CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 27 juin 1995, n° 94/23630
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Protherm (SARL)
Défendeur :
Hewing GmbH (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bargue
Conseillers :
Mme Penichon, M. Potocki
Avocats :
Me Yaich, Me Trousset
Vu les mémoires, pièces et documents déposés au greffe à l’appui du recours ;
La cour est saisie du recours formé par la société Protherm contre la décision n° 94-D-47 du 6 septembre 1994 du Conseil de la concurrence relative à des pratiques émanant de la société de droit allemand Hewing GmbH (ci-après dénommée Hewing).
Il est fait référence pour l’exposé des éléments de la cause à cette décision et rappelé seulement que :
Le 28 janvier 1994, la société Protherm, qui distribue des tubes et des dalles, composants de système de chauffage, commercialisés par la société Hewing, a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques de prix et de conditions de paiement émanant de son fournisseur, qu’elle estime discriminatoires et susceptibles de favoriser un de ses concurrents ;
Le Conseil de la concurrence (le Conseil) a déclaré irrecevable la saisine présentée par cette entreprise, estimant que cette dernière n’apportait pas d’éléments de nature à établir que les faits dénoncés sont prohibés par les articles 7 et 8 de l’ordonnance du l’ décembre 1986 ;
Le demandeur au recours conclut à la réformation de la décision, estimant que les faits invoqués relèvent de la compétence du Conseil de la concurrence. Il expose que la société Hewing pratique à son encontre, depuis 1989, au travers de ses filiales, les sociétés Polytherm Allemagne et Polytherm France, une politique commerciale déloyale qui se traduit par des conditions de paiement et de livraison discriminatoires, des hausses répétées de tarifs, un détournement de clientèle ainsi que par une mauvaise qualité des livraisons.
La société Hewing, se constituant sur le recours formé par la société Protherm, demande à la cour de confirmer la décision du Conseil et de condamner cette entreprise à lui verser la somme de 10 000 F en application de l’article 700 du NCPC Elle fait valoir qu’en 1992 la société Protherm a déjà saisi des mêmes faits le tribunal de commerce de Paris qui l’a déboutée de sa demande par jugement du 9 novembre 1994. Elle sou ligne que celle-ci ne démontre pas la réalité des agissements dénoncés, non plus que l’existence d’une entente entre les sociétés Hewing et Polytherm ou d’une position dominante d’Hewing en relation avec ces pratiques.
Le ministre de l’économie considère que les faits allégués ne relèvent pas de la compétence du Conseil, le demandeur n’apportant pas la preuve de l’existence d’une position dominante de la société Hewing, et demande à la cour de confirmer la décision entreprise.
Le Conseil de la concurrence fait connaître, dans ses observations écrites du 16 décembre 1994, qu’il n’est pas compétent pour traiter ce type de litiges qui constituent des pratiques éventuellement « sanctionnables soit au regard des dispositions du titre IV de l’ordonnance du « décembre 1986, soit dans le cadre d’un contentieux du contrat, soit sur le terrain de la concurrence déloyale ».
Dans ses conclusions en réplique, la société Protherm observe que l’atteinte au marché est établie dans la mesure où la société Hewing a « tenté de parvenir à une position dominante » dans le secteur des canalisations à base de tubes en matière plastique au moyen des pratiques dénoncées et l’a empêchée de bénéficier d’une saine concurrence en lui imposant des conditions moins favorables que celles accordées à ses filiales, les sociétés Polytherm Allemagne et Polytherm France.
Le ministre de l’économie maintient les observations précédemment formulées, se bornant à indiquer que la double procédure introduite par la société Protherm n’est pas critiquable, le fondement juridique des demandes devant le Conseil et le tribunal de commerce étant différent.
Le Conseil de la concurrence indique, le 31 mars 1995, qu’il n’entend pas formuler d’observations complémentaires à celles adressées le 16 décembre 1994.
La société Hewing réitère ses conclusions tendant à la confirmation de la décision du Conseil et fait observer que l’action intentée devant ce dernier et celle suivie devant le tribunal de commerce ont le même fondement juridique.
Le ministère public conclut oralement au rejet du recours formé par la société Protherm.
Au fond :
Considérant que c’est par des motifs pertinents que la cour fait siens que la saisine présentée par la société Protherm a été déclarée irrecevable par le Conseil de la concurrence :
- qu’en effet les prétentions de la société Protherm concernant l’existence d’une entente entre les sociétés Hewing et ses filiales ne sont appuyées d’aucun élément probant; qu’au surplus, la société requérante n’apporte aucune indication sur les degrés d’autonomie respectifs des sociétés considérées appartenant au même groupe, de nature à établir qu’elles ne constituent pas une unité économique leur permettant d’échapper à des poursuites fondées sur l’article 7 de l’ordonnance de 1986 ;
- que le demandeur ne fournit pas davantage de précisions sur le marché de référence et la position dominante que détiendrait la société Hewing sur ce dernier, se bornant à énoncer que celle-ci s’est efforcée, par le biais des pratiques mises en œuvre, de parvenir à une telle position; que, la détention d’une position dominante n’étant pas en soi répréhensible et la tentative d’abus de position dominante n’étant pas visée par l’article 8 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, le moyen n’est pas fondé ;
Considérant en conséquence que la cour estime que les faits invoqués, à les supposer établis, n’entrent pas dans le champ de compétence du Conseil de la concurrence dès lors qu’ils ne sont susceptibles d’être rattachés ni à une entente ni à l’exploitation abusive d’une position dominante ayant eu pour objet ou ayant pu avoir pour effet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché ;
Considérant dans ces conditions que la mise en cause de la société Hewing apparaît abusive dans la mesure où le demandeur n’a, pas plus devant la cour que devant le Conseil de la concurrence, articulé de fait précis pouvant être qualifié d’agissement anticoncurrentiel; que ce comportement est constitutif d’une légèreté blâmable dans l’exercice des voies de recours ; qu’il convient de condamner la société Protherm au paiement d’une amende civile de 10 000 F en application de l’article 559 du NCPC ;
Considérant qu’il apparaît inéquitable de laisser à la charge de la société Hewing les sommes exposées par elles et non comprises dans les dépens ;
Par ces motifs :
Reçoit la société Protherm en son recours et la société Hewing GmbH en son intervention volontaire;
Rejetant la demande de réformation ;
Confirme la décision du Conseil de la concurrence n° 94-D-47 du 6 septembre 1994 ;
Condamne la société Protherm à payer à la société Hewing GmbH la somme de 5 000 F au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Condamne la société Protherm à verser une amende civile de 10 000 F pour appel abusif ;
Condamne la société Protherm aux dépens de l’instance.