CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 29 juin 2021, n° 18/05368
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Défendeur :
Mango France (SARL), Punto FA S.L (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Douillet
Conseillers :
Mme Barutel, Mme Bohée
EXPOSÉ DU LITIGE
La société monégasque R. DIFFUSION était titulaire des droits de propriété intellectuelle sur les créations de Mme Gaia R., sa directrice artistique et petite-fille du fondateur de la Maison R., créée en 1920 à Turin (Italie).
La Maison R. se définit comme pratiquant une joaillerie de luxe connue dans le monde pour son style art déco, avant-gardiste, et désormais architectural. Elle expose que l'entreprise est connue à travers le monde pour ses collections d'une grande originalité, alliant des pierres de grande qualité et un souci 'd'équilibre et d'ergonomie pour sublimer la femme'.
La société OR DE VENDOME avait pour activité principale la distribution des produits de la société R. DIFFUSION.
La Maison R. a lancé en décembre 2013 une collection dénommée ANTIFER, comprenant en particulier une bague à huit anneaux du même nom créée par Mme R., sur laquelle la société R. DIFFUSION a revendiqué des droits d'auteur et pour laquelle elle était titulaire d'un dessin et modèle communautaire déposé et enregistré le 2 janvier 2014 sous le numéro 002379511-0002 :
La société de droit espagnol PUNTO FA, société mère du groupe MANGO, est spécialisée dans la conception, la fabrication et la commercialisation de vêtements et accessoires pour femme, pour homme et plus récemment pour enfant. Elle est le fournisseur des boutiques MANGO implantées sur le territoire européen et précise avoir réorienté son activité pour fonctionner sur huit saisons avec de nouveaux produits tous les quinze jours fabriqués en petites séries afin d'accélérer la rotation des nouveautés et renforcer l'attractivité de son offre. Elle exploite le site de vente en ligne shop.mango.com/fr.
La société MANGO FRANCE a pour activité la distribution en France d'articles de prêt - à - porter et d'accessoires et exploite les boutiques à l'enseigne MANGO dans lesquelles elle distribue les articles marqués 'MNG' et 'MANGO'.
Ayant découvert la commercialisation, dans une boutique à l'enseigne MANGO et sur le site internet shop.mango.com, d'une bague GENEVE C, référencée 5402360421OR, reproduisant les caractéristiques originales revendiquées de sa bague ANTIFER, la société R. DIFFUSION a fait dresser par huissier de justice, le 20 octobre 2015, un procès-verbal de constat pour démontrer la livraison en France de cette bague achetée en ligne sur le site shop.mango.com. Elle a mis en demeure la société PUNTO FA, par courrier recommandé avec accusé de réception du 23 décembre 2015, réitéré par son conseil le 30 mai 2016, de cesser la vente de cet article, d'en détruire tous les exemplaires et de lui communiquer les informations relatives à sa vente.
Par courrier de son conseil du 3 juin 2016, la société PUNTO FA précisait que la bague GENEVE C avait rencontré un faible succès en Europe et qu'elle n'était plus en vente.
C'est dans ces circonstances que, par actes d'huissier du 5 août et du 19 septembre 2016, la société R. DIFFUSION, la société OR DE VENDOME et Mme Gaia R. ont assigné les sociétés PUNTO FA et MANGO FRANCE devant le tribunal de grande instance de Paris, à titre principal en contrefaçon de droit d'auteur et de modèle communautaire et, à titre subsidiaire, en concurrence parasitaire.
Par un jugement rendu le 1er février 2018, le tribunal de grande instance de Paris a :
- rejeté la fin de non recevoir tirée du défaut d'originalité de la bague ANTIFER opposée par les sociétés PUNTO FA et MANGO FRANCE ;
- rejeté la demande reconventionnelle en nullité de l'enregistrement du modèle communautaire 002379511 0002 de la société R. DIFFUSION présentée par les sociétés PUNTO FA et MANGO FRANCE et leur fin de non recevoir corrélative ;
- rejeté le moyen tiré de la nullité du procès-verbal de constat du 20 octobre 2015 soulevé par les sociétés PUNTO FA et MANGO FRANCE ;
- rejeté l'intégralité des demandes de la société R. DIFFUSION et de Mme Gaia R. au titre de la contrefaçon de droits d'auteur ;
- rejeté l'intégralité des demandes de la société R. DIFFUSION au titre de la contrefaçon de son modèle communautaire 002379511 0002 ;
- rejeté l'intégralité des demandes des sociétés R. DIFFUSION et OR DE VENDOME et de Mme Gaia R. au titre du parasitisme ;
- rejeté les demandes des sociétés R. DIFFUSION et OR DE VENDOME et de Mme Gaia R. au titre des frais irrépétibles ;
- condamné in solidum les sociétés R. DIFFUSION et OR DE VENDOME et Mme Gaia R. à payer à chacune des sociétés PUNTO FA et MANGO FRANCE la somme de 6 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné in solidum les sociétés R. DIFFUSION et OR DE VENDOME et Mme Gaia R. à supporter les entiers dépens de l'instance, dont distraction à la Selas DE GAULLE FLEURANCE & ASSOCIES conformément à l'article 699 du code de procédure civile ;
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
Par déclaration du 12 mars 2018, les sociétés R. DIFFUSION et OR DE VENDOME et Mme Gaia R. ont interjeté appel de ce jugement.
En 2019, les sociétés R. DIFFUSION et OR DE VENDOME (celle-ci devenue la SARL R. en cours de litige) ont été reprises par la société R. SAS par voie de transmission universelle de patrimoine et les droits de propriété intellectuelle dont la société R. DIFFUSION était titulaire ont donc été transmis à la société R. SAS (ci-après, la société R.) qui est aujourd'hui appelante aux côtés de Mme Gaia R..
