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Décisions

CA Versailles, 13e ch., 15 juin 2006, n° 06/01994

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Euler Hermes SFAC (SA)

Défendeur :

Photo Service (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Besse

Conseillers :

Mme Andreassier , M. Deblois

Avocats :

Me Sarazin, SCP Jullien, Lecharny, Rol et Fertier, SCP Gas, Me Gayraud, SCP Keime Guttin Jarry, Me Chemouny, Me Poulain

T. com. Pontoise, du 6 mars 2006

6 mars 2006

Par requête déposée au greffe du Tribunal de commerce de Pontoise le 4 janvier 2006, la SA PHOTO SERVICE a demandé l'ouverture d'une procédure de sauvegarde à son égard.

Par jugement en date du 9 janvier 2006, le Tribunal de commerce de Pontoise a ouvert la procédure de sauvegarde de la SA PHOTO SERVICE, a désigné Maître Z..., de la SCP MICHEL Z... MIROITE, en qualité d’administrateur, et Maître Y... en qualité de mandataire judiciaire.

La SA EULER HERMES SFAC a formé une tierce opposition à ce jugement.

Par jugement en date du 6 mars 2006, le Tribunal de commerce de Pontoise a déclaré la SA EULER HERMES SFAC recevable mais mal fondée en son opposition et l’en a déboutée.

La SA EULER HERMES SFAC a interjeté appel de ce jugement et demande à la Cour de le confirmer en ce qu’il a déclaré recevable sa tierce opposition, de l’infirmer pour le surplus, et de dire qu’il n’y a pas lieu à ouverture d’une procédure de sauvegarde.

La SA EULER HERMES SFAC soutient que la SA PHOTO SERVICE ne justifie pas de difficultés, qu'elle n'est pas en mesure de surmonter, de nature à la conduire à la cessation des paiements, et ne remplit donc pas les conditions exigées par l’article L. 620-1 du Code de commerce pour qu’une procédure de sauvegarde soit ouverte à son bénéfice. Elle souligne l’importance attachée par le législateur au respect de cette condition, imposée pour empêcher que cette procédure soit utilisée pour se procurer un avantage injustifié au détriment des concurrents et des créanciers.

La SA EULER HERMES SFAC rappelle que la SA PHOTO SERVICE fait partie du groupe PHOTO EUROPE qui a fait l’objet d’une reprise par voie de LBO en 2001, et soutient que ce groupe est florissant et a pu procéder à des remboursements anticipés de sa dette senior. Elle relève que la SA PHOTO SERVICE a versé sur l’exercice arrêtée au 31 mai 2004 des dividendes d’un montant de 10 M €.

La SA EULER HERMES SFAC fait observer qu’en sa qualité d’assureur crédit des fournisseurs de la SA PHOTO SERVICE elle avait des contacts réguliers avec les dirigeants de celle-ci qui lui donnaient des informations précises sur sa situation. Elle relève que les informations qui lui ont été ainsi données en octobre 2005 sur la situation au 31 mai 2005, faisaient état de résultats bénéficiaires et d’une trésorerie positive. Elle fait observer que le maintien de cette trésorerie est d’ailleurs confirmé par le fait que la SA PHOTO SERVICE a toujours fait face sans retard à toutes ses échéances. Elle soutient que si la SA PHOTO SERVICE a établi un compte prévisionnel faisant craindre un déficit de trésorerie au début de l’année 2006, il s’agissait au pire d’une difficulté liée au caractère saisonnier de l’activité, et destinée à disparaître dès la reprise d’activité aux beaux jours. Elle estime que de telles difficultés auraient justifié un moratoire de 3 ou 4 mois si elles s’étaient effectivement révélées, mais ne peuvent justifier un plan de sauvegarde.

