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Décisions

CA Montpellier, 4e ch. civ., 30 juin 2021, n° 18/06323

MONTPELLIER

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Soubeyran

Conseillers :

Mme Malafosse, Mme Youl-Pailhes

TI Millau, du 13 nov. 2018

13 novembre 2018

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Christian C. a acquis le 7 juillet 2015 un véhicule d'occasion de marque RENAULT modèle ESPACE auprès d' Alain S. moyennant le prix de 3 500 €.

Au mois d'octobre 2015, ce véhicule est tombé en panne et a nécessité un remorquage.

Faute d'avoir pu obtenir une résolution amiable de la vente, Christian C. a sollicité par assignation délivrée le 26 avril 2016, une mesure d'expertise judiciaire.

Par ordonnance en date du 7 juillet 2016, le juge des référés a fait droit à cette demande et désigné Monsieur R. pour y procéder. L'expert a rendu son rapport le 21 décembre 2016.

Par acte délivré le 4 janvier 2018, Christian C. a fait assigner Alain S. devant le tribunal d'instance de MILLAU aux fins que soit notamment prononcé la résolution de la vente du véhicule.

Par jugement en date du 13 novembre 2018, le tribunal d'instance de Millau a notamment ordonné la résolution pour vices cachés de la vente du véhicule, condamné Alain S. à reprendre possession dudit véhicule à ses frais, dit que Alain S. devra restituer à Christian C. la somme sollicitée de 3 500€ et a ordonné l'exécution provisoire du jugement.

Par déclaration en date du 17 décembre 2018, Monsieur S. a interjeté appel du jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions en date du 21 décembre 2018, Monsieur S. demande de :

« Vu l'expertise judiciaire R.

Vu le jugement du 13 novembre 2018

INFIRMANT le jugement,

CONSTATER que la preuve de l'antériorité du vice à la vente n'est pas rapportée,

REJETER les demandes tendant à la résolution de la vente pour vices cachés,

DEBOUTER Monsieur C. de l'intégralité de ses demandes,

CONDAMNER Monsieur C. à verser à Monsieur S. la somme de 2500 euros

au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

CONDAMNER Monsieur C. aux entiers dépens. »

Il fait valoir pour l'essentiel que l'article 1641 du code civil et la jurisprudence soumettent l'action en garantie des vices cachés à trois conditions cumulatives, le vice doit être occulte, c'est-à-dire non apparent au moment de l'achat ; le vice doit être antérieur à la vente (défaut de conception ou de fabrication d'une pièce, ou usure anormale ou prématurée), enfin, le vice doit être d'une gravité telle qu'il rend le véhicule impropre à l'usage ou diminue tellement cet usage que le demandeur ne l'aurait pas acheté ou pas à ce prix. C'est toujours à l'acheteur de prouver que ces trois conditions sont cumulativement réunies. Au surplus concernant les ventes de véhicules d'occasion, la vétusté normale ne constitue pas un vice caché.

Il fait valoir que le nœud du débat est de déterminer si Monsieur C. rapporte la preuve que le vice affectant un véhicule ancien et qui est apparu postérieurement à la vente du 7 juillet 2015 existait antérieurement à celle-ci.

Or répondant à la question essentielle de l'antériorité du vice par rapport à la vente l'expert judiciaire R. indique en page 26 de son rapport : « en l'absence de preuves nous ne sommes pas en mesure d'indiquer à la juridiction si les désordres étaient présents avant la vente ».

Donc en l'état dudit rapport qui revêt au plan de la preuve un caractère essentiel, force est de constater que le demandeur ne satisfait pas à l'obligation qui lui incombe de démontrer que le vice apparu après la vente existait antérieurement au 7 juillet 2015.

A titre complémentaire, il convient de rappeler que Monsieur C. a acquis, le 7 juillet 2015, un véhicule ancien, ayant beaucoup roulé et acquis pour le prix relativement faible de 3500 €. Selon la jurisprudence précitée concernant les ventes de véhicules d'occasion, les pannes liées à la vétusté normale ne constituent pas des vices cachés.