Dans leurs dernières conclusions numérotées 5 transmises le 24 février 2020, la société R., venant aux droits des sociétés R. DIFFUSION et OR DE VENDOME, et Mme Gaia R. demandent à la cour :
- d'infirmer le jugement en ce qu'il a :
- rejeté l'intégralité des demandes de la société R. DIFFUSION (désormais la société R.) et de Mme Gaia R. au titre de la contrefaçon de droits d'auteur,
- rejeté l'intégralité des demandes de la société R. DIFFUSION (désormais la société R.) au titre de la contrefaçon de son modèle communautaire 002379511-0002,
- rejeté l'intégralité des demandes de la société R. DIFFUSION, de la société OR DE VENDOME (désormais, toutes deux, la société R.) et de Mme Gaia R. au titre du parasitisme,
- rejeté les demandes de la société R. DIFFUSION, de la société OR DE VENDOME (désormais, toutes deux, la société R.) et de Mme Gaia R. au titre des frais irrépétibles,
- condamné in solidum la société R. DIFFUSION, la société OR DE VENDOME (désormais, toutes deux, la société R.) et Mme Gaia R. à payer aux sociétés PUNTO FA et MANGO FRANCE la somme de 6 000 € chacune en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné in solidum la société R. DIFFUSION, la société OR DE VENDOME (désormais, toutes deux, la société R.) et Mme Gaia R. à supporter les entiers dépens de l'instance qui seront recouvrés directement par la Selas DE GAULLE FLEURANCE & ASSOCIES conformément à l'article 699 du code de procédure civile,
- de confirmer le jugement en ce qu'il a :
- rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut d'originalité de la bague ANTIFER opposée par les sociétés PUNTO FA et MANGO FRANCE,
- rejeté la demande reconventionnelle en nullité de l'enregistrement du modèle communautaire n° 002379511-0002 de la société R. DIFFUSION (désormais la société R.) présentée par les sociétés PUNTO FA et MANGO FRANCE et leur fin de non-recevoir corrélative,
- rejeté le moyen tiré de la nullité du procès-verbal de constat du 20 octobre 2015 soulevé
par les sociétés PUNTO FA et MANGO FRANCE,
- et, statuant de nouveau :
- à titre principal,
- sur la contrefaçon de droits d'auteur
- de juger que la bague ANTIFER - 8 anneaux OR ROSE est une œuvre originale protégée par le droit d'auteur,
- de juger que la bague litigieuse, référencée GENEVE C, commercialisée par les sociétés MANGO FRANCE et PUNTO FA, reproduit l'intégralité des éléments originaux de la bague ANTIFER, selon la même combinaison, de sorte que la bague litigieuse est une copie servile ou quasi-servile de la bague ANTIFER,
- de juger que la preuve de la matérialité des actes de contrefaçon est bien rapportée en France et à l'étranger et de se déclarer compétente pour statuer sur les actes de contrefaçon commis par les sociétés MANGO FRANCE et PUNTO FA en France et hors de France ; à titre subsidiaire, de se déclarer compétente pour statuer sur les actes de contrefaçon commis par la société PUNTO FA sur le territoire français,
- de juger que les agissements de la société MANGO FRANCE et de la société PUNTO FA constituent à la fois une atteinte aux droits patrimoniaux détenus par la société R., mais également une atteinte aux droits moraux de l'auteur, Mme Gaia R.,
- sur la contrefaçon de dessin et modèle
- de juger que le dessin et modèle n° 002379511-0002 est nouveau et présente bien un caractère individuel et est, par conséquent, parfaitement valable,
- de juger que les caractéristiques essentielles et protégées du dessin et modèle n° 002379511-0002 sont intégralement reproduites au sein de la bague litigieuse GENEVE C de la société MANGO FRANCE et de la société PUNTO FA,
- de juger que la preuve de la matérialité des actes de contrefaçon est bien rapportée en France et à l'étranger et de se déclarer compétente pour statuer notamment sur les actes de contrefaçon commis par la société MANGO FRANCE et la société PUNTO FA en France et hors de France ; à titre subsidiaire, de se déclarer compétente pour statuer sur les actes de contrefaçon commis par la société PUNTO FA sur le territoire français,
- de juger que la comparaison des deux modèles de bagues en cause produit sur l'utilisateur averti la même impression visuelle d'ensemble,
- en conséquence :
- à titre liminaire, de débouter les sociétés intimées de leur demande en nullité du dessin et modèle communautaire n° 002379511-0002 et de juger les appelants recevables et bien fondés en leurs demandes,
- de juger que les sociétés intimées ont commis des actes de contrefaçon de droits d'auteur de la bague ANTIFER - 8 anneaux OR ROSE,
- de juger que les sociétés intimées en fabriquant, offrant, en proposant sur le marché, et en important des exemplaires de la bague litigieuse GENEVE C ont commis des actes de contrefaçon du dessin et modèle communautaire n° 002379511-0002,
- à titre subsidiaire,
- de juger que la commercialisation par les intimées d'une copie servile ou quasi-servile de la bague ANTIFER à vil prix et dans une qualité inférieure constitue un comportement fautif justifiant leur condamnation sur le fondement des dispositions de l'article 1240 du code civil,
- de juger que les intimées, pour la commercialisation de la bague litigieuse, référencée GENEVE C, se sont rattachées délibérément aux principaux éléments caractéristiques de la bague ANTIFER des appelantes, bénéficiant indûment de leur travail et de leurs investissements, afin de s'immiscer dans leur sillage, à titre lucratif et de façon injustifiée, et afin de se procurer un avantage concurrentiel,
- de juger que la preuve de la matérialité des actes de parasitisme est bien rapportée en France et à l'étranger et de se déclarer compétente pour statuer notamment sur les actes de parasitisme commis par les sociétés MANGO FRANCE et PUNTO FA en France et hors de France ; à titre subsidiaire, de se déclarer compétente pour statuer sur les actes de parasitisme commis par la société PUNTO FA S.L sur le territoire français,
- en conséquence, de juger que les intimées ont commis des actes de parasitisme à l'encontre de la société R. et de Mme Gaia R.,
- en tout état de cause :
- d'ordonner qu'il soit mis un terme aux actes de contrefaçon de droits d'auteur et de contrefaçon du dessin et modèle communautaire n° 002379511-0002, et, à titre subsidiaire, aux actes de parasitisme, par la cessation immédiate de la reproduction, la représentation, la fabrication, la commercialisation et la promotion de la bague litigieuse GENEVE C, dans le monde entier, à la fois en boutiques et sur internet, sous astreinte de 500 euros par infraction constatée, et ce, sous quinze jours à compter de la signification de la présente décision,
- d'ordonner le rappel et la destruction de l'ensemble des bagues litigieuses GENEVE C, dans les mêmes conditions et délai,
- de se réserver la liquidation des astreintes conformément aux dispositions des articles L. 131-1 et L. 131-3 du code des procédures civiles d'exécution (anciens articles 33 et 35 de la loi du 9 juillet 1991),
- de condamner in solidum les intimées à payer :
- à la société R. la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice matériel et 50 000 euros en réparation du préjudice moral qu'elle subit du fait des actes de contrefaçon de droits d'auteur,
- à Mme Gaia R. la somme de 30 000 euros au titre de l'atteinte à son droit moral d'auteur,
- à la société R. la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice matériel et 50 000 euros en réparation du préjudice moral qu'elle subit du fait des actes de contrefaçon de son dessin et modèle communautaire n° 002379511-0002,
