CA Riom, 3e ch. civ. et com., 30 juin 2021, n° 18/01699
RIOM
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
CII Gestion (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Chalbos
Conseiller :
Mme Theuil-Dif
Avocats :
Selarl Auverjuris, Selarl Pole Avocats
Faits et procédure - Demandes et moyens des parties :
La SARL CII GESTION, exerçant l'activité d'agent immobilier à Clermont-Ferrand, a conclu le 1er décembre 2014, avec M. X, un contrat d'agent commercial à durée indéterminée, ayant pour objet la recherche de clients pour le compte du mandant, dans les transactions sur des biens immobiliers et des fonds de commerce. M. X ne bénéficiait d'aucune exclusivité, et pouvait exercer son activité sur l'ensemble du territoire national. Sa rémunération était fixée à la commission. Il était convenu que chacune des parties pourrait mettre fin au mandat, moyennant un préavis d'une durée variable selon l'ancienneté du mandat, mais que celui-ci pourrait être rompu sans préavis ni indemnité en cas de faute grave, de force majeure, ou en cas de non réalisation par l'agent commercial d'un chiffre d'affaires mensuel de 5 000 euros (article 4 du contrat).
Des difficultés se sont élevées entre les parties à la fin de l'année 2016 : la société CII GESTION a notifié à M. X, suivant lettre recommandée du 27 décembre 2016, un avertissement avant rupture, au motif qu'il n'avait pas atteint son objectif (fixé selon la lettre à 60 000 euros de chiffre d'affaires, alors qu'il n'avait réalisé que 22 000 euros), et qu'il n'avait pas rempli son obligation de souscrire une assurance responsabilité civile. M. X lui a répondu par une lettre recommandée du 18 janvier 2017, en présentant une attestation d'assurance, et en donnant des explications sur son activité.
Le gérant de la société CII GESTION, suivant deux messages SMS du 23 et du 24 janvier 2017, a demandé à M. X de libérer son bureau, et de restituer les clés de l'agence et l'ordinateur qui lui avaient été confiés, en lui précisant qu'il serait répondu par son avocat à sa lettre du 18 janvier précédent.
M. X, par une nouvelle lettre recommandée avec avis de réception du 27 janvier 2017, a exprimé divers griefs à la société mandante, et lui a déclaré que les agissements de cette société l'empêchaient d'exercer son activité dans le respect du contrat qu'ils avaient conclu, et le plaçaient dans l'hypothèse d'une rupture de ce contrat, avec toutes les conséquences qui en résulteraient.
M. X a ensuite demandé, par une lettre recommandée de son avocat le 7 février 2017, à la société CII GESTION de lui verser diverses sommes au titre de factures de commissions restées impayées, de l'indemnité de préavis et de l'indemnité compensatrice de rupture ; et le 6 septembre 2017, n'ayant pas obtenu satisfaction, il a fait assigner la société CII GESTION devant le tribunal de commerce de Clermont-Ferrand, aux fins d'obtenir le paiement de ces sommes.
Le tribunal de commerce, suivant jugement contradictoire du 19 juillet 2018, a fait partiellement droit aux demandes de M. X, en condamnant la société CII GESTION à lui payer la somme de 12 705,48 euros au titre du préavis, celle de 12 700 euros d'indemnité compensatrice, et une somme de 5 212 euros au titre de deux factures de commissions, outre 1 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
La société CII GESTION, par une déclaration reçue au greffe de la cour le 9 août 2018, a interjeté appel de ce jugement, en toutes ses dispositions.
La société CII GESTION demande à la cour de réformer le jugement, de dire que la rupture est entièrement imputable aux graves manquements commis par M. X, et de rejeter toutes les demandes qu'il a présentées.
Elle rappelle les dispositions de l'article L. 134-13 du code de commerce, selon lequel l'agent commercial n'a pas droit à l'indemnité compensatrice de la rupture du mandat commercial, en cas notamment de faute grave, ou lorsque la rupture est intervenue à son initiative. Elle fait valoir que M. X s'est montré gravement défaillant dans l'exécution de ses obligations : il a n'a réalisé en 2016 qu'un chiffre d'affaires dérisoire, très inférieur à l'objectif contractuel, et en nette diminution par rapport à son résultat de l'année précédente ; au surplus M. X, dans sa lettre du 18 janvier 2017, répondant à l'avertissement qui lui avait été fait, a clairement annoncé son intention de « lever le pied », en invoquant son âge (63 ans) et le recrutement de nouveaux négociateurs par la société mandante ; il s'est abstenu de tout effort de prospection, puisqu'il n'a apporté à la société CII GESTION qu'un seul mandat en 2016 ; et il a omis de justifier d'une assurance responsabilité, pour une partie de sa période d'activité.
À titre subsidiaire, la société CII GESTION demande à la cour de réduire à de plus justes proportions la somme allouée au titre d'indemnité de rupture, et de réduire à 2 341 euros celle accordée au titre des factures de commissions.