En l'espèce, à la question « je vous prie de préciser si le dysfonctionnement dont vous faites état peut avoir un lien avec l'usure d'un véhicule sorti en 2003 ayant parcouru plus de 218 000 kms », l'expert répond page 24 du rapport : « Le véhicule d'occasion qui affiche 218 000 kms atteste d'une usure générale ne pouvant exclure des désordres éventuels pouvant survenir après la vente ». Ainsi l'expert judiciaire valide la thèse selon laquelle le défaut apparu postérieurement à la vente du 7 juillet 2015 peut s'expliquer par le fait qu'il s'agit d'un véhicule de 12 ans d'âge ayant parcouru un très important kilométrage.

Par ailleurs, il apparaît qu'entre la vente du 7 juillet 2015 et le 12 août 2015 le véhicule aurait parcouru une distance de 4 244 kms en moins d'un mois sans que n'apparaisse la moindre anomalie. Cette distance est pour le moins très importante puisqu'elle représente une distance moyenne de 140 km par jour. Pour un véhicule aussi ancien c'est un élément essentiel dans l'appréciation du vice.

En outre, il fait valoir que la thèse selon laquelle il serait un professionnel de la mécanique constitue une diversion et n'est d'aucun intérêt. D'une part parce qu'elle est inexacte, il est gérant administratif d'un commerce NORAUTO n'ayant aucune compétence en mécanique, d'autre part parce qu'il s'agit de son véhicule personnel et non d'un véhicule vendu par la société et enfin parce que son prétendu professionnalisme ne suffirait pas à prouver l'antériorité du vice par rapport à la vente.

Aux termes de ses dernières conclusions en date du 5 juin 2019 Monsieur C. demande de :

« DÉBOUTER Alain S. de l'ensemble de ses moyens et demandes ;

CONFIRMER le jugement entrepris (tribunal d'instance de MILLAU, 13 novembre 2018) sauf en celles de ses dispositions ayant débouté Christian C. de ses demandes de remboursement des frais exposés et des frais de location d'un véhicule de remplacement et de sa demande de réparation de la privation d'usage du véhicule ;

Et statuant à nouveau sur ces seuls chefs ainsi infirmés,

CONDAMNER Alain S. à verser à Christian C.:

- au titre des frais exposés la somme de 833,97 euros ;

- au titre des frais de location d'un véhicule de remplacement celle de 2 051,00 euros ;

- en réparation de la privation en réparation de la privation d'usage du véhicule du 1er octobre 2015 (date d'immobilisation du véhicule) jusqu'au 13 novembre 2018 celle de 3 725,00 euros ;

Y ajoutant,

CONDAMNER Alain S. à verser à Christian C., au titre des frais irrépétibles, la somme de 3 000,00 euros ;

CONDAMNER Alain S. aux dépens avec application de l'article 699 du code de procédure civile au profit de l'avocat constitué soussigné. »

Il fait valoir pour l'essentiel qu'aux termes du rapport de l'expert judiciaire, il est établi que le véhicule est bien affecté d'un vice, inconnu de l'acquéreur et qui le rend impropre à son usage et qui revêtait un caractère caché, c'est-à-dire non apparent, au moment de la vente.

S'agissant du critère de gravité, il est également retenu par l'expert judiciaire qui précise que « Les pannes épisodiques et non prévisibles survenues après la vente (10 sur un parcours de 4 000 kilomètres) rendent le véhicule impropre à son utilisation et dangereux en circulation du fait de la coupure moteur obligeant le conducteur à s'arrêter en urgence sans assistance de direction et de freinage. Pour ces raisons le véhicule est immobilisé depuis le 01 octobre 2015 ». Monsieur C. n'aurait jamais acquis ce véhicule s'il avait su qu'il serait confronté à ces pannes épisodiques dont la survenance constitue un danger tant pour le conducteur que pour les autres usagers. C'est donc à juste titre que le premier juge a retenu l'existence d'un vice rédhibitoire.

S'agissant de l'antériorité du vice, il fait valoir pour l'essentiel que le vendeur est garant des vices cachés dès lors que ceux-ci existaient, même en germe, au moment de la vente. L'antériorité du vice se déduit du court délai qui a pu s'écouler entre la vente et les premières manifestations du vice.

