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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 1 juillet 2021, n° 20/04300

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Towercast (Sasu)

Défendeur :

TDF Infrastructure Holding (SAS), TDF Infrastructure (SAS), Tivana France Holdings (SAS), Autorité De La Concurrence, Ministre de l’Economie, Tivana Topco (SA), Tivana Midco (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Schmidt

Conseillers :

Mme Brun-Lallemand, Mme Tréard

Avocats :

Me Guerre, Me Théophile, Me Boccon Gibod, Me Rameau, Me Calvet, Me Trifounovitch

CA Paris n° 20/04300

1 juillet 2021

FAITS ET PROCÉDURE

1.Par une lettre, enregistrée le 15 novembre 2017, l’Autorité de la concurrence (ci-après l’« Autorité ») a été saisie par la société towerCast (ci-après « TowerCast »), d’une plainte relative à une pratique mise en œuvre dans le secteur de la diffusion hertzienne de la télévision numérique terrestre (ci-après la « TNT »). La partie saisissante y a allégué que la prise de contrôle de la société Itas par la société TDF, le 13 octobre 2016, constituait un abus de position dominante, en ce qu’elle entravait la concurrence sur les marchés de gros amont et aval de la diffusion de la TNT en renforçant significativement sa position dominante sur ces marchés.

2.Le 25 juin 2018, une notification de griefs a été adressée aux sociétés TDF infrastructure, TDF infrastructure Holding, Tivana France Holdings, Tivana Midco, Tivana Topco, leur reprochant « à la date du 13 octobre 2016, en tant que constituant une seule entreprise au sens du droit de la concurrence, d’avoir abusé de la position dominante détenue par celle-ci sur le marché de gros aval des services de diffusion de la TNT, en prenant le contrôle exclusif du groupe Itas »,cette pratique étant susceptible d’avoir pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur le marché de gros aval des services de diffusion de la TNT, pratique prohibée par l’article L.420-2 du code de commerce et par l’article 102 du Traité de fonctionnement de l’union européenne (ci-après « TFUE »).

3.Par la décision n° 20-D-01 du 16 janvier 2020 (ci-après la « décision attaquée »), l’Autorité a retenu que la pratique d’abus de position dominante reprochée aux sociétés du groupe TDF n’était pas établie et qu’il n’y avait donc pas lieu à poursuivre la procédure.

4.Adoptant une analyse différente de celle de ses services d’instruction, elle a considéré, en substance, que l’adoption du règlement n° 4064/89 avait tracé une ligne de partage nette entre le contrôle des concentrations et le contrôle des pratiques anticoncurrentielles et que le règlement n° 139/2004 qui lui a succédé s’applique à titre exclusif aux concentrations telles que définies à son article 3 et rend sans objet l’application de l’article 102 TFUE à une opération de concentration, en l’absence d’un comportement de l’entreprise mise en cause distinct de cette opération.

5.TowerCast a formé un recours contre cette décision.

Présentation et fonctionnement du secteur en cause

6.Les chaînes de télévision gratuite et payante de la TNT, qui se partagent une même fréquence de diffusion grâce à la numérisation du signal, sont regroupées au sein de « multiplex ».

7.Pour le déploiement de la TNT, des zones de diffusion ont été définies par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (ci-après le « CSA »), constituant le réseau dit principal, auquel s’est ajouté un réseau dit secondaire ou complémentaire. La TNT est ainsi actuellement déployée sur 1940 zones, pour une couverture de 97,3 % de la population métropolitaine (§21 de la décision attaquée). Au sein de chaque multiplex, les diffuseurs sont choisis librement au terme d’appels d’offres, pour chacune des zones. Dans le cas où un diffuseur ne dispose d’aucune infrastructure en propre sur une zone donnée, il peut demander à accéder au site d’un autre.  

Les conditions dans lesquelles la concurrence s’est développée dans ce secteur

8.La diffusion audiovisuelle par voie hertzienne terrestre a historiquement fait l’objet d’un monopole d’État, détenu en dernier lieu par TDF, qui a pris fin avec la loi n° 2003-1365 du 31 décembre 2003 relative aux obligations de service public des télécommunications, qui a transposé la directive communautaire n° 2002/77/CE du 16 septembre 2002 relative à la concurrence dans les marchés des réseaux et des services de communications électroniques et ouvert ce secteur à la concurrence.

9.Le secteur de la diffusion de la TNT a pour sa part été ouvert à la concurrence dès son lancement en 2005.

Les offres et modèles de développement de la concurrence

10.Deux marchés de gros des services de diffusion de la TNT, de dimension géographique nationale, ont été identifiés par l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ci-après l’« ARCEP ») et dans la pratique décisionnelle de l’Autorité : – le marché de gros en aval, lieu de rencontre de la demande des éditeurs de chaînes regroupés en multiplex et de l’offre de services des diffuseurs ; – le marché de gros en amont, correspondant à un marché de l’accès aux infrastructures de diffusion, lieu de rencontre de la demande de diffuseurs ne disposant pas de leurs propres infrastructures de diffusion et de l’offre de diffuseurs gestionnaires de sites de diffusion.

11.Comme l’indique la décision attaquée aux paragraphes 37 et suivants, il est possible d’identifier trois modèles de développement de la concurrence, selon le niveau d’investissementréalisé par le diffuseur alternatif : – la concurrence par les services : le diffuseur alternatif installe ses équipements de réception, de traitement de signal et d’émission (les « équipements de base ») à l’intérieur ou à l’extérieur des bâtiments de TDF, puis utilise le système antennaire de TDF. Dans cette configuration, le diffuseur alternatif achète les offres de gros pourl’hébergementdeses équipements de base ainsi que pour l’utilisation du système antennaire de TDF ;  – la concurrence partielle par les infrastructures : le diffuseur alternatif installe ses équipements de base à l’intérieur ou à l’extérieur des bâtiments de TDF, ainsi que son propre système antennaire. Dans cette configuration, le diffuseur alternatif achète uniquement l’offre de gros pour l’hébergement de ses équipements de base, ainsi que pour l’hébergement de son système antennaire ;  – la concurrence totale par les infrastructures : le diffuseur alternatif exploite son propre site de diffusion. Dans ce cas, il ne souscrit pas aux offres de gros de TDF dont il est indépendant. Fin 2016, elle représentait 38 % des points de service TNT opérés par TowerCast.  

12.Depuis son lancement en 2005, le secteur de la diffusion de la TNT a connu un mouvement de concentration continu : – en 2006, TDF a acquis son concurrent Antalis ; – en 2008, TDF a acquis un autre concurrent Emettel ; – en 2014, Itas Tim, filiale du groupe Itas, a acquis Oncast qui fournissait depuis 2007, uniquement sur le réseau principal, des offres de diffusion de la TNT à partir des sites de TDF (à l’exception de deux sites détenus en propre) ; – par protocole d’investissement conclu le 23 juin 2016, modifié par avenant du 30 juin 2016, TDF Infrastructure a acquis l’intégralité des actions de son concurrent, Itas SAS, société faîtière du groupe (cote 3563, annexe 160). Il s’agit de l’opération litigieuse.

13.Il ne reste ainsi actuellement sur le marché français de gros des services de diffusion de la TNT que deux diffuseurs : TDF et TowerCast.

