CA Aix-en-Provence, ch. 3-1, 1 juillet 2021, n° 17/21528
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
SFR (Sté)
Défendeur :
Selarl Benoit et Associés (ès qual.), Lisacom (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Calloch
Avocats :
Me Edme, Me Vacarie
FAITS ET PROCÉDURE
Le 28 février 2008 la société LISACOM a conclu un contrat d'agent commercial avec la société FUTUR TELECOM aux droits de laquelle se trouve la société SFR.
La société LISACOM faisant état de fautes de son mandant, elle l'a fait assigner devant le tribunal de commerce d'Aix-en-Provence en résiliation de contrat et pour obtenir paiement de la somme de 209.649 euros au titre de l'indemnité de rupture outre 50 000 euros à titre de dommages et intérêts.
Par jugement assorti de l'exécution provisoire du 23 octobre 2017 le Tribunal de commerce d'Aix-en-Provence a statué ainsi :
- prononce, à effet de ce jour, la résiliation judiciaire, aux torts de la S.A. FUTUR TELECOM du contrat d'agent commercial conclu en date du 28 février 2008 entre la SARL LISACOM et la S.A. FUTUR TELECOM ;
- condamne la S.A. FUTUR TELECOM à payer à la SARL LISACOM la somme de 209 000 euros ou titre de l'indemnité compensatrice visée à l'article L. 134-12 du code de commerce ;
- rejette la demande de la SARL LISACOM tendant à voir la S.A. FUTUR TELECOM condamné à lui payer la somme de 50 000 euros à titre de dommages intérêts ;
- déboute la S.A. FUTUR TELECOM de l'ensemble de ses demandes ;
- condamne, sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile, la S.A. FUTUR TELECOM à payer à la SARL LISACOM la somme de 3 000 euros ;
- ordonne l'exécution provisoire de la présente décision, mais la subordonne à la fourniture par la SARL LISACOM à la S.A. FUTUR TELECOM de la caution d'un établissement financier membre de l'Association Française des Banques, caution d'un montant de 209 000 euros, consentie jusqu'au terme de la procédure d'appel et dont le coût sera avancé par la SARL LISACOM et supporté par la partie qui succombera en cause d'appel ;
La société SFR a relevé appel de cette décision.
Par ordonnance du 3 juillet 2018, le conseiller de la mise en état a constaté que la société LISACOM n'ayant pu obtenir une caution bancaire, elle ne pouvait bénéficier de l'exécution provisoire.
Par ordonnance du 15 octobre 2018, le juge des référés du tribunal précité a condamné la société SFR à :
- communiquer sous astreinte de 300 par jour à compter de la signification de la décision, les relevés de commissions prétendument dues à la société LISACOM depuis le 23 octobre 2017 ainsi que tous les documents comptables permettant à la société LISACOM de vérifier le calcul de ses commissions depuis cette date.
- payer une indemnité provisionnelle de 69 600 outre une indemnité de 3 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Par arrêt du 14 mars 2019, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a réformé cette décision.
Par ordonnance du 1er octobre 2019, le conseiller de la mise en état, saisi par la SARL LISACOM d'une demande de communication de pièces sous astreinte, l'a déclarée irrecevable.
Cette décision a fait l'objet d'un déféré et par arrêt du 14 janvier 2021, la cour a confirmé la décision entreprise.
Par jugement en date du 18 février 2020, le tribunal de commerce de TOULOUSE a ouvert une procédure de sauvegarde judiciaire à l'égard de la société LISACOM et a désigné Maître X en qualité de mandataire judiciaire.
Suivant ordonnance en date du 19 avril 2021, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de l'instruction et a renvoyé l'examen de l'affaire à l'audience du 17 mai 2021.
A l'appui de son appel, par conclusions déposées au greffe le 6 avril 2021, a société SFR expose :
- que son appel est recevable et que le paiement de l'indemnité de 3 000 allouée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ne peut constituer un acquiescement de sa part,
- qu'elle n'a nullement fait obstacle à l'exécution du contrat d'agent commercial de la société LISACOM et n'a commis aucun manquement contractuel,
- que la société FUTUR TELECOM disposait d'une gamme complète de services de téléphonie fixe, mobile et Internet dédiée à sa clientèle cible, et que ses services étaient compétitifs,
- que les agents commerciaux de la société FUTUR TELECOM ont toujours pu vendre les services FUTUR TELECOM aux clients existants et à de nouveaux clients de la société FUTUR TELECOM, mais ils ne pouvaient distribuer les services SFR que la société FUTUR TELECOM pouvait proposer à sa clientèle car le Groupe SFR n'a jamais autorisé la distribution de ses services par des agents commerciaux,
- que pour ne pas pénaliser ses agents commerciaux et leur éviter d'être en concurrence avec des distributeurs SFR, la société FUTUR TELECOM leur a proposé de signer en complément de leur contrat d'agent commercial, un contrat de courtage qui leur permettait d'être l'interlocuteur (plutôt que ce soit un distributeur SFR) des clients et prospects de la société FUTUR TELECOM intéressés par les services SFR distribués par la société FUTUR TELECOM,
- que la société LISACOM a refusé de signer le contrat de courtage proposé,
- que la société FUTUR TELECOM n'a donc commis aucun manquement au contrat d'agent commercial.