M. X demande à la cour de confirmer le jugement, sauf à porter à 25 000 euros le montant de l'indemnité compensatrice de rupture. Il expose que les manquements que lui reproche la société mandante, à les supposer fondés, ne sauraient constituer une faute grave, privative de l'indemnité de rupture ; que cette société a adopté une attitude incohérente, en l'invitant, dans sa lettre d'avertissement du 27 décembre 2016, à déployer un effort pendant le premier trimestre 2017, puis en lui retirant, dès le mois de janvier 2017, tous les moyens de poursuivre son mandat ; que le souhait qu'il a exprimé de « lever le pied » n'a pas nui à son implication dans l'exercice de son activité ; et que le grief de défaut d'assurance est de pure circonstance, aucune demande ne lui ayant jamais été faite à cet égard, avant la lettre d'avertissement.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 31 octobre 2019.
Il est renvoyé, pour l'exposé complet des demandes et observations des parties, à leurs dernières conclusions déposées en cause d'appel, le 7 novembre 2018 et le 4 février 2019.
Motifs de la décision :
Selon l'article L. 134-4 du code de commerce, les contrats intervenus entre les agents commerciaux et leurs mandants sont conclus dans l'intérêt commun des parties. Les rapports entre l'agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information. L'agent commercial doit exécuter son mandat en bon professionnel ; et le mandant doit mettre l'agent commercial en mesure de remplir ses obligations.
L'article L. 134-12 du même code dispose qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi ; cependant aux termes de l'article L. 134-13, le mandataire n'a pas droit à l'indemnité compensatrice de la rupture, entre autres lorsque la cessation du mandat résulte de la faute grave de l'agent commercial.
L'article L. 134-11 du code de commerce oblige d'autre part les deux parties à respecter un préavis, lorsque l'une d'elles veut mettre fin au mandat conclu à durée indéterminée ; cette règle ne s'applique pas en cas de force majeure ou de faute grave.
Ces différentes dispositions sont d'ordre public (article L. 134-16 du code de commerce).
La faute grave est celle qui porte atteinte à la finalité du mandat d'intérêt commun, et rend impossible le maintien du lien contractuel ; elle se distingue du simple manquement aux obligations contractuelles qui justifie la rupture du mandat, sans priver le mandataire du droit à indemnité.
La société CII GESTION ne justifie d'aucune doléance, exprimée à M. X, avant sa lettre d'avertissement du 27 décembre 2016, qualifiée de « premier avertissement avant rupture » ; M. X, dans sa lettre en réponse du 18 janvier 2017, lui a rappelé une conversation qu'il avait eue avec le dirigeant de la société mandante lors de l'été 2016, et lors de laquelle il avait exprimé son intention de « lever le pied » en raison de son âge, et aussi du fait que la société CII GESTION avait recruté deux nouveaux négociateurs, dont le nombre total se trouvait porté à cinq, « pour une structure qui n'en a pas le potentiel », selon M. X celui-ci a détaillé dans sa lettre le temps qu'il avait passé pour négocier la vente d'un moulin à Ardes-sur-Couze, en contestant l'affirmation de la société adverse, selon laquelle cette vente avait été « rentrée par l'agence » ; il a enfin joint à sa lettre une attestation d'assurance responsabilité civile, souscrite à effet du 1er janvier 2017 pour l'activité d'agent commercial immobilier.
Les messages SMS des 23 et 24 janvier 2017 notifiant de fait la rupture, et dont le tribunal a souligné à juste raison le caractère particulièrement cavalier, ne contiennent aucune réfutation ou explication, en réponse aux observations contenues dans la lettre de M. X du 18 janvier 2017 ; la société CII GESTION ne justifie d'ailleurs de l'envoi d'aucune lettre de rupture : la copie de lettre non datée qu'elle verse aux débats en pièce n° 2, dont l'avis de réception n'est pas produit et que M. X conteste avoir reçue, ne peut être considérée comme la preuve qu'elle ait notifié à son agent la résiliation de leur mandat.
Dans tous les cas les griefs invoqués par la société CII GESTION, dans sa lettre d'avertissement du 27 décembre 2016 puis lors de la présente instance, n'apparaissent pas reposer sur une faute grave : M. X a justifié, fût-ce avec retard, d'une assurance responsabilité civile en cours, qui lui permettait de poursuivre son activité ; il s'est expliqué de manière précise sur le motif pour lequel il s'estimait en droit de facturer pour la vente du moulin d'Ardes-sur-Couze une commission fixée au taux applicable aux transactions qu'il avait lui-même apportées ; enfin le principal grief, portant sur l'insuffisance des résultats au regard de l'objectif fixé, s'il pouvait caractériser un manquement aux obligations contractuelles justifiant la rupture du mandat, ne constituait pas une faute grave qui aurait porté atteinte au mandat d'intérêt commun et rendu impossible le maintien du lien contractuel, ce d'autant que la société CII GESTION ne conteste pas que, comme le lui a répondu M. X, elle a recruté de nouveaux négociateurs, rendant de ce fait plus difficile les capacités de prospection de son agent commercial, qui ne bénéficiait d'aucune exclusivité.