14.S’agissant de la concurrence sur le marché aval, il ressort du rapport d’activité de l’ARCEP pour l’année 2016 qu’à la fin de cette même année, l’unique diffuseur alternatif, TowerCast, opérait au niveau national 22,5 % des points de service de la TNT et que l’opération litigieuse a conduit à cette date à une perte de 40 % des points de service opérés par des opérateurs alternatifs (décision attaquée, §38).

15.S’agissant de la concurrence par les infrastructures, il ressort de l’observatoire de la diffusion de la TNT en France publié par l’ARCEP que fin 2016, 8,9 % des points de service étaient diffusés depuis des sites alternatifs à ceux de TDF (décision attaquée, §39).

la régulation ex ante du marché de gros amont

16.Le marché de gros amont est régulé ex ante depuis 2006 par l’ARCEP, qui a imposé à TDF — opérateur identifié comme exerçant une influence significative sur ce marché au sens de l’article L.38 du code des postes et des communications électroniques — un certain nombre d’obligations tarifaires, de non-discrimination, de comptabilisation des coûts et de séparation comptable, ainsi que des obligations de contrôle tarifaire (annexe 27, avis de l’ARCEP).

17.La régulation mise en œuvre a eu pour objet de garantir aux opérateurs alternatifs l’accès aux sites et systèmes antennaires de TDF.

18.L’ARCEP a décidé, dans le cadre du cycle de régulation 2015-2018, de maintenir, un certain nombre d’obligations, notamment, l’obligation d’orientation des tarifs vers les coûts sur les sites réputés non réplicables (décision n° 2015-1583 de l’ARCEP du 15 décembre 2015) afin notamment de « continuer à lever les freins à la concurrence par les infrastructures », comme elle l’a précisé dans son communiqué de presse du 17 décembre 2015 (cote 2620).

19.Par la décision n° 2019-0555 du 16 avril 2019, l’ARCEP a prolongé la durée d’application de la décision n° 2015-1583 jusqu’au 17 décembre 2020, en indiquant envisager de ne pas reconduire la régulation de ce marché.  

20.Sur injonction du Conseil d’État, saisi par TowerCast, l’ARCEP a lancé une consultation publique sur l’analyse du marché de gros des services de diffusion audiovisuelle hertzienne terrestre du 3 mai 2021 au 3 juin 2021 (Conseil d’État, 31 décembre 2020, n° 444751).  

Les textes applicables à une opération de concentration en droit de l’Union et les données du litige  

21.En adoptant le règlement (CEE) n ° 4064/89 du Conseil du 21 décembre 1989 relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (ci-après le « règlement n° 4064/89 »), la Communauté s’est dotée d’un instrument juridique permettant le contrôle d’opérations de concentration susceptibles d’entraver de manière significative une concurrence effective dans le marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci.   

22.Le règlement (CE) n° 139/2004 du conseil du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises qui lui a succédé (ci-après le « règlement n° 139/2004 »), a rappelé aux considérants 6, 7 et 9 : « (6) Un instrument juridique spécifique est donc nécessaire sous la forme d’un règlement qui permette un contrôle effectif de toutes les concentrations en fonction de leur effet sur la structure de concurrence dans la Communauté et qui soit le seul applicable à de telles concentrations. Le règlement (CEE) n° 4064/89 du Conseil a  permis de développer une politique communautaire dans ce domaine. Il convient toutefois aujourd’hui, à la lumière de l’expérience acquise, de refondre ce règlement par des dispositions législatives adaptées aux défis d’un marché plus intégré et de l’élargissement futur de l’Union européenne. Conformément aux principes de subsidiarité et de proportionnalité énoncés à l’article 5 du traité, le présent règlement n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif, qui est de faire en sorte que la concurrence ne soit pas faussée dans le marché commun, conformément au principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre. (7) Les articles 81 et 82, tout en étant applicables, selon la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, à certaines concentrations, ne suffisent pas pour contrôler toutes les opérations qui risquent de se révéler incompatibles avec le régime de concurrence non faussée visé par le traité. Le présent règlement devrait par conséquent être fondé non seulement sur l’article 83, mais principalement sur l’article 308 du traité, en vertu duquel la Communauté peut se doter des pouvoirs d’action additionnels nécessaires à la réalisation de ses objectifs, également en ce qui concerne les concentrations sur les marchés des produits agricoles énumérés à l’annexe I du traité. [...] (9) Il convient de définir le champ d’application du présent règlement en fonction de l’étendue géographique de l’activité des entreprises concernées et de le limiter par des seuils quantitatifs afin de couvrir les concentrations qui revêtent une dimension communautaire. [...] ».

23.Ce règlement a également précisé, au considérant 24 : « (24) Pour garantir un régime dans lequel la concurrence n’est pas faussée dans le marché commun, aux fins d’une politique menée conformément au principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre, le présent règlement doit permettre un contrôle effectif de toutes les concentrations du point de vue de leur effet sur la concurrence dans la Communauté. En conséquence, le règlement (CEE) n° 4064/89 a établi le principe selon lequel les concentrations de dimension communautaire qui créent ou renforcent une position dominante ayant comme conséquence qu’une concurrence effective dans le marché commun ou une partie substantielle de celui-ci serait entravée de manière significative devraient être déclarées incompatibles avec le marché commun ».

24.L’article 1du règlement n°139/2004 fixe son champ d’application en ces termes : « 1. Sans préjudice de l’article 4, paragraphe 5, et de l’article 22, le présent règlement s’applique à toutes les concentrations de dimension communautaire telles qu’elles sont définies au présent article.[...] ».

25.Cet article définit la dimension communautaire par référence à certains seuils, relatifs aux chiffres d’affaires réalisés par les entreprises concernées.

26.Son article 3 donne la définition suivante de la concentration : « 1. Une concentration est réputée réalisée lorsqu’un changement durable du contrôle résulte : a) de la fusion de deux ou de plusieurs entreprises ou parties de telles entreprises, ou b) de l’acquisition, par une ou plusieurs personnes détenant déjà le contrôle d’une entreprise au moins ou par une ou plusieurs entreprises, du contrôle direct ou indirect de l’ensemble ou de parties d’une ou de plusieurs autres entreprises, que ce soit par prise de participations au capital ou achat d’éléments d’actifs, contrat ou tout autre moyen.  2. Le contrôle découle des droits, contrats ou autres moyens qui confèrent, seuls ou conjointement et compte tenu des circonstances de fait ou de droit, la possibilité d’exercer une influence déterminante sur l’activité d’une entreprise, et notamment : a) des droits de propriété ou de jouissance sur tout ou partie des biens d’une entreprise ; b) des droits ou des contrats qui confèrent une influence déterminante sur la composition, les délibérations ou les décisions des organes d’une entreprise. 3. Le contrôle est acquis par la ou les personnes ou entreprises : a) qui sont titulaires de ces droits ou bénéficiaires de ces contrats, ou b) qui, n’étant pas titulaires de ces droits ou bénéficiaires de ces contrats, ont le pouvoir d’exercer les droits qui en découlent. [...] ».

