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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 1 décembre 1995, n° 95-7457

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Len medical (SA)

Défendeur :

Ministre de l'Economie, des Finances et du Budget

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Feuillard

Conseillers :

Mme Pinot, Mme Kamara

Avocat :

Me Lamour

CA Paris n° 95-7457

1 décembre 1995

Vu les mémoires, pièces et documents déposés au greffe à l’appui du recours,

La cour statue sur le recours formé par la société LEN Medical à l’encontre de la décision du Conseil de la concurrence n° 95-D-16 du 14 février 1995 qui, à propos de pratiques anticoncurrentielles dans le secteur des matériels d’échographie médicale, a infligé les sanctions pécuniaires suivantes :

500 000 F à la société Toshiba Medical ;

400 000 F à la société Advanced Technology Laboratories (ATL) ;

350 000 F à la société Biomedic ;

270 000 F à la société Sonotron (devenue Diasonics) ;

250 000 F à la société L.E.N. Medical et dit que ces sociétés devront faire publier, dans un délai de trois mois à compter de la signification, à frais communs et à proportion des sanctions prononcées, le texte de la décision dans la revue Abstract Cardio.

Référence faite à cette décision pour un exposé complet des faits et de la procédure initiale, il suffit de rappeler que le ministre de l’économie, des finances et du budget a, par lettre enregistrée le 30 août 1990, saisi le Conseil de la concurrence de pratiques relevées dans le secteur des échographes.

Le Conseil a retenu, en premier lieu, que, à l’issue du congrès de cardiologie pratique tenu en mars 1989, les sociétés Toshiba Medical France, ATL, Biomedic et Sonotron avaient, par une action concertée, fait pression sur la société LEN Medical pour que celle-ci refuse désormais la participation à ce congrès annuel de la centrale d’achats Cardio-Achat, créée par le docteur Moyal, et obtenu de la susnommée la diffusion d’un communiqué commun dans la revue Cardiologie pratique dénonçant à toute la profession les pratiques de cette centrale, en second lieu, que la société LEN Medical avait participé à l’entente dénoncée en acceptant de publier le communiqué litigieux et en s’étant, dans un courrier du 28 mars 1989, réservé la possibilité d’exclure du salon professionnel toute centrale d’achat.

Au soutien de son recours, la société LEN Medical allègue que la publication du communiqué diffusé à la demande des quatre sociétés en cause, qui précisait refuser toute promotion anarchique de matériels d’exploration fondée exclusivement sur des arguments commerciaux, répondait de sa part à la nécessité de veiller à l’éthique et à la morale des salons qu’elle organise, alors que la centrale Cardio-Achat, dont la structure juridique n’est pas définie, s’était installée dans le stand de deux exposants sans avertir les responsables du salon de sa présence; qu’elle avait également pour but d’éviter que les plus grands fabricants de matériels d’échographie remettent en question leur participation à ces salons et de respecter la liberté de la presse, étant observé que, si la centrale Cardio-Achat s’était sentie atteinte par ce communiqué, elle aurait pu demander d’user d’un droit de réponse.

Elle prétend en conséquence qu’elle n’a pas participé à une opération de concertation et conclut à l’infirmation de la décision entreprise en toutes ses dispositions lui faisant grief.

Subsidiairement, elle prie la cour de dire que le Conseil a commis une erreur manifeste en retenant à son encontre un chiffre d’affaires de 67 843 341 F, lequel correspond à un exercice de seize mois; de constater que, du lu janvier au 31 décembre 1993, son chiffre d’affaires s’est élevé à la somme de 43 691 918 F et de juger, dès lors, qu’elle ne saurait supporter une condamnation supérieure à 161 002 F.

Le ministre de l’économie conclut à la confirmation de la décision objet du recours, à l’exception du chef de la sanction infligée à la requérante, qui ne saurait être supérieur à 0,3 p. 100 du chiffre d’affaires réalisé sur une base de douze mois lors du dernier exercice clos.

