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Décisions

Cass. com., 8 mars 2017, n° 15-18.692

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rémery

Avocats :

SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, SCP Gatineau et Fattaccini

Poitiers, du 27 mars 2015

27 mars 2015

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 27 mars 2015), que la société Grimaud logistique a été mise en redressement judiciaire le 11 décembre 2002 ; que la date de cessation des paiements, provisoirement fixée au 9 décembre 2002, a été reportée au 31 décembre 2001 par un jugement du 8 janvier 2007, publié au bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (BODACC) le 9 février 2007, et confirmé par un arrêt du 9 septembre 2008 ; qu'après la conversion de la procédure en liquidation judiciaire, le liquidateur a assigné les sociétés Balspeed France et Ziegler France (les sociétés opposantes) en annulation de différents actes qu'elles avaient conclus avec la société Grimaud entre le 31 décembre 2001 et le 11 décembre 2002 ; que les deux sociétés ont, le 25 février 2013, formé tierce opposition à l'arrêt confirmant le report de la date de cessation des paiements ; que le liquidateur a opposé une fin de non-recevoir tirée de la tardiveté du recours ;

Sur le premier moyen :

Attendu que les sociétés opposantes font grief à l'arrêt de déclarer leur demande irrecevable alors, selon le moyen :

1°) qu'en application des dispositions combinées des articles 22 du décret du 27 décembre 1985 et 156 du même décret, dans leur rédaction applicable en l'espèce, toute décision relative au report de la date d'état de cessation des paiements d'un débiteur contre lequel une procédure collective a été ouverte doit faire l'objet d'une publication au BODACC ; qu'en application de ces mêmes dispositions, le délai de dix jours ouvert aux tiers concernés par cette décision pour former une tierce opposition contre celle-ci ne court pas tant que cette décision n'a pas été publiée ; qu'en décidant cependant que la décision de la cour d'appel de Poitiers du 9 septembre 2008, confirmant un jugement du tribunal de grande instance de Bressuire en date du 8 janvier 2007 ayant reporté au 31 décembre 2001 la date à laquelle la société Grimaud logistique était en état de cessation des paiements, n'avait pas à faire l'objet d'une mesure de publicité et qu'au regard des textes applicables, le délai de tierce opposition ouvert contre cette décision devait courir à compter du prononcé de cet arrêt, la cour d'appel a violé l'article 22 du décret du 27 décembre 1985, ensemble l'article 156 du même décret ;

2°) qu'aux termes de l'article 156 du décret du 27 décembre 1985, seule la publication de la décision relative au report de la date d'état de cessation des paiements fait courir le délai de tierce opposition de 10 jours ouvert aux tiers concernés par celle-ci ; qu'en refusant de tenir compte de l'absence de publication de la décision du 9 septembre 2008 au motif que « le jugement du 8 janvier 2007 reportant la date de cassation des paiements au 31 décembre 2011 a été frappé d'appel le 22 janvier 2007 soit avant la publication du jugement au BODACC le 9 février 2007, de sorte que la tierce opposition faite dans les dix jours de cette publication aurait été déclarée irrecevable en raison de l'appel portant sur le même objet », motif impropre à justifier l'irrecevabilité de la tierce opposition formée par les sociétés Ziegler et Balspeed France dès lors que la décision du 9 septembre 2008 n'avait fait l'objet d'aucune publication et que le délai de tierce opposition de 10 jours ouvert aux sociétés Ziegler France et Balspeed France n'avait dès lors pu courir à leur encontre au jour où elles avaient introduit leur recours, la cour d'appel a violé a violé l'article 156 du décret du 27 décembre 1985, ensemble l'article 22 du même décret ;

3°) qu'aux termes de l'article 156 du décret du 27 décembre 1985, seule la publication de la décision relative au report de la date d'état de cessation des paiements fait courir le délai de tierce opposition, aucun procédé, tel la mention de la décision litigieuse dans une assignation par ailleurs délivrée aux tiers concerné, ne pouvant s'y substituer ; qu'en estimant dès lors que le délai de tierce opposition de dix jours ouvert aux sociétés Ziegler France et Balspeed France devait courir à compter de la date à laquelle une assignation en nullité, mentionnant au détour d'un de ses paragraphes l'existence de la décision attaquée, leur avait été signifiée, cependant qu'en l'absence de publication établie de la décision litigieuse, le délai de tierce opposition ouverte contre celle-ci n'avait pu commencer à courir, la cour d'appel a violé l'article 156 du décret du 27 décembre 1985, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

Mais attendu qu'il résulte de l'article 161 du décret n° 85-1388 du 27 décembre 1985, dans sa rédaction issue du décret n° 88-430 du 31 avril 1988, applicable en la cause, que le greffier du tribunal de la procédure, auquel l'arrêt rendu sur recours est transmis par le greffier de la cour d'appel, doit accomplir les mesures de publicité prévues à l'article 21 du même décret lorsque l'arrêt infirme la décision soumise à publicité ; que la cour d'appel, qui n'a pas retenu le motif critiqué par la deuxième branche, en a exactement déduit que l'arrêt confirmant le report de la date de cessation des paiements n'avait pas lui-même à être publié au BODACC ; que le moyen, inopérant en sa deuxième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

Et sur le second moyen :

Attendu que les sociétés opposantes font le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen :

1°) qu' à supposer qu'il résulte des dispositions du décret du 27 décembre 1985 que le délai de tierce opposition ouvert contre un arrêt confirmant un jugement reportant la date d'état de cessation des paiements d'un débiteur, courre à compter de son prononcé, la cour d'appel en a constaté l'inconventionnalité ; que le juge, qui constate l'inconventionnalité d'une stipulation doit en écarter l'application et lui substituer, le cas échéant, l'application du droit commun ; qu'en droit commun procédural, le délai de tierce opposition contre une décision ne court qu'à compter de la seule notification de celle-ci au tiers concerné, aucun autre procédé ne pouvant s'y substituer ; qu'en estimant que le liquidateur n'était pas tenu de notifier aux sociétés Ziegler France et Balspeed France la décision du 9 septembre 2008 confirmant le report de la date d'état de cessation des paiements de la société Grimaud logistique, après avoir constaté l'inconventionnalité des dispositions du décret du 27 décembre 1985 qui feraient courir le délai de tierce opposition de 10 jours ouverts contre une décision confirmant un jugement reportant la date d'état de cessation des paiements d'un débiteur à compter du prononcé de cette décision confirmative et en se satisfaisant d'une troisième voie, parfaitement inconnue du droit commun, consistant à rechercher si les sociétés opposantes avaient pu prendre connaissance, à la lecture d'un paragraphe d'une assignation qui leur avait été signifiée, de l'existence de la décision attaquée, la cour d'appel a violé les article 156 du décret du 27 décembre 1985, 582 du code de procédure civile et 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°) qu'en refusant d'opérer un retour au droit commun procédural, au motif qu'en droit commun « la notification ne s'impose que dans les cas où la publication, qui permet de porter la décision à la connaissance des éventuels tiers opposants, n'est pas prévue par les textes applicables, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, ceux-ci imposant la publication des décisions modifiant la date de cessation des paiements », cependant qu'elle constatait elle-même que « l'arrêt du 9 septembre 2008 n'avait pas à être publié », la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations desquelles il résultait qu'en l'absence de publication de la décision du 9 septembre 2008, le délai de 10 jours ouvert contre celle-ci pour faire tierce opposition ne pouvait courir qu'à compter de la notification faite à ces derniers ; qu'elle a ainsi violé les articles 156 du décret du 27 décembre 1985, 582 du code de procédure civile et 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