27.Son article 21, intitulé « Application du règlement et compétence » énonce que : « 1. Le présent règlement est seul applicable aux concentrations telles que définies à l’article 3, et les règlements du Conseil (CE) n° 1/2003, (CEE) n° 1017/68 , (CEE) n° 4056/86 et (CEE) n° 3975/87 ne sont pas applicables, sauf aux entreprises communes qui n’ont pas de dimension communautaire et qui ont pour objet ou pour effet la coordination du comportement concurrentiel d’entreprises qui restent indépendantes. 2. Sous réserve du contrôle de la Cour de justice, la Commission a compétence exclusive pour arrêter les décisions prévues au présent règlement. 3. Les États membres n’appliquent pas leur législation nationale sur la concurrence aux concentrations de dimension communautaire ».

28.Son article 22, qui prévoit une possibilité de renvoi à la Commission, dispose que : « 1. Un ou plusieurs États membres peuvent demander à la Commission d’examiner toute concentration, telle que définie à l’article 3, qui n’est pas de dimension communautaire au sens de l’article 1 , mais qui affecte le commerce entre États er membres et menace d’affecter de manière significative la concurrence sur le territoire du ou des États membres qui formulent cette demande. Une telle demande doit être présentée au plus tard dans un délai de quinze jours ouvrables à compter de la date de notification de la concentration ou, si aucune notification n’est requise, de sa communication à l’État membre intéressé ».

En droit interne

29.L’article L.490-9 du code de commerce dispose que : « Pour l’application des articles 81 à 83 du traité instituant la Communauté européenne, le ministre chargé de l’économie et les fonctionnaires qu’il a désignés ou habilités conformément aux dispositions du présent livre d’une part, l’Autorité de la concurrence, d’autre part, disposent des pouvoirs respectifs qui leur sont reconnus par les articles du présent livre et du règlement (CE) n° 139 / 2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises et par le règlement du Conseil n° 1 / 2003 (CE) du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité instituant la Communauté européenne. Les règles de procédure prévues par ces textes leur sont applicables ».  

30.Le droit français prévoit également une procédure de contrôle obligatoire ex ante des opérations de concentration dans les conditions fixées par le code de commerce, l’article L.430-1 définissant ce qu’est une concentration et l’article L.430-2 fixant les seuils de chiffre d’affaires pour lesquels le contrôle national des concentrations est applicable.  

31.L’article L.430-2 du code de commerce dispose ainsi que : « I.-Est soumise aux dispositions des articles L.430-3 et suivants du présent titre toute opération de concentration, au sens de l’article L.430-1, lorsque sont réunies les trois conditions suivantes : – le chiffre d’affaires total mondial hors taxes de l’ensemble des entreprises ou groupes de personnes physiques ou morales parties à la concentration est supérieur à 150 millions d’euros ; – le chiffre d’affaires total hors taxes réalisé en France par deux au moins des entreprises ou groupes de personnes physiques ou morales concernés est supérieur à 50 millions d’euros ; – l’opération n’entre pas dans le champ d’application du règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises. II.-Lorsque deux au moins des parties à la concentration exploitent un ou plusieurs magasins de commerce de détail, est soumise aux dispositions des articles L.430-3 et suivants du présent titre toute opération de concentration, au sens de l’article L.430-1, lorsque sont réunies les trois conditions suivantes : – le chiffre d’affaires total mondial hors taxes de l’ensemble des entreprises ou groupes de personnes physiques ou morales parties à la concentration est supérieur à 75 millions d’euros ; – le chiffre d’affaires total hors taxes réalisé en France dans le secteur du commerce de détail par deux au moins des entreprises ou groupes de personnes physiques ou morales concernés est supérieur à 15 millions d’euros ; – l’opération n’entre pas dans le champ d’application du règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, précité [...] ».

32.L’article L.430-9 du code de commerce prévoit par ailleurs que : « l’Autorité de la concurrence peut, en cas d’exploitation abusive d’une position dominante ou d’un état de dépendance économique, enjoindre, par décision motivée, à l’entreprise ou au groupe d’entreprises en cause de modifier, de compléter ou de résilier, dans un délai déterminé, tous accords et tous actes par lesquels s’est réalisée la concentration de la puissance économique qui a permis les abus même si ces actes ont fait l’objet de la procédure prévue au présent titre ».  

33.Les lignes directrices relatives au contrôle des concentrations publiées par l’Autorité, dans leur version de 2013, précisent au point 314 qui concerne les conditions de mise en œuvre de l’article L.430-9 du code de commerce, que :  « Cet article est applicable pour tout abus ayant été rendu possible par une opération de concentration, qu’elle ait fait, ou non, l’objet d’une procédure d’autorisation devant l’Autorité de la concurrence ou, antérieurement, le ministre ».  

34.En l’espèce, l’opération de concentration litigieuse (comme celles qui l’ont précédée) n’a donné lieu à aucun contrôle ex ante obligatoire, ni à la mise en œuvre de la procédure de renvoi prévue par l’article 22 du règlement n° 139/2004.  

35.Dans un entretien avec la chaîne BFM TV du 6 juillet 2016 (cotes 3919 à 3942 invoquées par TDF), le président de l’Autorité, qui avait été préalablement contacté par TDF pour recueillir son avis sur l’opération, a précisé, concernant l’acquisition litigieuse, que : « Juridiquement, nous ne pouvons pas examiner ce rachat. Mais nous allons mettre sous surveillance le marché de la diffusion. Nous pourrons ainsi nous auto-saisir si nous constatons des hausses de prix ».

Les entreprises concernées

• TowerCast, la partie saisissante

36.TowerCast, créée en 1986, propose des services de diffusion de la TNT depuis le lancement de celle-ci en 2005. Elle disposait, au 31 décembre 2017 de 183 sites en propre, dont 13,7 % sur le réseau principal de la TNT (cotes 3503-3504). Au 31 octobre 2017, 40 % des points de service de TowerCast étaient diffusés depuis ses propres sites, les autres points de service étant diffusés depuis des sites de TDF.

• Le groupe TDF mis en cause

37.Créée en 1975, Télédiffusion de France a d’abord été un établissement public à caractère industriel et commercial, avant de devenir, en 1987, une société anonyme à capital majoritairement public puis, en 2004, une société à capitaux privés, renommée « TDF ».

38.TDF disposait de 1 631 sites de diffusion de la TNT fin 2016.

39.La société TDF est une filiale à 100 % de la société TDF Infrastructure. Cette dernière est une filiale à 100 % de la société TDF Infrastructure Holding. La société TDF Infrastructure Holding est pour sa part une filiale à 100 % de la société Tivana France Holdings, laquelle est une filiale à 98,5% de la société luxembourgeoise Tivana Midco, dont le conseil d’administration prend les principales décisions concernant les sociétés du groupe TDF. La société Tivana Midco est elle-même une filiale à 100% de la société luxembourgeoise Tivana Topco.

40.Les actionnaires de TDF contrôlent par ailleurs, directement et indirectement selon les précisions données aux paragraphes 69 et 70 de la décision attaquée, la société luxembourgeoise Tivana Topco.

• Le groupe Itas, objet de l’opération de concentration

41.Le groupe Itas (ci-après « Itas ») est actif dans le secteur de la diffusion de la TNT depuis novembre 2008, à travers sa filiale Itas Tim. Il est également actif, dans une moindre mesure, dans les secteurs de la diffusion de la radio analogique et la conception, fabrication et installation de pylônes.  

