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Décisions

CAA Nancy, 3e ch., 6 juillet 2021, n° 19NC00777

NANCY

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Ministre de l'Economie et des Finances

Défendeur :

Muré (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Vidal

Rapporteur :

M. Rees

Rapporteure publique :

Mme Seibt

TA Strasbourg, du 16 janv. 2019

16 janvier 2019

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Muré a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 3 décembre 2015 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Alsace lui a infligé une amende administrative de 13 800 euros, ensemble la décision du 28 juin 2016 par laquelle le ministre de l'Economie, de l'Industrie et du Numérique a rejeté son recours hiérarchique.

Par un jugement n° 1604749 du 16 janvier 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a ramené le montant de l'amende contestée à 1 000 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 13 mars et 14 juin 2019, le ministre de l'Economie et des Finances demande à la cour d'annuler le jugement n° 1604749 du tribunal administratif de Strasbourg du 16 janvier 2019 et de rejeter la demande présentée par la société Muré devant le tribunal.

Il soutient que c'est à tort que le tribunal a considéré que l'appréciation du caractère fautif des agissements relevés à l'encontre de la société Muré, pour le paiement de factures antérieures au 19 mars 2014, doit s'apprécier au regard des dispositions des articles L. 441-6 et L. 442-6 du code de commerce dans leur rédaction applicable au moment des faits et non au regard des dispositions du neuvième alinéa du I de l'article L. 441-6 du code de commerce, dans sa rédaction en vigueur à la date de la sanction contestée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 mai 2019, la société Muré, représentée par Me X, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à lui verser en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient qu'aucun des moyens soulevés par le ministre n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- le code de commerce ;

- la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Rees,

- les conclusions de Mme Seibt, rapporteure publique,

- et les observations de M. Y pour le ministre de l'Economie, des Finances et de la Relance.

Considérant ce qui suit :

1. La société Muré a pour activité principale la vinification et la commercialisation de vins d'Alsace AOC. A la suite d'un contrôle de ses délais de paiement de ses fournisseurs sur la période du 1er juillet 2013 au 30 juin 2014 et au vu du procès-verbal dressé le 17 juillet 2015 et des observations de l'intéressée, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) d'Alsace lui a, par une décision du 3 décembre 2015, infligé une amende administrative de 13 800 euros. Saisi par voie de recours hiérarchique, le ministre de l'Economie, de l'Industrie et du Numérique a confirmé cette amende par une décision du 28 juin 2016.

2. Le ministre de l'Economie et des Finances relève appel du jugement du 16 janvier 2019 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a ramené le montant de l'amende contestée à 1 000 euros.

Sur le moyen retenu par le tribunal :

3. Après avoir, d'une part, considéré que l'administration n'était pas fondée à prononcer l'amende administrative prévue par les dispositions du VI de l'article L. 441-6 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, au titre des factures émises avant le 19 mars 2014, date d'entrée en vigueur de cette loi, dès lors que la sanction du dépassement du délai de paiement de ces factures relevait des dispositions de l'article L. 442-6, dans sa rédaction antérieure à cette loi et, d'autre part, relevé que, sur les soixante factures retenues par l'administration, seules les sept émises entre le 20 mars 2014 et le 14 avril 2014 pouvaient être légalement prises en compte pour fonder la sanction en litige, le tribunal s'est fondé sur le moyen tiré du caractère disproportionné, au regard de la gravité des sept manquements ainsi constatés, du montant de l'amende, pour ramener celui-ci de 13 800 à 1 000 euros.

En ce qui concerne le fondement légal de la sanction contestée :