- à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où les intimées seraient condamnées pour parasitisme, de condamner in solidum les intimées à payer à la société R. et à Mme Gaia R., la somme de 40 000 euros, au titre du préjudice matériel subi et à 100 000 euros au titre du préjudice moral subi,
- d'ordonner la publication de la décision à intervenir sous forme de communiqués dans cinq journaux français ou étrangers, au choix des appelantes et aux frais des intimées, sans que le coût de chaque publication n'excède la somme de 7 000 euros HT,
- d'ordonner la publication du dispositif de la décision à intervenir, en intégralité, pendant une durée de 90 jours consécutifs, à compter du prononcé de la décision à intervenir, en partie supérieure de la page d'accueil du site internet à l'adresse suivante : http://shop.mango.com/fr,
- de rejeter l'intégralité des demandes des intimées et de les débouter de l'ensemble de leurs demandes incidentes et réclamations,
- de condamner in solidum les intimées à payer aux appelantes la somme de 20 000 euros au titre
de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, en ce compris les frais des constats d'huissier visés en pièces n° 7, 16 et 24, qui pourront être recouvrés directement par le Cabinet Christophe C., conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Dans leurs dernières conclusions numérotées 3 transmises le 21 février 2020, les sociétés MANGO FRANCE ET PUNTO FA demandent à la cour :
- de juger les sociétés MANGO FRANCE et PUNTO FA recevables et bien fondées en leur appel incident,
- d'infirmer le jugement en ce qu'il a :
- rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut d'originalité de la bague ANTIFER opposée par les sociétés PUNTO FA et MANGO FRANCE,
- rejeté la demande reconventionnelle en nullité de l'enregistrement du modèle communautaire 002379511-0002 de la société R. DIFFUSION (désormais la société R.) présentée par la société PUNTO FA et la société MANGO FRANCE et leur fin de non-recevoir corrélative,
- et, statuant à nouveau :
- de juger que le modèle de bague ANTIFER revendiqué par la société R. et Mme Gaia R. ne présente aucun caractère individuel ni aucune originalité,
- de juger la société R. et Mme Gaia R. mal fondées en leurs demandes formées sur le fondement du droit des dessins et modèles communautaires et du droit d'auteur,
- de débouter en conséquence la société R., la société OR DE VENDOME et Mme Gaia R. de l'ensemble de leurs demandes,
- de prononcer la nullité du dessin et modèle communautaire revendiqué, déposé le 2 janvier 2014 et enregistré sous le numéro 002379511-0002 dont est titulaire la société R.,
- pour le surplus, de confirmer le jugement en ce qu'il a :
- rejeté l'intégralité des demandes de la société R. DIFFUSION (désormais la société R.) et de Mme Gaia R. au titre de la contrefaçon de droits d'auteur,
- rejeté l'intégralité des demandes de la société R. DIFFUSION (désormais la société R.) au titre de la contrefaçon de son modèle communautaire 002379511-0002,
- rejeté l'intégralité des demandes de la société R. DIFFUSION, de la société OR DE VENDOME (désormais la société R.) et de Mme Gaia R. au titre du parasitisme,
- rejeté les demandes de la société R. DIFFUSION, de la société OR DE VENDOME (désormais la société R.) et de Mme Gaia R. au titre des frais irrépétibles,
- condamné in solidum la société R. DIFFUSION, la société OR DE VENDOME (désormais la société R.) et Mme Gaia R. à payer à la société PUNTO FA et à la société MANGO FRANCE la somme de 6 000 € chacune en application de l'article 700 du code de procédure civilen
- condamné in solidum la société R. DIFFUSION, la société OR DE VENDOME (désormais la société R.) et Mme Gaia R. à supporter les entiers dépens de l'instance qui seront recouvrés directement par la Selas DE GAULLE FLEURANCE & ASSOCIES conformément à l'article 699 du code de procédure civile,
- à titre subsidiaire, si la responsabilité des sociétés MANGO devait être retenue sur le fondement de la contrefaçon ou du parasitisme :
- de constater que la société PUNTO FA est attraite en France accessoirement, sur le fondement des articles 4 1° et 8 1° du Règlement 1215/2012 et sur l'article 82 1° du Règlement 6/2002 du 12 décembre 2001 au motif qu'un lien étroit existerait avec les demandes concernant la société MANGO FRANCE assignée au lieu de son domicile,
- de constater que la société R. et Mme Gaia R. ne rapportent pas la preuve d'un quelconque acte de contrefaçon commis par MANGO FRANCE,
- de juger en conséquence que la prorogation de compétence prévue par l'article 8 1° du Règlement 1215/2012 ne peut trouver à s'appliquer et que les demandes concernant PUNTO FA sur l'ensemble de la communauté ne peuvent être soumises à la cour de céans,
- de juger qu'à supposer même que la cour ait pu connaître des prétendus actes de contrefaçon ou de parasitisme imputés à PUNTO FA, elle n'aurait pu connaître que des actes commis par la société PUNTO FA sur le territoire français,
- de juger que la société R. et Mme Gaïa R. ne justifient ni de l'existence ni du quantum du préjudice qu'elles prétendent avoir subi,
- de débouter en conséquence la société R. et Mme Gaia R. de l'ensemble de leurs demandes,
- en tout état de cause :
- de condamner in solidum la société R. et Mme Gaia R. à verser à chacune des sociétés MANGO FRANCE et PUNTO FA la somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d'appel,
- de condamner in solidum la société R. et Mme Gaia R. aux entiers dépens de la présente instance, dont distraction au profit de la SCP B.-F. et F. conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 10 mars 2020.
MOTIFS
En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées.
Sur le chef du jugement non contesté
La cour constate que le jugement n'est pas contesté en ce qu'il a rejeté le moyen de nullité du procès-verbal de constat du 20 octobre 2015.
Sur les demandes principales en contrefaçon de droits d'auteur et de modèle communautaire enregistré
Sur la protection de la bague ANTIFER par le droit d'auteur et par le dessin et modèle communautaire enregistré
Sur la protection de la bague par le droit d'auteur : l'originalité
La société R. et Mme Gaia R. demandent la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a retenu le caractère original de la bague ANTIFER. Elles revendiquent les caractéristiques suivantes de cette bague : la bague ANTIFER est composée de huit rangées d'anneaux dorés, empilés, soudés entre eux ; chaque anneau forme un cercle qui se finit en triangle à son extrémité en formant une pointe, à la manière d'une 'goutte' ; les anneaux sont disposés de telle manière que les pointes des anneaux apparaissent non alignées selon un ordre particulier qui n'est pas régulier, choisi par Gaia R. ; les bords de la pointe de chaque anneau sont presque droits contrairement au reste du cercle de forme arrondie ; la disposition particulière des pointes qui s'alternent irrégulièrement afin de ne pas apparaître alignées donne un aspect 'agressif' voulu par son auteur. Elles font valoir que Gaia R. a souhaité alterner des pointes en 'recréant un motif agressif qui rappelle une falaise', ce qui a inspiré le nom de la collection ANTIFER, puisque ce nom 'fait référence au cap d'Antifer en Normandie', que l'objectif de la créatrice était d'évoquer les falaises d'Antifer par le biais d'une disposition irrégulière particulière des anneaux de sa bague et de transposer dans l'univers de la joaillerie une forme géographique et naturelle en fonction de son propre ressenti.