42.Pour la diffusion de la TNT, Itas disposait, au jour de la réalisation de l’opération, de 359 sites en propre (en augmentation de 19,3 % par rapport à fin 2015 et de 26,9 % par rapport à fin 2014). (décision attaquée §81)

43.Jusqu’à son rachat par TDF Infrastructure en juin 2016, qui en a pris le contrôle exclusif, le modèle économique du groupe Itas était établi sur l’implantation de sites de diffusion alternatifs à ceux de TDF (avis n° 15-A-10 de l’Autorité, paragraphe 23). 44.La notification de griefs a précisé, aux paragraphes 97 et suivants, sur la base d’une présentation interne de TDF du 16 juin 2016, qu’après l’opération, le groupe Itas devait conserver une personnalité juridique propre (cote 1600 VC-3567 VNC, annexe 141 à la notification des griefs), ainsi que l’ensemble de ses sites (cote 1601 VC-3568 VNC). Elle a également indiqué, en se fondant sur le courrier adressé par TDF à l’ARCEP le 31 mai 2017 (cote 3248), que le dispositif retenu conduit le groupe TDF, sur les zones où  il dispose désormais de deux sites de diffusion, à retenir un seul des deux sites pour l’ensemble des nouveaux contrats de diffusion de la TNT qu’il conclura pour cette zone (aussi bien sur le marché de gros aval que sur le marché de gros amont).

Les avis recueillis au cours de la procédure

45.Sollicités par le rapporteur général de l’Autorité, l’ARCEP et le Conseil supérieur de l’audiovisuel (ci-après le « CSA ») ont transmis leur avis sur la saisine en cause.

46.Par l’avis n° 2018-0148 en date du 6 février 2018, l’ARCEP conclut, pour l’essentiel, que : « Le réseau de diffusion de la TNT est particulièrement hétérogène. Les sites du réseau principal [...] permettent de couvrir la quasi-intégralité du territoire métropolitain et concentrent l’essentiel de la valeur du marché. Les nombreux sites du réseau complémentaire ont pour leur part une importance, tant en valeur qu’en couverture, beaucoup plus modeste. Dès lors, si la prise de contrôle d’Itas Tim par TDF est susceptible d’affecter les marchés de gros de la diffusion télévisuelle hertzienne terrestre de programmes audiovisuels, c’est principalement en ce qu’elle modifie, de manière marginale, la structure de l’offre sur le réseau principal. Il ressort par ailleurs des données collectées par l’Arcep sur les marchés de gros amont que la concurrence exercée sur TDF par les diffuseurs alternatifs se traduit par des baisses de prix essentiellement lorsque ces derniers ont répliqué le site de l’opérateur historique. Ainsi, si la prise de contrôle d’Itas par TDF est susceptible d’affecter la concurrence sur les marchés de gros de la TNT, l’effet concernerait en premier lieu les quelques sites répliqués par Itas Tim sur le réseau principal. Elle serait donc marginale (...) » (cote 3028).

47.Par l’avis n° 2018 - 02 du 21 février 2018, le CSA conclut, notamment, en ces termes : « En conclusion, il apparaît que TDF détient la majorité des parts de marché aussi bien sur le marché de gros amont que sur le marché de gros aval de la diffusion hertzienne de la TNT. La régulation voulue par l’ARCEP depuis 2006 a permis aux acteurs alternatifs de se développer, mais la prise de contrôle de la société Itas Tim par le groupe TDF a permis à ce dernier de consolider sa position sur l’ensemble des marchés de la diffusion de la TNT. [...] S’agissant du marché pertinent de la diffusion de la télévision hertzienne terrestre, le Conseil relève qu’aucun élément n’est de nature à remettre en cause la pratique décisionnelle qui distingue un marché de gros amont et un marché de gros aval des services de diffusion hertzienne terrestre. Le Conseil considère également que la plateforme TNT possède des qualités très spécifiques qui la démarquent des autres plateformes de diffusion, la rendant ainsi non substituable. [....] S’agissant de la position concurrentielle des acteurs, le Conseil relève que, sur le marché de la diffusion hertzienne terrestre de la télévision, TDF conserve la majorité des parts de marché aussi bien sur le marché de gros amont que sur le marché de gros aval. Les parts de marché consolidées du groupe TDF sont susceptibles de légèrement évoluer en fonction du choix du site opéré par TDF dans les zones pour lesquelles celui-ci dispose de deux sites de diffusion à la suite de l’acquisition d’itas Tim. Néanmoins, le Conseil constate que la prise de contrôle de la société Itas Tim en octobre 2016 a permis au groupe TDF de reconstituer une part de marché supérieure à celle de décembre 2009. En effet, fin 2017, seules [0-10] % des  fréquences diffusées par les opérateurs alternatifs l’étaient à partir de leur propre infrastructure. (cotes 3048et 3049). » (données couvertes par le secret des affaires).

Le recours entrepris

48.Par son recours, et aux termes de ses dernières écritures, TowerCast demande à la Cour : À titre principal : – annuler la décision attaquée, par suite de plusieurs erreurs de droit de l’Autorité, résultant de ce qu’elle a retenu que :  • l’institution d’un système de contrôle préalable des concentrations par les règlements n° 4064/89 et n° 139/2004 a rendu sans objet l’application de l’article 102 TFUE à une concentration qui ne revêt pas de dimension communautaire ; • une concentration sous les seuils nationaux de contrôle ex ante ne pouvait être constitutive d’un abus de position dominante prohibé par l’article L.420-2 du code de commerce ;  

Statuant à nouveau :  – dire que les articles 102 TFUE et L.420-2 du code de commerce sont applicables aux concentrations non soumises à un régime de contrôle ex ante ; – dire que l’Autorité est compétente pour appliquer ces articles ; – dire que TDF détient une position dominante sur les marchés de gros amont et aval de la diffusion de la TNT ; – dire que l’acquisition d’Itas par TDF constitue un abus de position dominante sur les marchés de gros amont et aval de la diffusion de la TNT prohibé par les articles 102 TFUE et L.420-2 du code de commerce ;  – enjoindre à TDF de cesser l’abus et prononcer différentes injonctions ;

À titre subsidiaire : – suspendre la présente procédure et initier une procédure de demande de renvoi préjudiciel sur le fondement de l’article 267 TFUE ; 49.Dans le cadre de leurs interventions volontaires au soutien de la décision attaquée et aux termes de leurs dernières écritures : – les sociétés TDF Infrastructure, TDF Infrastructure Holding et Tivana France Holdings (ci-après les « sociétés du groupe TDF ») demandent à la Cour de confirmer en tous points cette décision et rejeter le recours de TowerCast ;  – les sociétés Tivana Topco et Tivana Midco (ci-après les « sociétés Tivana ») demandent également à la Cour de confirmer en tous points cette décision et rejeter le recours de TowerCast.

50.L’Autorité, le ministre chargé de l’économie et le ministère public, qui partagent l’analyse de la décision attaquée, invitent également la Cour à rejeter ce recours. MOTIVATION SUR LA NÉCESSITÉ D’INTERROGER LA COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPÉENNE À TITRE PRÉJUDICIEL.  

51.Il convient préalablement de rappeler que les services d’instruction de l’Autorité ont considéré que l’opération de concentration litigieuse, réalisée sous les seuils de contrôle ex ante définis à l’article L.430-2 du code de commerce et à l’article 1 du règlement er n° 139/2004, précités, était, en elle-même, constitutive d’un abus de position dominante au sens notamment de la jurisprudence dite « Continental Can » de la Cour de justice de l’Union européenne (CJCE, 21 février 1973, Continental Can Company e.a., C-6/72). Ils ont estimé qu’elle avait permis un renforcement de la position dominante de TDF et méconnaissait par elle-même les dispositions des articles 102 du TFUE et L.420-2 du code de commerce.