En l'espèce, selon l'expert judiciaire le vice est apparu « de suite après la vente ». L'expert rappelle que le vendeur avait fait procéder à une intervention sur le circuit d'injection pour un coût non négligeable et pour laquelle les explications fournies sont toujours restées très obscures sinon existantes. De plus entre la vente du 7 juillet 2015, les premières manifestations des désordres intervenues « de suite après », et la panne du 1eroctobre 2015, le véhicule a seulement parcouru 4.152 km. Il ne s'agit nullement d'utilisation anormale ou intensive du véhicule qui correspond à une moyenne de 48 km par jour.

Dès lors que les premières manifestations de l'avarie sont intervenues immédiatement après la vente jusqu'à aboutir à une panne complète le vice existait manifestement en germe.

Concernant les demandes indemnitaires pour lesquelles il a été débouté en première instance, il fait valoir pour l'essentiel que le vendeur a exploité de nombreux établissements de mécanique dont le garage NORAUTO de MILLAU et qu'il s'est toujours présenté comme un professionnel, le véhicule en litige était d'ailleurs assuré par la police d'assurance du garage garantissant sa flotte. Si cet élément est insuffisant à invoquer l'existence d'une vente par un professionnel de l'automobile il n'en demeure pas moins que le vendeur avait une parfaite connaissance des problématiques susceptibles d'affecter les véhicules en général et son véhicule en particulier.

En l'espèce le vice réside dans une panne « épisodique » et est apparu très rapidement après la vente au niveau d'organes sur lesquels une intervention avait déjà été réalisée. Alain S. avait donc nécessairement connaissance de ces problèmes techniques.

L'ordonnance de clôture est en date du 12 avril 2021.

MOTIFS

A titre liminaire, la cour rappelle qu'en application des dispositions de l'article 954 du Code de procédure civile « la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif » et que les « dire et juger » et les « constater » ne sont pas des prétentions en ce que ces demandes ne confèrent pas de droit à la partie qui les requiert hormis les cas prévus par la loi ; en conséquence, la cour ne statuera pas sur celles-ci, qui ne sont en réalité que le rappel des moyens invoqués.

Sur la résolution de la vente

Il résulte des dispositions de l'article 1641 du code civil que « Le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus. »

En l'espèce, le litige porte essentiellement sur la question de l'antériorité du vice dans la mesure où les parties ne contestent pas que les désordres, constatés sur le véhicule le 24 août 2015 par un professionnel du garage Renault à Espalion et confirmés par l'expert judiciaire, sont d'origine mécanique et électronique et qu'ils rendent l'utilisation du véhicule dangereuse. Le véhicule est immobilisé depuis le 1er octobre 2015.

Il n'est pas davantage contesté que ce vice ne pouvait être vu au moment de la vente par un non professionnel.

Sur la question de l'antériorité du problème, si l'expert judiciaire note en effet à plusieurs reprises qu'il n'est pas en mesure de dire si celui-ci était présent avant la vente, il précise immédiatement qu'une intervention sur le circuit d'injection a eu lieu dans l'atelier NORAUTO de Millau le 22 octobre 2014 et a conduit à un remplacement des électrovannes de pompe à injection et que cette intervention indique un dysfonctionnement du circuit d'injection révélé par le garage NORAUTO de Millau. Par ailleurs, l'outil de diagnostic comme utilisé par ce garage peut effacer ces défauts. L'expert n'a ensuite pas pu obtenir d'élément supplémentaire sur cette intervention dans la mesure où Monsieur S. disait ne pas s'en souvenir et n'avoir aucun document y afférant, tout comme le garage lui-même. Des pièces supplémentaires auraient donc pu apporter des précisions déterminantes.

En tout état de cause, la cour doit rechercher si l'acheteur rapporte la preuve de l'antériorité du vice. Sur ce point, si l'expert ne parvient pas à répondre à cette interrogation, le juge se doit d'y procéder, sous peine de déni de justice. Pour ce faire, il s'agit de s'appuyer sur l'ensemble des éléments mis à disposition au dossier.

Le rapport d'expertise est ici essentiel mais pas l'unique élément.

La cour constate que l'expert qualifie le désordre constaté de « sporadique » ou « épisodique », il s'agit donc d'une anomalie qui apparaît par intermittence et non pas de manière constante. La panne est également considérée par l'expert comme imprévisible.