Les sociétés MANGO FRANCE ET PUNTO FA répondent que la bague ANTIFER est dépourvue de caractère original au regard des modèles antérieurs qu'elles versent aux débats qui montrent que les éléments caractéristiques de la bague ANTIFER étaient, pris individuellement ou en combinaison, déjà connus, les différences de détail existant entre la bague revendiquée et les bagues antérieures n'étant pas de nature, selon elles, à démontrer un parti pris esthétique de la part de Mme Gaia R..
En l'absence de nouveaux modèles de bagues opposés en appel par les sociétés intimées, c'est par des motifs exacts et pertinents tant en fait qu'en droit, que la cour adopte, que le tribunal a reconnu l'originalité de la bague ANTIFER, constatant notamment que les choix personnels de Mme R. étaient clairement explicités et qu'aucune des pièces produites par les sociétés MANGO FRANCE ET PUNTO FA ne démontrait que ces choix étaient la reprise d'un fonds commun ou qu'ils se distinguaient des productions antérieures seulement par des différences de détail.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a 'rejeté la fin de non-recevoir' tirée du défaut d'originalité de la bague ANTIFER présentée par les sociétés MANGO FRANCE ET PUNTO FA, sauf à rappeler que le défaut d'originalité d'une oeuvre revendiquée au titre de la protection du droit d'auteur ne constitue pas une fin de non-recevoir mais relève de l'examen du bien fondé de la demande en contrefaçon.
Sur la protection de la bague par le modèle communautaire enregistré : le caractère individuel
Les appelantes demandent la confirmation du jugement en ce qu'il a reconnu la validité du modèle n° 002379511-0002 et rejeté la demande en nullité corrélative des sociétés MANGO FRANCE ET PUNTO FA. Elles plaident que le modèle communautaire dont est titulaire la société R. est nouveau, aucune antériorité de toute pièce n'étant opposée par les intimées, et présente un caractère individuel puisqu'aucune des antériorités invoquées par ces dernières, prises individuellement, ne produit la même impression globale sur l'utilisateur averti que celle générée par la bague ANTIFER. Elles font valoir que, comme en première instance, les sociétés MANGO FRANCE ET PUNTO FA présentent des antériorités en bloc et non individuellement, en s'abstenant de les comparer à la bague ANTIFER.
Les intimées soutiennent que la bague ANTIFER ne consiste qu'en un assemblage relativement banal de tendances majeures de la mode - les anneaux soudés côte-à-côte, bijoux géométriques, et formes triangulaires étant régulièrement utilisés dans la joaillerie - auxquelles n'ont été apportées que des modifications mineures - la présence de huit anneaux, qui au demeurant s'inscrit dans la tendance des bague multi-anneaux, et une disposition figée en quinconce - qui ne sont pas suffisantes pour permettre au modèle revendiqué de produire une impression d'ensemble différente de celle qui émane des bagues déjà présentes sur le marché. Elles font valoir que le caractère individuel doit refléter un véritable effort créatif et demande à la cour de prendre particulièrement en considération les modèles 'Triplette', 'Ring a Day', 'Ecume', 'Mirta', 'B. Laura Woods'' ou encore la bague présentée en pièce 11bis c, composée d'un empilement de sept anneaux.
L'article 4 § 1 du règlement communautaire n° 6/2002 du 12 décembre 2001 sur les dessins et modèles communautaires dispose que la protection d'un dessin ou modèle par un dessin ou modèle communautaire n'est assurée que dans la mesure où il est nouveau et présente un caractère individuel. S'agissant des dessins et modèles enregistrés, l'article 6 § 1 a) du même règlement précise qu'un dessin ou modèle communautaire enregistré est considéré comme présentant un caractère individuel 'si l'impression globale qu'il produit sur l'utilisateur averti diffère de celle que produit sur un tel utilisateur tout dessin ou modèle qui a été divulgué au public' avant la date de dépôt de la demande d'enregistrement ou, si une priorité est revendiquée, avant la date de priorité.
C'est par ces motifs exacts et pertinents tant en fait qu'en droit, que la cour adopte, que le tribunal a reconnu le caractère individuel du modèle n° 002379511-0002 de la société R. après avoir examiné de façon très détaillée les quatre bagues antérieures invoquées individuellement par les défenderesses, à savoir la bague en pièce 11 bis c), les bagues 'Ecume', 'Mirta' et 'B. Laura Woods'.
Il sera ajouté que l'impression globale produite sur l'utilisateur averti par le modèle de bague ANTIFER diffère nettement de celle générée par les bagues 'Triplette' (pièce 11 a), 'Ring a Day' (11 ter c), SWATCH (11 bis a), 'Amor Triple' et la bague présentée en pièce 11 ter d), désormais spécialement opposées par les intimées. En effet, la bague 'Triplette' proposée à la vente en février 2012 sur le site showroomprive.com, n'est composée que de 3 anneaux plus épais que ceux du modèle ANTIFER - ce qui lui donne globalement un volume moins important que le modèle revendiqué -, de couleur argentée (en non dorée comme la bague ANTIFER) et présentant une surface plate (pas de pointe et de forme de 'goutte' comme sur la bague ANTIFER). La bague 'Ring a Day', dont la date de divulgation est au demeurant incertaine, est composée de deux anneaux individuels (et non soudés entre eux comme sur la bague ANTIFER), ce qui lui donne un aspect beaucoup moins massif que le modèle revendiqué, et est de couleur argentée (et non dorée comme la bague ANTIFER). La bague SWATCH (11 bis a) argentée, et non dorée, est composée de trois anneaux individuels, donc non soudés entre eux, en forme de vague et non de pointe. La bague de la pièce 11 ter d) est une bague en bois représentant trois petits pics enneigés et présente un type naïf complètement absent de la bague R.. La bague 'Amor Triple' (11 ter b), de couleur argentée, est composée de trois anneaux présentant chacun une pointe et une forme de goutte mais ces trois anneaux sont épais et confèrent à la bague un aspect plus massif que le modèle revendiqué.