52.Ces services ont considéré que l’adoption du règlement n° 4064/89, comme celle du règlement n°139/2004, n’avait pas remis en cause cette jurisprudence, une référence explicite y étant faite au considérant 7 du règlement actuellement en vigueur, dont les termes ont été rappelés au paragraphe 22 du présent arrêt.

53.Dans la décision attaquée l’Autorité a retenu une analyse différente.  

54.Elle a ainsi rappelé, aux paragraphe 126 et suivants, que si le règlement n° 139/2004 et le règlement n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité CE font partie d’un ensemble législatif visant à mettre en œuvre les articles 101 et 102 du TFUE, l’adoption des règlements n° 4064/89 et n° 139/2004 a tracé une ligne de partage nette entre le contrôle des concentrations et celui des pratiques anticoncurrentielles et que l’adoption d’un dispositif de contrôle des concentrations au niveau de l’Union européenne a, de facto, rendue obsolète l’application de la jurisprudence « Continental Can » qui était intervenue alors qu’aucun système européen de contrôle des concentrations n’existait.

55.Elle a également relevé que l’article 3 du règlement n° 139/2004, tout comme l’article 3 du règlement n° 4064/89 avant lui, définit une opération de concentration selon un critère matériel, et non par référence aux seuils définis à l’article 1 du règlement. Elle en a déduit er que le règlement n° 139/2004 s’applique à titre exclusif aux concentrations, telles que définies à l’article 3 précité, et rend sans objet l’application de l’article 102 du TFUE à une opération de concentration, en l’absence d’un comportement distinct de l’entreprise en cause à la suite de cette opération.

56.Elle a retenu la même analyse concernant l’application du droit national, correspondant à l’article L.420-2 du code de commerce, considérant les procédures relatives aux pratiques anticoncurrentielles et celle relative au contrôle des concentrations différentes et inconciliables entre elles.

57.Par son recours, TowerCast conteste cette interprétation des textes. Elle fait principalement valoir l’objectif poursuivi depuis le Traité de Rome visant à instaurer un régime assurant une concurrence non faussée dans le marché commun et renvoie aux principes énoncés dans l’affaire « Continental Can » qu’elle considère comme toujours pertinents. Elle signale que ces principes ont encore été rappelés dans plusieurs affaires postérieures (TPICE, 21 septembre 2005, affaire T-87/05, points 46 et 47. EDP c/ Commission, TPICE 14 décembre 2005, affaire T-210/01, point 86., General Electric c/ Commission) et produit une consultation juridique (pièce n° 8) pour étayer son affirmation selon laquelle les autorités et juridictions des États membres continuent majoritairement à appliquer la jurisprudence « Continental Can » (invoquant en ce sens différentes décisions, luxembourgeoise, italienne, belge et allemande).  

58.Elle se prévaut de l’effet direct de l’article 102 du TFUE et revendique, concernant les opérations situées sous les seuils, un contrôle ex post de compatibilité avec cet article.  

59.Elle relève que si les règlements n° 139/2004 et n° 1/2003 ne peuvent être appliqués conjointement dans une même affaire, en revanche le règlement n° 139/2004 ne s’applique exclusivement que pour les concentrations qui se trouvent dans son champ d’application, c’est-à-dire celles de dimension communautaire ou renvoyées à la Commission par les autorités nationales de concurrence ou les parties.

60.En réponse à ses contradicteurs, elle fait valoir qu’un contrôle limité aux actes détachables constitutifs d’abus ne permet pas d’appréhender les opérations de concentration qui entravent significativement la concurrence en renforçant substantiellement la position dominante de l’acquéreur et ajoute que le système de renvoi prévu à l’article 22 du règlement n° 139/2004 est insuffisant pour assurer un contrôle satisfaisant, étant facultatif et activé à la seule discrétion des États membres. Elle rappelle également que, jusqu’à une date récente, la Commission ne souhaitait pas examiner pas les opérations situées sous les seuils de contrôle nationaux.

61.Devant la Cour, l’Autorité maintient l’analyse développée dans la décision attaquée notamment concernant la portée de la jurisprudence « Continental Can » devenue sans objet, selon elle, depuis la création d’un régime spécifique de contrôle applicable aux opérations de concentration. Elle estime que le mécanisme ainsi instauré est, par essence, exclusif de l’examen ex post applicable aux pratiques anticoncurrentielles. Elle ajoute que : – la Commission européenne n’a fait application de la jurisprudence précitée qu’à une seule reprise, s’agissant de faits antérieurs à l’entrée en vigueur du dispositif européen de contrôle des concentrations (décision 88/501/CEE de la Commission, du 26 juillet 1988, TetraPak, confirmée par l’arrêt du Tribunal du 10 juillet 1990, Aff. T-51/89) ; – l’arrêt Continental Can est cité par les arrêts du Tribunal du 21 septembre 2005, EDP c/ Commission et du 14 décembre 2005, General Electric, sans faire application de ses principes, ce qui ne suffit pas à démontrer que cette solution serait toujours conforme à l’économie du système européen actuel de mise en œuvre des règles de concurrence.

62.Elle considère, en substance, que si, après l’entrée en vigueur du règlement n° 4064/89, l’article 102 du TFUE reste applicable à des comportements abusifs détachables de l’opération de concentration elle-même, en revanche son application à l’opération structurelle de concentration, au sens du règlement n° 139/2004, bien qu’elle ne soit pas expressément exclue par ledit règlement, est désormais dépourvue d’objet.

63.Elle relève que l’intention du législateur apparaît sans équivoque, au considérant 7 du règlement n° 4064/89, qui se réfère à « toutes les opérations de concentration ».  

64.Elle fait valoir que l’article 3 du règlement n° 139/2004 définit les opérations de concentration selon un critère matériel, sans référence aux seuils de l’article 1 , de sorte que er son champ d’application ne saurait être restreint aux opérations situées au-dessus desdits seuils . Elle précise également ne pas avoir souhaité faire usage de l’article 22 du règlement à l’encontre du rachat d’Itas.

65.Le ministre chargé de l’économie partage la même analyse.

66.Les sociétés du groupe TDF, intervenantes volontaires y souscrivent également. Elles rappellent en outre que l’inapplicabilité de l’article 102 du TFUE aux opérations de concentration, quelle que soit leur dimension, a été retenue par la jurisprudence britannique dès 1992 (Court of Appeal (Civil Division), 4 décembre 1992, Regina v Secretary of State for Trade and Industry, ex parte Airlines of Britain Holdings Pic and Another (cotes 3943 à 3950)) et considèrent que dans son arrêt Austria Asphalt du 7 septembre 2017, la Cour de justice a également déclaré les articles 101 et 102 du TFUE inapplicables à toute opération  de prise de contrôle qualifiable de concentration au sens de l’article 3 du règlement n° 139/2004, indifféremment du franchissement des seuils ( aff. C-248/16, paragraphes 30 à 33).

67.Elles insistent enfin sur l’insécurité juridique qu’entraînerait l’application de l’article 102 du TFUE à des opérations de concentration telles que celles en cause, en ce qu’elle permettrait leur remise en cause plusieurs années après leur réalisation, outre le risque de divergence résultant d’un éclatement du contentieux du contrôle des concentrations.  

