestion de l'offre reconduites tacitement ; décisions d'engagement des opérations de dénaturation et diffusion des avis individuels aux producteurs ; fixation et/ou diffusion de différentes formes de prix minimum (« prix minimum production », « cours pivot », « cours production », « prix cliquet ») ; décision de mise en place de la bourse aux échanges et du cadran/bourse ; gestion de la coordination des offres promotionnelles ; contribution à la fixation du prix minimum de vente à la production des endives « Carmine ».

529. Ainsi, le Celfnord a constitué le principal acteur et vecteur des concertations entreprises sur ces différents aspects de l'entente. Comme cela vient d'être indiqué, il a servi de support logistique à la tenue régulière de réunions qu'il a organisées et conduites, entre les différentes parties prenantes, membres du comité, et dont il a rédigé et diffusé les comptes-rendus en employant des expressions telles que « plan de gestion du marché de l'endive » ou « plan d'actions conjoncturelles endives ».

De même, pour mémoire, il a échangé avec le Cérafel, non membre du Celfnord, afin de l'associer à la prise de décisions ou à la mise en oeuvre de certaines mesures de dénaturation obligatoire et d'offres promotionnelles, en vue d'étendre l'application desdites mesures au bassin breton.

530. Par là-même, le Celfnord a entendu contribuer, par son propre comportement, à l'objectif unique poursuivi par tous les participants à l'entente dans le cadre d'un plan d'ensemble, objectif consistant à soustraire la fixation du prix de l'endive au libre jeu du marché.

531. En outre, s'il n'a pas directement participé aux pratiques concernant le prix de vente à la production des endives « Perle du Nord » et le tarif « inter-OP », conduites par la société Groupe Perle du Nord, le 1er octobre 2004 et le 4 octobre 2007, lesquelles poursuivaient le même objectif, il en avait précisément connaissance, comme en attestent respectivement, d'une part, l'audition du président de la SRE du Celfnord, réalisée le 4 octobre 2007 (cote 1935) et, d'autre part, le rendu de la réunion du conseil d'administration de la SRE du Celfnord du 11 octobre 2004 faisant état de l'instauration du tarif « inter-OP » (cote 1161).

532. Dès lors, c'est à juste titre que l'Autorité (décision attaquée, paragraphe 480) a retenu que le Celfnord avait participé à l'entente unique, complexe et continue et que sa participation avait duré du 27 janvier 1998 (date de la première diffusion aux « OP endives » des prix minima de vente à la production) au 28 août 2008 (date de la création de l'APEF, celle-ci ayant repris les activités de la SRE du Celfnord).

2. Sur la participation de la SNE

533. Il résulte du paragraphe 434 du présent arrêt que la SNE (aux droits de laquelle vient à présent l'APEF) a directement participé, dans l'ordre chronologique :

- premièrement, aux pratiques portant sur le « prix minimum production » et le « cours pivot » au moins du 10 octobre 2001 (date du document à l'entête de la SNE, intitulé « Plan d'actions conjoncturelles endives pour la campagne 2001-2002 », indiquant la nécessité d'établir un prix minimum de marché et de le défendre) au 8 juin 2006 (date du document à l'entête du Celfnord, intitulé « Endive : campagne 2006/2007-Plan de gestion du marché de l'endive, décisions SRE du 8 juin 2006 », faisant référence au rôle de la SNE) ;

- deuxièmement, aux pratiques portant sur les offres promotionnelles, au moins du 31 mai 2002 (date du dernier jour du « séminaire endives » organisé par la SNE, en lien avec le Celfnord, au cours duquel a été discutée l'organisation de promotions selon un planning concerté) au 28 août 2008 (date de création de l'APEF, cette dernière ayant repris les activités de la SNE) ;

- troisièmement, à celles portant sur les dénaturations obligatoires, au moins fin novembre 2002 (date des décisions prises par la SNE, sur proposition du Celfnord, d'engager des opérations de dénaturation obligatoire lors du blocus des centrales d'achats) ;

- quatrièmement, à celles portant sur le prix des endives de la marque « Carmine », au moins du 1er octobre 2004 (date de la réunion téléphonique du comité de pilotage, animée notamment par la SNE) au 25 mars 2005 (date de la lettre du président de la SNE à une OP) ;

- cinquièmement, aux pratiques d'échanges d'informations stratégiques au moyen du système Infocl@r, au moins du 30 août 2006 (date de la réunion du Celfnord, à laquelle ont participé le président et le directeur de la SNE, au cours de laquelle a été décidé d'ouvrir, notamment aux producteurs indépendants, l'accès aux données du système) au 28 août 2008 (date de création de l'APEF, celle-ci ayant repris les activités de la SNE) ;

- sixièmement, à celles portant sur la bourse aux échanges et le cadran bourse (incluant la fixation d'un prix minimum dit « cours de production » et d'un prix dit « cliquet »), au moins du 4 janvier 2007 (date de la réunion du Celfnord à laquelle a participé la SNE et au cours de laquelle a été décidé de mettre en place le cadran/bourse) au 24 janvier 2008 (date limite fixée pour le maintien du cadran/bourse).

534. Il résulte de ces éléments que la SNE a directement participé à l'entente à compter au moins du 10 octobre 2001 (date du document définissant un plan d'actions pour la campagne 2001/2002 et prévoyant à ce titre la fixation et la défense d'un prix minimum) jusqu'au 28 août 2008 (date de création de l'APEF, celle-ci ayant repris les activités de la SNE).

535. Il ressort également des développements précédents sur la matérialité, le périmètre et la portée des pratiques en cause (partie II, sous B), qu'entre ces deux dates, l'implication de la SNE résulte :

- de l'organisation ou de la participation à une série de réunions ayant un objet anticoncurrentiel, en février, mai et novembre 2002 (cotes 1189, 510, 2742 à 2745), en mars et juin 2003 (cotes 1387, 1399, 1123), en janvier, avril, juin, octobre et décembre 2004 (cotes 781, 2457, 2483, 2790 et 5748), en mars, juin et août 2006 (cotes 1208, 2666 et 1239), en janvier, septembre et octobre 2007 (cotes 606, 4930, 4938) ;

- de la surveillance du prix fixé pour la vente à la production de l'endive Carmine (lettre du président de la SNE à une OP de mars 2005, cote 66) ;

- au début de l'année 2005, de la mise en place d'actions de promotion, de la centralisation d'informations sur ces actions notamment en Bretagne et de la vérification de la conformité actions réalisées dans le cadre de conventions de partenariat (cotes 543 et 544).

536. Ainsi, la SNE, créée par le Celfnord, le Cérafel et la FNPE, en tant qu'entité chargée (selon ses statuts) de « renforcer la filière endives par la coordination des actions des sections régionales adhérentes et des OP reconnues pour le produit concerné », a joué un rôle important la conception, l'organisation, la mise en oeuvre et le suivi de la quasi-totalité des pratiques : contribution à la décision d'ouverture de l'accès aux données du système Infocl@r notamment aux producteurs indépendants ; décision d'engagement de certaines opérations de dénaturation obligatoire ; fixation de différentes formes de prix minimum (« prix minimum payé producteur », « cours pivot », « prix cliquet ») et prise en charge des indemnisations (en cas de vente au secteur industriel de la transformation) ; contribution à la décision de mise en place et à l'organisation du cadran/bourse ; contribution au lancement des actions de coordination des offres promotionnelles et mise en place de certaines actions, accompagnées de la centralisation des informations sur leur mise en oeuvre et de la vérification de leur conformité ; large contribution à la fixation du prix minimum des endives « Carmine » et au suivi vigilant des prix pratiqués.

537. Par là-même, la SNE a entendu contribuer, par son propre comportement, à l'objectif unique précité, poursuivi par tous les participants à l'entente dans le cadre d'un plan d'ensemble.

538. En outre, si la SNE n'a pas directement participé aux pratiques concernant le prix de vente à la production des endives « Perle du Nord » et le tarif « inter-OP », adoptées par la société Groupe Perle du Nord et ses OP membres (entre le 1er octobre 2004 et le 4 octobre 2007), lesquelles poursuivaient le même objectif, elle en avait nécessairement connaissance dans la mesure où :

- premièrement, ces pratiques se sont appuyées, au moyen d'un système d'indexation, sur la politique tarifaire définie par SNE en lien avec le Celfnord ;

- deuxièmement, le président de la SNE, ainsi que son directeur, ont participé à la réunion du conseil d'administration de la SRE du Celfnord du 11 octobre 2004, au cours de laquelle il a été fait état de ces pratiques (cote 1161) ;

- troisièmement, il existe une certaine porosité entre la SNE et le Celfnord, ces deux entités partageant les mêmes locaux (la SNE étant hébergée par le Celfnord) et les mêmes responsables (président et directeur), de sorte que, comme cela vient d'être indiqué, le Celfnord ayant précisément eu connaissance de l'existence et du maintien des pratiques concernant « Perle du Nord », la SNE en avait également nécessairement connaissance.

539. Dès lors, c'est à juste titre que l'Autorité (décision attaquée, paragraphe 503) a retenu que la SNE avait participé à l'entente unique, complexe et continue et que sa participation avait duré au moins du 10 octobre 2001 (date de définition d'un plan d'actions conjoncturelles pour la campagne 2001/2002, prévoyant la fixation et la défense d'un prix minimum) au 28 août 2008 (date de création de l'APEF, celle-ci ayant repris les activités de la SNE).

3. Sur la participation de la FCE

540. Il résulte du paragraphe 436 du présent arrêt que la FCE (aux droits de laquelle vient à présent l'APEF) a directement participé, dans l'ordre chronologique :

- premièrement, pratiques portant sur la bourse aux échanges et le cadran bourse (incluant la fixation d'un prix minimum dit « cours de production » et d'un prix dit « cliquet »), du 20 décembre 2005 (date de la réunion de la SRE du Celfnord, à laquelle participait la FCE, au cours de laquelle il lui a été demandé de revoir le fonctionnement de la bourse aux échanges, cote 2368) au 24 janvier 2008 (date limite fixée par la SRE du Celfnord pour le maintien du fonctionnement du cadran/bourse, auquel la FCE apportait son concours) ;

- deuxièmement, aux pratiques portant sur les offres promotionnelles, au moins du 13 février 2006 (date d'une télécopie envoyée par le directeur de la SRE du Celfnord en vue de la tenue d'une réunion du bureau de la SRE, élargie aux présidents des OP et à la FCE, ayant pour objet les offres promotionnelles) au 28 août 2008 (date de cessation d'activités de la FCE, indiquée par l'APEF, dans son mémoire commun avec le Celfnord, ce qui n'est pas contesté par l'Autorité) ;

- troisièmement, aux d'échanges d'informations stratégiques au moyen du système Infocl@r, au moins du 30 août 2006 (date de la réunion, à laquelle a participé la FCE, au cours de laquelle a été décidé l'ouverture du sytème aux producteurs indépendants, cote 1239) au 28 août 2008 (date de cessation d'activités de la FCE).

541. Il résulte de ces éléments que la FCE a directement participé à l'entente à compter du 20 décembre 2005 (date de la réunion de la SRE du Celfnord, à laquelle participait la FCE et au cours de laquelle il lui a été demandé de revoir le fonctionnement de la bourse aux échanges) au 28 août 2008 (date de cessation d'activités de la FCE).

542. Il ressort également des développements précédents sur la matérialité, le périmètre et la portée des pratiques en cause (partie II, sous B), qu'entre ces deux dates, l'implication de la FCE résulte :

- de sa reconfiguration du dispositif de la bourse aux échanges au début de l'année 2006 (cotes 4202, 996 à 998) ;

- de sa participation aux réunions de concertation relatives à la bourse aux échanges, en février 2006 (cote 996) et au cadran/bourse, en janvier, septembre et octobre 2007 (cotes 606, 4930, 4938, précitées) ;

- de sa contribution constante à l'organisation, à la gestion et au suivi des offres promotionnelles (cotes 2836, 1714, 4183, 73, 1932, 4174 et 4145) ;

- de sa réception ininterrompue des synthèses de ventes issues du système Infocl@r (cote 4185).

543. Ainsi, la FCE a joué un rôle significatif dans la conception et la mise en oeuvre des pratiques auxquelles elle a directement participé : contribution à la prise de décision d'ouverture de l'accès aux données du système Infocl@r ; réception chaque jour des synthèses des ventes de la veille issues d'Infocl@r ; pilotage de la bourse aux échanges ; concours apporté au fonctionnement du cadran/bourse en stimulant la demande et en animant les acheteurs tenus d'être affiliés à la FCE ; organisation et gestion de la coordination des offres promotionnelles.

544. Par là-même, la FCE a entendu contribuer, par son propre comportement, à l'objectif unique précité, poursuivi par tous les participants à l'entente dans le cadre d'un plan d'ensemble.

545. En outre, si la FCE n'a pas directement participé aux autres pratiques, elle avait connaissance des comportements infractionnels envisagés ou mis en oeuvre par d'autres entreprises dans la poursuite des mêmes objectifs au cours de cette même période, dans la mesure où, bien que n'étant pas membre du Celfnord, elle entretenait des liens étroits avec celui-ci puisque, l'a précisé l'animateur de la FCE lors de son audition par les agents de la DGCCRF (cote 4185), outre qu'elle était principalement financée par le Celfnord (à hauteur de 80%), elle était invitée à assister à toutes les réunions de la SRE du Celfnord et était au courant des projets menés tant par cette section interne au Celfnord que par le Celfnord en général, comme en attestent, d'une part, les nombreux comptes-rendus de réunions auxquelles elle a participé, commentés lors de son audition, et, d'autre part, la description détaillée des pratiques 'elle a effectuée à cette occasion, notamment sur la fixation du « cours de production » (cotes 4188 et 4189) et la politique tarifaire relative à l'endive « Carmine » (cotes 4186 et 4190).

546. Dès lors, c'est à juste titre que l'Autorité (décision attaquée, paragraphe 509) a retenu que la FCE avait participé à l'entente unique, complexe et continue et que sa participation avait débuté le 20 décembre 2005. En revanche, contrairement à la décision attaquée, la Cour retient que la participation de la FCE a cessé non pas le 14 octobre 2011, mais le 28 août 2008 (date de sa cessation d'activités).

4. Sur la participation de l'APEF

547. Il résulte du paragraphe 436 du présent arrêt que, dès sa constitution, qui correspond au jour de l'adoption du règlement intérieur de sa section « SOMO » (le 28 août 2008), l'APEF a directement participé :

- d'une part, aux portant sur le « prix de retrait » et les offres promotionnelles, et ce jusqu'au 24 décembre 2008 (date de sa reconnaissance en qualité d'AOP) ;

- d'autre part, aux pratiques d'échanges d'informations stratégiques au moyen du système Infocl@r, et ce jusqu'au 6 mars 2012 (date de la décision attaquée, à la suite de laquelle ledit système a été supprimé).

548. Il résulte de ces éléments que l'APEF a directement participé à l'entente à compter du 28 août 2008 jusqu'au 6 mars 2012.

549. Il ressort également des développements précédents sur la matérialité, le périmètre et la portée des pratiques en cause (partie II, sous B), qu'entre ces deux dates, l'APEF :

- d'une part, a précisé le dispositif concernant le « prix de retrait » et les offres promotionelles, dans le document intitulé « les neuf points clés des engagements de la SOMO », é à la DGCCRF en novembre 2008 (cote 5766) ;

- d'autre part, a poursuivi l'administration du système Infocl@r, qui était géré par le Celfnord.

550. Ainsi, l'APEF, s'agissant d'une entité active au niveau national et composée non seulement d'OP reconnues (dont certaines voire toutes étaient auparavant membres du Celfnord, tout en étant membres de la société Groupe Perle du Nord), mais aussi de producteurs non adhérents à des OP, a joué un rôle central dans la mise en oeuvre des pratiques en cause, en poursuivant celles conduites par le Celfnord ou la SNE, comme en attestent le règlement intérieur de sa section dite « SOMO » et « les neuf points clés des engagements de la SOMO » : administration du système Infocl@r, dont l'accès aux données demeurait ouvert, notamment, à la FCE et à la société Groupe Perle du Nord ; fixation du « prix de retrait », consistant en un prix minimum hebdomadaire obligatoire, sous peine de sanction, et diffusion de celui-ci à l'ensemble des adhérents ; coordination des offres promotionnelles par un coordinateur dédié à cette tâche et dont la validation était requise avant toute proposition au client.

551. Par là-même, l'APEF a entendu contribuer, par son propre comportement, à l'objectif unique (inchangé), consistant à soustraire la fixation du prix de l'endive au libre jeu du marché, poursuivi dans le cadre d'un plan d'ensemble par l'ensemble des participants, et avait nécessairement connaissance des comportements adoptés par les autres participants.

552. La dissolution de la SOMO, le 14 octobre 2011, n'a pas mis fin à la participation de l'APEF à l'entente dans la mesure où :

- d'une part, le système Infocl@r n'a été supprimé qu'à la suite de la décision attaquée (soit, au plus tôt, le jour où elle a été rendue, le 6 mars 2012) et,

- d'autre part, il ressort du dossier que, contrairement à ce que suggère l'APEF, le fonctionnement du système n'a pas été modifié entre le 14 octobre 2011 et le 6 mars 2012, pour le mettre en conformité avec les règles de concurrence, lesquelles auraient été intégrées en 2001 dans la Charte d'Infocl@r, dès lors que, comme l'expliquent la société Groupe Perle du Nord et les sociétés CAP'Endives et autres, l'injonction ordonnée par la décision attaquée, consistant à modifier le système afin de le rendre compatible avec les règles de concurrence, n'a pas pu être exécutée et qu'il a ainsi été estimé préférable de le supprimer.

553. Dès lors, c'est à juste titre que l'Autorité (décision attaquée, paragraphe 484) a retenu que l'APEF avait participé à l'entente unique, complexe et continue et que sa participation avait duré du 28 août 2008 (date de sa constitution, à partir de laquelle elle a poursuivi les pratiques d'échanges d'informations via le système Infocl@r et celles portant sur les prix de retrait et les offres promotionnelles) au 6 mars 2012 (date de la décision attaquée, à la suite de laquelle le système Infocl@r a été supprimé).

5. Sur la participation de la FNPE

554. Il ressort des développements du présent arrêt sur la matérialité, le périmètre et la portée des pratiques en cause (partie II, sous B) que la FNPE (devenue l'Union des endiviers), a directement participé, dans l'ordre chronologique :

- premièrement, aux pratiques portant sur les dénaturations obligatoires, du 22 novembre 2002 (date de la réunion téléphonique organisée par la SNE, à la suite du blocus des centrales d'achats, à laquelle a participé la FNPE et au cours de laquelle ont été décidées deux opérations de dénaturations obligatoires) au 17 juin 2007 (date limite d'effets des décisions de gestion du marché prises en mai 2006 par la SRE du Celfnord, dont la FNPE est membre) ;

- deuxièmement, aux pratiques portant sur le « cours pivot » et les dénominations ultérieures du prix minimum (« prix minimum production » etc) du 16 avril 2003 (date de la réunion de la SRE, à laquelle a participé la FNPE, au cours de laquelle il a été décidé de maintenir le cours pivot au même niveau) au 25 mars 2007 (date de la réunion téléphonique du bureau de la FNPE, au cours de laquelle a été souligné la nécessité d'une défense du prix minimum par les responsables syndicaux au sein de leurs groupements) ;

- troisièmement, aux pratiques portant sur les offres promotionnelles du 29 août 2003 (date de la proposition de la FNPE concernant l'organisation des promotions commerciales) au 29 août 2006 au moins (date du compte-rendu d'une réunion du conseil d'administration du syndicat des producteurs d'endives de la Somme, faisant état d'une intervention de la FNPE auprès d'une enseigne de la distribution pour dénoncer des offres promotionnelles à des prix jugés trop bas) ;

- quatrièmement, aux pratiques portant sur le prix des endives de la marque « Carmine » du 1er octobre 2004 (date d'une réunion du comité de pilotage, animée notamment par le FNPE, pour la préparation de laquelle la FNPE a élaboré et diffusé une note de travail dont il ressort l'existence d'une concertation et des échanges d'informations pour maintenir une cohérence dans les prix) 25 mars 2005 (date d'une lettre portant l'entête « Carmine/Section endives, FNPE » adressée à une OP et attestant d'une surveillance des prix pratiqués afin de s'assurer du respect des prix minima fixés) ;

- cinquièmement, aux pratiques portant sur cadran/bourse, du 7 janvier 2007 (date de la réunion de la SRE du Celfnord, à laquelle a participé la FNPE, au cours de laquelle a été décidé la mise en place du cadran/bourse) au 24 janvier 2008 (date limite fixée par la SRE du Celfnord, lors d'une réunion du 7 janvier 2008 à laquelle participait la FNPE, pour le maintien du fonctionnement du cadran/bourse).