4. Aux termes du neuvième alinéa du I de l'article L. 441-6 du code de commerce dans sa rédaction applicable aux faits de l'espèce : « Le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues ne peut dépasser quarante-cinq jours fin de mois ou soixante jours à compter de la date d'émission de la facture ». Aux termes du I de l'article L. 442-6 du code de commerce, dans sa version antérieure à la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation : « Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : / (...) 7° De soumettre un partenaire à des conditions de règlement qui ne respectent pas le plafond fixé au neuvième alinéa de l'article L. 441-6 ou qui sont manifestement abusives, compte tenu des bonnes pratiques et usages commerciaux, et s'écartent au détriment du créancier, sans raison objective, du délai indiqué au huitième alinéa de l'article L. 441-6. (...) ». Le III du même article disposait que : « L'action est introduite devant la juridiction civile ou commerciale compétente par toute personne justifiant d'un intérêt, par le ministère public, par le ministre chargé de l'économie ou par le président de l'Autorité de la concurrence lorsque ce dernier constate, à l'occasion des affaires qui relèvent de sa compétence, une pratique mentionnée au présent article. / Lors de cette action, le ministre chargé de l'économie et le ministère public peuvent demander à la juridiction saisie d'ordonner la cessation des pratiques mentionnées au présent article. Ils peuvent aussi, pour toutes ces pratiques, faire constater la nullité des clauses ou contrats illicites et demander la répétition de l'indu. Ils peuvent également demander le prononcé d'une amende civile dont le montant ne peut être supérieur à 2 millions d'euros. (...). / La juridiction peut ordonner la publication, la diffusion ou l'affichage de sa décision ou d'un extrait de celle-ci selon les modalités qu'elle précise. (...) ». L'article 123 de la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation a abrogé le 7° de l'article L. 442-6 du code de commerce précité et ajouté à l'article L. 441-6 du même code un VI ainsi rédigé, dans la version adoptée par le Parlement : « Sont passibles d'une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75 000 € pour une personne physique et 375 000 € pour une personne morale le fait de ne pas respecter les délais de paiement mentionnés aux huitième, neuvième et onzième alinéas du I du présent article, ainsi que le fait de ne pas respecter les modalités de computation des délais de paiement convenues entre les parties conformément au neuvième alinéa dudit I. (...) »

5. Par ailleurs, aux termes de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires (...) ». Le fait de ne pas appliquer aux infractions commises sous l'empire de la loi ancienne la loi pénale nouvelle, plus douce, revient à permettre au juge de prononcer les peines prévues par la loi ancienne qui, selon l'appréciation même du législateur, ne sont plus nécessaires. Dès lors, sauf à ce que la répression antérieure plus sévère soit inhérente aux règles auxquelles la loi nouvelle s'est substituée, le principe de nécessité des peines implique que la loi pénale plus douce soit rendue immédiatement applicable aux infractions commises avant son entrée en vigueur qui n'ont pas donné lieu à des condamnations passées en force de chose jugée. Ce principe s'applique à toute sanction ayant le caractère d'une punition, même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non juridictionnelle.

6. En substituant à l'amende civile de 2 millions d'euros prévue par le I de l'article L. 442-6 du code de commerce, qui sanctionnait « le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : / (...) 7° De soumettre un partenaire à des conditions de règlement qui ne respectent pas le plafond fixé au neuvième alinéa de l'article L. 441-6 », une amende administrative sanctionnant « le fait de ne pas respecter les délais de paiement mentionnés » au neuvième alinéa du I de l'article L. 441-6 du code de commerce, d'un montant de 75 000 euros pour une personne physique et 375 000 euros pour une personne morale, l'article 123 de la loi du 17 mars 2014 a, sans modifier la teneur des faits sanctionnés, modifié les règles de compétence et de procédure et réduit le quantum de la peine applicable. Ainsi, cette loi constitue, pour l'application du principe rappelé au point 5 ci-dessus, une loi pénale plus douce immédiatement applicable aux faits commis antérieurement à son entrée en vigueur.

7. Il s'ensuit que le ministre est fondé à soutenir que, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, l'amende administrative prévue par le VI de l'article L. 441-6 du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi du 17 mars 2014 pouvait être légalement décidée au regard de l'ensemble des manquements au neuvième alinéa du I du même article, commis pendant la période du 1er juillet 2013 au 30 juin 2014, sur laquelle a porté le contrôle.

En ce qui concerne la proportionnalité de la sanction :

8. Il résulte de l'instruction que les soixante factures pour lesquelles des manquements au délai maximal de paiement prévu par le neuvième alinéa du I de l'article L. 441-6 du code de commerce ont été constatés par le procès-verbal dressé le 17 juillet 2015, représentent un montant total de 218 062,26 euros, soit 7,43 % du chiffre d'affaires de la société Muré en 2014, et ont été réglées avec un retard moyen pondéré de plus de 16 jours, au détriment de 22 fournisseurs différents.

