Cass. com., 7 juillet 2021, n° 19-22.807
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
MMA IARD assurances mutuelles (Sté), MMA IARD (SA)
Défendeur :
Delta Security Solutions (SA), Avenir Telecom (SA), Douhaire (ès qual.), Louis (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guérin
Rapporteur :
Mme Comte
Avocat général :
M. Douvreleur
Avocats :
SCP Piwnica et Molinié, SCP Rousseau et Tapie, SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° V 19-22.956 et G 19-22.807 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 27 juin 2019), rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 14 février 2018, pourvoi n° 17-11.924), la société Avenir Telecom, qui distribue des produits et accessoires électroniques, a conclu, le 29 novembre 2003, un contrat de télésurveillance de service de sécurité avec la société Initial télésurveillance, aux droits de laquelle est venue la société Delta Security Solutions (la société Delta), et, le 29 novembre 2005, un contrat « multi-services » de maintenance ou de télémaintenance avec cette dernière. La société Avenir Telecom est assurée auprès de la société Covéa Risk, aux droits de laquelle sont venues les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles (l'assureur).
3. Un vol a été perpétré dans les locaux de la société Avenir Telecom sans que l'alarme ait fonctionné. Après l'avoir indemnisée, l'assureur, subrogé dans ses droits, a assigné la société Delta en responsabilité.
4. La société Avenir Telecom a été mise en redressement judiciaire le 4 janvier 2016 et un plan de redressement a été adopté le 10 juillet 2017. La SCP JP Louis et A Lageat et la SCP Douhaire Avazzeri ont été respectivement désignées en qualité de mandataire au redressement judiciaire et de commissaire à l'exécution du plan.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi n° V 19-22.956, pris en sa cinquième branche, et sur le troisième moyen du pourvoi n° G 19-22.807, ci-après annexés
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen du pourvoi n° V 19-22.956, pris en ses première et deuxième branches, et sur le premier moyen du pourvoi n° G 19-22.807, rédigés en termes similaires, réunis
Enoncé des moyens
6. Par son moyen, pris en ses première et deuxième branches, l'assureur fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes tendant à voir juger la société Delta responsable à hauteur de 95 % des conséquences du vol perpétré dans les entrepôts de la société Avenir Telecom dans la nuit du 21 au 22 octobre 2010 et condamner la société Delta à lui verser la somme de 1 130 091,50 euros à titre de dommages-intérêts avec intérêts à compter de la date du paiement entre les mains de la société Avenir Telecom, alors :
« 1°) qu'il résulte de l'article L. 442-6, I, 2°, devenu L. 442-1 du code de commerce, qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ; que ce texte ne requiert pas qu'il soit prouvé par la victime du déséquilibre qu'elle ait au préalable essayé en vain de négocier la clause litigieuse ; qu'en l'espèce, la société Avenir Telecom se prévalait de l'irrégularité, au regard du texte susvisé, de la clause figurant dans les conditions générales préimprimées d'un contrat d'installation et d'abonnement à un système de télésurveillance, qui constitue, même pour un professionnel du stockage, un contrat d'adhésion dont les conditions générales préimprimées ne sont en pratique jamais négociées ; qu'en retenant néanmoins que nonobstant le caractère prérempli des clauses du contrat, qui ne suffirait pas à prouver la soumission ou la tentative de soumission au sens du texte susvisé, il convenait de rechercher si la société Avenir Telecom, qui s'était reconnue au contrat comme professionnelle en matière de logistique et donc de stockage, disposait ou non d'un pouvoir réel de les négocier, et pour ce faire qu'elle ait au préalable essayé en vain de négocier la clause dont elle alléguait qu'elle crée un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, cependant que cette tentative n'était pas une condition requise par le texte, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé ;
2°) que l'article L. 442-6, I, 2°, devenu L. 442-1 du code de commerce, ne requiert pas que soit prouvée une situation de rapport de force traduisant un déséquilibre économique entre les partenaires commerciaux ; qu'en retenant que le déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties prévu au texte susvisé était subordonné à ce que soit rapportée la preuve d'un rapport de force entre les parties, compte tenu de leur taille, de leur poids économique et de leur présence sur le marché traduisant un déséquilibre économique, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé. »