La société SFR sollicite la réformation du jugement attaqué.
A titre subsidiaire, l'appelante demande de :
- ordonner la compensation entre le montant des condamnations prononcées par la Cour d'Appel de Céans envers la société SFR venant aux droits de la société FUTUR TELECOM et le montant des condamnations prononcées contre la société LISACOM mais non versées par cette dernière et ainsi détaillées,
La somme de 72 600 non versée au mépris de l'arrêt rendu par la cour d'appel d'Aix-en-Provence le 14 mars 2019,
La somme de 1 500 non versée au mépris du jugement rendu par le juge de l'exécution près le Tribunal de Grande Instance d'Aix-en-Provence le 4 avril 2019,
La somme de 1 200 non versée au mépris de l'ordonnance rendue par monsieur le conseiller de la mise en état près la Cour d'Appel d'Aix-en-Provence le 1er octobre 2019.
La société LISACOM et Maître X ès qualité, par conclusions déposées le 24 février 2021, rétorquent :
- que la société SFR a procédé à l'exécution du jugement en versant la somme de 3.000 euros et que son appel est irrecevable,
Subsidiairement,
- que la société SFR, venant aux droits de la société FUTUR TELECOM, fait obstacle à l'exécution normale du contrat d'agent commercial puisque la société FUTUR TELECOM distribuait non seulement des « offres FUTUR TELECOM », mais aussi des « offres SFR » c'est-à-dire émanant de sa maison mère,
- que les offres SFR concurrençaient directement les offres de FUTUR TELECOM et donc que le mandant de la société LISACOM lui faisait directement concurrence,
- que la société SFR lui a proposé un contrat de courtage, ce qui ne fait que démontrer que SFR a mis en place un second système de distribution de produits qui font directement concurrence à ceux proposés par ses agents commerciaux.
La société LISACOM et Maître X ès qualité concluent à la confirmation de la décision déférée sauf en ce que le tribunal a refusé de leur accorder la somme de 50 000 euros de dommages et intérêts.
Elles sollicitent en outre la somme 313 200 euros HT à titre de commissions impayées de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait du caractère abusif de l'appel interjeté.
La cour renvoie, pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties à leurs écritures précitées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la recevabilité de l'appel.
Les articles 410 et 558 du code de procédure civile ne sont pas applicables en cas d'exécution des condamnations aux dépens ou aux sommes allouées en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Dès lors, la société intimée ne peut prétendre que le fait pour la société SFR de payer l'indemnité mise à sa charge au titre de l'article 700 du code de procédure civile constituerait un acquiescement au jugement.
La suppression des accès informatiques par la société FUTUR TELECOM est une conséquence du jugement ayant prononcé la résiliation judiciaire du contrat, jugement assorti sous condition de la fourniture d'un cautionnement par le bénéficiaire de l'exécution provisoire ; elle ne peut en conséquence s'analyser comme valant acquiescement à la dite décision, mais comme un acte d'exécution de la décision, décision exécutoire au moment de son prononcé et qui a perdu ce caractère du fait de l'absence de cautionnement imputable à la société LISACOM.
L'appel est donc recevable.
Sur le fond.
Les pièces versées aux débats font ressortir que suite à l'intégration de la société FUTUR TELECOM par l'entité NUMERICABLE SFR, la société FUTUR TELECOM a proposé à la clientèle non seulement ses offres, mais aussi celles de SFR directement concurrentes aux siennes.
La société appelante invoque l'article 3 alinéa 2 du contrat d'agent commercial signé par la société LISACOM qui prévoit que : « En particulier, il est précisé à l'Agent que le Mandant dispose et développe son activité par l'intermédiaire notamment d'autres distributeurs. Informé de cette situation, L'Agent reconnaît qu'elle ne constitue pas un acte de concurrence déloyale du Mandant à son encontre ».
Toutefois, cette stipulation ne peut s'appliquer en l'espèce puisque la modification de la politique commerciale de la société FUTUR TELECOM induite par la fusion entre SFR et NUMERICABLE est postérieure à la signature du contrat et qu'en conséquence l'agent commercial ne peut être considéré comme ayant accepté cette modification des conditions d'exercice de son mandat inconnu à la date du contrat.