9. Le prononcé de l'amende administrative en litige n'étant pas subordonné à la prise en compte de l'ensemble de l'activité de la personne concernée, la société Muré ne peut pas utilement faire valoir que l'ampleur des dépassements serait biaisée par l'absence de prise en compte des factures des transporteurs routiers et des apporteurs de raisins. Elle ne peut pas non plus utilement se prévaloir de sa bonne foi, de ce qu'elle-même serait victime de retards de paiement ou, encore, de ses difficultés organisationnelles liées à sa petite taille, aucune de ces circonstances n'étant, au regard des dispositions applicables, de nature à atténuer la gravité des manquements qui lui sont reprochés. Enfin, si la société Muré fait valoir que l'administration n'a pris en compte que deux des huit factures, émises pendant la période sur laquelle a porté le contrôle, pour lesquelles ses retards de paiement s'expliqueraient par un litige avec le fournisseur concerné, les éléments qu'elle apporte ne permettent pas d'établir la réalité des litiges allégués pour les six autres factures. Au surplus, le montant total des factures selon elle litigieuses, inférieur à 28 000 euros, n'est pas significatif au regard du montant mentionné au point précédent.

10. Dans ces conditions, eu égard aux éléments rappelés au point 8, dont la société Muré ne conteste pas l'exactitude, et alors qu'elle représente moins de 4 % du montant maximal prévu, pour les personnes morales, par le VI de l'article L. 441-6 du code de commerce, l'amende administrative de 13 800 euros infligée à l'intéressée n'apparaît pas disproportionnée. Dès lors, le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal s'est fondé sur le moyen tiré de son caractère disproportionné pour en réduire le montant à 1 000 euros.

11. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société Muré, tant devant le tribunal administratif de Strasbourg que devant elle.

Sur les autres moyens soulevés par la société Muré :

12. En premier lieu, la société Muré fait valoir que la décision du 3 décembre 2015 indique de manière inexacte que la sanction en litige est fondée sur la méconnaissance de l'article L. 443-1 du code de commerce, relatif aux délais de paiement des denrées alimentaires périssables, alors que le procès-verbal d'infraction sur lequel reposent les poursuites ne vise que les dispositions de l'article L. 441-6 VI du code de commerce, relatif aux délais de paiement généraux. Selon elle, les conditions de paiement prévues par les deux séries de dispositions étant très différentes les unes des autres, cette erreur a nécessairement viciée l'appréciation portée par l'administration sur les manquements qu'elle lui reproche.

13. Toutefois, il ressort des énonciations de la décision du 3 décembre 2015 qu'elle est fondée sur les observations et constatations du procès-verbal du 17 juillet 2015, auquel elle se réfère expressément, et qui vise tant des manquements de la société aux délais de paiement fixés par le neuvième alinéa du I de l'article L. 441-6 du code de commerce, que le VI de cet article permettant de sanctionner ces manquements par une amende administrative. Dans ces conditions, la DIRECCTE d'Alsace ne peut qu'être regardée comme s'étant fondée sur ces dispositions, la mention de l'article L. 443-1 du code de commerce ayant constitué de sa part une simple erreur de plume sans incidence.

14. En deuxième lieu, la société Muré fait valoir qu'avant de lui infliger l'amende en litige, l'administration ne lui a pas enjoint de mettre ses délais de paiement en conformité avec les dispositions légales. Toutefois, aucune disposition légale ou réglementaire ne subordonne le prononcé de l'amende administrative prévue par le VI de l'article L. 441-6 du code de commerce à l'accomplissement de cette formalité préalable.

15. En troisième et dernier lieu, l'incompétence alléguée de la signataire de la décision de rejet du recours hiérarchique formé par la société Muré constitue un vice propre de cette décision et est sans incidence sur le bien-fondé de la sanction en litige.

16. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a réduit le montant de l'amende administrative en litige et, par suite, à demander l'annulation du jugement attaqué et le rejet de la demande présentée par la société Muré. Par voie de conséquence, les conclusions de cette dernière tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

D E C I D E :

Article 1 : Le jugement n° 1604749 du tribunal administratif de Strasbourg du 16 janvier 2019 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par la société Muré devant le tribunal administratif de Strasbourg est rejetée.

Article 3 : Les conclusions de la société Muré tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'Economie, des Finances et de la Relance et à la société Muré.