7. Par leur premier moyen, la société Avenir Telecom, la SCP JP Louis et A Lageat et la SCP Douhaire Avazzeri, ces deux dernières ès qualités, font grief à l'arrêt de rejeter l'ensemble de leurs demandes, alors « qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait pour tout commerçant, de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ; que le déséquilibre significatif réside notamment dans l'absence de réciprocité des clauses stipulant un avantage pour l'une des parties, tandis que la soumission ou la tentative de soumission résulte de ce que la clause litigieuse est imposée par l'un des cocontractants et échappe à la libre négociation des parties ; que la cour d'appel a relevé en l'espèce que la clause litigieuse, qui limitait la responsabilité du prestataire à la seule hypothèse d'une faute prouvée, présentait un caractère "pré-rempli”, en ce qu'elle figurait dans les conditions générales du contrat ; qu'il en résultait qu'elle n'avait pas pu être librement négociée ; qu'en énonçant pour écarter la soumission ou tentative de soumission de la société Avenir Telecom à des conditions créant un déséquilibre significatif entre les parties, que le rapport de force entre elles ne traduisait pas un déséquilibre économique et qu'aucun élément n'établissait un risque encouru par la société Avenir Telecom en cas de refus de la clause, sans rechercher si cette dernière aurait effectivement pu négocier la clause litigieuse, en imposer le retrait ou en modifier les termes, la cour d'appel a statué par des motifs inopérants et privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
8. Après avoir énoncé que le caractère pré-rempli des clauses du contrat ne suffit pas à prouver la soumission ou la tentative de soumission au sens de l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, et qu'il convient de rechercher si la société Avenir Telecom, laquelle s'est reconnue au contrat comme professionnelle en matière de logistique et, partant, de stockage, avait un pouvoir réel de les négocier, l'arrêt retient que le rapport de force entre les parties, compte tenu de leur taille, de leur poids économique et de leur présence sur le marché, ne traduit pas un déséquilibre économique, aucun élément n'étant produit en faveur d'un risque encouru par la société Avenir Telecom en cas de refus de la clause litigieuse.
9. En cet état, c'est sans ajouter au texte une condition d'application qu'il ne comporte pas que la cour d'appel, appréciant souverainement les conditions dans lesquelles les parties avaient conclu le contrat, qui n'excluaient pas que la clause litigieuse ait pu faire l'objet, entre elles, d'une négociation effective, a déduit que la soumission ou tentative de soumission de la société Avenir Telecom à des conditions créant un déséquilibre significatif entre les parties n'était pas établie.
10. Les moyens ne sont donc pas fondés.
Sur le moyen du pourvoi n° V 19-22.956, pris en ses troisième et quatrième branches, et sur le deuxième moyen du pourvoi n° G 19-22.807, rédigés en termes similaires, réunis
Enoncé des moyens
11. Par son moyen, pris en ses troisième et quatrième branches, l'assureur fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 3°) que l'entreprise d'installation et de maintenance d'un système d'alarme et prestataire de service de télésurveillance est tenue à l'égard de son client d'une obligation de résultat à raison des dysfonctionnements des matériels ; que l'absence de déclenchement du système d'alarme pendant les opérations de vol constitue nécessairement une défaillance du système, caractérisant ainsi une atteinte à son obligation de résultat ; qu'en l'espèce, pour écarter la responsabilité de la société Delta engagée en raison du vol de marchandises commis dans les locaux où elle avait installé un système d'alarme qui ne s'était pas déclenché, la cour d'appel a retenu que la preuve n'était pas rapportée de la cause du mauvais fonctionnement de l'alarme ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu les articles 1134 et 1147 du code civil dans leur rédaction applicable à la cause antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;