Les autres bagues opposées par les sociétés MANGO FRANCE et PUNTO FA sont encore en appel présentées de façon regroupée, et non individuelle, et concernent i) une série de bagues présentant un empilement d'anneaux (six modèles présentés en page 27 des conclusions des intimées ; modèle OMEGA 2011 en page 28) dont aucune ne produit une impression globale comparable à celle produite par le modèle ANTIFER (pas d'anneaux se finissant en triangle et formant une 'goutte'), ii) des bagues intégrant des formes triangulaires (page 28) mais qui sont soit des anneaux simples (bagues d'octobre 2000, de février 2009 et d'août 2013), soit des bagues comportant trois pointes nullement évocatrices de gouttes ('Concrete ring'), soit une composition de multiples anneaux pointus non soudés entre eux (l'une des bagues de juillet 2012). La bague MAUBOUSSIN, de couleur argentée, est un empilement d'anneaux, en plus grand nombre que la bague ANTIFER, dont certains présentent une pointe et une forme de goutte, mais ceux-ci sont peu apparents au milieu des anneaux dépourvus de pointe et ne sont pas disposés selon une combinaison similaire à la bague de la société R. ; en outre, la bague est partiellement recouverte d'une étoile très apparente ; la bague MAUBOUSSIN présente ainsi des différences significatives par rapport à la bague ANTIFER et ne produit par la même l'impression globale sur l'utilisateur averti.
Le jugement sera en conséquence également confirmé en ce qu'il a rejeté la demande des sociétés PUNTO FA et MANGO FRANCE en nullité de l'enregistrement du modèle communautaire n° 002379511 0002 de la société R. DIFFUSION.
Sur la preuve de la matérialité de la contrefaçon
Les appelantes, rappelant le principe selon lequel la preuve d'un fait juridique, tel la contrefaçon, peut être apportée par tous moyens, prétendent rapporter la preuve de la matérialité des faits de contrefaçon reprochés. Outre les éléments produits en première instance, elles versent aux débats un procès-verbal établi par un huissier de justice en date du 12 octobre 2015 sur le site shop.mango.com établissant, selon elles, l'offre à la vente en France de la bague litigieuse par la société PUNTO FA.
Les sociétés intimées soutiennent, de première part, que les appelantes ne rapportent pas, à partir des pièces déjà produites en première instance et jugées à juste raison insuffisantes par le tribunal, la preuve de faits imputables à la société MANGO FRANCE. Elles font valoir que les appelantes ne versent aux débats aucun procès-verbal de saisie-contrefaçon, ni aucun constat d'achat en boutique ni même le moindre ticket de caisse attestant la vente de la bague litigieuse dans l'une des boutiques exploitées par la société MANGO FRANCE. Elles considèrent que rien ne prouve que l'exemplaire de la bague litigieuse produite en pièce 15 par les appelantes ait bien été acheté sur le territoire français, a fortiori au sein d'une boutique physique exploitée par la société MANGO FRANCE, précisant que sur les 180 boutiques MANGO environ présentes en France, 43 sont des franchisées indépendantes, que l'extrait du site fashionedito.com faisant état de produits prétendument commercialisés par la société 'MANGO' n'émane pas de la société MANGO, ne fait que rapporter l'affirmation non vérifiée d'un tiers et ne montre pas que la bague litigieuse serait présente dans les boutiques physiques exploitées par la société MANGO FRANCE, que la lettre officielle du 3 juin 2016 émanant du conseil des sociétés MANGO ne concerne pas la seule société française et fait référence aux ventes en Europe et non en France par la société MANGO FRANCE, que les conditions générales du site MANGO prévoyant un échange ou un retour possible des produits dans n'importe quelle boutique en France ne permettent pas de conclure que le produit serait disponible dans les boutiques exploitées en France par MANGO FRANCE. Elles arguent, de seconde part, que la production en appel, extrêmement tardive et donc déloyale, du procès-verbal du 12 octobre 2015 ne démontre ni la commercialisation de la bague litigieuse par la société MANGO FRANCE, dans la mesure où les articles proposés sur le site internet de MANGO ne se retrouvent pas forcément en vente au sein des boutiques exploitées en France par la société MANGO FRANCE, ce qui relève du choix discrétionnaire de la société PUNTO FA, ni la commercialisation de la bague litigieuse par PUNTO FA en dehors du territoire français.
Ceci étant exposé, l'article L.122-4 du code de la propriété intellectuelle dispose que 'Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque'.
Par ailleurs, l'article 19 (1) du règlement (CE) 6/2002 dispose que 'Le dessin ou modèle communautaire enregistré confère à son titulaire le droit exclusif de l'utiliser et d'interdire à tout tiers de l'utiliser sans son consentement. Par utilisation au sens de la présente disposition, on entend en particulier la fabrication, l'offre, la mise sur le marché, l'importation, l'exportation ou l'utilisation d'un produit dans lequel le dessin ou modèle est incorporé ou auquel celui-ci est appliqué, ou le stockage du produit à ces mêmes fins'. L'article L. 515-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que 'Toute atteinte aux droits définis par l'article 19 du règlement (CE) n° 6/2002 du Conseil, du 12 décembre 2001, sur les dessins ou modèles communautaires constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur'.
La comparaison à laquelle la cour a procédé des deux bagues en litige, produites en original, lui a permis de constater que la bague GENEVE C MANGO constitue une copie quasi servile de la bague ANTIFER R. dont elle reprend les caractéristiques originales et protégées par le modèle communautaire enregistré n°002379511-0002, les différences insignifiantes résultant du matériau utilisé, la bague GENEVE C étant en métal doré alors que la bague ANTIFER'est en or rose, et de la grossièreté de la copie. La contrefaçon de droits d'auteur et de dessin et modèle communautaire enregistré est donc constituée.