La vente du véhicule a eu lieu le 7 juillet 2015, Monsieur C. indique avoir constaté une première difficulté dans la semaine qui a suivi la vente, puis qu'elle s'est renouvelée 15 jours après et qu'il a dès lors contacté Monsieur S. téléphoniquement et par courrier. Si l'appelant assure ne pas avoir souvenir de ceci, la survenance de ces premières pannes ponctuelles s'ajoute au fait que Monsieur C. déclare de manière constante qu'entre le jour de la vente et l'immobilisation complète du véhicule, le 1er octobre 2015, soit en moins de trois mois, la panne est survenue à 10 reprises (un témoin s'allume et le véhicule s'arrête sans assistance de direction et de freinage). Durant cette même période, Monsieur C. a pu utiliser le véhicule 4152 km, soit une moyenne de 48 km par jour (et non pas 140 km par jour comme le prétend l'appelant), ce qui constitue une utilisation moyenne loin d'être excessive, notamment en zone rurale.

En conséquence, s'agissant d'une panne épisodique concernant un véhicule présentant déjà 212000 km au compteur au moment de la vente, l'apparition seulement quelques jours après la vente d'une première panne, répétée pas moins de 10 fois ensuite en l'espace de seulement 3 mois et alors que le véhicule n'a pas fait l'objet d'une utilisation excessive mais d'un usage bref de seulement 4152 km, conduit nécessairement à considérer que le vice était antérieur à la vente. En outre, la vétusté normale du véhicule dont se prévaut l'appelant ne peut être retenue au regard de l'accélération du nombre de pannes et de la gravité de leurs conséquences immédiatement après la vente.

La caractérisation de l'ensemble des éléments constitutifs d'un vice caché doit conduire à la résolution de la vente.

Le jugement entrepris sera donc confirmé sur ce point.

Sur le remboursement des frais

A titre reconventionnel, l'intimé entend voir infirmé le jugement en ce qu'il l'a débouté de ses demandes fondées sur les dispositions des articles 1645 et 1646 du code civil.

Le premier de ces articles prévoit que « Si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu'il en a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l'acheteur. » Le second dispose que « Si le vendeur ignorait les vices de la chose, il ne sera tenu qu'à la restitution du prix, et à rembourser l'acquéreur les frais occasionnés par la vente. »

Pour ce faire, il considère notamment que s'il ne peut être considéré comme un professionnel de la vente automobile, Monsieur S. travaillant pour l'entreprise NORAUTO, disposait d’une connaissance suffisante en la matière pour connaître la problématique du véhicule, ce d'autant qu'en 2014, une intervention sur le véhicule avait justement eu lieu concernant la partie défaillante.

Or, la cour doit constater tout d'abord qu'à défaut de pouvoir disposer de pièces supplémentaires concernant l'intervention du 22 octobre 2014 sur le véhicule, il n'est pas possible de caractériser à cette date l'existence d'une avarie et donc d'en déduire que le vendeur en avait nécessairement connaissance.

Par ailleurs, les fonctions que Monsieur S. exerce au sein de l'entreprise NORAUTO ne peuvent suffire pour considérer qu'il est un professionnel au sens où l'entend l'expert lorsqu'il relève que cette panne ne pouvait être vue par un non professionnel, à savoir un technicien de la mécanique automobile.

Le véhicule a fait l'objet de plusieurs entretiens entre fin octobre 2014 et la vente en juillet 2015 sans qu'aucun d'entre eux ne permette de constater une difficulté, ce qui aurait pu conduire Monsieur S. a connaître la problématique. Ainsi, Monsieur S., comme Monsieur C. doit être regardé comme un non professionnel et la cour ne peut considérer qu'il avait connaissance de ce vice. Sur ce point, Monsieur C. doit donc être débouté de sa demande de dommages et intérêts.

Le jugement entrepris sera donc confirmé sur ce point également.

Sur les demandes accessoires

Sur le fondement des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, Monsieur S. qui succombe en cause d'appel sera condamné aux dépens y afférent.

Par ailleurs, il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile et d'autoriser le conseil de Monsieur C. à recouvrer directement ceux des dépens dont il a fait l'avance.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de Monsieur C. les frais exposés par lui pour l'instance d'appel et non compris dans les dépens de sorte qu'il convient de condamner Monsieur S. à lui verser la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Y ajoutant

Condamne Monsieur Alain S. à payer à Monsieur Christian C. la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne Monsieur Alain S. aux entiers dépens d'appel avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de l'avocat constitué pour Monsieur Christian C..