4°) que les clauses exclusives de responsabilité qui tendent à libérer le débiteur de son obligation essentielle doivent être réputées non écrites ; qu'en retenant, pour faire application de la clause prévue à l'article 5.6 du contrat de télésurveillance conclu entre la société Delta et la société Avenir Telecom, qui subordonnait l'action en responsabilité de l'installateur d'une alarme également prestataire de service de télésurveillance, à la preuve de la faute de ce dernier en cas de dysfonctionnement de l'installation, que cette clause n'aurait pas pour effet de décharger par avance la société Delta du manquement à une obligation essentielle lui incombant, cependant qu'elle faisait peser sur le seul client le risque d'un dysfonctionnement demeuré inexpliqué, la cour d'appel a méconnu les articles 1134 et 1147 du code civil, dans leur rédaction applicable à la cause antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016. »
12. Par leur deuxième moyen, la société Avenir Telecom, la SCP JP Louis et A Lageat et la SCP Douhaire Avazzeri, ces deux dernières ès qualités, font le même grief à l'arrêt, alors :
« 1°) que l'obligation du prestataire ayant installé un système d'alarme et de télésurveillance est une obligation de résultat en ce qui concerne son bon fonctionnement, dont il ne peut s'exonérer que par la preuve d'une cause étrangère ; que la clause qui exonère le prestataire de son obligation d'installer un système efficace en soumettant sa responsabilité à la preuve d'une faute contredit la portée de son engagement et doit être réputée non écrite ; qu'en décidant du contraire, la cour d'appel a violé l'article 1131 du code civil, dans sa rédaction applicable en l'espèce ;
2°) que le prestataire ayant installé un système d'alarme et de télésurveillance est tenu d'une obligation de résultat ; que la défaillance du système de vidéo-surveillance, qui ne se déclenche pas lors d'une l'effraction, caractérise une faute lourde de la part de l'installateur, de nature à écarter la clause limitant sa responsabilité ; qu'il était constant en l'espèce que la société Avenir Telecom avait été victime d'un vol avec effraction, sans que le système d'alarme mis en place par la société Delta Security Solutions ne se déclenche ; qu'en énonçant cependant qu'aucune faute, au surplus lourde, ne pouvait résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1147 du code civil, dans leur rédaction applicable en la cause. »
Réponse de la Cour
13. En l'état de l'article 5.6 du contrat, qui stipule que la responsabilité de la société Delta ne peut être engagée pour des dommages résultant du fonctionnement de l'installation ou de son non-fonctionnement, pour quelque cause que ce soit, en l'absence d'une faute dûment prouvée de sa part dans l'exécution de ses prestations, l'arrêt retient que cette clause ne fait que poser une condition à l'indemnisation pouvant être mise à sa charge, en l'occurrence la preuve de l'existence d'une faute, et a pour seule conséquence de faire porter la charge de l'aléa d'un dysfonctionnement inexpliqué à l'utilisateur, faisant ainsi ressortir que l'obligation souscrite par la société Delta sur le bon fonctionnement de l'installation de télésurveillance était de moyens et non de résultat. Après avoir ensuite énoncé qu'aucune faute, au surplus lourde, ne peut résulter du seul manquement à une telle obligation contractuelle, fût-elle essentielle, la cour d'appel a pu retenir qu'aucune faute n'avait été relevée à l'encontre de la société Avenir Telecom (lire « la société Delta »), l'expert émettant des hypothèses, notamment l'intervention d'un préposé, sans pouvoir les confirmer, la question des tests de contrôle de l'installation n'étant pas même évoquée au cours de l'expertise et dénuée d'effet en l'espèce, au vu du bon fonctionnement de l'alarme.
14. L'arrêt retient encore que la clause litigieuse n'a pas pour effet de décharger par avance la société Delta de sa responsabilité en cas de manquement à une obligation essentielle lui incombant et qu'en répartissant expressément le risque et la limitation de responsabilité qui en résulte, elle ne prive pas la société Avenir Telecom de toute contrepartie. Il en déduit exactement que cette stipulation n'a pas pour effet de vider de toute substance l'obligation essentielle de bon fonctionnement de l'installation et que sa contrariété avec la portée de l'engagement de la société Delta n'est pas établie.
15. Les moyens ne sont donc pas fondés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois.