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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 1 juillet 2021, n° 17/21545

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Défendeur :

Samsung Electronics France (Sasu)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Prigent

Conseillers :

Mme Soudry, Mme Lignières

Avocats :

Me Teytaud , Me Olivier

T. com. Paris, du 25 sept. 2017

25 septembre 2017

Faits et procédure :

La société X a été créée en 2001 par Madame Y et a pour activité le conseil en communication et les relations publiques. Elle dispose d'une équipe de 5 salariés et d'un réseau de consultants spécialisés de haut niveau.

La société Samsung Electronics France (ci-après "SEF") fait partie du groupe Samsung, l'un des acteurs majeurs sur le secteur de l'industrie du high-tech.

La relation commerciale entre les sociétés SEF et X a débuté en 1998, lorsque cette dernière remporte un appel d'offres organisé par la société SEF. Par la suite, la société X a remporté deux autres appels d'offres, un en 2009 et l'autre en 2012. A l'issue de l'appel d'offres de 2012, les parties ont signé un contrat de prestation de services de communication et relations publiques de deux ans. Ce contrat a été prorogé une première fois pour une durée de six mois, par lettre du 28 mars 2014, puis une deuxième fois pour une durée d'un an, soit jusqu'au 31 décembre 2015, par lettre du 12 décembre 2014. La première lettre informait X de l'intention de SEF de recourir à un appel d'offre en 2015 et la seconde précisait que, dans l'hypothèse où X ne serait pas retenue lors de l'appel d'offre, la relation commerciale entre les parties prendrait fin le 31 décembre 2015.

Par courrier du 3 juillet 2015, reçu le 7 août 2015, SEF a informé X du fait qu'elle n'avait pas été retenue à l'issue de la phase de présélection et que dès lors, la relation commerciale prendrait bien fin le 31 décembre 2015.

Par acte d'huissier de justice délivré à personne habilitée le 18 décembre 2015, X a assigné SEF devant le tribunal de commerce de Paris aux fins d'obtenir des dommages et intérêts au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies.

Par jugement du 25 septembre 2017, le tribunal de commerce de Paris a :

- débouté la société X de l'ensemble de ses demandes ;

- condamné la société X à payer à la société SEF la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et déboute la société SEF du surplus de sa demande à ce titre ;

- rejeté comme inopérantes ou mal fondées toutes conclusions plus amples ou contraires au présent jugement et en a débouté respectivement les parties ;

- d'office ordonné l'exécution provisoire du présent dispositif ;

- condamné la société X aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 82,44 euros dont 13,52 euros de TVA.

Par déclaration du 23 novembre 2017, la société X a interjeté appel de ce jugement en visant la totalité des chefs du jugement critiqués.

Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 4 novembre 2019, la société Henry Conseil demande à la cour de :

Vu les dispositions de L. 442-6, I, 5e du code de commerce, D. 442-3 du code de commerce, 1282 et 1283 du code civil ;

Vu le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris en date du 25 septembre 2017 ;

Vu l'absence de notification de participation à appel d'offres adressé à X ni cahier des charges ;

- infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris en date du 25 septembre 2017 en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau :

- dire et juger que les relations commerciales entre SEF et X étaient bien établies ;

- dire et juger que la rupture des relations commerciales établies par la société SEF à l'égard de la société X présente un caractère brutal en l'absence de préavis suffisant ;

- dire et juger que la rupture de ces relations commerciales établies est abusive et déloyale, la société X ayant été exclue du processus d'appel d'offres qui ne lui a jamais été notifié et auquel elle n'a jamais pu participer ;

En conséquence,

- condamner la société SEF à verser à la société X la somme de 630.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice sur le fondement de l'article de L. 442-6, I, 5e du code de commerce,

- condamner la société SEF à verser à la société X la somme de 420.000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la rupture abusive et déloyale de leurs relations par SEF,

- condamner la société SEF à verser à la société X la somme de 20.000 euros à titre de dommages-intérêts, en réparation de son préjudice moral, sur le fondement de l'article 1282 du code civil,

- condamner la société SEF à payer à la société X la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamner en tous les dépens de première instance et d'appel dont distraction pour ceux le concernant au profit de Maître Teytaud, Avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 13 novembre 2019, la société Samsung Electronics France (SEF) demande à la cour de :

Vu l'ex article L. 442-6, I, 5° du code de commerce ;

Vu l'article L. 420-2 alinéa 2 du code de commerce ;

Vu le jugement du tribunal de commerce du 25 septembre 2017 ;

Vu la jurisprudence versée aux débats ;

- Débouter la société X de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

En conséquence :

- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 25 septembre 2017 en toutes ses dispositions ;

- condamner la société X à verser à SEF la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 14 novembre 2019.

MOTIFS

Sur la rupture brutale de la relation établie

L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. Lorsque la rupture de la relation commerciale résulte d'une mise en concurrence par enchères à distance, la durée minimale de préavis est double de celle résultant de l'application des dispositions du présent alinéa dans les cas où la durée du préavis initial est de moins de six mois, et d'au moins un an dans les autres cas.

La relation commerciale, pour être établie au sens de ces dispositions, doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s'entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial.

Le texte précité vise à sanctionner, non la rupture elle-même, mais sa brutalité caractérisée par l'absence de préavis écrit ou l'insuffisance de préavis.

Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné.

La cour doit procéder à une appréciation in concreto des conditions de déroulement et de la spécificité de la relation.

L'existence d'une relation commerciale établie

Il n'est pas contesté qu'une relation d'affaire ininterrompue a existé entre les parties de 1998 jusqu'à 2014, c'est à dire durant 16 années.

La contestation porte sur les conditions de la rupture de cette relation commerciale.

Le caractère brutal de la rupture

La société X critique la décision de première instance en ce qu'elle a dit que la rupture n'était pas brutale. L'appelante fait valoir à cet effet que le point de départ du préavis doit être fixé au 7 août 2015, date du courrier l'informant de la fin de la relation, et qu'un préavis de 4 mois et demi-mois était insuffisant pour lui permettre de se réorganiser au vu de l'ancienneté et de l'intensité de la relation et de sa situation de dépendance économique envers la société SEF.

Elle ajoute que la société SEF l'a exclue de son appel d'offres de 2015 en s'abstenant de lui notifier son cahier des charges et en s'abstenant de lui indiquer que le rendez-vous de "présentation" du 12 juin 2015 serait une étape de présélection à l'issue de laquelle elle pourrait être éliminée.

En réplique, la société SEF soutient qu'elle était parfaitement en droit d'organiser une première phase de sélection et n'avait aucune obligation de communiquer un cahier des charges à la société X dès cette phase ; elle prétend que les parties ont échangé par téléphone quant à cette étape de présélection et que la société X s'est rendue dans les locaux de la société SEF le 12 juin 2015 en parfaite connaissance de cause. Quant à la situation de dépendance économique invoquée par la société X, la société SEF relève que le fait pour la société X de se focaliser sur la société SEF résulte d'une stratégie commerciale qui lui est propre et dont la société SEF n'est aucunement responsable, aucune clause d'exclusivité n'ayant été exigée.

Sur ce,

Il n'est pas contesté que la société X a reçu de la part de la société SEF un courrier daté du 3 juillet 2015 intitulé "résultat de la 1re phase de l'appel d'offres Agence RP", l'informant que : "malgré toutes les qualités que présente votre offre, nous sommes au regret de vous informer qu'à l'issue de la première phase de sélection, notre choix s'est porté sur des agences qui nous apparaissent mieux répondre à nos besoins. Dans ces conditions, notre collaboration prendra fin le 31 décembre 2015, conformément à notre courrier en date du 12 décembre 2014, ledit courrier valant notification de préavis."

Il est également constant que ce dernier courrier fait suite au courrier du 12 décembre 2014, par lequel la société SEF avait informé la société X du fait qu'elle allait organiser un appel d'offres parmi les agences spécialisées en lui indiquant "Nous vous en communiquerons bien entendu les modalités de participation".

Il n'est pas non plus contesté que la société X s'est rendue dans les locaux de la société SEF en date du 12 juin 2015 pour présenter son projet de prestation pour l'avenir.

Comme l'ont pertinemment relevé les premiers juges, la société SEF était en droit de décider d'une procédure en deux étapes avec une première phase de préselection des candidats retenus pour concourir à l'appel d'offres auxquels un cahier des charges serait soumis.

Il n'est donc pas démontré de déloyauté dans la procédure d'appels d'offres choisie en 2015 par la société SEF pour sélectionner son prestataire à venir.

La société X ne peut donc légitimement reprocher à la société SEF de l'avoir éliminée dès l'étape de présélection après l'avoir reçue en ses locaux en juin 2015 pour une présentation et alors que cette dernière était informée dès décembre 2014 par un écrit explicite qu'un appel d'offres était en cours pour décider du prochain prestataire de services à compter de décembre 2015.

Concernant le point de départ du préavis, il est établi qu'en cas de notification de l'intention de recourir à une procédure d'appel d'offres, cette notification vaut notification de la rupture de la relation commerciale et constitue le point de départ du préavis. (Cass. com., 8 déc. 2015, n° 14-18228). En l'espèce, le préavis accordé à la société X a couru du 12 décembre 2014 au 31 décembre 2015 et a donc duré 12 mois.

La société X argue en outre d'une situation de dépendance économique à l'égard de la société SEF. Il ressort du tableau comptable versé en pièce 17 par la société X que sur l'exercice 2012/2013 sa relation avec la société SEF représentait 52 % de son chiffre d'affaires global et 64 % sur l'exercice 2013/2014. Ceci démontre que si la société SEF était le plus gros client de la société X, néanmoins, celle-ci avait d'autres clients lui procurant près de la moitié de son chiffre d'affaires global en 2012/2013 et plus de 35 % en 2013/2014, la situation de dépendance économique de la société X à l'égard de la société SEF n'est donc pas caractérisée. De plus, aucune exclusivité n'était imposée par la société SEF, il appartenait donc à la société X de diversifier sa clientèle.

Au vu de ces éléments, la société X a bénéficié d'un préavis d'une durée suffisante pour lui laisser le temps de se réorganiser à l'issue d'une relation de 16 ans dénuée de dépendance économique.

Par conséquent, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté la société X de ses demandes en indemnisation pour rupture brutale.

Sur les autres demandes en indemnisation de la société X pour abus et déloyauté

Vu les articles 1382 et 1383 du code civil anciens dans leur version applicable aux faits de l'espèce,

La société X soutient que la société SEF a engagé sa responsabilité délictuelle à son égard en rompant de façon abusive et vexatoire la relation. Elle fait notamment valoir qu'en ne lui ayant pas communiqué le cahier des charges de l'appel d'offres, la société SEF n'a pas respecté la charte des bonnes pratiques des appels d'offres sur la loyauté et la transparence (pièce 19 de la société Henry Conseil : " La belle compétition, charte pour les appels d’offre agence-entreprise/annonceur).

Néanmoins, comme il a été relevé lors de l'examen des critères d'une rupture brutale, il n'est pas démontré l'existence d'une attitude fautive de la société SEF dans l'organisation d'une présélection des candidats à l'appel d'offres, et il n'est pas contesté que d'autres agences qui avaient fait leur présentation ont également été éliminées dès la 1ere étape de présélection.

A défaut de prouver une attitude fautive de la part de la société SEF, la société X sera déboutée de ses demandes de ce chef ainsi que de sa demande d'indemnisation au titre du préjudice moral allégué, et la décision des 1ers juges sera confirmée sur ce point.

Sur les frais et dépens

Le jugement du tribunal de commerce sera également confirmé sur les frais et dépens de première instance.

En cause d'appel, la société X succombant, supportera les entiers dépens de l'appel.

Il est équitable que chacune des parties conserve à sa charge les frais non répétibles respectivement engagés en appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant publiquement et contradictoirement,

CONFIRME le jugement entrepris dans toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

REJETTE les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société X aux entiers dépens de l'appel.