La SA EULER HERMES SFAC indique que dès la fin de l’année 2005 il apparaissait que la SA PHOTO SERVICE retrouverait sa pleine rentabilité au bout de seulement deux exercices. Elle explique que ce retournement a été rendu possible par l’accord de partenariat conclu alors entre le groupe PHOTO EUROPE et ORANGE, et la mise en place d’une stratégie reposant sur la complémentarité des activités, sur l’entrée d’un actionnaire disposant de moyens financiers conséquents et sur une restructuration financière très crédible. Elle conteste le caractère inéluctable de la disparition des laboratoires de photos en soutenant qu’il est déjà constaté que la clientèle des possesseurs d’appareils numériques remplace celle des possesseurs d’appareils argentiques. Elle note qu’à cette activité toujours vivante s’ajoute l’activité de téléphonie apportée par Orange, et se déployant dans les 270 magasins de la société qui, pour ceux qui ont déjà été transformés, retrouvent toute leur rentabilité. Elle relève à ce propos que 30 magasins, les moins bien adaptés, ont été vendus, pour le prix de 10 M €.

La SA EULER HERMES SFAC critique également les modalités du plan d’apurement du passif, lui reprochant de se calquer sur les échéances habituellement pratiquées en matière de redressement judiciaire et imposant aux créanciers antérieurs des sacrifices inacceptables au regard de la prospérité retrouvée de la SA PHOTO SERVICE et de ses facultés à régler les créanciers dans de brefs délais.
La SA PHOTO SERVICE et Maître Z..., es qualités, demandent à la Cour :

- de déclarer irrecevable la SA EULER HERMES SFAC,

- de confirmer le jugement en ce qu’il a rejeté la demande de la SA EULER HERMES SFAC,

- de condamner la SA EULER HERMES SFAC à payer à la SA PHOTO SERVICE la somme de 7. 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Maître Y..., es qualités, demande à la Cour :

- de déclarer recevable mais mal fondée la SA EULER HERMES SFAC en son appel,

- de lui donner acte de ce qu’il fait siens les moyens et arguments développés par la SA PHOTO SERVICE et Maître Z..., es qualités,

- de confirmer le jugement, et y ajoutant, de condamner la SA EULER HERMES SFAC à lui payer la somme de 2. 500 euros sur le fondement de l’article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Les intimés soutiennent que la SA PHOTO SERVICE rencontrait des difficultés, qu'elle n'était pas en mesure de surmonter, de nature à la conduire à la cessation des paiements, et qu’une procédure de sauvegarde devait être ouverte à son bénéfice, par application de l’article L. 620-1 du Code de commerce.

Les intimés rappellent qu’à partir de 2003 les appareils photographiques numériques ont commencé à supplanter les appareils photographiques argentiques, et que cette modification du marché s’est poursuivie et accélérée, entraînant une perte de chiffre d’affaires de la SA PHOTO SERVICE et la dégradation de ses résultats. Ils notent que la SA PHOTO SERVICE qui exploite 270 magasins et emploie plus de 2. 000 salariés supportent des charges fixes importantes auxquelles il ne peut être fait face que si le chiffre d’affaires se maintient. Ils ajoutent que la dégradation du marché a connu un effondrement encore plus brutal qu’il avait été prévu, et que la cessation des paiements aurait été inéluctable si la SA PHOTO SERVICE ne s’était pas placé sous protection de justice.

Les intimés soulignent que la SA PHOTO SERVICE ne pouvait faire autrement que de se tourner vers une autre activité, ce qui nécessitait des investissements qu’elle était dans l’incapacité de financer avec ses seuls moyens. Ils font observer que la SA PHOTO SERVICE a pu trouver une issue à ses difficultés grâce à la convergence qui se dessinait entre la photographie et la téléphonie, par l’intermédiaire des téléphones portables dotés de fonctions d’appareils photographiques. Ils notent que cette nouvelle orientation ne pouvait se faire qu’avec la participation d’un opérateur de téléphonie disposant des moyens qui manquaient à la SA PHOTO SERVICE, pour transformer les magasins, acquérir le matériel, former les personnels, mener les opérations publicitaires. Ils en déduisent que la SA PHOTO SERVICE n’était pas en mesure de surmonter seule les difficultés qui la conduisaient à la cessation des paiements.