C'est donc à bon droit que le tribunal, par le jugement déféré, a dit que M. X était bien fondé dans le principe de ses demandes au titre de l'indemnité de rupture et du préavis ; le jugement sera confirmé, en ce qu'il a fait droit à sa demande au titre du préavis, dont le montant n'est pas contesté.
Le tribunal a par ailleurs justement fixé le montant de l'indemnité compensatrice du préjudice causé par la rupture, en la calculant sur la base de six mois de commission, somme appropriée au regard des éléments propres à l'espèce et notamment de la brièveté du mandat (environ deux années).
Les parties s'opposent d'autre part sur l'existence de commissions restant dues : M. X demande la confirmation du jugement qui lui a alloué la somme de 5 212 euros pour deux factures de commissions qu'il a émises le 15 décembre 2016 et le 16 janvier 2017, et la société CII GESTION conteste pour partie cette demande, en faisant valoir que la seconde facture vise des commissions qui ne sont pas dues, étant demandées pour des actes de gestion locative alors que le mandat ne prévoyait de commissionnement que pour les transactions, et que la première facture comporte une commission calculée à un taux inexact : 40 %, alors que, s'agissant d'une vente que M. X n'avait pas lui-même « prise en mandat », le taux de commission n'était que de 30 % selon l'article 3 du contrat.
Le mandat ne portait, selon l'article 1er de l'acte contractuel, que sur les transactions immobilières et sur fonds de commerce ; l'article 3 stipulait le versement d'une commission « sur les ventes réalisées » par l'agent commercial, et non pas sur d'autres opérations telles que des actes de gestion locative. Dès lors M. X n'était pas fondé à facturer, comme il l'a fait dans sa « note d'honoraires » du 16 janvier 2017, une somme de 1 700 euros pour des « rentrées de mandants de gestion locative » ; sa demande n'est pas fondée à ce titre, puisqu'il ne pouvait prétendre à commissions que sur des opérations de vente.
La commission facturée le 15 décembre 2016 l'a été pour la vente du moulin d'Ardes-sur-Couze, sur laquelle M. X a demandé une commission de 3 512 euros, dont le mode de calcul n'est pas précisé ; selon l'article 3 du contrat, le taux de commission était fixé en principe à 60 %, sauf entre autres pour les affaires « vendues par l'agent commercial [et] qu'il n'aurait pas lui-même prises en mandat », auquel cas la commission serait réduite de moitié. M. X s'est expliqué, de manière détaillée dans sa lettre susdite du 18 janvier 2017, sur les circonstances dans lesquelles a été conclue la vente du moulin d'Ardes-sur-Couze, à la suite de négociations qu'il a conduites dans leur intégralité, et sans aucune intervention de « l'agence », selon les énonciations de cette lettre que la société CII GESTION n'a pas contestées en leur temps, et qu'elle ne conteste pas non plus avec précision lors de la présente instance. M. X est fondé en sa demande de commission au taux non réduit pour cette transaction. Il sera donc fait droit à sa demande de rappel pour la somme totale de 3 512 euros, le jugement étant réformé de ce chef.
M. X demande enfin la condamnation de la SARL CII GESTION à lui fournir « tout renseignement sur l'issue des mandats de vente suivis par ses soins antérieurement à la rupture », concernant trois personnes : la SCI 60-62 rue Fontgiève, Mme C... et M. A... B....
Cependant M. X a déjà facturé, au cours des années 2015 et 2016, plusieurs commissions pour des ventes qu'il avait négociées pour un vendeur identifié comme étant la « SCI 60-62 rue Fontgiève représentée par M. B... A... », pour divers lots vendus par cette SCI (pièces n° 16 et 17 produites par l'intimé) ; il ne précise pas à quelles autres négociations il aurait participé, sur d'autres biens de cette SCI ; il ne donne non plus aucune précision, ni ne produit aucune pièce justificative de son activité pour la vente d'un bien concernant Mme C... ; au vu de l'insuffisance de ces éléments, qui n'établissent pas des indices sérieux de transactions conclues à la suite de l'activité de M. X, et qui fonderaient son droit à commissions, il n'y a pas lieu de faire droit à sa demande de communication de pièces ou d'information par la SARL CII GESTION.
Le jugement sera confirmé, en ce qu'il a rejeté cette demande.
Les dépens d'appel seront mis à la charge de la SARL CII GESTION, dont les demandes sont rejetées pour le principal.
PAR CES MOTIFS, et par ceux non contraires des premiers juges :
La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, mis à la disposition des parties au greffe de la juridiction ;
Infirme le jugement déféré, en ce qu'il a condamné la SARL CII GESTION à payer à M. X une somme de 5 212 euros au titre des factures n° 26 et 27 et, statuant à nouveau de ce chef,
Condamne la SARL CII GESTION à payer à M. X, au titre des commissions restant dues, une somme de 3 512 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 7 février 2017, et rejette le surplus de la demande formée à ce titre ;
Confirme le jugement en toutes ses autres dispositions ;
Condamne la SARL CII GESTION aux dépens d'appel, et à payer à M. X une somme de 1 500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette toutes autres demandes.