A l'appui de leur démonstration relative à l'imputabilité des actes de contrefaçon aux sociétés PUNTO FA et MANGO FRANCE, la société R. et Mme R. produisent aux débats, notamment :
- un procès-verbal de constat d'huissier de justice sur internet en date du 12 octobre 2015 attestant de l'offre à la vente en France, à cette date, de la bague litigieuse sur le site shop.mango.com/FR rédigé en français et accessible au consommateur français ; il est constant que ce site est édité par la société espagnole PUNTO FA ; la tardiveté de la production de ce procès-verbal n'est pas de nature à entacher sa valeur probante ;
- l'attestation de la société d'expertise-comptable AUREN AUDITORES fournie par les sociétés intimées elles-mêmes, indiquant que les unités facturées en France, via la plateforme de ventes en ligne, par la société PUNTO FA de la référence 53023604 [la bague GENEVE C], pendant la période du 28 mai 2015 au 10 mars 2016, représentent 41 unités vendues, pour un chiffre d'affaires (hors TVA) de 153,11 euros et qu''une unité a été rendue' le 19 janvier 2017 pour un montant de 4,08 euros ;
- un procès-verbal de constat établi par huissier de justice le 20 octobre 2015 faisant état de la réception par M. Luca G., gérant de la société OR DE VENDOME, d'un colis expédié par la société PUNTO FA et contenant un exemplaire de la bague litigieuse commandé auprès de la société PUNTO FA ; l'huissier indique notamment : 'Monsieur Lucas G. se présente en mon étude muni d'un colis sur lequel est apposée une étiquette. Je peux lire sur ce colis le nom de l'expéditeur : 'PUNTO FA EUROPE 24H C/MERCADERS, 9-11 08184 Palau de Plegamans Barcelona (Spain)' et celui du destinataire 'Luca G. 84 [...])' J'ouvre le colis et relève la présence à l'intérieur d'une boîte en carton contenant un bon d'échange (annexe 1), une étiquette retour colissimo (annexe 2), un sachet plastique contenant la bague (...)' ; le bon d'échange (annexe 1) porte mention du n° et de la date de la commande, la référence de la bague et sa description ('RING F GENEVE C'), le prix et l'adresse d'expédition ; l'étiquette retour Colissimo (annexe 2) mentionne une adresse à Perpignan ; des photographies des étiquettes, colis, bon d'échange, sachets plastique et bague sont insérées dans le constat ; le colis décrit et photographié par l'huissier et la bague qu'il contenait avec une étiquette revêtue de la marque 'MNG' ont été produits aux débats ; la thèse des intimées, admise par le tribunal, selon laquelle ce procès-verbal est dépourvu de valeur probante dans la mesure où l'huissier n'ayant rien dit de l'état du colis ni donné d'élément permettant de s'assurer qu'il n'avait pas été préalablement ouvert, il ne peut être exclu que le contenu de ce colis ait fait l'objet d'une manipulation, doit être écartée ; l'indication apportée par l'huissier 'J'ouvre le colis' permet, en effet, de retenir que le colis était bien fermé lorsqu'il lui a été remis par M. G. et non pas déjà ouvert, ce que l'huissier aurait précisé conformément à son obligation d'impartialité et d'indépendance en sa qualité d'officier public ; la valeur probante de ce procès-verbal est donc entière et établit la vente de la bague litigieuse par la société PUNTO FA sur le territoire français ;
- un procès-verbal de constat d'huissier de justice sur internet en date du 9 mars 2017 comportant des copies d'écran du blog fashionedito.com rédigé en français et accessible au public français, et de plusieurs sites étrangers, montrant l'offre à la vente de la bague litigieuse au prix soldé de 3,49 euros au lieu de 6,99 euros ; ce constat ne fait cependant pas clairement apparaître la vente de la bague litigieuse sur les sites MANGO Lybie, MANGO Algérie, MANGO Bénin, MANGO Arménie, contrairement à ce qui est affirmé par les appelantes ;
- un extrait du blog précité fashionedito.com montrant exactement les mêmes articles soldés que ceux apparaissant sur le constat d'huissier du 9 mars 2017, notamment la bague contrefaisante au prix soldé de 3,49 euros, et comportant la mention 'On solde quoi chez Mango ' 8 janvier 2016. Les soldes battent leur plein dans nos magasins préférés. Et chez Mango il y a toujours des pièces que l'on s'arrache, alors dépêchons-nous d'y aller' ; cette pièce, corroborée par le précédent constat d'huissier, constitue un indice robuste de la vente de la bague litigieuse dans les boutiques exploitées en France par la société MANGO FRANCE, ces boutiques constituant le plus grand nombre des boutiques MANGO en France (aux dires des intimées, sur 180 boutiques en France, 43 seulement sont exploitées par des franchisés indépendants) ;
- une bague GENEVE C avec une étiquette écrite en français et un prix indiqué en euros (6,99 euros) ; les intimées objectent avec raison que l'absence de ticket de caisse ou de facture ne permet pas de démontrer que le produit a été acheté dans une boutique exploitée en France par la société MANGO FRANCE ; cet élément constitue cependant un indice, nécessitant d'être conforté par d'autres, de la mise en vente de la bague litigieuse dans une boutique exploitée en France par la société MANGO FRANCE ;
- la lettre du conseil de la 'société MANGO' en date du 3 juin 2016, en réponse à la lettre de mise en demeure précitée de la société R. du 23 décembre 2015, dans laquelle il indique que le 'modèle vendu par la société MANGO dans certaines de ses boutiques a rencontré peu de succès et a donné lieu à un nombre de vente très réduit en Europe générant un bénéfice dérisoire.(...) En tout état de cause, cette bague n'est plus commercialisée au cours de la saison actuelle' ; ce courrier échangé, répondant à une mise en demeure adressée à la société PUNTO FA mais également à la société MANGO FRANCE, constitue un indice de la reconnaissance de la commercialisation de la bague litigieuse, notamment dans les boutiques implantées en France, exploitées par la société MANGO FRANCE ;
- des extraits du site shop.mango.com/fr en français révélant notamment que si un article, ou la taille ou la couleur recherchée, n'est plus disponible sur le site, il est possible de le 'localiser dans la boutique la plus proche', mais aussi que les articles achetés sur le site 'font partie de la sélection d'articles qui seront mis en vente dans les boutiques physiques du groupe MANGO' et que tous les articles commandés sur ce site peuvent être échangés ou retournés 'depuis n'importe quelle boutique Mango en France', ce qui inclut nécessairement les boutiques exploitées par la société MANGO FRANCE.
La preuve de la contrefaçon pouvant être faite par tous moyens et l'absence de saisie-contrefaçon invoquée par les intimées étant par conséquent indifférente, il résulte à suffisance de l'ensemble des éléments qui viennent d'être exposés :
- d'une part, la preuve non équivoque que la bague contrefaisante a été proposée à la vente et vendue en France par la société PUNTO FA via son site shop.mango.com/FR rédigé en français et accessible au consommateur français (procès-verbal de constat sur internet du 12 octobre 2015 ; attestation de la société d'expertise-comptable AUREN AUDITORES ; procès-verbal de constat du 20 octobre 2015),
- d'autre part, un faisceau d'indices précis et concordants établissant que la bague contrefaisante a été également proposée à la vente et vendue en France dans les boutiques exploitées par la société MANGO FRANCE (mentions en français du blog fashionedito.com relatives à la vente de la bague soldée dans les 'magasins' MANGO et constat d'huissier sur internet du 9 mars 2017 concernant les pages dudit blog ; bague GENEVE C avec son étiquette écrite en français et son prix en euros ; lettre du conseil des sociétés PUNTO FA et MANGO FRANCE du 3 juin 2016 ; indications sur le site shop.mango.com/fr édité en français, relatives à la disponibilité des produits mis en vente sur le site dans les boutiques physiques du groupe MANGO).