Les intimés appuient leur argumentation sur les comptes de la SA PHOTO SERVICE qui font apparaître que les résultats ont connu une dégradation progressive à partir de l’exercice clos le 31 mai 2004 qui s’est accentuée lors de l’exercice clos le 31 mai 2005, et qui s’est traduite par un effondrement au 31 décembre 2005, le résultat d’exploitation ayant chuté de 116 % en une année.

Le représentant des salariés n’a pas été assigné.

Le Ministère Public a visé la procédure

DISCUSSION

Considérant que la disposition du jugement rejetant l’exception d’irrecevabilité de la tierce opposition de la SA EULER HERMES SFAC n’est pas critiquée et se trouve justifiée par les dispositions de l’article 661-2 autorisant la tierce opposition au jugement ouvrant la procédure, et par la régularité de la procédure suivie, la tierce opposition ayant été faite par déclaration au greffe, dans le délai de dix jours à compter de la publication du jugement au B. O. D. A. C. C., conformément à l’article 329 du décret du 28 décembre 2005 ; que cette disposition sera confirmée ;

Considérant que la SA EULER HERMES SFAC soutient que sauf à permettre des dérives que le législateur a voulu empêcher, il est impérieux que le débiteur qui demande le bénéfice d’une procédure de sauvegarde justifie de difficultés qu’il n’est pas en mesure de surmonter, de nature à le conduire à la cessation des paiements, ainsi qu’il est exigé par l’article L 620-1 du Code de commerce ; qu’elle estime que la SA PHOTO SERVICE n’apporte pas cette justification ;

Considérant que la SA EULER HERMES SFAC dénie le risque de cessation des paiements de la SA PHOTO SERVICE en rappelant qu’elle fait partie du GROUPE PHOTO EUROPE dont la solidité financière, à laquelle sa filiale a d’ailleurs largement contribué, est suffisante pour assurer la pérennité de la société ;

Mais considérant que la situation de la société doit être appréciée en elle-même ; que les capacités financières du groupe auquel elle appartient n’ont pas à être prises en compte ; que, même si elle fait partie d’un groupe prospère, une société peut bénéficier d’un plan de sauvegarde ; qu’il convient seulement de s’assurer que les actionnaires n’ont pas diminué les concours antérieurement accordés à la société ; qu’en l’espèce il n’est pas prétendu que le GROUPE PHOTO EUROPE se serait désengagé de la SA PHOTO SERVICE ; que la SA EULER HERMES SFAC reconnaît que la distribution de dividendes à hauteur de 10 M € était justifiée par les résultats au 31 mai 2004 ; qu’aucun grief n’est établi à l’encontre de l’une quelconque des sociétés du groupe ;

Considérant que la SA EULER HERMES SFAC fait observer que l’accord de partenariat avec Orange a apporté le soutien d’un actionnaire disposant de moyens financiers importants, le développement d’une activité complémentaire, et l’amélioration de la situation financière ; qu’elle en déduit que tout risque de cessation des paiements est évité, et qu’il est d’ores et déjà acquis que la SA PHOTO SERVICE va retrouver sa rentabilité au terme des deux prochains exercices ;

Mais considérant que pour apprécier si les conditions d’ouverture de la procédure de sauvegarde sont remplies, il faut se placer au jour où la juridiction statue, mais en ne prenant en compte que les moyens dont disposait le débiteur au jour de sa demande d’ouverture de la procédure de sauvegarde ; qu’en conséquence il ne doit pas être tenu compte des nouveaux moyens financiers, et de la nouvelle activité apportée par Orange ; que l’on doit rechercher si dans sa configuration financière et économique antérieure la SA PHOTO SERVICE était confrontée à une situation remplissant les conditions de l’article L. 620-1 ; que compte tenu des circonstances exceptionnelles de l’espèce, tenant au fait que la procédure de sauvegarde n’a pu être demandée qu’après le 1er janvier 2006, il sera fait abstraction du fait que l’accord de partenariat avec Orange a été passé un peu avant la demande d’ouverture de la procédure de sauvegarde ;