555. Il résulte de ces éléments que la FNPE a directement participé à l'entente à compter du 22 novembre 2002 (date de la réunion téléphonique au cours de laquelle ont été décidées deux opérations de dénaturations obligatoires à la suite du blocus des centrales d'achats) au 24 janvier 2008 (date limite fixée pour le maintien du fonctionnement du cadran/bourse).

556. Il ressort également des développements précédents sur la matérialité, le périmètre et la portée des pratiques en cause (partie II, sous B), qu'entre ces deux dates, la FNPE :

- a participé à des réunions du Celfnord ayant un objet anticoncurrentiel, notamment, en septembre 2003 (cotes 1665 et 1670), juillet 2006 (cote 1229), septembre 2007 (cote 4930) et janvier 2008 (annexe 16 du mémoire du Celfnord), ainsi qu'à des réunions dédiées à l'endive Carmine, ayant également un objet anticoncurrentiel, en novembre et décembre 2004 (cotes 1777, 2793 et 5748) ;

- a organisé une série de réunions en interne (au sein du bureau de la FNPE) portant sur la défense des prix minima fixés, revêtant ainsi un objet anticoncurrentiel, en décembre 2005 (cotes 4188 et 3046), puis en mai, août et septembre 2006 (cotes 3820, 3730, 3791, 3793) ;

- est intervenu régulièrement auprès des grandes enseignes de la distribution, en plus d'une intervention auprès d'un expert-négociant, pour défendre le dispositif en cause des offres promotionnelles (cotes 77, 4037,1250).

557. C'est en vain que l'Union des endiviers soutient que l'action de la FNPE s'est inscrite uniquement dans le cadre du Celfnord, dont elle se prévaut de la qualité d'entité reconnue pour les besoins de la mise en oeuvre de la PAC, pour échapper à toute responsabilité au titre de pratiques anticoncurrentielles.

558. En effet, il ressort du dossier (voir partie II, sous B, du présent arrêt) que la FNPE ne s'est pas bornée à participer aux réunions du Celfnord en tant membre, mais a également agi :

- non seulement, dans d'autres cadres (celui de la SNE, dont la FNPE était également membre, et celui du comité de pilotage de la « Carmine », dont il animait les travaux avec la SNE) ;

- mais aussi, de manière individuelle (série de réunions téléphoniques du bureau de la FNPE concernant le « cours pivot », le « cours production » et la défense d'un prix minimum ; proposition de la FNPE concernant l'organisation des promotions commerciales ; interventions régulières de la FNPE auprès de grandes enseignes pour dénoncer des offres promotionnelles à des prix jugés trop bas ; intervention de la FNPE auprès d'un expéditeur-négociant accusé d'être complice de telles offres ; interventions régulières de la FNPE auprès de certains producteurs pour les sensibiliser sur les conséquences de promotions à bas prix ; suivi régulier des prix pratiqués par les producteurs d'endives « Carmine » afin de s'assurer du respect des prix minima fixés).

559. Bien plus, sous couvert d'une contestation sur le principe même de la responsabilité de la FNPE dans les pratiques en cause, l'Union des endiviers tend, en réalité, à remettre en cause l'applicabilité des règles de concurrence auxdites pratiques, ce qui rend son argumentation inopérante.

560. Pour mesurer son degré de participation aux pratiques, il convient de relever que la FNPE, qui était à la fois membre du Celfnord, de la SNE (dont elle a contribué à la création), et du comité de pilotage « Carmine » (dont elle animait les travaux avec la SNE), a joué un rôle central dans la conception, l'organisation, la mise en oeuvre et le suivi de la quasi-totalité des pratiques : participation à la prise de décisions d'engagement des dénaturations obligatoires ; participation à la prise de décisions de fixation de plusieurs formes de prix minimum impératif ; soutien actif apporté à la défense et au respect d'un prix minimum auprès des producteurs ; participation à la prise de décisions de mise en place et d'organisation du cadran/bourse ; proposition concernant l'organisation des promotions commerciales ; interventions régulières auprès de grandes enseignes pour dénoncer des offres promotionnelles à des prix jugés trop bas ; intervention auprès d'un expéditeur-négociant soupçonné de s'être rendu complice de telles offres ; interventions régulières auprès de certains producteurs pour les sensibiliser sur les conséquences de promotions à bas prix ; animation des réunions du comité de pilotage « Carmine » fixant le prix minimum de vente à la production des endives « Carmine » ; suivi régulier des prix pratiqués par les producteurs d'endives « Carmine » afin de s'assurer du respect des prix minima fixés.

561. Par là-même, la FNPE a entendu contribuer, par son propre comportement, à l'objectif unique poursuivi au cours de la même période par tous les participants à l'entente dans le cadre d'un plan d'ensemble, objectif consistant à soustraire la fixation du prix de l'endive au libre jeu du marché.

562. En outre, si la FNPE n'a pas directement participé aux pratiques concernant le prix de vente à la production des endives « Perle du Nord » et le tarif « inter-OP », conduites par la société Groupe Perle du Nord, le 1er octobre 2004 et le 4 octobre 2007, lesquelles poursuivaient le même objectif, il ressort du dossier qu'elle en avait connaissance, comme en attestent respectivement, d'une part, le rendu de la réunion du conseil d'administration de la SRE du Celfnord du 11 octobre 2004, à laquelle a participé la FNPE, faisant état de l'instauration d'un tarif « inter-OP » (cote 1161) et, d'autre part, l'audition du président de la FNPE, réalisée le 9 septembre 2009 par la rapporteure désignée par l'Autorité dans la présente affaire, qui évoque la production et la commercialisation de l'endive « Perle du Nord » (cote 5802).

563. Quant aux pratiques d'échanges d'informations au moyen du système Infocl@r, la FNPE en avait connaissance, comme en atteste le rendu d'une réunion téléphonique du bureau de la FNPE du 7 août 2006 (cote 3793) :

« L'ensemble des participants s'accorde à dire que l'élément fondamental de la gestion du marché est la défense du prix minimum de production. Les OP et les principaux producteurs indépendants doivent s'engager à maintenir un prix quels que soient les moyens mis en oeuvre pour y parvenir (indemnisation des invendus ou non). M. A... pense qu'il sera délicat pour le Celfnord d'organiser des contrôles sans engagement écrit de chaque opérateur (l'opérateur Y ne signerait pas d'engagement selon M. A...). Afin de mieux contrôler les éventuels 'dérapages', il est donc nécessaire d'instaurer une transparence totale sur les prix pratiqués :

- que tous les opérateurs importants du marché (OP ou indépendants) participent à Infocl@r ;

- que tous les producteurs disposent au jour le jour des prix moyens et des volumes de la veille pour permettre la définition d'un prix cohérent ».

564. La connaissance par la FNPE des pratiques concernant Infocl@r est confirmée par sa participation à la réunion de la SRE du 30 août suivant, au cours de laquelle il a été décidé, dans le même sens que la position arrêtée par le bureau de la FNPE lors de la réunion précitée, d'ouvrir l'accès des données du système Infocl@r aux producteurs indépendants (cote 1239).

565. C'est à tort que l'Union des endiviers soutient, pour contester sa durée de participation à l'entente, que la FNPE n'étant pas une entreprise, il ne saurait lui être opposé son absence de distanciation publique à l'égard des pratiques adoptées par d'autres entités depuis la dernière manifestation de sa participation directe aux pratiques reprochées.

566. En effet, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la notion d'entreprise comprend, dans le contexte du droit de la concurrence, toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement (voir, notamment, arrêt de la Cour de justice du 11 décembre 1997, Job Centre, C-55/96, point 21). Selon une jurisprudence toute aussi constante, constitue une activité économique toute activité consistant à offrir des biens ou des services sur un marché donné (voir, notamment, arrêt du Tribunal du 30 mars 2000, Consiglio Nazionale degli Spedizionieri Doganali/Commission, T-513/93, point 36).

567. En l'occurrence, la FNPE regroupe des producteurs d'endives qui exercent une activité économique, de production de biens offerts à la vente contre rémunération. Les syndicats qui les rassemblent et les représentent, ainsi que les fédérations qui regroupent ces syndicats, peuvent être qualifiés d'associations d'entreprises aux fins de l'application du droit de la concurrence, de sorte que la FNPE ne peut s'y soustraire (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal de l'Union européenne du 13 décembre 2006, Fédération nationale de la coopération bétail et viande, FNCBV, affaires jointes T-217/03 et T- 245/03, points 53 et 54).

568. En outre, la FNPE était membre d'un comité économique agricole agréé, à savoir le Celfnord, dont l'activité, qui se rapprochait de celle d'une AOP dite de gouvernance, avait, par construction, une influence décisive sur le marché de la commercialisation des endives et, à ce titre, constituait un élément de base assurant, à son niveau, le fonctionnement décentralisé de l'OCM du secteur fruits et légumes.

569. Au surplus, il est établi que la FNPE a servi de relais non seulement auprès des producteurs, mais aussi, auprès des grandes enseignes de la distribution, d'un négociant-expéditeur et d'une OP, pour s'assurer du respect des décisions de gestion du marché prises, avec sa participation active, dans le cadre du Celfnord, de la SNE ou du comité de pilotage « Carmine ».

570. Ainsi, loin d'être étrangère à la sphère des échanges économiques, la FNPE a agi de manière à influer de façon déterminante sur le comportement de divers opérateurs économiques.

571. Dès lors, c'est à juste titre que l'Autorité (décision attaquée, paragraphe 521) a retenu que la FNPE avait participé à l'entente unique, complexe et continue à compter du novembre 2002 (date de la réunion téléphonique organisée par la SNE à la suite du blocus des centrales d'achats, à laquelle a participé la FNPE et au cours de laquelle ont été décidées deux opérations de dénaturations obligatoires). En revanche, contrairement à ce qu'a retenu l'Autorité (décision attaquée, paragraphe 520), la Cour retient que la participation de la FNPE s'est poursuivie non pas jusqu'au 28 août 2008, mais seulement jusqu'au 24 janvier 2008. En effet, pour retenir la date du 28 août 2008, l'Autorité s'est uniquement fondée sur le constat de l'absence d'éléments de preuve, d'une part, de la participation de la FNPE à l'entente à compter de la date de création de l'APEF (le 28 août 2008) et, d'autre part, de distanciation publique du syndicat entre la dernière réunion à objet concurrentiel à laquelle il a participé (indiquée comme ayant lieu le 4 octobre 2007) et la date de création de l'APEF.

Or, la dernière réunion à objet concurrentiel à laquelle la FNPE a participé s'est tenue le 7 janvier 2008 et non le 4 octobre 2007. Lors de cette réunion du 7 janvier 2008, la date limite pour le maintien du fonctionnement du cadran/bourse a été fixée au 24 janvier 2008. En l'absence d'éléments de preuve de la participation de la FNPE à l'entente, pour la période postérieure, il convient de retenir que sa participation à l'entente a cessé le 24 janvier 2008.

6. Sur la participation du Cérafel

572. Il résulte des paragraphes 288 à 291 du présent arrêt qu'il est établi que le Cérafel a directement participé pratiques portant sur les dénaturations obligatoires, et ce :

- du 16 avril 2003 (date de la réunion de la SRE du Celfnord au cours de laquelle il a été fait état de l'accord de la SR Bretagne sur l'engagement d'opérations de dénaturation obligatoire, décidé lors de cette réunion) ;

- au 2 mai 2007 au moins (dernier jour ouvré déclaré en période de crise lors de la campagne 2006/2007, ce qui a donné lieu à des opérations de dénaturation obligatoire décidées par le Cérafel, suivant en cela une proposition que lui avait préalablement transmise le Celfnord).

573. Il ressort également des développements précédents sur la matérialité, le périmètre et la portée des pratiques en cause (partie II, sous B, paragraphes 288 à 291 du présent arrêt), qu'entre ces deux dates, l'implication du Cérafel résulte :

- de la participation du bassin breton aux pratiques de dénaturation obligatoire, notamment au cours de la campagne 2005/2006, et du suivi des propositions en ce sens du Celfnord en « période de crise » (cotes 1775,1834, 1835, 4400, 4670), étant précisé qu'ont été officiellement déclarés comme tels 37 jours ouvrés de la campagne 2005/2006 et 38 jours ouvrés pendant la campagne 2006/2007 ;

- de la demande du Cérafel, adressée Celfnord, de mettre en place une dénaturation obligatoire d'envergure (lettre du 30 mars 2006, cote 1210).

574. Par là même, le Cérafel a nécessairement entendu contribuer, par son propre comportement, à l'objectif unique consistant à soustraire la fixation du prix de l'endive au libre jeu du marché, par tous les participants à l'entente dans le cadre d'un plan d'ensemble.

575. Il ressort également du dossier que le Cérafel était régulièrement informé des décisions de gestion du marché qui étaient prises dans le cadre de la SNE (dont il était membre, au même titre que le Celfnord), ainsi qu'au sein du Celfnord (nonobstant sa qualité de tiers), comme en atteste, notamment, une télécopie du président de la SRE du Celfnord adressée à son homologue du Cérafel le 6 décembre 2005 (cote 1228), aux termes de laquelle (souligné par la Cour) :

« Comme vous le savez, nous incitons actuellement tous les producteurs d'endives de notre région à réduire leurs entrées de bacs d'une journée de forçage en semaine 48 et de deux jours en semaine 49 afin de réduire de 20 à 30% les tonnages qui sont mis sur le marché durant les semaines 51 et 52 (…) Je vous demande avec insistance de vous associer à cet effet de maîtrise de gestion de l'offre sur  les semaines 51 et 52 afin d'éviter un effondrement des cours en fin d'année et surtout préserver la reprise habituelle du début de janvier en faveur d'une meilleure rémunération de l'endive. Comme vous le savez également, notre SR Endives du 29 novembre dernier a décidé la mise en place d'un plan de gestion du marché sur deux mois renouvelable. La mise en place de ce dispositif nous conduit à viser dès cette semaine 49 un prix logé départ de 0,90 euro/kg d'endives, ce qui amène un prix de rétrocession des marchandises des OP vers leurs opérateurs commerciaux et une mise à prix bourse égale/supérieure à 0, 83 euro/kg. Notre SR endives souhaite que la SR Bretagne s'associe à ce dispositif (…) D'avance je vous remercie de prendre en considération nos demandes de réduction de bacs et d'accepter une réunion physique (…) ou téléphonée à votre convenance. Le président de la SNE [figurant parmi les destinataires de la télécopie] m'a déjà donné son accord. Il souhaite qu'à cette réunion participent les président et directeur des sections régionales et que la FNPE y soit associée ».

576. L'information du Cérafel sur la teneur des décisions prises par la SRE du Celfnord ressort également d'un courriel du directeur de la FNPE adressé, le 19 janvier 2006, au directeur de la SR endives du Cérafel (cote 2654), rédigé ainsi (souligné par la Cour) :

« Hier soir, c'est à l'unanimité de toutes les OP (…) que la Section Régionale [la SRE du Celfnord] a décidé la poursuite du plan de gestion de l'offre pour le mois de février. M.A... [le directeur de la SRE du Celfnord, également directeur de la SNE] a déjà dû t'en communiquer les modalités ou ne tardera pas à le faire ».

577. L'information du Cérafel sur la teneur des décisions prises dans le bassin du Nord résultait également de réunions de la SNE (dont étaient membres à la fois le Cérafel et le Celfnord), comme le démontre le compte-rendu de la réunion de la SNE du 29 juin 2006 à Phalempin, qui fait état, dans le détail, du plan de gestion du marché adopté par la SRE du Celfnord le 7 juin précédent pour la campagne 2006/2007 (cote 2667).

578. Le Cérafel était particulièrement bien informé de ce nouveau plan de gestion du marché, adopté par la SRE du Celfnord le 7 juin 2006, puisqu'il a été amené à participer à la réunion du conseil d'administration de la SRE, qui s'est tenue un mois plus tard, le 11 juillet 2006, au cours de laquelle des explications complémentaires ont été apportées sur ce plan, lequel n'a finalement pas été adopté par le conseil d'administration (cotes 1229 et 1230).

579. Bien plus, au-delà de la seule connaissance de plans de gestion du marché adoptés dans le bassin du Nord, le Cérafel a soutenu, à plusieurs reprises, les initiatives du Celfnord, comme en attestent :

- premièrement, un courriel envoyé, le 22 février 2006, par un responsable du Cérafel (au nom de son président) au directeur de la SNE (également directeur du Celfnord), ainsi qu'au directeur de la FNPE, en vue d'être transmis au président de la SRE (cote 2652), ainsi rédigé :

« La Bretagne est solidaire du plan de gestion de marché initié cette campagne et souhaite sa prolongation pour le reste de la campagne, sur les bases mises en place jusqu'ici, à savoir :

- prix minimum de vente de 0,85 euro/kg, équivalent à un prix de retrait cadran de 0,63 euro/kg, (cat.1) :

- retrait des marchandises et orientation vers la transformation indemnisée à hauteur de 0,225 euro/kg ;

- indemnisation sur réserves et péréquation professionnelle au-delà d'un montant hebdomadaire à équité entre les comités Nord et Bretagne » ;

- deuxièmement, une lettre du président de la SRE Bretagne adressée, le 30 mars 2006, au président de la SRE du Celfnord (cote 1210), aux termes de laquelle :

« Nous tenons à vous remercier de votre implication dans la gestion du marché de ces quatre derniers mois. Certes, nous l'aurions souhaité plus rigoureuse et plus transparente, et généralisée à tous les producteurs, mais il est indéniable qu'elle a permis une défense de prix et donc de revenu du producteur » ;

- troisièmement, une télécopie adressée le 4 octobre 2006 par le président de la SRE du Cérafel au président de la SNE, également président du Celfnord (cote 2629), indiquant « nous avons toujours apporté notre soutien au plan que vous avez conçu au Celfnord [pour la campagne 2005/2006] tant auprès des OP que la FNPE, en regrettant d'ailleurs qu'il ne fût que partiellement appliqué. De même cette saison [la campagne 2006/2007] nous avons clairement appuyé la reconduction d'un tel plan dont nous avons regretté l'abandon en juillet dernier [lors de la réunion du conseil d'administration de la SRE du Celfnord à laquelle a assisté le Cérafel] ».

580. C'est donc en vain que le Cérafel soutient ne pas avoir souscrit aux décisions prises par les OP et AOP du Nord de la France et ne pas les avoir appliquées. Le constat du soutien qu'il a apporté aux actions du Celfnord, comme de la SNE, rend inopérant son argument selon lequel il aurait manifesté une distanciation publique à l'égard des pratiques en cause, dans un article de presse remontant au surplus à 1995, soit même le début de la période concernée par lesdites pratiques.

581. Par ailleurs, le Cérafel avait connaissance des pratiques concernant l'endive dite « Carmine », intervenues entre le 1er octobre 2004 et le 25 mars 2005, dans la mesure où cette variété d'endives était également cultivée dans le bassin breton et commercialisée sous la marque « Carmine », comme l'a expliqué le directeur du Celfnord et de la SNE lors de son audition par les agents de la DGCCRF, et que, à ce titre, une OP du bassin breton a participé, le 26 novembre 2004, à une réunion téléphonique des structures de mises en marché « Carmine » au cours de laquelle des prix minima ont été fixés (voir paragraphes 424, 425 et 427 du présent arrêt).