Le jugement doit être en conséquence infirmé en ce qu'il a rejeté l'intégralité des demandes de la société R. DIFFUSION et de Mme Gaia R. au titre de la contrefaçon de droits d'auteur sur la bague ANTIFER et du modèle communautaire enregistrée n° 002379511 0002.
Sur les mesures réparatrices
Sur la compétence de la cour pour réparer le préjudice subi en dehors de la France par les appelantes
La société R. et Mme R. soutiennent, au visa des articles 4-1 du règlement n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 (pour le droit d'auteur) et de l'article 82-1 du règlement CE n° 6/2002 sur les dessins et modèles communautaires (pour le modèle enregistré), combinés avec l'article 8-1 du règlement n° 1215/2012 du 12 décembre 2012, que la cour a compétence pour réparer l'intégralité de leur préjudice, en France mais également à l'étranger.
Mais les pièces versées aux débats ne font apparaître que des faits de contrefaçon commis en France par la société MANGO FRANCE et par la société espagnole PUNTO FA, à l'exclusion de faits commis par cette dernière en Lybie, Algérie, Bénin ou Arménie, le procès-verbal de constat d'huissier du 9 mars 2017 n'étant pas suffisamment clair à cet égard comme il a été dit, et les captures d'écran des sites internet anglais, allemand et espagnol produites par les appelantes (leur pièce 19), non corroborées par un procès-verbal de constat d'huissier de justice, n'étant pas, à elles seules, suffisamment probantes pour établir la réalité de faits commis sur les territoires britannique, allemand et espagnol. Dans ses conditions, la discussion engagée par les parties sur la compétence de la cour pour connaître de demandes en réparation des appelantes à raison de faits de contrefaçon commis par la société PUNTO FA à l'étranger est sans objet.
Il n'est pas contesté que la cour est compétente pour réparer le préjudice subi sur le territoire français par les appelantes du fait des actes de contrefaçon commis en France par la société MANGO FRANCE (offre à la vente et vente de la bague contrefaisante dans les boutiques qu'elle exploite) et par la société espagnole PUNTO FA (offre à la vente et vente de la bague contrefaisante sur son site shop.mango.com/FR rédigé en français et accessible au consommateur français).
Sur les demandes de réparation
Sur les demandes indemnitaires
Au titre de la contrefaçon de droit d'auteur, la société R. sollicite la réparation de son préjudice matériel, sur la base d'une indemnisation forfaitaire devant être supérieure au montant des redevances qui auraient été dues par les intimées si elles avaient bénéficié d'une licence de droits d'auteur. A ce titre, elle estime que le montant de son indemnisation ne devrait pas être inférieure à la somme de 20 000 euros en raison de la commercialisation par les intimées de la bague litigieuse pendant trois ans, du nombre de magasins MANGO dans le monde et du caractère emblématique de la bague ANTIFER. Invoquant la banalisation de la bague ANTIFER par des actes litigieux qui portent en outre atteinte à l'image de la Maison R., la société R. sollicite 50 000 euros en réparation de son préjudice moral. Mme Gaia R. réclame 30 000 euros pour réparer l'atteinte portée à l'intégrité de son œuvre par la bague de mauvaise qualité des appelantes, ainsi que l'atteinte portée à ses droits à la paternité sur la bague ANTIFER. Au titre de la contrefaçon de son modèle n°002379511-0002, la société R. demande 20 000 euros et 50 000 euros, au titre respectivement de son préjudice matériel et de son préjudice moral.
Les intimées reprochent aux appelantes de n'avoir procédé à aucune démarche procédurale afin d'obtenir des pièces financières concernant les ventes de la bague litigieuse et d'invoquer différents fondements juridiques afin de multiplier les demandes indemnitaires alors que la réparation doit être limitée au préjudice effectivement subi, un fait unique ne pouvant donner lieu à une double indemnisation du même dommage. Elles font valoir que l'attestation de leur expert-comptable (pièce n°34) démontre que seulement quarante bagues litigieuses ont été vendues par la société PUNTO FA sur le territoire français, donnant lieu à seulement 50,17 euros de bénéfice, que l'évaluation forfaitaire réalisée par les appelantes ne reflète pas la réalité puisque la bague litigieuse n'a pas été commercialisée pendant trois ans'comme il est soutenu, que l'enseigne MANGO renouvelle ses articles selon de courts intervalles et que les appelantes n'apportent pas de preuve certaine de l'étendue géographique de la commercialisation de la bague en cause. Elles soutiennent que les demandes fondées sur le droit moral ne sont pas justifiées et sont en réalité fondées sur les mêmes faits que ceux invoqués au titre du préjudice matériel, à savoir la commercialisation d'une copie de moins bonne qualité.
Ceci étant exposé, l'article L. 331-1-3 du code de la propriété intellectuelle prévoit que ' Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :
1°) Les conséquences économiques négatives de l'atteinte aux droits, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;
2°) Le préjudice moral causé à cette dernière ;
3°) Et les bénéfices réalisés par l'auteur de l'atteinte aux droits, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l'atteinte aux droits.
Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l'auteur de l'atteinte avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée'.
L'article L.521-7 du code de la propriété intellectuelle, applicable aux dessins et modèles communautaires, reprend les mêmes dispositions.
Aucune information n'est fournie par les appelantes quant au montant des redevances exigées par la société R., laquelle indique au demeurant que la bague ANTIFER n'avait pas vocation à être donnée en licence à une société de prêt-à-porter. Il doit être tenu compte, pour réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices résultant de la contrefaçon des droits d'auteur, du fait que la commercialisation de la bague contrefaisante a duré environ une année (de mai 2015 à mars 2016 - attestation comptable PUNTO FA précitée), la durée supérieure de trois ans, alléguée par les appelantes, non démontrée par les pièces au dossier, étant en outre peu compatible avec le modèle économique développé par la société MANGO, basé sur une rotation rapide des produits proposés. Pour les raisons précédemment exposées, il sera tenu compte d'une commercialisation sur le seul territoire français. Il n'est pas démontré que la bague ait été proposée dans l'ensemble des boutiques physiques MANGO exploitées par la société MANGO FRANCE, mais le site internet exploité par la société PUNTO FA shop.mango.com/FR a une visibilité certaine sur l'ensemble du territoire français. Il doit être tenu compte également du prestige attaché à la bague ANTIFER qui émane d'une maison de haute joaillerie et des efforts et investissements consacrés à la création et à la promotion de cette bague dont justifient les appelantes (pièces 132 à 134).