Considérant que la SA EULER HERMES SFAC critique les modalités du plan d’apurement du passif antérieur estimant qu’elles reviennent à sacrifier les créanciers antérieurs dans les mêmes proportions que lorsqu’une procédure de redressement judiciaire est ouverte, alors pourtant que la SA PHOTO SERVICE va retrouver rapidement une rentabilité complète lui permettant de rembourser ses créanciers dans des délais plus acceptables ;

Mais considérant que le jugement critiqué est celui qui a ouvert la procédure de sauvegarde le 9 janvier 2006 ; que le plan d’apurement du passif qui a été élaboré pendant la période d’observation, et qui reste à l’état de proposition, est sans influence sur le point de savoir si les conditions d’ouverture du plan de sauvegarde sont remplies ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les arguments soulevés par la SA EULER HERMES SFAC ne sont pas pertinents ;

Considérant que la SA PHOTO SERVICE exerce une activité de développement de photographies argentiques en exploitant 280 magasins bien situés dans des centres commerciaux et des zones piétonnes, où les loyers sont particulièrement élevés ; qu’elle emploie plus de 2000 salariés ; que l’importance de ses charges fixes nécessite que sa marge brute reste élevée, ainsi que son chiffre d’affaires ;

Considérant que l’évolution technologique affectant la photographie argentique au profit de la photographie numérique a entraîné une dégradation de la situation de la SA PHOTO SERVICE :

- pour l’exercice 2003 / 2004, le résultat d’exploitation a diminué de 15 % et le résultat net de 24 %,

- pour l’exercice 2004 / 2005, le résultat d’exploitation a diminué de 75 %, et le résultat net de 79 %

- les prévisions au 31 décembre 2005 laissant espérer une perte de chiffre d’affaires de 13 % et une exploitation encore bénéficiaire, n’ont pu être atteintes, le chiffre d’affaires ayant diminué de 19 %, et l’exploitation étant devenue largement déficitaire,

Considérant que ces chiffres montrent que la dégradation de la situation de la SA PHOTO SERVICE, d’abord lente s’est accélérée dans des proportions inattendues et considérables, et que compte tenu de l’incompressibilité des coûts, cette dégradation était de nature à la conduire à la cessation des paiements ;

Considérant que la situation de la SA PHOTO SERVICE ne pouvait être redressée que par une modification substantielle de son activité ; que cette modification trouvée dans l’adjonction de l’activité complémentaire de la téléphonie nécessitait de lourds investissements que la SA PHOTO SERVICE ne pouvait assumer ;

Considérant que la SA PHOTO SERVICE justifie donc que, lorsqu’elle a demandé l’ouverture de la procédure de sauvegarde, elle rencontrait des difficultés qu'elle n'était pas en mesure de surmonter, de nature à la conduire à la cessation des paiements ; qu’il convient par conséquent de confirmer le jugement en ce qu’il a dit que les conditions d’ouverture de la procédure de sauvegarde étaient remplies, et en ce qu’il a par voie de conséquence rejeté la tierce opposition de la SA EULER HERMES SFAC ;

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, par arrêt CONTRADICTOIRE et en dernier ressort,

Confirme le jugement rendu le 6 mars 2006 par le Tribunal de commerce de Pontoise,

Condamne la SA EULER HERMES SFAC à payer sur le fondement de l’article 700 du Nouveau code de procédure civile la somme de 1. 500 euros à SA PHOTO SERVICE et la somme de 1. 000 euros à Maître Y..., es qualités,

Condamne la SA EULER HERMES SFAC aux dépens d’appel et accorde à la SCP KEIME-GUTTIN-JARRY, et à la SCP GAS, titulaires d'un office d'Avoué, le droit de recouvrement conforme aux dispositions de l’article 699 du Nouveau code de procédure civile.