582. Quant aux pratiques portant sur les endives « Perle du Nord », qui sont intervenues entre le 1er octobre 2004 et le 4 octobre 2007, s'il n'est pas établi que le Cérafel en avait connaissance, la Cour estime néanmoins qu'il pouvait raisonnablement les prévoir et était prêt à en accepter le risque, dans la mesure où, comme cela vient d'être indiqué, il avait connaissance de pratiques comparables de fixation de prix minima concernant les endives générique et de marque « Carmine ».

583. Dès lors, c'est à juste titre que l'Autorité (décision attaquée, paragraphe 498) a retenu que le Cérafel avait participé à l'entente unique, complexe et continue à compter du 16 avril 2003 (date de la réunion de la SRE du Celfnord au cours de laquelle il a été fait état de l'accord de la SR Bretagne sur l'engagement d'opérations de dénaturation obligatoire, décidé lors de cette réunion). La Cour retient que la participation du Cérafel s'est poursuivie jusqu'au 2 mai 2007 au moins (dernier jour ouvré déclaré officiellement en période de crise lors de la campagne 2006/2007, ce qui a donné lieu à des opérations de dénaturation obligatoire décidées par le Cérafel suivant en cela une proposition que lui avait préalablement transmise le Celfnord).

7. Sur la participation de la société Groupe Perle du Nord

584. Il ressort des développements du présent arrêt sur la matérialité, le périmètre et la portée des pratiques en cause (partie II, sous B) que la société Groupe Perle du Nord, une fois constituée (en juillet 2004), a directement participé :

- d'une part, aux pratiques d'échanges d'informations stratégiques au moyen du système Infocl@r, au moins depuis le 1er janvier 2005 (ayant été mise en cause par la notification des griefs depuis 2005 et ayant eu accès dès le début de cette année 2005 aux données du système Infocl@r) jusqu'au 6 mars 2012 (date de la décision attaquée, marquant la suppression dudit système) ;

- d'autre part, aux pratiques concernant la politique tarifaire des endives revêtues de la marque « Perle du Nord », lesquelles sont intervenues au moins entre le 1er janvier 2005 (date visée par la notification des griefs) et le 4 octobre 2007 (date de l'audition responsable d'une OP rattachée à la société Groupe Perle du Nord, faisant état de l'existence toujours actuelle du « tarif inter-OP »).

585. Il résulte de ces éléments que la société Groupe Perle du Nord a directement participé à l'entente au moins du 1er janvier 2005 6 mars 2012.

586. Il ressort également des développements précédents sur la matérialité, le périmètre et la portée des pratiques en cause (partie II, sous B), qu'entre ces deux dates, l'implication de la société Groupe Perle du Nord résulte :

- d'une part, de la pérennité du système d'indexation du prix de l'endive Perle du Nord sur le prix moyen de l'endive générique de la veille, renseigné par Infocl@r (audition du responsable et animateur marketing de la société Groupe Perle du Nord, réalisée le 4 septembre 2007, cotes 4240 à 4242) ;

- d'autre part, de la pérennité de l'accès aux données du système Infocl@r, nonobstant le changement d'administrateur du système (l'APEF ayant pris la suite du Celfnord), toutes les OP rattachées à la société Groupe Perle du Nord et alimentant cette base de données étant d'ailleurs membres de l'APEF.

587. Par là-même, la société Groupe Perle du Nord a entendu contribuer, par son propre comportement, à l'objectif unique consistant à soustraire la fixation du prix de l'endive au libre jeu du marché, par tous les participants à l'entente dans le cadre d'un plan d'ensemble.

588. En outre, s'il n'est pas établi que la société Groupe Perle du Nord avait connaissance des autres pratiques mises en oeuvre par les autres participants à l'entente, à compter du début de sa participation directe à celle-ci, elle pouvait raisonnablement les prévoir et était nécessairement prête à en accepter le risque dans la mesure où toutes les OP qu'elles regroupaient étaient à la fois membres du Celfnord et de la SNE, puis de l'APEF.

589. Dès lors, c'est à juste titre que l'Autorité (décision attaquée, paragraphe 529) a retenu que la société Groupe Perle du Nord avait participé à l'entente unique, complexe et continue et que sa participation avait duré au moins du 1er janvier 2005 (date visée par la notification des griefs) au 6 mars 2012 (date de la décision attaquée, marquant la suppression du système Infocl@r).

8. Sur la participation des OP

590. Comme cela a déjà été indiqué au paragraphe 162 du présent arrêt, les sociétés CAP'Endives, Sipema, Primacoop, Marché de Phalempin, France Endives, Valois-Fruits, ainsi que Fraileg et Prim'Santerre, ont toutes été reconnues comme OP dès le 30 juin 1997, à l'exception de la société France Endive, qui ne l'a été qu'à compter du 1er décembre 2000.

591. Comme l'expliquent dans leur mémoire commun la société Groupe Perle du Nord et les sociétés CAP'Endives et autres, les secondes, qui sont regroupées autour de la première (depuis sa constitution le 1er juillet 2004), sont également toutes membres de l'APEF (depuis sa constitution le 28 août 2008), après avoir été à leur tour toutes membres du Celfnord.

592. Quant aux sociétés Fraileg et Prim'Santerre, qui à la différence des sociétés CAP'Endives et autres ne sont pas membres du Groupe Perle du Nord, elles expliquent être également membres de l'APEF depuis 2008, après avoir aussi adhéré au Celfnord. S'agissant de l'APEF, elles précisent ne pas avoir adhéré à la section SOMO (dont l'adhésion est facultative), mais être uniquement membres de la section dite SIPE, qui se borne à mettre en oeuvre les actions relatives à la recherche, l'expérimentation, l'innovation et la communication générique.

593. Il ressort d'une série de comptes-rendus de réunions intervenues entre le 30 novembre 2001 et le 4 octobre 2007, récapitulées sous la forme d'un tableau précisant les dates des réunions et les OP y participant (décision attaquée, paragraphe 540), ainsi que des auditions des responsables des OP en cause, que ces dernières ont assisté, à de nombreuses reprises, de manière régulière, à des réunions organisées le plus souvent par la SRE du Celfnord, mais aussi quelquefois par la SNE, ce qui n'est pas contesté.

594. Les sociétés CAP'Endives et autres contestent, en revanche, l'existence d'un quelconque lien entre ces réunions et les pratiques reprochées, le tableau les répertoriant n'indiquant pas l'objet de chaque réunion.

595. Toutefois, comme le précise la décision attaquée (paragraphe 540), et ainsi que le rappelle l'Autorité dans ses observations, toutes les réunions mentionnées dans ce tableau avaient un objet anticoncurrentiel, consistant à mettre en place ou à poursuivre les pratiques reprochées, comme le démontrent de manière circonstanciée les comptes-rendus de réunions figurant précisément aux côtes du dossier auxquelles ledit tableau renvoie.

596. En participant à ces réunions, les OP en cause ont ainsi entendu contribuer, par leur propre comportement, à l'objectif unique consistant à soustraire la fixation du prix de l'endive au libre jeu du marché, poursuivi dans le cadre d'un plan d'ensemble, et, en outre, avaient nécessairement connaissance des comportements adoptés par les autres participants auxdites réunions.

597. Au surplus, les compte-rendus de ces réunions, diffusés par le Celfnord et dont elles ont toutes été destinataires, employaient régulièrement des expressions telles que « plan de gestion du marché de l'endive » ou « plan d'actions conjoncturelles endives ».

598. Dès lors, c'est à juste titre que l'Autorité (décision attaquée, paragraphe 606) s'est fondée sur ce tableau de réunions pour retenir que le point de départ de participation des OP à l'entente (celles toujours dans la cause) était le 30 novembre 2001 (date de la première réunion pour laquelle l'Autorité dispose de preuves documentaires confirmant que les OP y ont évoqué et entériné la mise en oeuvre des mesures litigieuses), sauf pour l'OP Prim'Santerre (étant absente à cette réunion du 30 novembre 2001) pour laquelle le point de départ a été reporté au 25 février 2002 (date de la réunion suivante).

599. Par ailleurs, c'est en vain que les sociétés CAP'Endives et autres, ainsi que les sociétés Fraileg et Prim'Santerre, se prévalent de l'article 14 de la loi n° 62-933 du 8 août 1962, tel que complété par l'article 27 de la loi n°82-847 du 6 octobre 1982, aux termes duquel « les groupements de producteurs reconnus doivent adhérer au comité économique agricole compétent dès lors que celui-ci est agréé », pour soutenir qu'elles ne sauraient être tenues pour responsables des pratiques mises en oeuvre par le Celfnord, jusqu'à l'abrogation de ces dispositions par l'article 3 de l'ordonnance n° 2010-459 du 6 mai 2010 modifiant les livres Ier, V et VI du code rural.

600. En effet, s'il est exact qu'en vertu de ces dispositions de l'article 14 de la loi de 1962, dans leur rédaction issue de la loi de 1982, pendant la période pendant laquelle celles-ci étaient en vigueur, les OP du bassin du Nord étaient tenues d'adhérer au Celfnord, il n'en demeure pas moins que, comme l'ont relevé à juste titre l'Autorité (décision attaquée, paragraphe 535), ainsi que le ministre chargé de l'économie (dans ses observations), cette obligation d'adhésion ne les obligeait en rien à apporter leur soutien et à contribuer, par leurs propres comportements, à l'adoption de pratiques anticoncurrentielles.

601. La mission de régularisation des cours confiée aux OP par l'article L. 551-1 du code rural (dans sa rédaction en vigueur jusqu'au 8 mai 2010 comme dans celle en vigueur jusqu'au 15 octobre 2014), dans le cadre de la réalisation de la PAC, ne les obligeait pas non plus à participer, notamment au sein du Celfnord puis de l'APEF, à la fixation de prix minima obligatoire pour la vente à la production des endives génériques et de marque.

602. En effet, comme cela a déjà été indiqué au paragraphe 487 du présent arrêt, si l'objectif de régularisation des prix à la production peut justifier certaines formes de concertation sur la politique tarifaire, encore faut-il que de telles pratiques, ce qui n'est pas le cas de celles en cause, ne dépassent pas le cadre fixé, par la réglementation européenne et précisé par la Cour de justice, le bon fonctionnement de l'OCM du secteur concerné. À cet égard, la circonstance que l'article L.551-1 du code rural, dans sa rédaction en vigueur jusqu'au 8 mai 2010, associe la régularisation des cours à « notamment (…) la fixation éventuelle d'un prix de retrait » est inopérante dès lors que, comme cela a déjà été expliqué au paragraphe 350 du présent arrêt, la fixation de prix minima obligatoire ne saurait être assimilée à celle du prix de retrait.

603. Au demeurant, il importe de rappeler que, si la plupart des pratiques en cause ont été commises dans le cadre du Celfnord, entité assimilable à une AOP reconnue, certaines d'entre elles l'ont été dans le cadre d'entités non reconnues comme telles, comme la SNE (qui n'a jamais été reconnue), la société Groupe Perle du Nord et l'APEF (qui n'ont été reconnues que fin 2008), ainsi que le comité de pilotage concernant les endives « Carmine », non reconnu et animé par des entités non reconnues (la SNE et la FNPE).

604. Il s'ensuit que les OP en cause ne sauraient utilement se prévaloir des dispositions de l'article 14 de la loi de 1962 (dans sa rédaction issue de la loi de 1982), ni de celles de l'article L. 551-1 du code rural (dans sa rédaction en vigueur jusqu'au 8 mai 2010 comme dans celle en vigueur jusqu'au 15 octobre 2014), pour se voir exonérées de toute responsabilité à l'égard des pratiques reprochées.

605. Elles ne sauraient pas davantage se prévaloir en ce sens d'une prétendue obligation, qui découlerait de statuts du Celfnord, de participation aux réunions organisées en son sein et de respect des règles qui y sont édictées.

606. En effet, à supposer même que les OP étaient tenues à la fois de participer aux réunions organisées par le Celfnord et de respecter ses règles, cela ne les obligeait nullement à contribuer, par leurs propres comportements, à la réalisation de pratiques anticoncurrentielles. Une chose est d'assister à des réunions et de respecter les règles édictées par le Celfnord dans l'exercice des missions qui lui sont confiées par la réglementation européenne dans le cadre de la PAC ; une autre chose est d'adhérer, lors de ces réunions, à des pratiques d'échanges d'informations stratégiques, de fixation de prix minima et des paramètres de formation du prix, ayant toutes pour objectif desoustraire la fixation du prix de l'endive au libre jeu du marché, ces pratiques outrepassant le cadre assigné aux OP et aux AOP par la réglementation européenne.

607. Ayant participé à de nombreuses réunions dont l'objet était anticoncurrentiel, sans justifier d'aucune contrainte à l'origine du soutien qu'elles ont apporté à l'objectif commun poursuivi, les OP ne sauraient bénéficier d'une exonération de leur responsabilité qu'à la condition d'établir qu'elles s'en sont publiquement distancées.

608. En effet, selon une jurisprudence européenne constante, la distanciation publique est indispensable pour qu'une entreprise ayant participé à des réunions collusoires puisse établir que sa participation était dépourvue de tout esprit anticoncurrentiel (voir, notamment, arrêts de la Cour de justice du 14 novembre 2019, Silec cable/ Commission, C-599/18 P, point 52).

609. Contrairement à ce que suggèrent les sociétés CAP'Endives et autres, la circonstance que les réunions auxquelles elles ont participé avaient lieu dans un cadre statutaire et ne revêtaient pas de caractère secret ne remet pas en cause cette exigence. Si cette circonstance peut être prise en compte au stade de la détermination du montant des sanctions (la Cour, comme l'Autorité, en tiendra compte lors de l'appréciation de la gravité des pratiques), elle est, en revanche, dépourvue d'incidence sur l'appréciation de la responsabilité des entités concernées. En effet, si, comme l'a à juste titre relevé l'Autorité (décision attaquée, paragraphe 470), la participation à une seule réunion dans un cadre statutaire peut être insuffisante, en l'absence d'autres éléments, à caractériser l'adhésion d'une entreprise à une entente, tel n'est pas le cas en l'espèce, les OP ayant participé à de nombreuses réunions ayant le même objet anticoncurrentiel, outre qu'elles ont appliqué des mesures concrètes décidées lors de ces réunions.

610. Sans aller jusqu'à donner leur démission au Celfnord (en application de l'article 10 de ses statuts), ce qui les aurait privées du bénéfice des fonds opérationnels, les OP avaient la possibilité de se distancer publiquement des pratiques en cause, par exemple, en indiquant à l'ensemble des participants aux réunions concernées qu'elles y participaient dans une optique différente de la leur, ou en manifestant leur opposition à l'adoption de mesures (prises à la majorité des 2/3) qui outrepasseraient le cadre assigné aux OP ou AOP la réglementation européenne, et ce afin, comme l'exige la jurisprudence (voir, notamment, arrêt précité de la Cour de justice, Aalborg Portland e.a., point 81), clairement faire savoir, auprès de l'ensemble desdits participants, que leur propre présence à ces réunions était dépourvue de tout esprit anticoncurrentiel.

611. C'est donc en vain que les sociétés CAP'Endives et autres soutiennent que l'exigence de distanciation publique ne saurait leur être opposée dès lors qu'elles auraient été dans l'impossibilité de quitter le Celfnord et étaient tenues de respecter ses décisions.

612. C'est également en vain qu'elles prétendent que, pour se distancer publiquement, encore aurait-il fallu qu'elles aient eu conscience du caractère anticoncurrentiel des pratiques en cause. En effet, la distanciation publique traduit l'absence d'adhésion à une action collective, indépendamment de la connaissance précise de son auteur quant à la qualification juridique applicable aux faits en cause.

613. Or, force est de constater, ce qui n'est pas contesté, que les OP CAP'Endives et autres ne se sont pas distanciées des pratiques ayant eu lieu au sein du Celfnord, de la SNE et de la société Groupe Perle du Nord. Au contraire, elles ont contribué à leur adoption et à leur mise en oeuvre.

614. Le même constat s'impose pour l'OP Prim'Santerre, qui n'a pas non plus émis de contestation sur ce point. D'ailleurs, lors de son audition par les agents de la DGCCRF, le responsable de cette OP, loin de critiquer le système du cours pivot (comme l'a fait l'OP Fraileg), l'a au contraire clairement soutenu dans les termes suivants : « ce système de cours pivot rassurait les acheteurs psychologiquement car ils savaient que leurs concurrents acheteurs n'achèteraient pas à des prix très inférieurs, cela fonctionnait bien » (cote 4667).

615. En revanche, la question se pose de savoir si, comme elle le prétend, l'OP Fraileg a fait preuve d'une distanciation publique caractérisée et suffisante pour être exonérée de toute responsabilité au titre des pratiques en cause.

616. Sur ce point, il est constant que cette OP s'est opposée à plusieurs reprises, à compter de 2003, à certaines des pratiques en cause.

617. Ainsi, il résulte des déclarations concordantes d'un responsable de la société Fraileg, devant les agents de la DGCCRF (le 14 août 2007), puis devant la rapporteure de l'Autorité (le 7 septembre 2009), que cette société, après avoir commencé à appliquer le cours pivot, s'y est finalement opposée, dans les circonstances et pour les raisons suivantes : - « Le cours pivot a été expérimenté en 2003 (...). Cela était séduisant (...) mais, à la mise en oeuvre, j'ai constaté que le système n'était pas gérable et qu'il pouvait générer des comportements opportunistes, c'est-à-dire que les bureaux commerciaux pouvaient s'assurer d'un certain pourcentage de vendu dès le départ. Nous avons souhaité participer au début du système du cours pivot, mais nous avons manifesté notre désapprobation car pour nous c'était une utopie » (cote 4794) ;

- « Après une première tentative en 2003, Fraileg a décidé de ne pas appliquer ce cours [pivot]. Il n'était pas intéressant de vendre au cours pivot car il fallait ensuite payer des cotisations de destructions, des invendus, selon des règles qui ont évalué à de nombreuses reprises (…). Ce n'est pas la politique de Fraileg ; nous préférons vendre en-dessous du cours. Nous avons expérimenté par solidarité, mais nous avons renoncé tout de suite » (cote 5819).

618. La société Fraileg a également manifesté son opposition à plusieurs décisions prises dans le cadre du Celfnord, comme en atteste le compte-rendu de la réunion de la SRE du Celfnord du 27 mars 2006, selon lequel « M. A... [un responsable de la société Fraileg] déclare ne pas approuver le compte-rendu [du 22 février 2006] non conforme à l'esprit de la réunion. À cet effet, M. X. rappelle avoir envoyé un fax (13 mars 2006) et une lettre recommandée AR (24 mars 2006) expliquant son désaccord sur les décisions prises lors des différentes Sections Régionales qui se sont tenues ces derniers mois » (cote 2303).

619. Lors de son audition par la rapporteure de l'Autorité, ce responsable de la société Fraileg a précisé :

« En 2005 et 2006, le Celfnord nous a demandé de renouveler notre engagement et a appelé des cotisations (semaine 49 en 2005 jusqu'à semaine 13 en 2006) pour un montant total de 58 469 euros. Nous avons refusé de payer. Le litige est toujours pendant devant le TGI de Saint-Quentin » (cote 5819).

620. Il est constant que ce refus de paiement est intervenu en signe de protestation contre les décisions prises en 2005 et 2006 dans le cadre du plan de gestion de marché et que cette action judiciaire a abouti, le 1er juillet 2010, à une décision, devenue définitive, de condamnation de la société Fraileg au paiement de ladite somme à titre de règlement des cotisations restant dûes.

621. L'opposition persistante de l'OP Fraileg aux mesures adoptées au sein du Celfnord est confirmée par une télécopie envoyée, en mars 2007, par le responsable d'une autre OP au président du Celfnord :

« Le manque de confiance de la profession est (…) dû pour une grande partie à certains qui ne respectent pas les décisions prises. Je pense notamment à l'OP Fraileg qui refuse systématiquement d'appliquer les règles édictées, ce qui ne saurait durer. En conséquence, je demande à ce que le statut d'OP soit retiré à Fraileg. Il ne saurait y avoir plusieurs vitesses en ce qui concerne le fonctionnement » (cotes 595 et 596).