Le Conseil de la concurrence n’a pas entendu user de la faculté de présenter des observations écrites.

Le ministère public a conclu à l’irrecevabilité du recours au motif que, en contravention avec les dispositions de l’article 2 du décret du 19 octobre 1987, la déclaration formée par la Société LEN Medical ne mentionne pas l’objet de son recours.

Par note en délibéré, la société LEN Medical fait valoir que l’exposé des moyens au soutien de son recours, déposé au greffe dans les deux mois de celui-ci conformément au 30 de l’article 2 du décret précité, précise qu’elle a agi aux fins de réformation de la décision du conseil et que son recours est donc recevable.

Sur ce, la cour,

Sur la recevabilité du recours :

Considérant que l’article 2 du décret du 19 octobre 1987 impose, à peine d’irrecevabilité prononcée d’office, que l’objet du recours, réformation ou annulation, soit précisé dans la déclaration de recours ;

Considérant qu’il est satisfait à cette exigence dès lors que, comme en l’espèce, la décision attaquée est exactement spécifiée dans l’acte de recours et que la finalité de ce dernier se déduit suffisamment à la fois de l’indication que le recours est formé aux fins d’« appel » et de la nature du dispositif de la décision entreprise ;

Considérant au demeurant que le mémoire régulièrement déposé par la requérante dans les deux mois de la notification de la décision du Conseil a, en tant que de besoin, régularisé la déclaration de recours en précisant qu’était poursuivie la réformation de la décision déférée ;

Considérant en conséquence que le recours sera déclaré recevable ;

Sur les pratiques prohibées :

Considérant qu’il est constant que, en février 1989, M. Moyal, docteur en médecine, a constitué une centrale d’ achats dénommée Cardio-Achat, laquelle a consulté certains fournisseurs en vue d’une opération d’acquisition groupée d’échographes; que les sociétés Sonotron, A.T.L., Toshiba

Medical France, Aloka (dont Biomedic distribue le matériel), Elscint, Kontron et Hewlett-Packard ayant formulé des propositions de prix, Cardio Achat a acheté aux deux dernières nommées, lesquelles lui ont consenti des remises de 40 à 50 p. 100, 241 appareillages d’échographie et s’est trouvée présente sur leur stand lors du congrès de cardiologie pratique organisé par la société LEN Medical courant mars 1989 ;

Qu’à la suite de ce congrès la société Toshiba Medical France a, par lettre du 23 mars 1989, protesté auprès de la société LEN Medical contre les pratiques de la centrale d’achats gérée par M. Moyal et demandé à la requérante de lui ouvrir gratuitement les colonnes de son hebdomadaire Cardiologie pratique pour y insérer un communiqué qu’elle entendait élaborer avec d’ autres constructeurs afin de lutter contre les effets pernicieux, selon elle, de la stratégie de ladite centrale d’achats;

Que, par lettre du 28 mars 1989, la société LEN Medical a répondu en ces termes :

« Nous avons été très désagréablement surpris de voir sur le stand de certains constructeurs la promotion pour une centrale d’achats dont nous ignorions complètement l’existence.

« Depuis cinq ans, il a toujours été d’usage que les exposants nous informent de l’animation prévue sur leur stand. Pour la première fois, deux exposants ont cru devoir déroger à cette règle de courtoisie.

« Nous sommes totalement opposés à la promotion et à “l’officialisation” de centrales d’achats quelles qu’elles soient dans le cadre du salon de cardiologie pratique.

Dès l’année prochaine, nous préciserons dans nos contrats de location d’espaces l’interdiction de promouvoir une centrale d’achats, étant naturellement entendu que les fabricants peuvent faire les conditions financières qu’ils jugent nécessaires à la promotion de leurs produits.

« Nous sommes tout à fait d’accord pour publier dans nos colonnes un communiqué émanant des constructeurs et importateurs de matériel.