3°) que selon l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a le droit d'exercer un recours contre une décision rendue à son insu et concernant directement ses droits et obligations ; que seule la notification d'une décision de justice étant susceptible de la porter, de manière certaine, à la connaissance de toute personne intéressée, les délais de recours contre une telle décision ne peuvent commencer à courir qu'à compter de cette notification ; qu'en décidant cependant que le liquidateur n'était pas tenu de notifier l'arrêt rendu par la cour d'appel de Poitiers le 9 septembre 2008, lequel n'était pas soumis à publication, la cour d'appel a violé l'article 6-1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 156 du décret du 27 décembre 1985 ;

4°) qu'en l'espèce, les sociétés Ziegler France et Balspeed France rappelaient que la décision du 9 septembre 2008 présentait à leur yeux un intérêt particulier, dès lors qu'elle devait conduire le liquidateur à demander, en conséquence de l'annulation d'actes conclus en période suspecte, plus de 26 millions d'euros à titre de restitution, ce qui était précisément le but de la demande de report qui avait été définitivement accueillie le 9 septembre 2008 ; qu'elles rappelaient le délai extrêmement court – dix jours - qui leur était imparti pour former tierce opposition contre l'arrêt de la cour d'appel de Poitiers, ce qui imposait au liquidateur de leur notifier la décision qu'il avait obtenu aux fins d'agir contre elles en nullité de la période suspecte, s'agissant du seul procédé susceptible de porter celle-ci, de manière certaine, à leur connaissance ; qu'en s'abstenant de rechercher si ces circonstances particulières ne justifiaient pas, en tout état de cause, de fixer le point de départ du délai de tierce opposition contre la décision du 7 septembre 2008 à la date à laquelle elle avait été notifiée aux sociétés Ziegler France et Balspeed France, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 6-1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 156 du décret du 27 décembre 1985 ;

5°) que, selon l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a le droit d'exercer un recours contre une décision rendue à son insu et concernant directement ses droits et obligations ; que pour fixer à la date du 5 octobre 2012 le point de départ du délai de tierce opposition de 10 jours ouvert aux sociétés Ziegler France et Balspeed France, la cour d'appel a constaté qu'à cette date, ces sociétés s'étaient vues signifier une assignation en nullité émanant du liquidateur de la société Grimaud logistique, laquelle énonçait en page 3 « Un arrêt de la cour d'appel de Poitiers en date du 9 septembre 2008 a été définitivement fixé la date de cessation des paiements au 31 décembre 2001, soit moins d'un an après le prononcé du jugement arrêtant le plan » ; qu'en se satisfaisant ainsi, pour faire courir un délai de forclusion aussi bref contre une décision qui concernait directement les sociétés Ziegler France et Balspeed France, du fait que l'existence de la décision litigieuse avait été simplement mentionnée au détour d'un paragraphe d'une assignation en nullité signifiée aux sociétés Ziegler France et Balspeed France, alors qu'un tel procédé ne permettait aucunement de garantir le fait que les société Ziegler France et Balspeed France avaient effectivement pu prendre connaissance de la décision du 9 septembre 2008, la cour d'appel a violé l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu que l'arrêt retient que la fixation du point de départ du délai de la tierce opposition au prononcé de l'arrêt confirmatif de report de la date de cessation des paiements contrevenait de manière disproportionnée au principe conventionnel de l'accès effectif au juge en raison du caractère occulte de cette décision ; que l'arrêt retient ensuite que ce caractère occulte disparaît lorsque cette dernière est portée à la connaissance des intéressés avec une précision au moins équivalente à celle résultant de la publication, rendant alors inutile la notification de la décision, qui ne s'impose pas ; qu'ayant relevé que l'assignation en annulation d'actes conclus en période suspecte, qui avait été remise le 5 octobre 2012 aux sociétés opposantes, mentionnait clairement l'arrêt du 9 septembre 2008 qui avait définitivement fixé la date de cessation des paiements au 31 décembre 2001, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à la recherche inopérante invoquée par la quatrième branche, a pu en déduire que cette assignation faisait courir le délai de la tierce opposition ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.