68.Les sociétés Tivana, mises dans la cause devant l’Autorité en leur qualité de sociétés-mères ultimes, au motif que leurs actionnaires avaient validé l’acquisition du groupe Itas par TDF Infrastructure, s’associent aux arguments développés par les sociétés du groupe TDF et y renvoient.

69.Le ministère public partage l’analyse de l’Autorité et considère, en substance, que celle-ci n’a pas fait primer les règlements concentrations sur l’article 102 du TFUE mais a fait une juste application des règles qui précisent son champ d’application matériel. Il renvoie également aux orientations publiées le 26 mars 2021 par la Commission européenne sur l’application du mécanisme de renvoi prévu à l’article 22 du règlement sur les concentrations.

Sur ce, la Cour,  

70.Aux termes de l’article 102 du TFUE (ex-articles 82 du TCE et 86 du Traité CEE) : « Est incompatible avec le marché intérieur et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d’en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d’exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci ».

71.Il est constant que ce texte de droit primaire, issu des traités fondateurs, est une disposition d’effet direct dont l’application n’est pas subordonnée à l’adoption préalable d’un règlement procédural (CJUE, 11 avril 1989, C-66/86 - Ahmed Saeed Flugreisen and Others v Zentrale zur Bekämpfung unlauteren Wettbewerbs).

72.Dans son arrêt « Continental Can » rendu le 21 février 1973, précité, la Cour de justice a retenu « qu’en l’absence de dispositions expresses, on ne saurait supposer que le traité, qui par l’article 85 a interdit certaines décisions de simples associations d’entreprises altérant la concurrence sans la supprimer, admettrait cependant comme licite, à l’article 86, que des entreprises, après avoir réalisé une unité organique, puissent atteindre une puissance dominante telle que toute chance sérieuse de concurrence serait substantiellement écartée ». Elle en a déduit « qu’est dès lors susceptible de constituer un abus le fait, par une entreprise en position dominante, de renforcer cette position au point que le degré de domination ainsi atteint entraverait substantiellement la concurrence, c’est-à-dire ne laisserait subsister que des entreprises dépendantes, dans leur comportement, de l’entreprise dominante ».  

73.Cette jurisprudence est usuellement interprétée comme ayant admis que le renforcement d’une position dominante par croissance externe qui risquerait d’évincer toute chance sérieuse de concurrence ne peut, compte tenu des objectifs poursuivis, être écarté du champ d’application de l’article 102 du TFUE (anciennement 86 du Traité CEE).

74.Cette décision a été rendue alors que le droit européen ne connaissait aucun mécanisme de contrôle des concentrations. C’est en effet l’adoption du règlement n° 4064/89 du 21 décembre 1989, auquel succède le règlement n° 139/2004 du 20 janvier 2004, qui a doté l’Union de règles applicables aux concentrations susceptibles d’entraver de manière significative une concurrence effective dans le marché commun ou une partie substantielle de celui-ci.  

75.Les considérants 5, 6, 8 et 20 du règlement n° 139/2004 énoncent ainsi : « (5) Il convient [...] de s’assurer que le processus de restructuration n’entraîne pas de préjudice durable pour la concurrence. [...]  (6) Un instrument juridique spécifique est donc nécessaire sous la forme d’un règlement qui permette un contrôle effectif de toutes les concentrations en fonction de leur effet sur la structure de concurrence dans la Communauté et qui soit le seul applicable à de telles concentrations. [...] [...] (8) Les dispositions à arrêter dans le présent règlement devraient s’appliquer aux modifications structurelles importantes dont l’effet sur le marché s’étend au-delà des frontières nationales d’un État membre. Ces concentrations devraient, en règle générale, être examinées exclusivement au niveau de la Communauté, en application du système du “guichet unique” et conformément au principe de subsidiarité. [...] (20) Il est utile de définir la notion de concentration de telle sorte qu’elle couvre les opérations entraînant un changement durable du contrôle des entreprises concernées et donc de la structure du marché. [...] ».

76.L’article 2, paragraphes 1 et 4, du règlement n° 139/2004 prévoit : « 1. Les concentrations visées par le présent règlement sont appréciées en fonction des objectifs du présent règlement et des dispositions qui suivent en vue d’établir si elles sont ou non compatibles avec le marché commun. Dans cette appréciation, la Commission tient compte : a) de la nécessité de préserver et de développer une concurrence effective dans le marché commun au vu notamment de la structure de tous les marchés en cause et de la concurrence réelle ou potentielle d’entreprises situées à l’intérieur ou à l’extérieur de la Communauté ; [...] ».

77.L’article 21 du règlement n° 139/2004, intitulé « Application du règlement et compétence », énonce, au paragraphe 1 : « Le présent règlement est seul applicable aux concentrations telles que définies à l’article 3, et les règlements du Conseil (CE) n° 1/2003 [du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1)], (CEE) n° 1017/68 [...], (CEE) n° 4056/86 [...] et (CEE) n° 3975/87 [...] ne sont pas applicables, sauf aux entreprises communes qui n’ont pas de dimension communautaire et qui ont pour objet ou pour effet la coordination du comportement concurrentiel d’entreprises qui restent indépendantes. ».

78.Afin d’éviter une double analyse, ex ante et ex post, des opérations entrant dans leur champ d’application, les règlements successifs relatifs au contrôle des concentrations ont ainsi prévu (articles 1 et 22 du règlement n° 4064/89 et articles 1 et 21 du règlement er er n° 139/2004) que les opérations de concentration de dimension « communautaire », objets d’un contrôle ex ante, ne peuvent se voir également appliquer les dispositions des règlements (règlements n° 17 puis n° 1/2003) relatifs à l’application des articles prohibant les pratiques anticoncurrentielles (85 et 86 du TCE, devenus 101 et 102 du TFUE).  

79.L’article 3 du règlement n° 139/2004, reproduit au paragraphe 27 du présent arrêt, donne une définition matérielle de la notion de concentration, sans référence aux seuils mentionnés à l’article 1 qui permettent de définir la concentration de dimension communautaire. L’exclusion prévue à l’article 21 semble donc susceptible de s’appliquer à toute opération répondant à la définition de l’article 3, peu important qu’elle n’atteigne pas les seuils de contrôle obligatoire.

80.Le considérant 7 du règlement n°139/2004 précise toutefois que « [l]es articles 81 et 82, tout en étant applicables, selon la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, à certaines concentrations, ne suffisent pas pour contrôler toutes les opérations qui risquent de se révéler incompatibles avec le régime de concurrence non faussée visé par le traité [...] » (soulignement ajouté par la Cour), de sorte que la Cour s’interroge sur le point de savoir si l’interprétation fixée par la jurisprudence « Continental Can » reste applicable à une opération telle que celle en cause, dont il n’est pas contesté qu’elle répond à la définition donnée à l’article 3 précité et dont les effets sur la concurrence n’ont fait l’objet d’aucun contrôle ex ante.

81.Dans la présente affaire, il est établi que par protocole d’investissement conclu le 23 juin 2016, modifié par avenant du 30 juin 2016, TDF infrastructure a acquis l’intégralité des actions de son concurrent, Itas SAS, société faîtière du groupe (cote 3563, annexe 160). Il n’est pas contesté qu’à la suite de cette opération TDF infrastructure en a pris le contrôle exclusif.