622. Toutefois, lors de son audition par les agents de la DGCCRF, le responsable de la société Fraileg a déclaré : « Nous bénéficions des informations d'Infocl@r et nous fournissons également nos ventes confirmées à Infocl@r » (cote 4793). Ce faisant, la société Fraileg a adhéré aux pratiques d'échanges d'informations stratégiques, indépendamment même de sa participation aux réunions du Celfnord, laquelle a perduré au moins jusqu'au 4 octobre 2007 (cote 4937).

623. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que s'il est établi que la société Fraileg s'est distancée publiquement d'une grande partie des pratiques en cause, tel n'est pas le cas de celle relative aux échanges d'informations stratégiques au moyen du système Infocl@r.

624. Dès lors, c'est à juste titre que l'Autorité (décision attaquée, paragraphes 549 et 644) a retenu la responsabilité de cette OP au titre de sa participation à l'entente unique, complexe et continue, tout en tenant compte du rôle particulier de celle-ci au stade de la détermination du montant de la sanction la concernant, ce dont la Cour tiendra également compte.

625. Par ailleurs, contrairement à ce que suggèrent les sociétés CAP'Endives et autres, la responsabilité de ces dernières ne saurait être écartée au motif, selon elles, que leur condamnation à titre personnel, outre celle des organismes collectifs dont elles étaient membres, aboutirait à les condamner plusieurs fois pour les mêmes faits, en violation du principe « non bis in idem ».

626. En effet, il résulte d'une jurisprudence européenne constante (voir, notamment, arrêt de la Cour de justice, précité, Portland e.a./Commission, point 338, et arrêt du Tribunal, précité, fédération nationale de la coopération bétail et viande, FNCBV, point 340) que le principe « non bis in idem » de sanctionner une même personne plus d'une fois pour un même comportement illicite afin de protéger le même bien juridique, son application est soumise à une triple condition d'identité des faits, d'unité de contrevenant et d'unité de l'intérêt juridique protégé.

627. En l'espèce, il ne saurait y avoir une quelconque atteinte au principe « non bis in idem », faute d'identité de contrevenants. En effet, chaque OP a participé à l'entente unique, complexe et continue en apportant sa contribution individuelle à l'adoption et à la mise en oeuvre des pratiques qui la composent, c'est-à-dire en raison de sa responsabilité propre, nonobstant des degrés de participation différents. La circonstance que chaque OP était membre d'un ou de plusieurs organismes collectifs, tout en ayant des personnalités juridiques différentes, des budgets séparés et des objectifs qui ne coïncident pas toujours, ne saurait ne saurait les soustraire à toute responsabilité au titre de leur participation individuelle à l'entente. Il s'ensuit que la sanction à la fois des OP et des autres organismes collectifs ne reviendrait pas à sanctionner plusieurs fois les mêmes entités pour les mêmes faits (pour une analyse comparable, voir, notamment, l'arrêt du Tribunal dans l'affaire FNCBV, points 341 à 344, et, dans la même affaire, l'arrêt de la Cour de justice, du 18 décembre 2008, C-101/07 P et C-110/07 P, points 119, 127, 128 et 130).

628. Enfin, à ce soutiennent les sociétés CAP'Endives et autres, le fait que ces dernières aient continué à entrer leurs données sur le système Infocl@r, ce qu'elles ne contestent pas, suffit pour retenir que leur participation à l'entente unique, complexe et continue a duré jusqu'au 6 mars 2012, date à laquelle il est établi que ce système a été supprimé.

629. Dès lors, c'est à juste titre que l'Autorité (décision attaquée, paragraphes 549 et 606) a retenu la responsabilité de chaque OP au titre de l'entente unique, complexe et continue et fixé leur durée de participation individuelle à l'entente en prenant :

- pour point de départ le 30 novembre 2001 (date de la première réunion ayant un objet anticoncurrentiel à laquelle chacune a assisté, sans distanciation publique), sauf pour l'OP Prim'Santerre pour laquelle le point de départ est le 25 février 2002 et ;

- pour point final (commun à toutes les OP) le 6 mars 2012 (date de suppression du système Infocl@r).

630. En conclusion de l'ensemble de ces développements, la Cour retient que la durée respective de participation individuelle des entités en cause à l'entente est la suivante :

- pour le Celfnord, du 27 janvier 1998 au 28 août 2008 ;

- pour la SNE, au moins du 10 octobre 2001 au 28 août 2008 ;

- pour la FCE, du 20 décembre 2005 au 28 août 2008 ;

- pour l'APEF, du 28 août 2008 au 6 mars 2012 ;

- pour la FNPE, du 22 novembre 2002 au 24 janvier 2008 ;

- pour le Cérafel, du 16 avril 2003 au 2 mai 2007 au moins ;

- pour la société Groupe Perle du Nord, du 1er janvier 2005 au moins au 6 mars 2012 ;

- pour les OP CAP'Endives et autres et Fraileg, du 30 novembre 2001 au 6 mars 2012 ;

- pour l'OP Prim'Santerre, du 25 février 2002 au 6 mars 2012.

C. Sur les sanctions

631. L'Autorité a précisé, au paragraphe 598 de la décision attaquée, que les pratiques s'étant déroulées pour partie antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques (ci-après la « loi NRE »), et poursuivies de manière continue après la date d'entrée en vigueur de cette loi, soit le 18 mai 2001, et sa saisine étant intervenue postérieurement à cette date (le 11 juillet 2008), il convenait d'appliquer les dispositions du livre IV du code de commerce dans leur rédaction issue de la loi NRE.

632. L'article L.464-2, I, troisième alinéa, du code de commerce, dans la rédaction issue de cette loi NRE, dispose :

« Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation individuelle de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées par le présent titre. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction ».

633. Le quatrième alinéa dudit article, dans la rédaction issue de la loi NRE, précise :

« Si le contrevenant n'est pas une entreprise, le montant maximum de la sanction est de 3 millions d'euros. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 10% du montant du chiffre d'affaires mondial hors taxe le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédent celui au cours duquel les pratiques ont été mises en oeuvre. Si les comptes de l'entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d'affaires pris en compte est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l'entreprise consolidante ou combinante ».

634. L'ensemble des entités en cause conteste le montant des sanctions qui leur ont été infligées. Elles se réfèrent expressément au communiqué de l'Autorité du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires (ci-après « le communiqué sanctions »).

635. Il est constant que la Cour n'est pas liée par ce communiqué mais qu'il lui appartient, d'une part, de vérifier que la sanction infligée a été déterminée conformément aux exigences légales et, d'autre part, de s'assurer que l'Autorité a respecté les règles qu'elle s'est elle-même fixée dans son communiqué, sauf à ce qu'elle explique les raisons particulières pour lesquelles elle s'en est écartée comme le rappelle son paragraphe 7.

1. Sur les éléments concourant à détermination du montant de base des sanctions

a) Sur la gravité des pratiques

636. Aux paragraphes 611 à 612 de la décision attaquée, l'Autorité a retenu que l'infraction en cause visait à permettre aux producteurs d'endives, regroupés majoritairement en OP, de fixer un prix minimum de vente à la production applicable aux différentes catégories d'endives sur la quasi-totalité de la production nationale, en coordonnant leur politique tarifaire, par l'intermédiaire d'organisations professionnelles auxquelles il appartiennent, à l'égard des bureaux commerciaux ou des intermédiaires situés en aval. Elle a également retenu que les pratiques d'entente sur les prix s'appuyaient sur une coordination des périodes promotionnelles, sur un contrôle des quantités produites et sur le détournement illicite d'un système d'échanges d'informations utilisé comme outil de police des prix. Elle en a déduit que les pratiques en cause revêtaient une indéniable gravité, dont l'objet consistait à manipuler le prix des produits en cause, au lieu de laisser celui-ci à la libre appréciation de chacun d'entre eux dans le cadre d'une détermination autonome de leur politique commerciale et de leur comportement sur le marché. L'Autorité a, néanmoins, considéré que la gravité des pratiques n'égalait pas celle des ententes secrètes entre concurrents, dans la mesure où elles se sont essentiellement déroulées dans le cadre d'organisations professionnelles auxquelles le pouvoir réglementaire a confié des missions de gestion et d'organisation du marché.

637. Le Celfnord et l'APEF estiment que cette appréciation des pratiques est erronée, incomplète ou insuffisante au regard des critères énumérés dans le communiqué sanctions, relatifs à la nature de l'infraction en cause, à ses caractéristiques objectives et à la nature du secteur concerné.

638. S'agissant de la nature de l'infraction, ils soutiennent ne jamais avoir entendu « manipuler » les prix, mais avoir exercé leur mission réglementaire de régularisation des prix à la production, et être, au demeurant, incapables de se livrer à ladite manipulation, dans la mesure où, les organisations collectives, comme les producteurs, sont dénués de pouvoir de marché et subissent finalement les prix, ce qui explique que la concurrence est exacerbée tant entre producteurs qu'entre bureaux de vente.

639. S'agissant des caractéristiques objectives de l'infraction, ils estiment que l'Autorité n'a pas tenu compte du degré de transparence qu'ils ont assuré vis-à-vis des autorités administratives, ces dernières, en particulier l'ONIFLHOR, étant régulièrement informées des pratiques en cause. Ils contestent avoir eu conscience de leur caractère illicite et avoir reçu des pouvoirs publics une claire mise en garde à leur égard, en faisant valoir, d'une part, la présence des autorités de tutelle aux assemblées générales du Celfnord de 2003 à 2008, sans réaction de leur part lors de l'approbation annuelle des règles et disciplines de la section endives et, d'autre part, le caractère complexe, évolutif et incertain de la législation applicable, en particulier quant à la notion de régularisation des prix.

640. S'agissant de la nature du secteur concerné, ils observent que l'Autorité ne l'a pas pris en compte, en dépit des spécificités du secteur agricole, tenant notamment à l'existence de prix erratiques, à un fort déséquilibre en faveur des acheteurs et à la nécessité d'écouler des produits périssables, spécificités qui expliquent l'instauration de l'OCM des fruits et légumes.

641. Estimant que l'Autorité n'a pas apprécié la gravité des faits au vu de l'ensemble des éléments pertinents de l'espèce, le Celfnord et l'APEF en déduisent que les sanctions pécuniaires qui leur ont été infligées ne sont pas proportionnées à la gravité des faits.

642. La société Groupe Perle du Nord et les sociétés CAP'Endives et autres développent une argumentation comparable. Outre l'absence de caractère occulte des pratiques et de conscience de leur illiciété, elles soutiennent qu'aucun mécanisme de représailles ou de sanctions n'a été mis en place, ni mis en oeuvre, pour s'assurer du respect d'un prix minimum simplement conseillé.

643. Les sociétés Fraileg et Prim'Santerre soutiennent que les pratiques reprochées étaient connues de l'administration et que celle-ci, par son silence, les avaient avalisées dans la plupart des cas.

644. L'Union des endiviers fait valoir que la gravité des faits doit être justement appréciée au regard des difficultés d'interprétation des notions de gestion et d'organisation de marché, ce qui a donné lieu à des divergences d'interprétation au cours de la procédure et a conduit la Cour de cassation à interroger la Cour de justice à titre préjudiciel. Elle met également en avant la nécessité de l'action syndicale afin de défendre les producteurs face aux acteurs de la grande distribution. Enfin, elle tire argument du comportement des autorités publiques à l'égard des pratiques en cause, dont elles auraient été informées par l'ONIFHLOR, en faisant valoir que leur absence de réaction ne pouvait que conforter les acteurs dans la croyance de la légitimité de leurs actions et réduire d'autant la gravité des faits.

645. En réponse, l'Autorité rappelle certains éléments du dossier sur lesquels s'est fondée la décision attaquée pour retenir que les parties n'ignoraient pas l'illicéité des pratiques et avaient au contraire été clairement mises en garde par la DGCCRF. En outre, elle fait valoir que la décision attaquée a pris en compte les éléments juridiques propres au secteur agricole, en faisant référence au cadre dans lequel les partiques ont eu lieu, et que les autres éléments, tels que l'existence d'un contre-pouvoir de négociation des acheteurs a été dûment pris en compte au stade de l'analyse du dommage à l'économie, conformément au paragraphe 32 du communiqué sanctions.

646. Le ministre chargé de l'économie considère que l'Autorité a pris en compte les éléments invoqués par les parties quant au contexte juridique et économique spécifique au secteur.

Sur ce, la Cour,

647. Comme le prévoit le troisième alinéa de l'article L.464-2, I, du code de commerce, les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés.

648. Selon le communiqué sanctions (paragraphes 25 et 26), « [l]'Autorité apprécie la gravité des faits de façon objective et concrète, au vu de l'ensemble des éléments pertinents du cas d'espèce », tenant notamment à la nature de l'infraction (par exemple, un « cartel de prix » revêtant un degré de gravité supérieur à celui d'un simple échange d'informations), à celle des paramètres de la concurrence concernés (comme le prix et la production), et aux caractéristiques objectives de l'infraction (eu égard, notamment, à son caractère secret ou non, à son degré de sophistication, à l'existence de mesures de police ou de représailles ou d'un détournement de législation).

649. En l'espèce, il résulte des développements précédents sur la matérialité, le périmètre et la portée des pratiques, ainsi que sur leur qualification d'entente unique, complexe et continue, que c'est à juste titre que l'Autorité, dans la décision attaquée (paragraphe 611), a pris en compte [en tant qu'éléments objectifs se rapportant à la nature de l'infraction et aux paramètres de la concurrence concernés], le fait que l'entente en cause portait sur la fixation d'un prix minimum de vente à la production applicable aux différentes catégories d'endives ainsi qu'à la quasi-totalité de la production nationale et s'appuyait sur une coordination des offres promotionnelles, un contrôle des quantités produites et un système illicite d'échanges d'informations, utilisé comme un outil de surveillance des prix. La Cour adopte cette motivation pertinente, dont l'Autorité a justement déduit que les pratiques, constitutives d'une entente entre concurrents, revêtent une indéniable gravité.

650. La Cour ajoute, dans le même sens, que l'entente en cause, unique et complexe, a revêtu un certain degré de sophistication, en vue de poursuivre l'objectif consistant, comme cela a déjà été indiqué (voir paragraphe 485 du présent arrêt), à soustraire la fixation du prix de l'endive au libre jeu du marché, au-delà de l'objectif légitime de régulation des prix. La Cour prend également en compte la durée de l'entente (quatorze ans et un mois). Contrairement à ce que suggèrent le Celfnord et l'APEF, la durée, comme la couverture géographique et les catégories de produits visés par les pratiques, ne sont pas intrinsèquement liées ou justifiées par le rôle confié aux OP et AOP au titre de la PAC, mais constituent des éléments objectifs permettant d'apprécier la gravité desdites pratiques, lesquelles, comme cela a déjà été expliqué, procèdent d'un dépassement du cadre qui a été fixé, à ce titre, aux entités en cause.

651. Pour tempérer en revanche la gravité de l'infraction, l'Autorité (décision attaquée, paragraphe 612) a pris en compte, à juste titre, en tant qu'éléments se rapportant aux caractéristiques objectives de l'infraction, le fait qu'elle n'a pas revêtu de caractère secret. Contrairement à ce que prétendent le Celfnord et l'APEF, l'Autorité a également pris en compte la nature du secteur agricole (au même paragraphe précité), en indiquant que les pratiques en cause se sont essentiellement déroulées dans le cadre d'organisations professionnelles auxquelles le pouvoir réglementaire a confié des missions de gestion et d'organisation du marché, ce qui renvoie aux spécificités juridiques et économiques du secteur agricole.

652. Si l'Autorité n'a pas pris en compte, dans l'appréciation de la gravité des pratiques, l'existence d'un contre-pouvoir de négociation des acheteurs, elle en a tenu compte, de manière pertinente, au stade de l'analyse du dommage à l'économie, lorsqu'elle a examiné les caractéristiques économiques du secteur et les conséquences de l'infraction, ainsi que le prévoit le paragraphe 32 du communiqué sanctions.

653. En revanche, la Cour estime qu'il convient, comme le soutiennent les entités en cause, de prendre en compte des éléments supplémentaires, au titre des caractéristiques objectives de l'infraction, afin d'en tempérer la gravité.

654. En effet, la question de l'articulation entre les règles de la PAC et de la concurrence, dont dépend la caractérisation de l'infraction, revêt une complexité particulière. Or, comme cela a déjà été indiqué (paragraphe 489 du présent arrêt), le Celfnord et la SNE n'ont été mis en garde par l'administration (la DRCCRF puis la DGCCRF), sur le risque d'illicéité des pratiques reprochées, qu'au début de l'année 2001, alors que celles-ci ont débuté dès le début de l'année 1998. Il s'ensuit qu'avant ces mises en garde, rien ne révélait que ces pratiques, menées de manière publique et sans opposition des autorités compétentes, étaient illicites, de sorte que les entités en cause pouvaient légitimement croire que le contexte de leur action les plaçait dans un champ différent des règles de concurrence.

655. Si à compter de 2001, cette mise en garde de l'administration, fermement rappelée à plusieurs reprises (paragraphe 489 du présent arrêt), a exclu l'existence d'un prétendu encouragement des pouvoirs publics à l'égard des pratiques, il n'en demeure pas moins que la question de l'articulation entre les règles de la PAC et de la concurrence a continué à être source d'incertitudes, ce qui a conduit la Cour de cassation à saisir la Cour de justice de l'Union européenne à titre préjudiciel, laquelle a d'ailleurs examiné en grande chambre les questions qui lui avaient été ainsi soumises. La clarification opérée par la Cour de justice dans son arrêt du 17 novembre 2017, précité, notamment au regard des exigences découlant du principe de proportionnalité, confirme rétrospectivement que la ligne de partage entre les règles de la PAC et de la concurrence, loin d'être facile à appréhender, en particulier par les entités en cause, laissait place à un doute raisonnable et légitime sur le caractère illicite des pratiques au regard des règles de concurrence. Cette circonstance est de nature à atténuer encore davantage, de manière significative, la gravité des pratiques, nonobstant leur caractère anticoncurrentiel par objet.

b) Sur le dommage à l'économie

656. Au paragraphe 633 de la décision attaquée, l'Autorité a estimé que les pratiques reprochées ont causé un dommage certain à l'économie, mais de faible importance.

657. À cet égard, elle a retenu, aux paragraphes 618 à 620 de la décision, que l'infraction revêtait une ampleur particulièrement importante, ayant visé l'ensemble du territoire national, toutes catégories d'endives confondues, pour un volume estimé à environ 200 000 tonnes en 2010, recouvrant ainsi l'entièreté du secteur (plus de 95% du marché français), et portant sur un produit de grande consommation (classé en 2008 au 4ème rang des légumes achetés par les consommateurs français), dont la valeur annuelle des ventes est importante (de l'ordre de 135 millions de chiffre d'affaires total en 2009), quoi qu'en fort repli (par rapport au 220 millions d'euros de chiffre d'affaires total réalisé au début des années 2000).

658. S'agissant des caractéristiques économiques objectives du secteur des fruits et légumes en général et du secteur des endives en particulier, l'Autorité (décision attaquée, paragraphes 623 à 629) a notamment pris en compte, d'une part, l'importance du contre-pouvoir des acheteurs, en particulier de la grande distribution et du « hard-discount », à travers lesquels l'endive est principalement écoulée, et ce face à une offre atomisée, ce qui a permis aux acheteurs d'exercer une pression à la baisse sur les prix à la production, de nature à limiter, au stade de la vente aux consommateurs finals, l'effet recherché par la fixation d'un prix minimum, et, d'autre part, la sensibilité de la demande au prix, de nature à tempérer l'importance du dommage causé à l'économie.

659. Quant aux conséquences de l'infraction, elle a retenu que l'entente avait eu une incidence sur les prix, les prix minima étant fixés collectivement sans tenir compte des coûts de revient de chaque producteur, mais que celle-ci n'avait que très peu modifié le prix d'équilibre sur le marché au cours de la période considérée, dans la mesure où le surprix ayant pû être dégagé ponctuellement par les producteurs n'avait, en raison de la structure du marché, probablement pas été répercuté entièrement par les opérateurs en aval au détriment des consommateurs finals.