«Je vous renouvelle mes regrets relatifs à cette “fausse note”» ;

Considérant que c’est dans ces circonstances que la société LEN Medical a publié dans la revue Cardiologie pratique du 31 mai 1989 le communiqué suivant :

«Les sociétés Aloka, ATL, Sonotron et Toshiba, soucieuses de la défense des intérêts des malades comme de la corporation médicale et représentant à elles seules près des trois quarts du marché français de l’échographie, souhaitent faire la mise au point suivante :

«L’organisation du dernier salon de cardiologie pratique s’est laissé surprendre par la promotion d’une certaine centrale d’achats assurée sur deux stands d’exposition.

« Les soussignés mettent en garde les lecteurs vis-à-vis des personnes voulant s’instaurer représentants des fabricants, sans en avoir nécessairement les qualifications et qualités requises.

« Les pouvoirs publics travaillant actuellement sur la notion d’enveloppe globale, toute promotion anarchique de moyens d’exploration sur des arguments uniquement commerciaux est dangereuse pour le malade comme pour le médecin et remet en cause l’ensemble de la stratégie d’investissement de la corporation.

« Les soussignés s’élèvent donc fermement contre de telles pratiques, qui, dans ce contexte, discréditent l’ensemble de la profession et leur font émettre les plus expresses réserves quant à leur participation future à de telles manifestations » ;

Considérant que, par la suite, la requérante a sélectionné les centrales d’achats auxquelles elle a donné en location des espaces d’exposition et que la centrale de M. Moyal n’a plus participé aux congrès de cardiologie ;

Considérant que les pratiques ainsi relevées à l’encontre de la société LEN Medical ont eu pour objet et pu avoir pour effet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur le marché des matériels médicaux d’échographie dès lors qu’elles caractérisent une participation à l’action concertée des quatre sociétés susnommées visant à exclure des salons de cardiologie pratique la centrale Cardio-Achat ;

Que ces pratiques ne sont justifiées ni par la liberté de la presse et l’existence d’un droit de réponse, ni par les nécessités de la formation et de l’éthique médicales dont il incombe aux instances ordinales de pour voir, ni encore par l’absence de précisions sur la structure juridique de Cardio-Achat puisque cette centrale était un acteur économique réel sur le marché en cause ;

Considérant qu’il s’ensuit que le Conseil a exactement décidé que la société LEN Medical a participé à une pratique prohibée par l’article 7 de l’ordonnance du 1er décembre 1986

Sur la sanction :

Considérant qu’il est acquis au débat que le chiffre d’affaires de la société LEN Medical retenu par le Conseil a été réalisé sur une période de seize mois, 1er janvier 1993-30 avril 1994, alors que le chiffre d’affaires pris en compte à l’égard des autres sociétés sanctionnées se rapporte, à juste titre, à un exercice de douze mois ;

Que, du l’ janvier au 31 décembre 1993, le chiffre d’affaires de la société LEN Medical s’est élevé à 43 691 918 F; que ce chiffre doit servir d’assiette à la sanction ;

Considérant que, pour se livrer aux pratiques qui lui sont imputées, la société LEN Medical a cédé à la sollicitation de quatre fournisseurs importants de matériels échographiques ;

Que, eu égard à la gravité réelle des faits qui lui sont reprochés, à l’importance du dommage causé à l’économie et à sa situation, il convient d’infliger à la société LEN Medical une sanction pécuniaire de 130000 F ;

Considérant que la requérante succombe dans l’essentiel de son recours ; qu’elle en supportera donc les dépens ;

Par ces motifs :

Déclare recevable le recours de la société LEN Medical contre la décision n° 95-D-16 du 14 février 1995 ;

Réformant cette décision sur le montant de la sanction,

Inflige à la société LEN Medical une sanction pécuniaire de 130000 F ;

Confirme pour le surplus la décision entreprise ;

Condamne la requérante aux dépens.