82.Il est également constant, comme l’établit l’avis n° 2018 - 02 du 21 février 2018 du CSA, précité, que « TDF détient la majorité des parts de marché aussi bien sur le marché de gros amont que sur le marché de gros aval de la diffusion hertzienne de la TNT ». Toutes les parties s’accordent également sur le fait qu’à la date de l’opération litigieuse TDF occupait une position dominante sur les marchés de gros de services de diffusion de la TNT, de dimension nationale.

83.L’avis du CSA précité précise également que « [l]a régulation voulue par l’ARCEP depuis 2006 a permis aux acteurs alternatifs de se développer, mais la prise de contrôle de la société Itas Tim par le groupe TDF a permis à ce dernier de consolider sa position sur l’ensemble des marchés de la diffusion de la TNT ».

84.La situation en cause a cette particularité que l’opération d’acquisition d’Itas, située en dessous des seuils prévus aux articles 1 du règlement n° 139/2004 et L.430-2 du code de er commerce, n’a été soumise à aucune procédure de contrôle préalable des concentrations (nationale comme communautaire). Elle n’a pas davantage donné lieu à une demande de renvoi à la Commission en application de l’article 22 dudit règlement ni à aucune prise de position de l’Autorité, expresse et non équivoque, concernant ses effets sur la structure des marchés en cause et sa conformité aux règles de concurrence, à la date de sa réalisation.

85.La jurisprudence récente de la Cour de justice ne semble pas avoir pris position sur la question de savoir si l’exclusion prévue à l’article 21 du règlement n° 139/2004 s’applique également aux opérations de concentration qui n’ont fait l’objet d’aucun contrôle ex ante.

86.Dans le cadre d’une procédure (C-248/16, Austria Asphalt) ayant pour objet une question préjudicielle relative à l’interprétation de dispositions du règlement n°139/2004, Mme l’avocate générale a indiqué dans des conclusions déposées le 27 avril 2017 : « 35. Tant le règlement n° 139/2004 que son “cousin”, le règlement n° 1/2003, contribuent en définitive à la mise en œuvre des règles de concurrence pour le marché intérieur prévues aux articles 101 et 102 TFUE, étant précisé que c’est toujours seulement l’un de ces deux règlements qui peut s’appliquer (voir, sur ce point, l’article 21, paragraphe 1, du règlement no 139/2004).  36. Alors que, dans le champ d’application du règlement n° 139/2004, c’est un système préventif et obligatoire de contrôle ex ante des modifications de la structure du marché qui a été mis en place, le comportement des entreprises sur le marché — qu’il s’agisse de comportements collusoires ou d’abus unilatéraux de position dominante — relève par ailleurs exclusivement, en vertu du règlement n° 1/2003, d’un  contrôle répressif ex post, dont la mise en œuvre dépend de surcroît du pouvoir discrétionnaire des autorités de concurrence. 37. Ainsi qu’il ressort de l’article 21, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004, la notion de “concentration” au sens de l’article 3 du règlement n° 139/2004 trace la ligne de partage entre ces deux sous–domaines du droit de la concurrence de l’Union (18). Une lecture de l’article 3 du règlement n° 139/2004 conforme à cette logique nécessite par conséquent d’interpréter la notion de “concentration” de manière à ce que seules de véritables modifications de la structure du marché soient soumises au contrôle des concentrations, et non, en revanche, le simple comportement d’entreprises sur le marché ».

87.Par une note de bas de page (18), elle a précisé que « [l]a pratique antérieure d’une application sporadique aux concentrations d’entreprises de l’article 85 du traité CEE (devenu l’article 101 TFUE), ou de l’article 86 du traité CEE (devenu l’article 102 TFUE), ainsi que des règles de procédure adoptées pour leur mise en œuvre (aujourd’hui le règlement n° 1/2003) (voir arrêts du 21 février 1973, Europemballage et Continental Can/Commission,6/72, EU:C:1973:22, ainsi que du 17 novembre 1987, British American Tobacco et Reynolds Industries/Commission, 142/84 et 156/84, EU:C:1987:490) est devenue obsolète avec l’entrée en vigueur de dispositions autonomes relatives au contrôle des concentrations, telles qu’elles sont désormais consignées dans le règlement n° 139/2004 ».

88.La Cour de justice, dans l’arrêt du 7 septembre 2017 rendu dans la même procédure a rappelé, au point 31, que ce « règlement, tout comme, en particulier, le règlement (CE) n° 1/2003 fait partie d’un ensemble législatif visant à mettre en œuvre les articles 101 et 102 TFUE ainsi qu’à établir un système de contrôle garantissant que la concurrence n’est pas faussée dans le marché intérieur de l’Union ».

89.Elle a également précisé : « 32. Comme il résulte de l’article 21, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004, ce dernier est seul applicable aux concentrations telles que définies à l’article 3 de ce règlement, pour lesquelles le règlement n° 1/2003 ne trouve, en principe, pas à s’appliquer. (Soulignement ajouté par la Cour). 33. En revanche, ce dernier règlement demeure applicable aux comportements des entreprises qui, sans constituer une opération de concentration au sens du règlement n° 139/2004, sont néanmoins susceptibles d’aboutir à une coordination entre elles contraire à l’article 101 TFUE et qui, pour ce motif, sont soumis au contrôle de la Commission ou des autorités de concurrence nationales ».

90.Elle ne semble pas en revanche avoir explicité les exceptions qui pourraient être apportées au principe qu’elle a posé au point 32 de son arrêt, ni s’être prononcée sur le point de savoir si l’interprétation retenue dans l’arrêt « Continental Can » est encore susceptible d’application, en particulier aux opérations de concentration situées en dessous des seuils de contrôle obligatoire, qui n’ont fait l’objet d’aucune analyse dans le cadre d’un contrôle ex ante obligatoire ni d’aucune demande de renvoi à la Commission en application de l’article 22 du règlement n° 139/2004.

91.Compte tenu de l’effet direct attaché aux dispositions de droit primaire précitées (article 102 du TFUE) et de la portée qui pourrait être conférée aux dispositions régissant les opérations de concentration (article 21, paragraphe 1, du règlement n°139/2004), un doute subsiste donc quant à l’interprétation qu’il convient de donner à ces dernières dispositions, concernant l’impossibilité de faire « en principe » une application autonome des règles de concurrence issues du droit primaire précité à une opération qui, comme en l’espèce : – est susceptible de répondre à la définition donnée par l’article 3 du règlement n° 139/2004,  – n’a donné lieu à aucun contrôle préventif, tant sur le fondement du droit européen que sur celui du droit national applicable aux opérations de concentration, – et qui ne s’expose ainsi à aucun risque d’application cumulative des règlements n° 139/2004 et n° 1/2003 ou de contradiction résultant d’une double analyse ex ante et ex post.

92.Cette difficulté d’interprétation est confortée par l’examen des décisions invoquées par les parties, dont il ressort une application hétérogène du droit de l’Union.

93.La Cour constate ainsi, à titre d’exemple, que, par une décision 2016-FO-04 du 17 juin 2016, le Conseil de la concurrence du Luxembourg a admis sa compétence pour examiner à l’aune de l’article 102 du TFUE une situation résultant d’une opération qui « reste une opération de concentration telle que définie à l’article 3 du règlement n° 139/2004 ».