660. Le Celfnord et l'APEF contestent l'existence même d'un dommage à l'économie. À cet égard, ils soutiennent que les pratiques en cause sont dépourvues de conséquences sur le marché, non seulement structurelles, la concurrence étant présentée comme exacerbée tant au niveau des producteurs que des bureaux de vente, mais aussi conjoncturelles, les metteurs en marché étant dans l'incapacité d'influer sur les prix aux consommateurs, contrairement à la grande distribution, et le prix de l'endive n'aurait pas augmenté, mais au contraire baissé, en dépit d'une tendance à la hausse du prix des autres fruits et légumes. Ils estiment que les éléments avancés par l'Autorité quant à l'ampleur des pratiques sont inopérants pour caractériser l'existence d'un dommage à l'économie, en l'absence de distinction suffisante par rapport à l'appréciation de la gravité des faits et eu égard à la nature des fonctions des organisations collectives, ces dernières ayant pour objet de rassembler durablement les producteurs d'un même produit, sous ses différentes gammes, de sorte que l'étendue géographique et la durée des pratiques seraient intrinséquement liées au rôle de ces organisations.

661. La société Groupe Perle du Nord et les sociétés CAP'Endives et autres contestent également l'existence d'un dommage à l'économie en développant un argumentaire comparable. Elles observent, plus spécifiquement, que l'Autorité n'a pas précisé dans sa décision les éléments sur lesquels elle s'est fondée pour retenir que les prix minima avaient été fixés collectivement sans tenir compte du prix de revient de chaque producteur et expliquent, sur ce point, que le prix de revient est variable dans le temps, étant plus élevé en fin de saison qu'au début, en raison de la durée de stockage des racines, celle-ci induisant des coûts supplémentaires, de sorte qu'il n'y a rien d'étonnant à vendre à 1,30 euros le kilo en fin de saison après avoir vendu plus bas en début de saison. Elles font également valoir que le prix de vente aux acheteurs (principalement à la grande distribution) est déterminé non par les OP, mais par les bureaux de vente (indépendants ou non des OP), et que ces derniers ont fait une application très « libre » des décisions prises au sein de l'AOP, de sorte que ces décisions n'ont pas eu, en pratique, d'effets sur le prix de vente aux acheteurs, comme en atteste, l'absence alléguée d'alignement des prix pratiqués, qui seraient différents selon les OP et variables dans le temps. Estimant que les pratiques en cause n'avaient ainsi pas eu d'impact sur les prix de vente aux acheteurs, elles ajoutent qu'elles n'ont a fortiori eu aucun effet sur les prix à la consommation, qui sont principalement déterminés par le niveau élevé de marge de la grande distribution.

662. Les sociétés Fraileg et Prim'Santerre considèrent également que l'existence d'un dommage à l'économie n'est pas suffisamment démontrée par l'Autorité, faute d'avoir mis en évidence une perturbation structurelle sur le marché et un impact sur les prix de vente aux consommateurs.

663. Le Cérafel consteste également l'existence d'un dommage à l'économie, faute de démonstration par l'Autorité de l'existence d'une hausse artificielle des prix qui aurait limité les incitations des opérateurs à réduire leurs coûts de production et/ou à améliorer leurs produits. À cet égard, il fait valoir, premièrement, que le « prix de retrait » était fixé en-dessous de celui des OP du Nord, et même en-dessous du prix de revient à la production, deuxièmement, que les entités des deux bassins de production ont toujours joué le jeu de la concurrence et, troisièmement, qu'aucune preuve d'un avantage personnel lié à une éventuelle entente n'est apportée.

664. L'Union des endiviers conteste également l'existence d'un dommage à l'économie. Elle développe un argumentaire comparable sur le déséquilibre entre la position des producteurs et celle des acteurs de la grande distribution, notamment des « hard discounters », et rappelle que l'endive est essentiellement écoulée par ce circuit, davantage que les autres légumes frais. Elle estime, en outre, que les pratiques n'ont eu aucun effet en aval sur les consommateurs puisque les marges sur les prix de l'endive se font au niveau des distributeurs. Elle s'interroge, enfin, sur le lien entre, d'une part, l'étendue géographique des pratiques ou le fait que l'endive soit un produit de grande consommation et, d'autre part, la caractérisation d'un dommage à l'économie, en l'absence d'un effet avéré sur les prix.

665. L'Autorité estime avoir apprécié tant l'existence que l'importance du dommage à l'économie, en prenant précisément en compte l'ensemble des éléments invoqués par les parties, pour conclure à son existence certaine, mais de faible importance. Elle précise ne pas avoir pû écarter l'existence d'un dommage à l'économie dans la mesure où l'infraction a couvert, pendant une période de quatorze ans, la quasi-totalité du territoire national et concerné l'ensemble des catégories d'endives, produit de grande consommation, apprécié des consommateurs, et notamment des familles au revenus modestes, comparativement plus sensibles aux variations du prix des produits alimentaires.

666. Le ministre chargé de l'économie approuve l'appréciation de l'Autorité quant à l'existence et la faible importance du dommage à l'économie.

Sur ce, la Cour,

667. Comme le prévoit le troisième alinéa de l'article L.464-2, I, du code de commerce, les sanctions pécuniaires sont également proportionnées à l'importance du dommage à l'économie.

668. Comme le rappelle le paragraphe 28 du communiqué sanctions, le dommage à l'économie ne se présume pas. L'Autorité doit démontrer son existence et en apprécier l'importance de façon objective, au vu de l'ensemble des éléments pertinents du cas d'espèce, sans être néanmoins tenue de le chiffrer. Le paragraphe 32 dudit communiqué précise qu'à ce titre l'Autorité tient notamment compte, en fonction de leur pertinence et dans la mesure où elle en dispose, des éléments relatifs à l'ampleur de l'infraction, aux caractéristiques économiques du secteur et aux conséquences conjoncturelles et structurelles de l'infraction.

669. Il convient de rappeler qu'en l'espèce l'objectif de fixation collective des prix minima de vente à la production, à caractère obligatoire, était de soustraire la fixation du prix de l'endive au libre jeu du marché, afin de garantir un certain niveau de prix aux producteurs.

670. Par ailleurs, il n'est pas contesté que, comme l'a relevé à juste titre l'Autorité (décision attaquée, paragraphe 632), une concertation sur les prix conduit nécessairement les entreprises participantes à se détourner d'une appréciation directe de leurs coûts de revient.

671. Il en va particulièrement ainsi en l'espèce, dans la mesure où, comme l'a exactement constaté l'Autorité (même paragraphe de la décision attaquée), les prix minima en cause étaient fixés collectivement sans tenir compte des coûts de revient de chaque producteur. En effet, il résulte du dossier que ces coûts de revient étaient variables selon les producteurs, et donc propres à chacun d'eux, en fonction notamment de la taille de leur exploitation et du coût de leur main d'oeuvre, comme en attestent de manière convergente les auditions des présidents des OP Prim'Santerre, Fraileg, Marché de Phalempin et Primacoop (respectivement cotes 4667, 5815, 4399, 4515), celle du président de la SRE du Celfnord (cote 1931), celle du président de l'APVE (cote 4364), ainsi que celles du président et du directeur de la FNPE (respectivement cotes 4174 et 4143). Il s'ensuit que la fixation collective des prix minima (par définition uniformes) excluait nécessairement la prise en compte individuelle des coûts de revient (variables selon les producteurs).

672. Or, ce mécanisme de fixation collective des prix minima n'incite pas les producteurs à optimiser leur production en réduisant le plus possible leurs coûts de revient. Il a également pour corollaire l'existence d'un surprix dans la mesure où il empêche les producteurs connaissant un moindre coût de revient, par rapport à d'autres producteurs, d'écouler en conséquence leur production à un prix moins élevé que celui fixé collectivement. La circonstance, invoquée par la société Groupe Perle du Nord et les sociétés CAP'Endives et autres, selon laquelle les coûts de revient étaient également variables dans le temps, en fonction de la durée de stockage des racines, ce qui expliquerait la variabilité des prix dans le temps, ne suffit pas à écarter l'existence d'un surprix.

673. Cela étant, il est constant que l'endive est principalement écoulée dans les circuits de la grande distribution et des « hard-discounters », de sorte que les fournisseurs se sont heurtés au contre-pouvoir des acheteurs. L'Autorité en a tenu compte en indiquant, à juste titre, comme cela a déjà été indiqué, que les acheteurs ont été en mesure d'exercer une pression à la baisse sur les prix à la production et que cette pression a certainement été de nature à limiter, au stade de la vente aux consommateurs finals, l'effet recherché par la fixation d'un prix minimum (décision attaquée, paragraphe 627). L'Autorité en a également tenu compte, de manière pertinente, en indiquant, d'une part, que l'entente en cause avait très peu modifié le prix d'équilibre sur le marché au cours de la période considérée et, d'autre part, qu'en raison de la structure du marché, il était peu probable que le surprix, ayant pû être ponctuellement dégagé par les producteurs d'endives, ait été répercuté entièrement par les opérateurs en aval au détriment des consommateurs finals (décision attaquée, paragraphe 632).

674. Contrairement à ce que prétendent les entités en cause, si l'importance du contre-pouvoir des acheteurs et des marges dégagées par la grande distribution a ainsi contribué à réduire l'incidence de l'entente sur les prix, cette circonstance ne suffit pas néanmoins à l'écarter complètement, eu égard, notamment, à l'ampleur de l'infraction, quant à sa durée, à sa couverture géographique, au volume estimé des endives produites, toutes catégories confondues, à la part du secteur concerné (plus de 95% du marché français), à la nature du produit (de consommation courante) et à l'importance de la valeur annuelle des ventes, comme le précise la décision attaquée (paragraphes 618 à 620). La circonstance, invoquée par le Celfnord et l'APEF, que la durée et la couverture géographique de l'entente soit en rapport avec la pérennité et le champ d'action des entités en cause est inopérante. S'agissant plus précisément de la durée de l'entente, dès lors que celle-ci couvre la période entre le 28 janvier 1998 et le 6 mars 2012, c'est également en vain que le Celfnord et l'APEF se prévalent d'une prétendue baisse des prix de l'endive au consommateur entre 2001 et 2006 (de 11%), pour écarter toute incidence de l'entente sur les prix.

675. Dès lors, c'est à juste titre que l'Autorité (décision attaquée, paragraphe 631), après avoir constaté l'absence de contrefactuel fiable, a retenu qu'un faisceau d'indices permet de conclure que les pratiques ont eu une incidence sur les prix.

676. La circonstance, invoquée par le Celfnord, l'APEF, la société Groupe Perle du Nord ainsi que les sociétés CAP'Endives et autres, selon laquelle la concurrence entre les opérateurs sur le marché de l'endive serait demeurée forte, ne suffit pas, à elle seule, à écarter l'existence du dommage à l'économie.

677. Il s'ensuit que c'est à juste titre que l'Autorité, après avoir tenu compte de l'ampleur de l'infraction, ainsi que de ses conséquences conjoncturelles et structurelles, au regard des caractéristiques économiques du secteur, a retenu que l'entente en cause avait causé un dommage certain à l'économie, mais de faible importance.

678. Il convient donc de rejeter ce moyen.

c) Sur l'assiette du montant de base

679. Aux paragraphes 604 et 701 de la décision attaquée, l'Autorité a retenu deux assiettes différentes pour la détermination du montant de base, selon les entités en cause, à savoir :

- d'une part, pour les sociétés (c'est-à-dire les OP et l'AOP Groupe Perle du Nord), leur chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France, la valeur des ventes ne constituant pas un indicateur de leur poids économique relatif, chacune des OP ayant perçu des subventions publiques (quoi que dans des proportions variables et d'une année sur l'autre) ;

- d'autre part, pour les organismes dits collectifs (autres que les OP et l'AOP Groupe Perle du Nord), les cotisations professionnelles perçues au titre de la défense des intérêts des producteurs d'endives, ces organismes ne disposant pas de chiffre d'affaires et ne réalisant pas de vente d'endives.

680. L'OP Fraileg observe que l'Autorité, dans la décision attaquée (tableau figurant paragraphe 606) a retenu, au titre d el'année 2010, un montant de chiffre d'affaires incluant non seulement la vente d'endives (19 826 881 dont 54 749 euros de vente à l'étranger), mais aussi, les reventes d'emballages (1 148 388 euros) et les cotisations (680 361 euros), alors que, selon elle, seule la vente d'endives devait être prise en compte.

681. S'agissant des organismes collectifs, l'APEF, agissant en son nom personnel, soutient que l'Autorité, dans la décision attaquée (tableau du paragraphe 701), a intégré dans l'assiette de la sanction qui lui a été infligée, au titre de l'année 2010, le produit des ventes de semences et d'emballages d'un montant de 187 896 euros, alors qu'il s'agit d'un simple flux financier.

682. L'APEF, venant aux droits de la SNE, soutient, en outre, que l'Autorité a intégré dans l'assiette de la sanction qui a été infligée à la SNE des cotisations « recherche », collectées par l'APEF puis reversées dans leur intégralité à la station de recherche, alors que ces cotisations ne constituent qu'un simple flux financier transitant par la SNE.

683. L'Union des endiviers soutient que le montant moyen des cotisations retenu par l'Autorité, dans la décision attaquée (tableau du paragraphe 701), pour la FNPE, à savoir 355 582 euros, est incompréhensible dans la mesure où le montant des cotisations perçues en 2010 est de 53 549 euros et le montant moyen des cotisations perçues de 2002 à 2008 est de 39 687 euros par an.

684. L'Autorité se borne à répondre à la contestation de l'APEF (agissant en son nom personnel), en faisant valoir, d'une part, que cette dernière ne fournit aucun élément de nature à établir que les emballages et les semences ne pouvaient être inclus dans le calcul de ses ventes au motif qu'ils constitueraient de simples flux et non un élément de son chiffre d'affaires et, d'autre part, que la circonstance que les ventes de semences et d'emballages seraient compensées en totalité par des charges d'un montant équivalent, générant ainsi une marge nulle, ne saurait justifier qu'elles ne soient pas incluses dans le périmètre de son chiffre d'affaires.

685. Le ministre chargé de l'économie estime que les éléments avancés par les entités concernées, pour contester le chiffrage de l'assiette du montant de base de la sanction, sont attestés par les pièces produites devant la Cour et invite celle-ci à réaliser les ajustements utiles.

Sur ce, la Cour,

686. Il convient de rappeler que le législateur n'a imposé aucune méthode pour déterminer le montant des sanctions, en dehors des critères généraux énoncés à l'article L.464-2 du code de commerce. Le communiqué sanctions (paragraphe 23) indique que, pour donner une traduction chiffrée à son appréciation de la gravité des faits et de l'importance du dommage à l'économie, l'Autorité retient, en principe,comme montant de base de la sanction pécuniaire, une proportion de la valeur des ventes, réalisées par chaque entreprise ou organisme en cause, de produits ou services en relation avec l'infraction, la valeur des ventes constituant, en général, une référence appropriée et objective. En effet, selon l'Autorité, la valeur des ventes permet, dans la plupart des situations, d'en proportionner, au cas par cas, l'assiette, d'une part, à l'ampleur économique de l'infraction, d'autre part, au poids relatif, sur le secteur ou marché concerné, de chaque entreprise ou organisme y ayant participé. Le même paragraphe du communiqué précise que la valeur des ventes des produits ou services en relation avec l'infraction est retenue par l'Autorité comme assiette du montant de base, de préférence au chiffre d'affaires total de chaque entreprise ou organisme en cause, qui peut ne pas être en rapport avec l'ampleur de l'infraction et le poids relatif de chaque participant sur le secteur ou marché concerné. Le paragraphe 39 du communiqué prévoit la possibilité pour l'Autorité de s'écarter de cette méthodologie générale lorsqu'elle estime que l'application de celle-ci aboutirait à un résultat ne reflétant pas de façon appropriée l'ampleur économique de l'infraction ou le poids relatif de chaque entreprise ou organisme y ayant pris part, de sorte ce qui ne permettrait pas d'atteindre les objectifs de proportionnalité et de dissuasion requis en la matière.

687. En premier lieu, s'agissant des sociétés, l'Autorité, dans la décision attaquée (paragraphes 603 et 604), a ainsi relevé que les OP ayant participé à l'infraction ont toutes bénéficié, dans des proportions certes variables entre elles, et, pour chacune d'entre elles, d'une année sur l'autre, de subventions publiques et en a déduit, à juste titre, que la valeur des ventes ne constituait manifestement pas un indicateur du poids économique relatif des opérateurs ayant participé à l'infraction, et que, compte tenu de cette circonstance très particulière au cas d'espèce et des données à sa disposition, elle retiendra, comme assiette pertinente pour déterminer le montant de base des sanctions imposées à chacune des sociétés, son chiffre d'affaires hors taxe réalisé en France, au titre de l'exercice 2010 ou 2011 (en tant que dernier exercice comptable complet disponible, selon que les entreprises ont une comptabilité tenue par année civile ou non).

688. S'agissant plus précisément de la société Fraileg, l'Autorité a ainsi retenu comme assiette du montant de base la somme de 21 600 882 euros, correspondant à son chiffre d'affaires hors taxe réalisé en France au titre de l'exercice 2010, constituant le dernier exercice comptable complet disponible de ladite société. La Cour constate que cette somme résulte effectivement du compte de résultat de la société Fraileg au titre de l'exercice 2010 (annexe 6 de son mémoire).

689. C'est donc en vain que la société Fraileg, sous couvert d'une contestation portant sur le quantum de l'assiette du montant de base de la sanction qui lui a été infligée, tend en réalité à remettre en cause le choix pertinent de l'Autorité de retenir comme assiette, pour l'ensemble des sociétés en cause, leur chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France, au titre de leur dernier exercice comptable complet disponible, et non la seule valeur des ventes d'endives (ce qui n'est pas critiqué par ces autres entités).

690. En deuxième lieu, s'agissant des entités qui ne sont pas des sociétés, telles que notamment l'APEF, la SNE et la FNPE, la décision attaquée a retenu comme assiette le montant des cotisations professionnelles perçues au titre de la défense des intérêts des producteurs d'endives, et non le chiffre d'affaires hors taxe réalisé en France, ces entités ne disposant pas de chiffre d'affaires.

691. Concernant l'APEF, l'Autorité a ainsi retenu la somme de 1 595 103 euros, représentant le montant des cotisations perçues en 2010. L'APEF conteste ce montant en se fondant sur son compte de résultat pour l'exercice 2010 (annexes n° 65 et 70 de son mémoire). La Cour constate que ce document fait état, dans la rubrique générale intitulé « Produits », de divers montants de cotisations (« contributions endives des OP », « contributions endives EDR [extension de règles] » ; « contributions Carmine des OP », « contributions Carmine EDR »), dont le montant total est inférieur à celui retenu par la décision attaquée.

692. Concernant la SNE, aux droits de laquelle vient l'APEF, l'Autorité a retenu la somme de 329 228 euros, en tant que moyenne des cotisations perçues. Or, il résulte du compte de résultat de la caisse de régularisation de la SNE (annexe 61 du mémoire de l'APEF), que figurent, dans la rubrique générale « Ressources », des montants de cotisations professionnelles, au titre des campagnes 2006/2007 et 2007/2008, qui correspondent aux montants figurant dans la rubrique générale « Emplois », sur la ligne intitulée « Recherche FNPE ». L'APEF en déduit que l'Autorité n'aurait pas dû intégrer ces montants de cotisations professionnelles dans le calcul de l'assiette, s'agissant de simples flux financiers, dédiés en totalité à la station de recherche gérée par la FNPE concernant l'endive Carmine, et non de ressources destinées à la SNE. Toutefois, la Cour observe que lesdits montants (soit 706 955, 94 euros au titre de la campagne 2007/2008 et 609 956,03 euros au titre de la campagne 2006/2007) sont largement supérieurs à la moyenne du montant des cotisations retenue par l'Autorité dans la décision attaquée (soit 329 228 euros), de sorte que la critique de l'APEF est inopérante.