Le préjudice moral subi par la société R. et par Mme R., créatrice de la bague contrefaite, doit être apprécié en tenant compte du fait que la contrefaçon, qui s'est traduite par l'offre à la vente d'une copie de piètre qualité à un prix très bas dans les boutiques de prêt à porter de grande diffusion MANGO et sur internet, a incontestablement terni l'image de la société R. en banalisant et dépréciant la bague ANTIFER et en portant atteinte au prestige et au caractère luxueux qu'elle souhaite réserver à ses bijoux. Cette contrefaçon a en outre porté atteinte au droit au respect de l'oeuvre de Mme Gaia R. et à son droit de paternité sur sa création.
Comme l'a jugé récemment la Cour de Justice de l'Union européenne dans l'arrêt Cofemel du 12 septembre 2019 (aff. C-683/17), cité par toutes les parties, la société R. est bien fondée à demander distinctement réparation des préjudices résultant de la contrefaçon de son modèle, la bague ANTIFER étant aussi protégée par le droit des dessins et modèles communautaires enregistrés.
La réparation des préjudices nés de la contrefaçon du modèle communautaire enregistré tiendra compte de la banalisation et de la dépréciation dudit modèle induites par la contrefaçon.
La cour dispose ainsi des éléments suffisants lui permettant de fixer comme suit l'indemnisation des préjudices subis par la société R. et Mme Gaia R. :
- au titre de la contrefaçon de droits d'auteur :
- préjudice matériel de la société R. : 10 000 euros,
- préjudice moral de la société R. : 10 000 euros,
- préjudice moral de Mme R. : 20 000 euros,
- au titre de la contrefaçon du modèle communautaire enregistré :
- préjudice matériel de la société R. : 10 000 euros,
- préjudice moral de la société R. : 10 000 euros.
Le paiement de ces sommes sera supporté in solidum par les sociétés PUNTO FA et MANGO FRANCE qui ont contribué à la réalisation des mêmes dommages.
Sur les autres demandes
Il sera fait droit, en tant que de besoin, les sociétés intimées affirmant que compte tenu de l'ancienneté des faits, les éventuels stocks ont été nécessairement retournés à la société PUNTO FA, aux mesures d'interdiction, de rappel et destruction des bagues litigieuses GENEVE C, dans les conditions définies au dispositif, sans qu'il y ait lieu au prononcé d'astreintes.
Il sera par ailleurs fait droit à la demande de publication des appelantes dans les limites définies au dispositif.
Sur la demande subsidiaire en parasitisme
La cour faisant droit aux demandes principales en contrefaçon de la société R. et de Mme R., il n'y a lieu de statuer sur leur demande subsidiaire formée au titre du parasitisme.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Les sociétés PUNTO FA et MANGO FRANCE, parties perdantes, seront condamnées in solidum aux dépens de première instance et d'appel, qui pourront être recouvrés directement par Me Christophe C., avocat, conformément à l'article 699 du code de procédure civile, et elles garderont à leur charge les frais non compris dans les dépens qu'elles ont exposés à l'occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et les frais irrépétibles de première instance étant infirmées.
La somme qui doit être mise à la charge des sociétés PUNTO FA et MANGO FRANCE in solidum au titre des frais non compris dans les dépens exposés par la société R. et Mme Gaia R. peut être équitablement fixée à 20 000 € pour les procédures de première instance et d'appel, en ce compris les frais des constats d'huissier en date des 12 et 20 octobre 2015 et 9 mars 2017.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a :
- rejeté la fin de non recevoir tirée du défaut d'originalité de la bague ANTIFER opposée par les sociétés PUNTO FA et MANGO FRANCE,
- rejeté la demande reconventionnelle en nullité de l'enregistrement du modèle communautaire n° 002379511 0002 de la société R. DIFFUSION (aux droits de laquelle vient désormais la société R.) présentée par les sociétés PUNTO FA et MANGO FRANCE et leur fin de non recevoir corrélative,
- rejeté le moyen tiré de la nullité du procès-verbal de constat du 20 octobre 2015 soulevé par les sociétés PUNTO FA et MANGO FRANCE,
L'infirme pour le surplus, statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :
Dit que les sociétés PUNTO FA et MANGO FRANCE, en commercialisant courant 2015 et courant 2016, une bague référencée GENEVE C, ont commis des actes de contrefaçon des droits d'auteur détenus par la société R. (venant aux droits de la société R. DIFFUSION) et Mme Gaia R. sur la bague ANTIFER et des actes de contrefaçon du dessin et modèle communautaire enregistré n° 002379511 0002 dont est titulaire la société R.,
Condamne in solidum les sociétés PUNTO FA et MANGO FRANCE à payer les sommes suivantes :
- à la société R. :
- en réparation des préjudices nés de la contrefaçon de droits d'auteur :
- 10 000 euros au titre du préjudice matériel,
- 10 000 euros au titre du préjudice moral,
- en réparation des préjudices nés de la contrefaçon du modèle communautaire enregistré :
- 10 000 euros au titre du préjudice matériel,
- 10 000 euros au titre du préjudice moral,
- à Mme R. :
- 20 000 euros au titre du préjudice moral né de l'atteinte portée à son droit moral d'auteur,
Ordonne en tant que de besoin aux sociétés PUNTO FA et MANGO FRANCE :
- de cesser les actes de contrefaçon précités, que ce soit sur le site internet shop.mango.com/FR édité par la société PUNTO FA ou dans les boutiques exploitées par la société MANGO FRANCE,
- de rappeler et détruire les bagues référencées GENEVE C,
Autorise la société R. et Mme R. à faire publier dans deux journaux ou revues de leur choix, aux frais in solidum des sociétés PUNTO FA et MANGO FRANCE, le coût total des publications ne pouvant excéder 6 000 € HT, le texte suivant : 'Par arrêt rendu le 29 juin 2021, la cour d'appel de Paris a condamné les sociétés PUNTO FA et MANGO FRANCE pour avoir commis, au préjudice de la société R. et de Mme Gaia R., des actes de contrefaçon de droits d'auteur et de dessin et modèle communautaire enregistré concernant la bague 'ANTIFER' en commercialisant, au cours des années 2015 et 2016, une bague référencée 'GENEVE C' sur le site internet shop.mango.com/FR et dans les boutiques de la société MANGO FRANCE',
Dit n'y avoir lieu de statuer sur la demande subsidiaire de la société R. et de Mme R. en parasitisme,
Condamne les sociétés PUNTO FA et MANGO FRANCE in solidum aux dépens de première instance et d'appel, lesquels pourront être recouvrés directement par Me Christophe C., avocat, conformément à l'article 699 du code de procédure civile,
Condamne les sociétés PUNTO FA et MANGO FRANCE in solidum à payer à la société R. et à Mme Gaia R. la somme de 20 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile pour les procédures de première instance et d'appel,
Rejette toutes les demandes plus amples ou contraires.