94.La partie visée par la plainte avait conclu, comme dans la présente affaire, que le règlement n° 139/2004 était seul applicable et qu’en conséquence le rachat litigieux ne pouvait valablement être examiné au regard de l’article 102 du TFUE. Cette argumentation a été écartée par le Conseil luxembourgeois en ces termes : « 92. Cependant, s’il est vrai que l’application de l’article 102 TFUE à travers la procédure du règlement n° 1/2003 n’est en l’espèce pas permise, il n’en demeure pas moins que l’article susvisé est une disposition de droit primaire européen, d’application directe dans les ordres juridiques nationaux. Aussi, si l’article 21 du règlement n° 139/2004 prévoit effectivement l’inapplicabilité de la procédure prévue par le règlement n° l/2003, il ne saurait en aucun cas réduire le champ d’application de l’article 102 TFUE en ce qu’il s’agit d’une norme qui lui est juridiquement supérieure. 93. Plus encore, la compétence des ANC pour appliquer l’article 102 TFUE n’est en aucun cas fondée sur le règlement n° 1/2003 mais sur les dispositions nationales de droit de la concurrence. Aussi, en l’espèce, la décision est fondée sur les dispositions luxembourgeoises de droit de la concurrence et particulièrement sur l’article 5 de la loi. L’application conjointe de l’article 102 TFUE dans la présente procédure, prévue par l’article 6, 2ème paragraphe de la loi, n’est justifiée que par l’affectation du commerce entre États membres et ne repose en aucun cas sur son règlement d’application à l’échelle européenne. [...]

95. Le Conseil fonde donc sa décision sur un certain nombre d’indices qui indiquent que la jurisprudence Continental Can est toujours applicable ». 95.Il a également précisé que « Ce n’est que parce qu’elle ne satisfait pas les seuils communautaires et que le Luxembourg ne possède pas de texte législatif s’accordant la primeur pour traiter de telles opérations que le rachat de Ciné Belval par Utopia a été examiné à la lumière de l’article 102 TFUE » (point 130).

96.Il semble se déduire de ces motifs que l’autorité de concurrence luxembourgeoise a interprété ces dispositions comme l’autorisant à examiner, à la lumière de l’article 102 du TFUE, une opération de concentration qui ne pouvait être soumise à aucun contrôle préventif obligatoire.

97.De la même manière, la cour d’appel de Bruxelles, dans un arrêt du 15 décembre 2006, Gabriella Rocco, a jugé que : « Le contrôle préalable des concentrations a été instauré tant au niveau communautaire que national, notamment au motif que les dispositions applicables aux ententes et aux abus de position dominante ne permettent pas de saisir une série d’opérations qui risquent de se révéler incompatibles avec le régime de concurrence non faussée visé par le traité ou par la loi belge. Les règles gui organisent le contrôle préalable des concentrations valent sans préjudice des dispositions interdisant les ententes et les abus de position dominante. En conséquence, une concentration qui n’est pas soumise à une obligation de notification préalable n’est pas présumée licite au regard des articles 81 ou 82 désormais 101 et 102 du traité, ou au regard des articles 2 et 3 de la loi » (pièce TowerCast n° 8).

98.Tandis qu’à l’inverse, dans la décision attaquée, l’Autorité de concurrence française a estimé que :  « 131.[...], il y a lieu de considérer que l’adoption d’un dispositif de contrôle des concentrations au niveau de l’Union européenne a, de facto, rendue obsolète l’application de la jurisprudence Continental Can précitée, les dispositions du règlement n° 4064/89, puis par le règlement n° 139/2004 ayant vocation à s’appliquer à l’ensemble des concentrations telles que définies à l’article 3, c’est-à-dire indépendamment de leur dimension communautaire. [...] 140. Par conséquent, il y a lieu de considérer que l’institution, au niveau européen, d’un système de contrôle préalable des concentrations par le règlement n° 4064/89, éclairé notamment par les déclarations du Conseil et de la Commission lors de l’adoption du règlement, a rendu sans objet l’application de l’article 102 du TFUE à une opération de concentration, en l’absence d’un comportement distinct de l’entreprise en cause à la suite de cette opération ».

99.En ce sens également, les sociétés du groupe TDF invoquent un arrêt de la cour d’appel britannique rendu le 4 décembre 1992 (précité, annexe 42 au rapport, cotes 3943 à 3950) dont elles fournissent la traduction libre suivante :  « L’article 1 du règlement 4064/89, qui définit le champ d’application du règlement, er prévoit que la limitation du règlement aux “concentrations de dimension communautaire” est “ sans préjudice de l’article 22”. Il me semble relativement clair que le règlement 4064/89 a été adopté comme un instrument “approprié” et “en vue de l’application des principes figurant à l’article 86”. En d’autres termes, il s’agit d’un règlement prévu par l’article 87 du traité qui s’applique de manière générale à toutes les concentrations telles que définies à l’article 3 du règlement. Par voie de conséquence, je considère que le Secrétaire d’État a conclu à bon droit qu’il n’avait aucune obligation de prendre en considération l’article 86 pour les besoins de sa décision relative au projet de concentration ».

100.Dans cette affaire il s’agissait d’un projet de prise de contrôle de la compagnie aérienne Dan Air par British Airways qui ne franchissait pas les seuils définis à l’article 1 du er règlement n° 4064/89 et n’avait pas non plus été soumis au contrôle préalable de la Monopolies and Mergers Commission britannique.

101.Sur la base de ces différents éléments, deux positions s’opposent donc concernant l’interprétation de ces textes et la possibilité d’examiner, à la demande de la partie qui s’en prétend victime, les entraves à la concurrence qui pourraient résulter d’une opération de concentration mise en œuvre par un opérateur en position dominante sur un marché de dimension nationale, dans les circonstances précitées.

102.L’affaire Austria Asphalt ayant porté sur l’interprétation de l’article 3 du règlement n° 139/2004, dans un contexte distinct, et la Cour de justice n’apparaissant pas avoir déjà tranché le point de droit en litige, dans le contexte de la présente affaire, il s’avère nécessaire, compte tenu des divergences d’interprétation précédemment relevées et pour garantir l’interprétation et l’application uniforme de ce droit au sein de l’Union, de saisir la  Cour de justice de la question figurant au dispositif du présent arrêt et de surseoir à statuer sur le fond du recours, dans l’attente de sa réponse.

PAR CES MOTIFS

RENVOIE à la Cour de justice de l’Union européenne la question préjudicielle suivante : L’article 21, paragraphe 1 du règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’une opération de concentration, dépourvue de dimension communautaire au sens de l’article 1 du règlement précité, située en-dessous des er seuils de contrôle ex ante obligatoire prévus par le droit national et n’ayant pas donné lieu à un renvoi à la Commission européenne en application de l’article 22 dudit règlement, soit analysée par une autorité nationale de concurrence comme constitutive d’un abus de position dominante prohibé par l’article 102 du TFUE, au regard de la structure de la concurrence sur un marché de dimension nationale ?  

SURSOIT à statuer jusqu’à la décision de la Cour de justice de l’Union européenne ;  

RÉSERVE les dépens ;

DIT qu’une expédition du présent arrêt sera transmis par le greffe de la cour d’appel de Paris au greffier de la Cour de justice de l’Union européenne.