693. Concernant la FNPE, force est de constater que la moyenne du montant des cotisations retenue par l'Autorité, dans la décision attaquée (355 582 euros, tableau paragraphe 701), est sans commune mesure avec la moyenne établie par la FNPE, sur la base des comptes de résultat et rapports des commissaires aux comptes à l'appui, notamment pour les années 2003, 2004, 2006 et 2008. En l'absence d'explications de l'Autorité sur la méthode de calcul suivie, tant dans sa décision, que dans ses observations, la Cour retient, comme assiette, un montant de 39 687 euros, soit la moyenne du montant des cotisations établie par la FNPE.

2. Sur le calcul de la sanction

a) Concernant les sociétés (les OP et l'AOP Groupe Perle du Nord)

694. Au paragraphe 634 de la décision attaquée, l'Autorité, compte tenu de son appréciation de la gravité des faits et de l'importance du dommage à l'économie, a tout d'abord retenu, pour les sociétés en cause, une proportion de 4% de leur chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France, puis :

- pour deux d'entre elles, ce taux a été réduit en raison de leur moindre durée de participation individuelle à l'entente, étant ramené à 3,6% pour la société Nord Alliance (qui n'est plus partie à la présente procédure) et à 3,5% pour la société Groupe Perle du Nord ;

- pour d'autres, ce taux a été ramené à 3%, compte tenu d'autres circonstances propres à chacune d'entre elles :

Pour la société Fraileg, en raison de son comportement de « franc-tireur » (paragraphes 637 à 644 de la décision attaquée) et ; pour les sociétés France Endives (devenue Natur'Coop), Marché de Phalempin, Marais Audomarois-Sipema, et Valois-Fruits, en raison de la diversité de leur activité (celles-ci ayant réalisé, pendant la durée des pratiques, moins de 90 % de leur chiffre d'affaires sur la production et la commercialisation des endives), dans la mesure où le recours à une assiette élargie au chiffre d'affaires total n'a pas permis de prendre en compte le fait que certaines OP sont beaucoup plus présentes sur le marché pertinent que d'autres (paragraphes 646 à 648 de la décision attaquée).

695. Au paragraphe 650 de sa décision, l'Autorité a enfin calculé le montant des sanctions pécuniaires, avant ajustements finaux, en fonction, d'une part, de la proportion retenue du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France par les sociétés en cause et, d'autre part, de la durée individuelle de participation à l'entente prise en compte de façon globale pour les besoins de ladite décision.

696. La société Fraileg conteste le principe même du prononcé d'une sanction pécuniaire à son encontre, en soutenant que son rôle de « franc-tireur » l'exclut.

697. Par ailleurs, sur la détermination du montant de la sanction, la société Fraileg, ainsi que la société Prim'Santerre, estiment nécessaire de prendre en compte l'ensemble des circonstances atténuantes pertinentes qui découleraient des paragraphes 45 et 48 du communiqué sanctions, à savoir :

- premièrement, l'obligation réglementaire des OP d'adhérer et d'appliquer les décisions du Celfnord ;

- deuxièmement, le soutien des autorités administratives compétentes à la majorité des pratiques, dont elles avaient connaissance et qu'elles auraient même encouragées ;

- troisièmement, leur situation d'entreprise « mono-produit », étant présentes uniquement sur le secteur de la production d'endives ;

- quatrièmement, leurs difficultés financières, nécessitant une réduction du montant de base et, en tout état de cause, une adaptation du montant de la sanction au regard de leur faculté contributive, insuffisamment prise en compte, selon elles, dans la décision attaquée.

698. La société Groupe Perle du Nord et les sociétés CAP'Endives et autres se prévalent également de ces deux premiers arguments et font plus spécifiquement valoir que la structure commune Perle du Nord, qui a été spontanément mise en place et a été reconnue comme AOP de commercialisation, répond à ce titre aux préconisations émises par l'Autorité, notamment dans son avis 08-A-07, afin de permettre aux producteurs de peser davantage dans les négociations avec les distributeurs. Elles soutiennent que l'Autorité, en appliquant à toutes les OP multi-produits un taux de réduction identique (3%), sans tenir compte du fait que le pourcentage du chiffre d'affaires concernant les endives est très différent de l'une à l'autre (variant entre 34 et 66%), a manqué à l'objectif d'individualisation du montant des sanctions infligées.

699. L'Autorité conteste, en premier lieu, l'existence d'un prétendu soutien des pouvoirs publics à l'égard des pratiques en cause. Sur ce point, elle rappelle que les responsables du Celfnord ont été alertés par la DGCCRF sur les risques encourrus par l'adoption de ces pratiques et que ceux-ci s'étaient d'ailleurs inquiétés de ce que les règles de concurrence leur soient opposées. Elle estime en outre indifférent que certains représentants de la préfecture, du ministre chargé de l'économie ou du ministre chagré de l'agriculture aient été présents aux assemblées générales du Celfnord entre 2002 et 2008, aucune de ces réunions n'ayant été l'occasion de prise de décisions ou d'adoption de comportements qualifiés de pratiques anticoncurrentielles. L'Autorité indique qu'en tout état de cause, à supposer qu'une ambiguïté quelconque ait pu exister, l'adoption des pratiques reprochées n'était, ni imposée par une obligation légale, ni liée à des pressions irrésistibles que les administrations précitées auraient exercé sur les entités en cause par leur simple présence à ces réunions.

700. En deuxième lieu, elle fait valoir que l'impact de la crise du secteur de l'endive a été pris en compte dans la décision attaquée dans tous les cas où il a été démontré que cette circonstance avait eu des répercussions sur la situation individuelle des parties, dans le cadre de l'examen de leurs facultés contributives respectives.

701. En troisième lieu, elle estime que l'argument tiré du regroupement de plusieurs OP autour du Groupe Perle du Nord est inopérant, dans la mesure où la société Groupe Perle du Nord, à compter du 1er décembre 2009 (date de la mise en place de la nouvelle structure), a poursuivi sa participation à l'entente par le biais d'Infocl@r.

702. En quatrième lieu, l'Autorité soutient que le critère de 90% sur lequel se fonde la décision attaquée, pour appliquer un taux de réduction du montant de base au titre de l'activité multi-produit, est objectif et de nature à garantir le respect du principe de l'égalité de traitement dès lors que celui-ci est appliqué à l'ensemble des entités sanctionnées.

703. Le ministre chargé de l'économie s'en remet à la sagesse de la Cour sur l'argument relatif la nouvelle organisation de la société Groupe Perle du Nord, compte tenu de la complexité de la question de l'application des règles de concurrence au secteur agricole.

Sur ce, la Cour,

704. En premier lieu, il importe de rappeler que l'argument tiré de l'obligation d'adhésion des OP au Celfnord et de mise en oeuvre des décisions de celui-ci a déjà été examiné (paragraphes 600 à 607 du présent arrêt) comme n'étant pas de nature à justifier une exonération de toute responsabilité des OP. Pour les mêmes motifs, cet argument n'est pas davantage de nature à justifier une réduction du montant de leur sanction.

705. En deuxième lieu, il convient également de rappeler que l'argument relatif au rôle de « franc-tireur » de la société Fraileg a déjà été examiné (paragraphes 615 à 624 du présent arrêt) comme n'étant pas, non plus, de nature à justifier une exonération de toute responsabilité de cette OP, mais a été pris en compte à juste titre par l'Autorité, en tant que circonstance atténuante, pour réduire la proportion du montant de base de la sanction qui lui a été infligée.

706. En troisième lieu, il est utile de rappeler que l'argument portant sur le prétendu encouragement des pouvoirs publics à commettre les pratiques n'est pas fondé, en raison des mises en garde répétées de la DDCCRF et de la DGCCRF.

707. En quatrième lieu, force est de constater que le regroupement des producteurs d'endives « Perle du Nord » dans une structure commune reconnue comme AOP de commercialisation (la société Groupe Perle du Nord),s'il participe d'une démarche constructive combinant la concentration de l'offre et la valorisation des produits, ne suffit pas, en tant que tel, à justifier une réduction du montant de base de la sanction. En effet, comme le relève à juste titre l'Autorité dans ses observations, l'aboutissement de cette nouvelle configuration, le 1er décembre 2009, n'a pas empêché la société Groupe Perle du Nord et les sociétés CAP'Endives et autres de poursuivre leur participation directe à l'entente par le biais du système Infocl@r, et ce jusqu'au 6 mars 2012.

708. En cinquième lieu, c'est à juste titre que l'Autorité, tirant les conséquences du choix qu'elle a fait de retenir comme assiette le chiffre d'affaires total des sociétés en cause et des contraintes inhérentes au respect des principes de proportionnalité et d'individualisation de la sanction, a décidé, pour refléter le poids des opérateurs sur le marché en cause, de réduire le pourcentage du chiffre d'affaires des OP diversifiées et de leur appliquer un même taux de réduction, sans moduler plus précisément celui-ci en fonction de leurs parts respectives de chiffre d'affaires spécifiques aux endives. En effet, en l'espèce, la prise en compte globale du caractère d'entreprise multi-produits constitue un correctif suffisant, de nature à concilier l'exigence d'individualisation et de proportionnalité des sanctions avec l'objectif consistant à assurer leur caractère dissuasif. C'est également à juste titre qu'ayant retenu une autre assiette que celle de la valeur des ventes d'endives, l'Autorité a décidé de ne pas appliquer de taux de réduction en faveur de la société Fraileg, s'agissant d'une entreprise monoproduit.

709. En sixième lieu, comme l'a rappelé à juste titre l'Autorité dans ses observations, en se fondant sur un arrêt de la Cour de cassation (Com., 29 mars 2011, pourvoi n° 10-12. 913), les éventuelles difficultés du secteur concerné par les pratiques ne figurant pas parmi les critères énumérés par l'article L.464-2 du code de commerce, seules les difficultés rencontrées individuellement par les entreprises peuvent être prises en compte dans le calcul de la sanction. Dans le même sens, le communiqué sanctions indique, en son paragraphe 62, que « si les éventuelles difficultés générales du secteur concerné par les infractions ne figurent pas parmi les critères énumérés à l'article L.464-2 du code de commerce, les difficultés rencontrées individuellement par les entreprises ou organismes peuvent être prises en compte dans le cadre de la détermination de leur sanction, si celles-ci rapportent la preuve,chacun en ce qui les concerne, de leurs difficultés contributives ». Dès lors, contrairement à ce que suggèrent les sociétés Fraileg et Prim'Santerre, les difficultés financières alléguées ne sauraient, en tant que telles, justifier une réduction du montant de base, les entités en cause devant à cet effet rapporter la preuve de difficultés particulières affectant leur capacité contributive, ce qui sera examiné ultérieurement au stade des ajustements finaux.

710. Eu égard, premièrement, à la gravité relative des pratiques, tenant notamment aux incertitudes quant au cadre normatif applicable, insuffisamment prises en compte par l'Autorité, deuxièmement, à la faible importance du dommage à l'économie, troisièmement, à la durée et au degré de participation individuelle des entités en cause et, quatrièmement, aux autres circonstances individuelles pertinentes précédemment indiquées, la Cour réforme et fixe, avant ajustements finaux, le montant de base des sanctions pécuniaires de la manière suivante :

Primacoop

445 951 euros

Marché de Phalempin

395 646 euros

Prim'Santerre

243 491 euros

Fraileg

216 008 euros

France Endives (devenue Natur'Coop) 195 811 euros

Valois-Fruits

113 701 euros

Sipema

83 900 euros

CAP'Endives

51 904 euros

Groupe Perle du Nord

2 869 euros

b) Concernant les organismes collectifs

i) Sur la méthode retenue

711. Le Celfnord et l'APEF, laquelle vient aux droits de la SNE et de la FCE, soutiennent que l'Autorité n'a pas suivi la méthode exposée au paragraphe 21 de son communiqué sanctions, en ne distinguant pas le montant de base (résultant de l'appréciation de l'importance du dommage à l'économie et de la gravité des faits) du montant ajusté au titre de l'individualisation de la sanction. Ces organismes font valoir en ce sens que la décision attaquée, en ses paragraphes 703, 710, 735 et 747, ne précise pas quel est le montant de base et fixe directement le montant final de la sanction, pour chacune des entités en cause, ce qui manque de transparence et et nuit aux droits de la défense, dans la mesure où ce procédé ne permet pas de vérifier que les différents éléments d'individualisation ont été pris en compte à leur juste importance. Ils en déduisent que l'Autorité n'a respecté ni la méthode de détermination des sanctions prévue par son propre communiqué, qui lui est opposable, ni les exigences d'individualisation et de motivation des sanctions.

712. L'Autorité fait valoir que la décision attaquée (paragraphes 603 à 606) est transparente et motivée sur le choix de l'assiette de la sanction des OP.

Sur ce, la Cour,

713. Le paragraphe 21 du communiqué sanctions indique :

« La méthode suivie en pratique par l'Autorité pour mettre en oeuvre ces critères [ceux fixés par l'article L.464-2, troisième alinéa, précité] au cas par cas, dans l'ordre prévu par le code de commerce, est la suivante. L'Autorité détermine d'abord le montant de base de la sanction pécuniaire pour chaque entreprise ou organisme en cause, en considération de la gravité des faits et de l'importance du dommage à l'économie, critères qui concernent tous deux l'infraction ou les infractions en cause (A). Ce montant de base est ensuite adapté pour prendre en considération les éléments propres au comportement et à la situation individuelle de chaque entreprise ou organisme en cause, à l'exception de la réitération dont la loi a fait un critère autonome (B). Il est augmenté par la suite, pour chaque entrepris ou organisme concerné, en cas de réitération (C). Le montant ainsi obtenu est comparé au maximum légal, avant d'être réduit pour tenir compte, le cas échéant, de la clémence et de la non-contestation des griefs, puis ajusté, lorsqu'il y a lieu, au vu de la capacité contributive de l'entreprise ou de l'organisme qui en a fait la demande (D) ».

714. S'agissant de la détermination du montant de base, comme cela a déjà été indiqué, le paragraphe 23 du communiqué sanctions précise : « Pour donner une traduction chiffrée à son appréciation de la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie, l'Autorité retient, comme montant de base de la sanction pécuniaire, une proportion de la valeur des ventes, réalisées par chaque entreprise ou organisme en cause, de produits ou de services en relation avec l'infraction (...) [La valeur des ventes] est donc retenue par l'Autorité (...) de préférence au chiffre d'affaires total de chaque entreprise ou organisme en cause, qui peut ne pas être en rapport avec l'ampleur de ces infractions et le poids relatif de chaque participant sur le(s) secteurs (s) ou marché (s) concerné (s) » (souligné par la Cour).

715. Dans le même sens, le paragraphe 24 du communiqué sanctions indique :

« Si la valeur de ces ventes est donc prise comme référence pour déterminer, dans un premier temps, le montant de base de la sanction pécuniaire en fonction de la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie, elle ne doit pas revêtir une importance disproportionnée par rapport à d'autres éléments à prendre en considération pour en fixer le montant définitif. Parmi ceux-ci figure en particulier le chiffre d'affaires total de l'organisme ou de l'entreprise en cause (...). C'est la raison pour laquelle l'Autorité tient notamment compte de cet élément, ainsi que, le cas échéant, du chiffre d'affaires total du groupe auquel appartient l'entreprise en cause, lorsqu'elle module, dans un second temps, le montant de base en fonction des autres critères prévus par le code de commerce » (souligné par la Cour).

716. Par ailleurs, le paragraphe 7 du communiqué sanctions prévoit que l'Autorité peut s'écarter de la méthode générale qui y est indiquée à condition d'expliquer, dans la motivation de sa décision, les circonstances particulières ou les raisons d'intérêt général la conduisant à s'en écarter dans un cas donné.

717. En l'espèce, pour déterminer le montant des sanctions infligées aux organismes collectifs (autres que les OP ou sociétés), l'Autorité, dans la décision attaquée (paragraphe 700), est partie du constat selon lequel :

« (...) en tant que comité économique agricole ou AOP (le CELFNORD, le CERAFEL et l'APEF), association ou organisation professionnelle (la FCE et la SNE) et syndicat agricole (la FNPE et l'APVE), les organismes en cause ne disposent pas d'un chiffre d'affaires ou de ventes liées à la production et à la commercialisation d'endives ».

718. Elle en a déduit (décision attaquée, paragraphe 701) :

« Dans ces conditions, pour donner une traduction chiffrée à l'appréciation qu'elle portera sur les différents paramètres prévus par le code de commerce, l'Autorité retiendra comme assiette, pour la détermination du montant de base de la sanction pécuniaire imposée à chacun des intéressés, le montant des cotisations professionnelles perçus au titre de la défense des intérêts des producteurs d'endives, dans la mesure où ces organismes ont fourni des états financiers suffisamment précis pour permettre une identification des cotisations en question ».

719. L'Autorité s'est ainsi écartée de la méthode de calcul indiquée aux paragraphes 21, 23 et 24 de son communiqué sanctions et en a expliqué les raisons (eu égard aux circonstances particulières de l'espèce, les entités en cause ne disposant ni de valeur des ventes liées à la production et à la commercialisation des endives, ni de chiffre d'affaires), lui permettant de retenir comme assiette de calcul des sanctions pécuniaires infligées aux organismes collectifs une assiette différente de celle habituellement retenue (à défaut de ventes réalisées par lesdits organismes) ou de celle retenue au cas présent pour les OP ou sociétés (en l'absence de tout chiffre d'afffaires total hors taxes réalisé en France).

720. Ayant ainsi indiqué, conformément au paragraphe 7 du communiqué sanctions, les raisons pour lesquelles elle a été conduite à s'écarter en l'espèce de la méthode générale décrite dans ce document, c'est en vain que le Celfnord et l'APEF reprochent à l'Autorité de ne pas avoir suivi scrupuleusement chacune des étapes qu'il mentionne et d'avoir en conséquence manqué aux exigences d'individualisation et de motivation des sanctions.

721. En outre, la Cour relève que l'Autorité, dans la décision attaquée (paragraphes 703, 710, 716, 717, 735, 741 et 747), a motivé le montant retenu au regard :

- d'une part, de la gravité des faits et de l'importance du dommage à l'économie, en renvoyant expressément à l'appréciation développée sur ces deux aspects aux paragraphes 611, 612, 618 à 633 et ;

- d'autre part, de la situation individuelle des organismes collectifs en cause, en renvoyant précisément aux éléments décrits aux paragraphes 702, 707,709, 715 et 732, 735, 739 et 740, 745 et 746, ce qui permet de vérifier que les différents éléments d'individualisation invoqués ont été examinés.

722. Il convient donc de rejeter le moyen.

ii) Sur la prise en compte des circonstances atténuantes et d'autres éléments d'individualisation

723. Le Celfnord et l'APEF (laquelle vient aux droits de la SNE et de la FCE) soutiennent, en premier lieu, que l'Autorité n'a pas pris en compte, à titre de circonstances atténuantes, ni l'encouragement des pratiques par les pouvoirs publics et la bonne foi des parties, ni le caractère évolutif et complexe du cadre réglementaire, ni les graves difficultés économiques traversées par le secteur des endives. Sur les deux premiers points, ces entités font valoir les mêmes arguments que ceux déjà invoqués afin de tempérer la gravité des pratiques. Sur le dernier point, elles expliquent que, pendant la période concernée par les pratiques et jusqu'à ce jour, le secteur endivier, comme le secteur des fruits et légumes en général, a été confronté à une réduction importante de la production et du nombre de producteurs, touchant plus particulièrement une région du Nord déjà affectée par le chômage et la précarité, ce qui a justifié l'élaboration par les pouvoirs publics d'un plan de sortie de crise pour la filière des fruits et légumes, présenté en septembre 2011. Elles estiment que l'Autorité n'a pas pris en compte l'impact de la crise du secteur endivier sur leur situation individuelle, alors qu'ayant vocation à rassembler l'ensemble des acteurs du secteur, elles sont nécessairement impactées, la baisse du nombre de productions se traduisant par celle des adhérents et la réduction du volume de production et de chiffre d'affaires par celle des cotisations.