La société SFR n'a donc pas mis en mesure son agent d'exécuter normalement son contrat et a manqué à son devoir de loyauté en modifiant unilatéralement la politique de distribution des produits et services visés.
La société appelante était parfaitement consciente des difficultés rencontrées par la société LISACOM pour exécuter son contrat d'agent commercial du fait de la priorité donnée aux produits SFR puisqu'elle lui a proposé un contrat de courtage pour distribuer les produits de cette société, contrat moins protecteur que celui d'agent commercial et que la société LISACOM n'était pas tenue de souscrire.
C'est donc par une parfaite application de l'article L. 134-4 du code de commerce que le tribunal a prononcé la résiliation du contrat d'agent commercial aux torts de la société SFR.
La société LISACOM justifie du montant des commissions perçues :
- en 2014 : 115 853 euros HT de commissions ;
- en 2015 : 93 796,06 euros HT de commissions ;
Soit au total : 209 649 euros.
En application de l'article L. 134-12 du code de commerce, l'indemnité de rupture est fixée à la somme de 209 649 euros, somme qui produira intérêts au taux légal à compter du jugement avec capitalisation des intérêts.
L'indemnité de cessation de contrat due à l'agent commercial a pour objet de réparer le préjudice qui comprend la perte de toutes les rémunérations acquises lors de l'activité développée dans l'intérêt commun des parties.
La société LISACOM est déboutée en conséquence de sa demande de dommages et intérêts formée en outre de la demande d'indemnité de cessation de contrat.
L'exercice d'une action en justice constitue, en principe, un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages-intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi, ou d'erreur grossière équipollente au dol.
La société intimée sera déboutée de sa demande à ce titre, faute pour elle de rapporter la preuve d'une quelconque intention de nuire ou légèreté blâmable de la part de l'appelant, qui a pu légitimement se méprendre sur l'étendue de ses droits, et d'établir l'existence d'un préjudice autre que celui subi du fait des frais de défense exposés.
En conséquence, le jugement à la motivation duquel il convient de se référer pour le surplus est confirmé en toutes ses dispositions, les demandes présentées par la société SFR étant rejetées.
Sur la demande en paiement d'une somme de 313 200 euros HT à titre de commissions impayées.
La société LISACOM ne peut à la fois demander la confirmation de la décision ayant prononcé la résiliation du contrat et obtenir le paiement de commissions postérieurement à cette résiliation ; elle n'apporte par ailleurs aucun élément probant permettant de constater que des clients préalablement introduits par elle avant la résiliation aient souscrits d'autres services ; enfin, son calcul basé sur une moyenne de 8 700 par mois est fondé sur les chiffres moyens en cours d'exécution du contrat, et non sur des éléments concernant d'éventuelles commissions dues pour des ventes ultérieures; à la supposer recevable, bien que non présentée devant les premiers juges, la demande formée au titre des commissions impayées postérieurement à la résiliation du contrat apparaît en conséquence non fondée.
Sur la compensation
Suite à l'ordonnance rendue le 15 octobre 2018 par le juge des référés du tribunal d'Aix-en-Provence, le Conseil de la société SFR a adressé au Conseil de la société LISACOM le 20 novembre 2018 un chèque de 72.600 à l'ordre de la CARPA en exécution de cette décision.
Par arrêt en date du 14 mars 2019, la Cour d'Appel a réformé cette ordonnance.
La société intimée ne justifie pas avoir remboursé cette somme.
La société LISACOM est aussi débitrice de la somme de 1500 résultant d'un jugement rendu par le juge de l'exécution près le tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence le 4 avril 2019 et de la somme de 1200 non versée suite à l'ordonnance rendue par Monsieur le conseiller de la mise en état près la Cour d'Appel d'Aix-en-Provence le 1er' octobre 2019.
Il convient donc d'ordonner la compensation entre les sommes précitées d'un total de 75 300 euros avec les condamnations prononcées par la présente décision.
Il y a lieu de condamner la société SFR à payer à la société LISACOM une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Déclare recevable l'appel interjeté par la société SFR,
Confirme le jugement attaqué,
Y ajoutant,
Dit que la somme de 209 649 euros produira intérêts au taux légal à compter du jugement et emportera capitalisation des intérêts,
Condamne la société SFR à payer à la société LISACOM une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Ordonne la compensation entre les sommes allouées à la société LISACOM au titre de la présente décision avec la créance de la société SFR d'un montant de 75 300 euros,
Déboute les parties de leurs demandes autres ou plus amples,
Condamne la société SFR aux dépens recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.