724. En deuxième lieu, sont successivement invoquées, premièrement, la cessation des pratiques par l'APEF dès janvier 2009 (du fait de la disparition de sa section dite SOMO), ce qui justifierait de ne pas lui infliger de sanction, deuxièmement, la cessation volontaire et définitive de toute activité de la SNE (depuis 2010) et de la FCE (depuis 2011), ce qui justifierait également l'absence de prononcé de sanction à leur encontre ou, du moins, la réduction de leur montant et, troisièmement, la faible activité du Celfnord (depuis la perte de son agrément, cette entité se bornant à gérer les litiges sur les impayés de cotisations des années antérieures), ce qui justifierait également une réduction du montant de la sanction afin d'assurer son caractère proportionné.

725. En troisième lieu, sont contestés les éléments individuels sur lesquels l'Autorité s'est fondée en ce qui concerne le Celfnord, la SNE, la FCE et l'APEF. S'agissant du Celfnord et de la SNE, il est soutenu que la décision attaquée ne pouvait s'appuyer sur leur rôle de coordination sur une longue période, seules les initiatives qui seraient sorties du cadre autorisé par la réglementation, et non la continuité de son action, ne pouvant leur être reprochés, d'autant que la marge de manoeuvre qui leur était consentie à l'époque par les pouvoirs publics était plus large qu'aujourd'hui du fait des évolutions réglementaires progressives. S'agissant de la FCE, est mis en avant son faible degré d'implication. Quant à l'APEF, elle conteste être l'auteur des actions conduites au sein de la SOMO, ces dernières procédant d'une initiative volontaire mise en oeuvre par certains de ses membres et prétend qu'elles ont été mises en oeuvre pour une durée et des volumes anecdotiques.

726. En réponse, l'Autorité rappelle, en premier lieu, avoir pleinement pris en compte l'impact de la crise du secteur de l'endive, dans tous les cas où il était démontré que celle-ci avait eu des répercussions sur la situation individuelle des parties, dans le cadre de l'examen de leur capacité contributive respective.

727. En deuxième lieu, elle observe que les considérations relatives à la cessation d'activité d'une entreprise ou d'un organisme au cours de l'infraction relèvent de l'appréciation de la durée de la participation individuelle aux pratiques des entités sanctionnées.

728. En troisième lieu, elle estime que la FCE n'est pas fondée à obtenir une réduction du montant de base de la sanction au titre de son prétendu rôle passif et résiduel dans la commission de l'infraction, la décision ayant démontré que cette entité avait contribué activement à la mise en oeuvre de certaines pratiques.

Sur ce, la Cour,

729. En premier lieu, s'agissant de l'impact allégué de la crise du secteur endivier sur la situation individuelle des organismes en cause, il y a lieu de renvoyer à ce qui a déjà été indiqué précédemment (paragraphe 709 du présent arrêt), qui est applicable à l'ensemble des entités en cause.

730. En deuxième lieu, s'agissant de l'argument tiré de la prétendue cessation des pratiques par l'APEF dès janvier 2009, en raison de la disparition de sa section SOMO, force est de constater qu'il est inopérant comme manquant en fait dès lors qu'il est établi que l'APEF a poursuivi, après janvier 2009, sa participation directe à l'entente par le biais du système Infocl@r, et ce jusqu'au 6 mars 2012.

731. En troisième lieu, s'agissant de l'argument tiré de la cessation d'activités de la SNE et de la FCE, il convient de relever que cette circonstance n'est pas de nature à justifier l'absence de prononcé de toute sanction. Quant au Celfnord, qui connaît une réduction de son activité, la Cour appréciera sa faculté contributive dans les développements qui suivent.

732. En quatrième lieu, les circonstances propres à chaque entité, justement prises en compte par l'Autorité pour établir leur degré d'implication, sont établies par les éléments décrits dans les développements qui précèdent sur la matérialité, le périmètre et la portée des pratiques en cause, ainsi que sur la participation individuelle des entités à l'entente, de sorte que les critiques, de nouveau formulées par le Celfnord, la SNE, la FCE et l'APEF au stade de la détermination de la sanction, ne peuvent qu'être rejetées.

733. Il convient donc de rejeter le moyen.

iii) Sur la prise en compte de la circonstance aggravante de réitération

734. Aux paragraphes 718 à 732 de la décision attaquée, l'Autorité a retenu que le Cérafel était en situation de réitération pour avoir été sanctionné par le Conseil de la concurrence, dans une décision n° 05-D-10, devenue définitive, pour des pratiques mises en oeuvre sur le marché du chou-fleur en Bretagne, et a appliqué, à ce titre, une majoration de 25% du montant de la sanction qui lui a été infligée.

735. Le Cérafel conteste l'existence d'une situation de réitération, faute d'identité ou de similitude des pratiques. Il fait valoir que les pratiques précédemment sanctionnées n'avaient ni le même objet, ni le même effet, s'agissant d'une entente verticale, et non horizontale, ayant pour objet le contrôle de l'accès au marché, avec un effet d'éviction, et non la fixation de prix, sans effet d'éviction.

736. L'Autorité rappelle que, par la décision de 2005 précitée, le Cérafel a été sanctionné pour avoir fixé des conditions abusives d'accès au « marché au cadran » du chou-fleur en Bretagne, ainsi que pour avoir mis en place un système de gestion de la quantité de chou-fleur subventionnée impliquant, entre autres, la fixation d'un prix artificiel et un contrôle des débouchés permettant de sélectionner les acheteurs selon des critères arbitraires et discriminatoires, en violation de l'article 81, paragraphe 1, du TCE (devenu l'article 101, paragraphe 1, du TFUE) et de l'article L.420-1 du code de commerce. Elle en déduit que ces pratiques et celles en cause en l'espèce ont poursuivi un objet anticoncurrentiel commun consistant à soustraire certains marchés au cadran breton au jeu de la libre concurrence, en faisant obstacle à la fixation libre des prix et en mettant en place un certain nombre de pratiques connexes.

737. Le ministre chargé de l'économie estime que la circonstance aggravante de réitération retenue à l'encontre du Cerafel est justifiée, en raison de la similitude des pratiques,s'agissant de pratiques d'entente ayant un même objet ou effet anticoncurrentiel.

Sur ce, la Cour,

738. L'article L.464-2, I, du code de commerce prévoit que les sanctions pécuniaires sont également proportionnées à l'éventuelle réitération des pratiques prohibées.

739. Comme l'indique le paragraphe 50 du communiqué sanctions, la réitération est une circonstance aggravante qui, compte tenu de son importance particulière, doit faire l'objet d'une prise en compte autonome, de manière à apporter une réponse proportionnée, en termes de répression et de dissuasion, à la propension de l'entreprise ou de l'organisme concerné à s'affranchir des règles de concurrence, l'existence même d'une situation de réitération démontrant que le précédent constat d'infraction et la sanction pécuniaire dont il a pu être assorti n'ont pas suffi à conduire l'intéressé à respecter les règles de concurrence.

740. Il importe donc de vérifier si tel est le cas en l'espèce, au regard de la décision n° 05-D-10 du 15 mars 2005, du Conseil de la concurrence, relative à des pratiques mises oeuvre sur le marché du chou-fleur de Bretagne.

741. À cet égard, il convient de constater que, si les pratiques en cause en l'espèce répondent à la même qualification d'entente que celles ayant donné lieu, dans la décision précitée, au précédent constat d'infraction, toutefois les particularités de l'espèce ne permettent pas de caractériser la propension du Cérafel à s'affranchir des règles de concurrence.

742. En effet, la décision de 2005 précitée n'était pas de nature à mettre le Cérafel en mesure de savoir précisément si les pratiques en cause, qui soulevaient des questions nouvelles d'articulation entre les règles de la PAC et le droit de la concurrence, non examinées en 2005, relevaient du champ d'application des règles de concurrence et, partant, si elles étaient prohibées. Comme cela a déjà été indiqué, la question de l'articulation entre les règles de la PAC et de la concurrence est demeurée source d'incertitudes, jusqu'à ce que la Cour de justice, saisie par la Cour de cassation, rende son arrêt, le 14 novembre 2017, soit quelques mois après la fin de la durée de participation du Cérafel à l'entente. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la Cour a évalué la gravité des pratiques comme étant relative, ce qui vaut pour l'ensemble des entités en cause.

743. La circonstance aggravante de réitération étant attachée à l'objectif de dissuasion, il n'y a pas lieu, eu égard aux particularités de l'espèce, de la retenir à l'encontre du Cérafel.

744. Dès lors, il y a lieu de réformer la décision attaquée sur ce point.

745. Eu égard à la gravité relative des pratiques, à la faible importance du dommage à l'économie, au degré de participation individuelle des entités en cause et à sa durée telle que redéfinie par la Cour, ainsi qu'aux éléments d'individualisation précités, la Cour réforme et fixe, avant ajustements finaux, le montant des sanctions pécuniaires de la manière suivante :

Celfnord

50 000 euros

Union des endiviers (ex FNPE) 32 000 euros

Cérafel

28 000 euros

APEF

24 000 euros

SNE

2 000 euros

FCE

2 000 euros

3. Sur les difficultés financièes invoquées par les parties

a) Concernant les sociétés (les OP et l'AOP Groupe Perle du Nord)

746. Aux paragraphes 656 à 697 de la décision attaquée, l'Autorité, en application de l'article L.464-2 I, alinéa 4, du code de commerce, a vérifié que les montants des sanctions étaient inférieurs aux plafonds constitués par le chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé connu réalisé par chaque société et a constaté qu'aucun de ces montants n'excédait ces plafonds, ce qui n'est pas contesté par les parties.

747. Aux paragraphes 662 à 664 et 677 à 682, l'Autorité a ensuite examiné les difficultés financières particulières invoquées par certaines OP et a estimé qu'elles étaient établies, ce qui l'a conduite à réduire les montants des sanctions les concernant, compte tenu de leurs capacités contributives (à 83 000 euros au lieu de 648 026 euros pour la société Fraileg et à 127 000 euros au lieu de 486 983 pour la société Prim'Santerre).

748. Les sociétés Fraileg et Prim'Santerre soutiennent que l'Autorité, dans la décision attaquée, a insuffisamment pris en compte leur capacité contributive respective, eu égard à la dégradation de leur trésorerie, leurs capitaux propres étant inférieurs à 50 % de leur capital social, ainsi qu'à la faiblesse de leur résultat net, le montant des sanctions représentant ainsi plusieurs fois celui de leur résultat net. Elles allèguent que leur situation financière a peu évolué depuis 2011. La première, qui regroupe treize producteurs d'endives, fait état, pour l'exercice 2018, d'un chiffre d'affaires de 23 629 956 euros et d'un résultat net de 12 000 euros, ainsi que d'un taux d'endettement et de montants d'emprunts élevés. La seconde, qui regroupe huit producteurs d'endives, fait état, également pour l'exercice 2018, d'un chiffre d'affaires de 16 608 445 euros et d'un résultat net de 30 571 euros.

749. Elles soutiennent, en conséquence, que l'éventuelle sanction susceptible de leur être infligée ne pourrait qu'être symbolique.

750. Les sociétés CAP'Endives et autres soutiennent, en premier lieu, que l'Autorité a omis d'examiner, sans s'en expliquer dans la décision attaquée, les éléments qu'elles avaient produites concernant leurs difficultés contributives. Elles estiment qu'il ne peut leur être reproché a posteriori un dépôt tardif de ces éléments, le communiqué sanctions (paragraphes 65 et 66) prévoyant une procédure en deux temps, par laquelle celui qui se prévaut de difficultés financières particulières peut en justifier par des observations distinctes de celles en faisant simplement état en réponse au rapport, d'autant qu'en l'espèce ces éléments justificatifs ont été produits plusieurs jours avec la scéance et non la veille. Leur situation individuelle n'ayant pas été prise en compte, sans raison objective, contrairement à celles des autres OP, elles en déduisent que l'Autorité a violé le principe d'égalité de traitement et de non-discrimination.

751. Elles font valoir, en second lieu, que les OP reversant aux producteurs qui en sont membres le montant des ventes qu'elles réalisent, elles disposent d'une trésorerie fluctuante et ne peuvent ni constituer de réserves disponibles ni contraindre les producteurs à participer au paiement des sanctions qui leur sont infligées. Elles rappelent que le premier président de la cour d'appel de Paris, par une ordonnance du 26 juin 2012, a constaté l'existence de difficultés de nature à justifier le sursis à exécution de la décision attaquée en ce qui les concerne. Elles précisent que, depuis cette ordonnance, ces difficultés se sont aggravées pour les sociétés Primacoop et CAP'Endives dans la mesure où, au 31 août 2019, le passif exigible de la première s'élève à 4 745 035 euros tandis que son actif disponible n'est que de 5 270 380 euros, avec une faible capacité emprunt, et qu'au 30 juin 2019, le passif exigible de la seconde est de 2 234 426 euros tandis que son actif disponible est limité à 2 106 982 euros, de sorte que le solde est négatif de 127 444 euros. L'ensemble des OP regroupées par la société Groupe Perle du Nord, ainsi que cette dernière, demandent une réduction de leur éventuelle sanction à un montant symbolique.

752. L'Autorité, en premier lieu, s'agissant des sociétés Fraileg et Prim'Santerre, rappelle que les éléments présentés par ces OP quant à leur capacité contributive ont déjà conduit à une réduction significative du montant de la sanction qui leur a été infligée. Elle observe en outre que leur situation financière s'est améliorée par rapport à celle constatée en 2012 (lors du prononcé de la décision attaquée), le chiffre d'affaires de la société Fraileg étant passé de 19 233 990 euros en 2011 à 23 799 860 euros en 2017, tandis que celui de la société Prim'Santerre est passé de 11 186 022 euros en 2011 à 16 308 445 en 2018.

753. En deuxième lieu, s'agissant des sociétés CAP'Endives et autres, elle conteste tout d'abord l'existence d'une prétendue irrégularité de procédure, les observations faisant état de leurs difficultés financières ne lui ayant été transmises que la veille de la séance, alors que les difficultés invoquées n'étaient pas nouvelles et auraient donc pu être indiquées plus tôt, dans leurs observations en réponse au rapport.

754. Le ministre chargé de l'économie, en premier lieu, s'agissant des sociétés Fraileg et Prim'Santerre, observe qu'en dépit d'une légère amélioration de leur situation depuis 2011, leur fragilité reste avérée puisque la première a réalisé un résultat nul en 2017 et que les comptes de la seconde au titre de l'exercice 2018 font apparaître un bénéfice net de 30 575 euros.

755. En second lieu, s'agissant des sociétés CAP'Endives et autres et Groupe Perle du Nord, il précise que ces OP doivent rembourser des aides d'État dénommées « plans de campagnes », versées entre 1998 et 2002, celles-ci ayant été déclarées incompatibles avec le marché commun par décision de la Commission européenne du 28 janvier 2009, contre laquelle un recours non suspensif a été formé par le gouvernement français et a été accompagnée de l'octroi par celle-ci de reports de délais de paiement mais qui ont manifestement pris fin la DGPAAT leur ayant indiqué le 16 décembre 2011 le montant des sommes dont elles devaient s'acquitter à ce titre. Il relève qu'à l'époque de la décision attaquée, leur situation était proche de la cessation des paiements, le commissaire aux comptes ayant déclenché la procédure d'alerte pour CAP'Endives, Primacoop et Valois-fruits en mars et avril 2012 et envisagé cette procédure pour Sipema, France Endives et Marché de Phalempin.

Sur ce, la Cour,

756. À titre liminaire, il convient de rappeler que, comme l'indique le paragraphe 65 du communiqué sanctions, il appartient à l'entreprise de justifier l'existence de ses difficultés financières en s'appuyant sur des preuves fiables, complètes et objectives, attestant de leur réalité et de leurs conséquences concrètes sur sa capacité contributive. Si la situation de ladite entreprise est appréciée par l'Autorité au jour de sa prise de décision, en cas de recours contre cette décision, la Cour l'apprécie en revanche à la date à laquelle elle statue.

757. Il ressort de l'examen des pièces produites devant la Cour, notamment des bilans et comptes de résultat au titre de l'exercice 2018 ou de l'exercice clos soit le 30 juin soit le 31 août 2019, que les sociétés Frailag, Prim'Santerre, Primacoop et CAP'Endives, attestent de l'existence de réelles difficultés financières, affectant leur capacité contributive, et justifiant à ce titre une réduction du montant des sanctions infligées, qui ne saurait toutefois être rabaissé à un montant symbolique.

758. Il en va ainsi eu égard, en particulier, au niveau des capitaux propres par rapport au capital social, au montant des créances clients par rapport à celui des dettes fournisseurs, au montant du résultat courant avant impôts et aux éventuelles échéances de remboursement d'emprunt.

759. Le montant des sanctions sera ramené à conséquence à :

Fraileg

25 000 euros

Prim'Santerre 65 000 euros

Primacoop

100 000 euros

CAP'Endives 40 000 euros

760. Quant aux autres sociétés, si elles rappellent avoir rencontré des difficultés financières particulières ayant justifié le sursis à exécution de la décision attaquée par une ordonnance du délégué du premier président du 26 juin 2012 (RG n° 12/08906), elles ne produisent aucun élément d'actualisation de leur situation individuelle.

761. En outre, les spécificités alléguées quant au caractère fluctuant de leur trésorerie et à l'impossibilité de constituer des réserves disponibles ne sont pas suffisantes, à elles seules, en l'absence d'éléments actualisés de leur situation individuelle, pour caractériser l'existence de difficultés particulières de nature à les empêcher de s'acquitter, en tout ou en partie, des sanctions pécuniaires qui leur sont infligées.

762. Par ailleurs, comme cela a déjà été indiqué, la circonstance selon laquelle la filière endivière s'est trouvée confrontée à une crise importante ne saurait, en tant que telles, justifier une réduction du montant de base, les entités en cause devant à cet effet rapporter la preuve de difficultés particulières affectant leur propre capacité contributive.

763. Dès lors, le montant des sanctions infligées aux sociétés Sipema, Marché de Phalempin, Natur'Coop, Groupe Perle du Nord resteront fixées au montant fixé précédemment par la Cour, à savoir :

Marché de Phalempin

395 646 euros

France Endives (devenue Natur'Coop) 195 811 euros

Valois-fruits

113 701 euros

Sipema

83 900 euros

Groupe Perle du Nord

2 869 euros

b) Concernant les organismes collectifs

764. Aux paragraphes 702 à 748 de la décision attaquée, l'Autorité a examiné les difficultés financières particulières invoquées par certains organismes collectifs (notamment, l'APEF, le Cefnord, et la FNPE) et n'a réduit à ce titre le montant des sanctions que pour l'un d'entre eux, la FCE. En conséquence, elle a infligé les sanctions suivantes :

- 100 000 euros à l'encontre du Celfnord ;

- 80 000 à l'encontre de la FNPE ;

- 75 000 euros à l'encontre du Cérafel ;

- 50 000 euros à l'encontre de l'APEF.

- 5 000 euros à l'encontre de la FCE ;

- 5 000 euros à l'encontre de la SNE.

765. Le Celfnord et l'APEF contestent l'absence de réduction du montant des sanctions au titre de leur capacité contributive respective et soutiennent qu'il convient de prendre en compte, dans l'appréciation des capacités contributives des parties, les sommes à restituer au titre des aides d'État « plans de campagne ».

766. Le Celfnord soutient, plus spécifiquement, que l'Autorité n'a pas tiré les conséquences de ses difficultés financières, alors qu'elle a constaté l'existence de pertes conséquentes en 2009 et 2010 à la suite de la perte de son agrément et de la poursuite de son activité par l'APEF, et qu'elle s'est fondée à tort sur l'existence d'excédents de trésorerie au cours des derniers exercices dans la mesure où ces excédents, qui s'élèvaient à 50 000 euros, ne proviennent pas de la section dédiée aux endives mais de sections autonomes concernant d'autres fruits et légumes. Il fait également valoir qu'en raison de la sanction de 100 000 euros qui lui a été infligée, son commissaire aux comptes a, dès le 3 avril 2012, dû engager une procédure d'alerte en phase 1, son niveau de trésorerie risquant d'être insuffisant compte tenu de la mise en recouvrement de cette somme.

767. L'APEF soutient que l'Autorité a surestimé ses ressources, en intégrant le produit des ventes de semences et d'emballages, et, en conséquence, sous-estimé ses difficultés financières. Elle explique que la dégradation de sa trésorerie la contraint à solliciter régulièrement auprès de sa banque des avances sur trésorerie pour des montants importants, induisant des découverts conséquents, qu'elle doit, en outre, faire face à des refus de subventions alors que ces dernières constituent habituellement une source non négligeable de financement, ainsi qu'à un contentieux pour défaut de paiement de cotisations, et qu'au surplus, un appel à cotisations exceptionnel auprès de ses adhérents, pour régler la sanction, aggraverait leur situation financière déjà critique, ceux-ci étant déjà lourdement sanctionnés.

768. L'Union des endiviers conteste l'appréciation de l'Autorité, dans la décision attaquée, selon laquelle les éléments transmis par la FNPE, laquelle invoquait des difficultés financières particulières, conduisent à constater que le montant de la sanction pécuniaire, fixé à 80 000 euros, ne met pas en péril la viabilité du syndicat. Elle explique que la situation du syndicat a évolué de manière significative depuis le 1er juillet 2009, date à laquelle celui-ci a cessé son activité technique liée à la recherche et à l'expérimentation, reprise par l'APEF, et s'est ainsi consacré à son activité purement syndicale, ce qui l'a privé du bénéfice des subventions qui étaient attachées à son activité technique, ainsi que des cotisations obligatoires par extension de règles, de sorte que ses ressources se limitent depuis désormais aux cotisations de ses seuls adhérents, ce qui ne lui permet pas de couvrir ses charges, nonobstant leur réduction, et l'a conduite à puiser dans ses réserves, en réduisant les valeurs mobilières de placement qui lui avaient été en partie confiées par des syndicats de producteurs d'endives à l'échelle départementale ou interdépartementale.

769. L'Autorité observe, en premier lieu, que le Celfnord et l'APEF n'ont pas versé d'éléments chiffrés actualisés. S'agissant plus spécifiquement du Celfnord, elle soutient qu'il n'y a pas lieu, lors de l'examen des capactités contributives, de s'en tenir aux seules ressources prétenduement liées aux produits en relation avec l'infraction. S'agissant de l'APEF, elle conteste l'existence d'une prétendue surévaluation de ses ressources et fait valoir qu'un appel à cotisations exceptionnel auprès de ses membres ne serait pas de nature à en alourdir exagérément la charge.

770. En deuxième lieu, s'agissant de l'Union des endiviers, l'Autorité estime que, même en s'acquittant au comptant du montant de la sanction qui lui a été infligée, son actif disponible demeurera positif, peu important qu'elle doive puiser dans ses valeurs mobilières de placement, outre la possibilité pour ce syndicat de faire un appel à cotisations en vue d'assurer le paiement de la sanction.

771. Le ministre chargé de l'économie rappelle les différents éléments dont se prévalent les organismes collectifs en cause et estime que la dégradation financière des parties, qui a justifié le sursis au paiement des sanctions, ne peut que renforcer l'appréciation qui avait été développée à l'époque par la rapporteure auprès de l'Autorité, dans son rapport, ainsi que par le commissaire du gouvernement, dans ses observations écrites et orales, selon laquelle la situation qui se présente dans le présent dossier est celle envisagée par le paragraphe 66 du communiqué sanctions aux termes duquel « l'Autorité peut imposer une sanction pécuniaire symbolique dans certains cas particuliers, celle d'une entreprise unipersonnelle ou d'une association régie par la loi de 1901 n'ayant la capacité de mobiliser que de faibles ressources ».

Sur ce, la Cour,

772. Comme cela a déjà été indiqué, si la situation financière des mis en cause est appréciée par l'Autorité au jour de sa prise de décision, en cas de recours contre cette décision, la Cour apprécie celle-ci à la date à laquelle elle statue. Il s'ensuit qu'il appartient à ceux qui invoquent l'existence de difficultés financières particulières, afin de bénéficier d'une réduction du montant de leur sanction au titre de leur capacité contributive, de produire en ce sens des éléments actualisés.

773. En l'espèce, en premier lieu, ni le Celfnord, ni l'APEF ne produisent d'éléments actualisés sur leur situation financière, ce qui ne met pas la Cour en mesure d'apprécier de manière suffisamment précise leur capacité contributive réelle et actuelle. Dès lors, il y a lieu de rejeter leur demande de réduction de sanction à ce titre, étant rappelé que la Cour a déjà réduit de manière substantielle le montant des sanctions infligées à leur encontre par l'Autorité dans la décision attaquée.

774. En deuxième lieu, s'agissant de l'Union des endiviers, il ressort de l'examen des pièces qu'il a produites devant la Cour, notamment de son bilan et compte de résultat au titre de l'exercice 2018, que, s'il dispose d'un faible montant de disponibilités, il est néamoins en mesure de mobiliser des valeurs mobilières de placement dont le montant significatif demeure constant depuis 2015, comme en attestent les bilans correspondants. Il n'y a donc pas lieu de réduire davantage le montant de la sanction qui lui a été infligée, lequel a déjà été ramené par la Cour de 80 000 euros à 32 000 euros.

775. Dès lors, le montant précédemment fixé par la Cour pour les sanctions infligées aux organismes collectifs restera fixé comme suit :

le Celfnord

50 000 euros

l'Union des endiviers 32 000 euros

le Cérafel

28 000 euros

l'APEF

24 000 euros

SNE

2 000 euros

FCE

2 000 euros

4. Sur l'injonction relative au système Infocl@r

776. Au paragraphe 750 de la décision attaquée, l'Autorité, partant du constat que le système Infocl@r était toujours opérationnel, a enjoint à ses responsables, dans l'hypothèse où ceux-ci souhaiteraient maintenir des échanges d'informations entre producteurs ou organismes de producteurs concurrents, de modifier ledit système pour rendre ces échanges compatibles avec les règles de concurrence.

777. Au paragraphe 751, l'Autorité a indiqué que ce système devra être modifié « afin qu'il se limite :

- à enregistrer des données passées, anonymes et suffisamment agréées pour exclure toute identification des opérateurs ;

- à diffuser des informations en matière de coûts ou de prix sous forme de mercuriales ou d'indices statistiques ».

778. Au paragraphe 752, elle a ajouté que « toute utilisation du système Infocl@r en vue d'assurer un contrôle des prix et du volume des produis vendus est à proscrire ».

779. Enfin, elle a imposé à l'APEF l'obligation de rendre compte de l'exécution de ces mesures.

780. Le Celfnord et l'APEF soutiennent que les modifications attendues par l'Autorité ne sont pas suffisamment précises dans la mesure où :

- d'une part, la Charte de fonctionnement d'Infocl@r comportait déjà les garanties nécessaires à l'anonymat, la confidentialité et l'anonymat du dispositif et ;

- d'autre part, il n'est pas indiqué si l'opération nécessitait des modifications techniques, pouvant être difficiles, ou seulement l'insertion de précisions dans la Charte Infocl@r ou tout autre document encadrant le fonctionnement du système.

781. Ces organismes font valoir que, dans ce contexte d'incertitudes, les parties se sont vues contraintes de supprimer ce système.

782. Elles demandent à la Cour, dans le dispositif de leurs conclusions, de réformer la décision attaquée sur ce point.

783. Le ministre chargé de l'économie observe que l'Autorité a longuement expliqué, dans la décision attaquée (aux paragraphes 185 à 213 puis 433 à 451), en quoi le système Infocl@r, conçu initialement comme un système sécurisé assurant la confidentialité des prix conformément à la Charte Infocl@r, avait été détourné pour assurer une surveillance des prix minima fixés collectivement et permettre la vérification de leur respect par les producteurs. Il en déduit que les organismes ne peuvent allégur une imprécision de la demande de modification.

Sur ce, la Cour,

784. Comme l'a observé à juste titre le ministre chargé de l'économie, la décision attaquée a suffisamment expliqué en quoi le système Infocl@r avait été détourné de son objectif initial.

785. Au demeurant, comme le relèvent le Celfnord et l'APEF, les responsables dudit système ont fait le choix de le supprimer, de sorte que la critique portant sur le caractère imprécis des modifications exigées dans la décision attaquée, dans l'hypothèse où ceux-ci souhaiteraient maintenir des échanges d'informations entre producteurs ou organismes de producteurs concurrents, devient sans objet.

786. Il convient donc de rejeter ce moyen.

5. Sur l'injonction de publication de la décision attaquée et les demandes de publication relatives au présent arrêt

787. Au paragraphe 754 de la décision attaquée, l'Autorité a ordonné, sur le fondement de l'article L.464-2 du code de commerce, la publication (dans les éditions du journal « la Voix du Nord » et de la revue « Le syndicat agricole »), d'ici le 1er mai 2012, aux frais partagés des organismes et entreprises sanctionnées et au prorata de leurs sanctions pécuniaires, un résumé de sa décision figurant audit paragraphe.

788. Le Celfnord et l'APEF contestent cette injonction de publication à plusieurs titres. Ils soutiennent, tout d'abord, que le bref délai imparti pour la publication est contraire aux droits de la défense en ce qu'il interdit en pratique l'exercice d'un recours en temps utile pour remettre en cause ladite injonction. Ils estiment, en outre, que le résumé de la décision dont la publication a été ordonnée manque d'objectivité dans la mesure où il ne reflète ni la réalité des pratiques, ni le contexte règlementaire particulier auquel sont soumis les parties, et contient des erreurs manifestes. Ils font enfin valoir que cette publication, alors que l'affaire été déjà médiatisée, a eu des conséquences disproportionnées en ce que, notamment, les OP membres de l'APEF ont du faire face à des réductions de garanties des organismes de crédit et à la réduction de délais de paiement de la part d'un fournisseur d'emballages.

789. L'Union des endiviers demande, dans le dispositif de ses conclusions, qui seul saisit la Cour, d'ordonner, en tout état de cause, aux frais de l'Autorité, la publication de sa décision (dans le journal « la Voix du Nord », la revue « le syndicat agricole », édition Nord-Pas de Calais ; « le Monde », « le Figaro »), ainsi que l'insertion sur le site de l'Autorité d'un communiqué de presse indiquant que la décision attaquée a été réformée ou annulée par la Cour.

790. L'Autorité relève, tout d'abord, que l'injonction de publication de sa décision, ordonnée sur le fondement de l'article L.464-2-I, alinéa 5, du code de commerce, afin d'attirer spécialement la vigilance des acteurs économiques du secteur et plus largement les consommateurs sur l'existence d'une infraction aux règles de concurrence, dans le cadre de la mission qui lui est confiée par l'article L.461-1 du même code, ne saurait être assimilée à la visibilité donnée à cette affaire par la presse générale, dans des articles qui n'engagent que leurs auteurs, ainsi que par le communiqué de presse mis en ligne sur son site Internet, lequel échappe au présent recours. Elle estime, en outre, que la publication était justifiée et proportionnée compte tenu de la nature, de l'importance et des enjeux de l'affaire, et que les parties ne mettent en lumière aucun manque d'objectivité précis de l'injonction, mais contestent en réalité le bien-fondé de la décision attaquée. L'Autorité observe, enfin, que les entreprises et les organismes sanctionnés n'ont pas été privés de la possibilité de contester utilement l'injonction de publication puisque les OP Fraileg et Prim'Santerre l'ont fait.

791. Le ministre chargé de l'économie précise que ces deux OP ont saisi le délégué du premier président de la cour d'appel de Paris d'une demande de sursis à exécution de la décision, notamment sur l'injonction de publication, lequel a accueilli leur demande dans la mesure où la publication ordonnée indiquait le montant de la sanction prononcée et était ainsi susceptible de compliquer les relations de ces deux sosiétés avec leurs fournisseurs et organismes de crédit. Il observe que, s'il n'appartient pas à l'Autorité de publier un résumé de l'arrêt à intervenir de la Cour, il appartiendra néanmoins à celle-ci d'apprécier si elle confirme l'obligation de publication enjointe par l'Autorité et, dans ce cas, si elle doit en modifier le contenu en fonction de la décision qu'elle sera amenée à rendre.

Sur ce, la Cour,

792. L'article L.464-2-I, alinéa 5, du code de commerce énonce :

« L'Autorité de la concurrence peut ordonner la publication, la diffusion ou l'affichage de sa décision ou d'un extrait de celle-ci selon les modalités qu'elle précise. Elle peut également ordonner l'insertion de la décision ou de l'extrait de celle-ci dans le rapport établi sur les opérations de l'exercice par les gérants, le conseil d'administration ou le directoire de l'entreprise. Les frais sont supportés par la personne intéressée ».

793. C'est en vain que le Celfnord et l'APEF tirent argument du bref délai attaché à l'injonction de publication et des conséquences disproportionnées de cette mesure de publication qu'ils ont exécutée, dès lors que ces organismes ont saisi le délégué du premier président de la cour d'appel de Paris d'une demande de sursis à exécution de la décision attaquée portant uniquement sur les sanctions infligées, alors qu'il leur était loisible d'étendre leur demande à l'injonction de publication, comme ont choisi de le faire avec succès les OP Fraileg et Prim'Santerre, en se prévalant des conséquences manifestement excessives qu'entraîneraient pour elles le paiement immédiat des sanctions infligées ainsi que la publication à bref délai du résumé de la décision précisant les sanctions infligées.

794. En outre, contrairement à ce que prétendent le Celfnord et l'APEF, ledit résumé reflète fidèlement la réalité des pratiques, que la Cour a retenu comme établies, et a évoqué le contexte réglementaire particulier de l'affaire en indiquant, comme le présent arrêt le rappelle, que la DGCCRF avaient alerté les acteurs de la filière endivière sur le fait que le secteur agricole n'échappait pas au droit de la concurrence.

795. Dès lors, c'est à juste titre que l'Autorité a, en application de l'article L.464-2-I, alinéa 5, du code de commerce, ordonné, notamment au Celfnord et à l'APEF, de publier un résumé de sa décision, selon les modalités qu'elle a précisé.

796. Par ailleurs, conformément à la pratique courante de l'Autorité, le présent arrêt sera mis en ligne sur son site Internet sur la page dédiée à la décision attaquée. La publication de celle-ci est donc assurée. En outre, les demandes d'annulation ont été rejetées et la réformation de la décision attaquée n'intervient pas sur le principe même de l'existence d'une infraction aux règles de concurrence et de la participation des entités en cause à celle-ci, mais essentiellement sur des points minorant le montant des sanctions pécuniaires infligées. Il n'y a donc pas lieu d'ordonner une plus ample publication de l'arrêt.

797. Dès lors, il convient d'écarter la contestation portant sur l'injonction de publication de la décision attaquée et de rejeter l'ensemble des demandes d'injonction de publication relatives au présent arrêt.

6. Sur les dépens et les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile

798. Le Celfnord et l'APEF demandent la condamnation de l'Autorité aux dépens.

799. Le Cérafel demande la condamnation de l'Autorité et du ministre chargé de l'économie au dépens, ainsi qu'à lui payer la somme de 30 000 euros autre de l'article 700 du code de procédure civile.

800. Les sociétés CAP'Endives et autres, ainsi que la société Groupe Perle du Nord, demandent la condamnation de l'Autorité à payer à chacune la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

801. Il n'est cependant pas inéquitable de laisser à chacune des sociétés et organismes collectifs la charge des frais exposés par eux à l'occasion du présent recours de sorte que les demandes à ce titre sont rejetées.

802. En outre, chaque partie gardera ses propres dépens à sa charge.

803. Par ailleurs, la Cour précise qu'en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003, le présent arrêt sera transmis à la Commission européenne.

PAR CES MOTIFS

REJETTE les demandes d'annulation de la décision n° 12-D-08 du 6 mars 2012 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la production et de la commercialisation des endives, formées par lsociétés Fraileg et Prim'Santerre, ainsi que le Comité agricole de la région du Nord (Celfnord) et l'association des producteurs d'endives de France (APEF), cette dernière déclarant agirtant en son nom personnel que venant aux droits de la section nationale endives (SNE) et de la fédération du commerce d'endives (FCE), sur le fondement du moyen pris de la violation du droit à être jugé dans un délai raisonnable ;

REJETTE les demandes d'annulation de cette décision, formées par les sociétés Fraileg et Prim'Santerre sur le fondement du moyen pris de l'imprécision du grief qui leur a été adressé ;

REJETTE les demandes d'annulation de cette décision, formées par le Comité agricole Celfnord, l'APEF, l'Union des endiviers, les sociétés Fraileg et Prim'Santerre, ainsi que les sociétés Groupe Perle du Nord, Cambressis Artois Picardie (CAP'Endives), du Marais Audomarois (Sipema), Marché de Phalempin, Natur'Coop (anciennement France Endive), et M. Bellet (En sa qualité de mandataire ad'hoc de l'Union des coopératives agricoles Valois-Fruits), sur le fondement du moyen pris de la violation des principes de la contradiction et de l'égalité des armes ;

REJETTE les demandes d'annulation de cette décision, formées par le Celfnord, l'APEF, l'Union des endiviers, les sociétés Fraileg et Prim'Santerre, ainsi que les sociétés Groupe Perle du Nord CAP'Endives, Sipema, Phalempin, Natur'Coop, et M. Bellet agissant ès qualité, sur le fondement du moyen pris de la violation du secret du délibéré ;

RÉFORME l'article 4 de la décision n° 12-D-08, mais uniquement en tant qu'il a, au titre des pratiques visées à l'article 1er, infligé les sanctions pécuniaires de :

- 50 000 euros à l'APEF ;

- 100 000 euros au Celfnord ;

- 75 000 euros au Comité économique agricole régional fruits et légumes de la région Bretagne (Cérafel) ;

- 80 000 euros à la fédération nationale des producteurs d'endives (FNPE) ;

- 103 800 euros à la société coopérative agricole Cambressis Artois Picardie (CAP'Endives) ;

- 83 000 euros à la SARL Fraileg ;

- 587 430 euros à la société coopérative agricole France Endive ;

- 1 186 930 euros à la société coopérative agricole Marché de Phalempin ;

- 891 900 euros à la société coopérative agricole Primacoop ;

- 127 000 euros à la SARL Prim'Santerre ;

- 251 700 euros à la société coopérative agricole du Marais audomarois (Sipema) ;

- 341 100 euros à la société coopérative agricole Union de coopératives agricoles Valois-Fruits ;

- 5 730 euros à la société par actions simplifiée Groupe Perle du Nord.

Statuant à nouveau,

INFLIGE, au titre des pratiques visées à l'article 1er de la décision n° 12-D-08, les sanctions pécuniaires suivantes :

- 395 646 euros à la société Marché de Phalempin SCA ;

- 195 811 euros à la société Natur'Coop SCA ;

- 113 701 euros à l'Union des coopératives agricoles Valois-Fruits, ayant pour mandataire ad hoc M. Bellet ;

- 100 000 euros à la société Primacoop SCA ;

- 83 900 euros à la société Sipema SCA ;

- 65 000 euros à la société Prim'Santerre SARL ;

- 40 000 euros à la société CAP'Endives SCA ;

- 25 000 euros à la société Fraileg SARL ;

- 2 869 euros à la société Groupe Perle du Nord SAS ;

- 50 000 euros au Comité économique fruits et légumes du Nord de la France (Celfnord) ;

- 32 000 euros à l'Union des endiviers ;

- 28 000 euros à l'association Comité économique agricole régional fruits et légumes (Cérafel) ;

- 24 000 euros à l'association des producteurs d'endives de France (APEF) ;

- 2 000 euros à la Section Nationale Endives (SNE) ;

- 2 000 euros à la Fédération du commerce de l'endive (FCE).

RAPPELLE que les sommes qui auraient été payées excédant les montants ci-dessus fixés devront être remboursées aux sociétés concernées, outre les intérêts au taux légal à compter de la notification du présent arrêt et, s'il y a lieu, capitalisation des intérêts dans les termes de l'article 1154 du code civil ;

REJETTE la demande formée par l'Union des endiviers tendant à la publication du présent arrêt dans des revues et journaux et à l'insertion sur le site de l'Autorité de la concurrence d'un communiqué de presse portant sur cet arrêt ;

REJETTE toutes autres demandes des parties ;

DIT que le présent arrêt sera transmis à la Commission européenne en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité ;

REJETTE les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile ;

DIT que chaque partie supportera ses propres dépens.