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Décisions

ADLC, 9 juillet 2021, n° 21-D-16

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

relative à des pratiques d’obstruction mises en œuvre par Nixon

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de Mme Anne Krenzer, rapporteure et l’intervention de M. Stanislas Martin, rapporteur général, par M. Henri Piffaut, vice-président, président de séance, Mme Fabienne Siredey-Garnier et M. Emmanuel Combe, vice-présidents.

ADLC n° 21-D-16

9 juillet 2021

L’Autorité de la concurrence (commission permanente),

Vu la demande d’assistance de la Commission de la concurrence hellénique du 19 mai 2020 fondée sur l’article 22 du règlement (CE) n° 1/2003 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité, aujourd’hui articles 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) ;

Vu le dossier enregistré sous le numéro 20/0104 F relatif à une procédure d’obstruction ouverte dans le cadre de cette assistance ;

Vu le TFUE et, notamment, ses articles 101 et 102 ; Vu le règlement (CE) n° 1/2003 ;

Vu le livre IV du code de commerce et notamment les articles L. 420-1, L. 420-2 et L. 464-2 du code de commerce ;

Vu les observations présentées par la société Nixon Europe SARL ; Vu les autres pièces du dossier ;

La rapporteure et le rapporteur général, entendus lors de la séance de l’Autorité de la concurrence du 13 avril 2021, la société Nixon Europe SARL, la société Nixon Inc. et le commissaire du Gouvernement ayant été régulièrement convoqués ;

Adopte la décision suivante :

Résumé1 :

Aux termes de la présente décision, l’Autorité de la concurrence (ci-après « l’Autorité ») a sanctionné la société Nixon Europe SARL, en tant qu’auteure de l’infraction, et Nixon Inc., en sa qualité de société mère (ci-après le « groupe Nixon »), sur le fondement des dispositions du V de l’article L. 464-2 du code de commerce, pour avoir fait obstruction à l’investigation de l’Autorité menée au nom et pour le compte de la Commission de la concurrence hellénique (ci-après « HCC »).

Pour les besoins d’une enquête sur des pratiques commises dans le secteur de la commercialisation des montres, la Direction générale de la concurrence de l’autorité grecque de la concurrence, a formulé, aux termes de l’article 22 du règlement n° 1/2003, une demande formelle d’assistance auprès de l’Autorité afin qu’elle envoie un questionnaire au siège de la société Nixon Europe SARL, situé en France. Sur ce fondement, l’Autorité a, sur une période de 5 mois, envoyé, à de multiples reprises, ledit questionnaire, sans obtenir aucune réponse de la part de la société.

En s’abstenant, de manière répétée, de répondre à la demande d’informations envoyée par l’Autorité, la société Nixon Europe SARL, a fait obstruction à une mesure d’investigation des services d’instruction. L’Autorité a également considéré que cette pratique était imputable à la société mère de Nixon Europe SARL, Nixon Inc..

Les dispositions relatives à l’obstruction revêtent une importance cruciale pour garantir l’effectivité des pouvoirs d’enquête et d’instruction de l’Autorité. L’entreprise faisant l’objet d’une mesure d’investigation est ainsi soumise à une obligation de collaboration active et loyale, qui implique notamment de sa part qu’elle réponde aux demandes d’informations communiquées par l’Autorité.

En pratique, le comportement du groupe Nixon a porté atteinte à l’efficacité de l’assistance apportée par l’Autorité à l’autorité grecque de la concurrence et, a fait, plus globalement, obstacle à la participation de l’Autorité à la mise en œuvre de la politique européenne de concurrence.

L’Autorité a défini le montant de la sanction en tenant compte de la gravité du comportement reproché au groupe Nixon, qui a fait obstacle à la mise en œuvre par l’Autorité du règlement n° 1/2003. Elle a également pris en compte l’ensemble des circonstances de l’espèce, dont notamment la situation financière du groupe, et a fixé le montant de la sanction à 5 000 euros.

I. Constatations

A. LA PROCÉDURE

1. Le 4 juillet 2017, la Commission de la concurrence hellénique (ci-après « HCC ») a reçu une plainte d’un détaillant de montres à l’encontre de plusieurs grossistes/importateurs et fabricants de montres bracelets. Cette plainte faisait état de pratiques visant à restreindre la capacité des détaillants à fixer les prix de revente de manière indépendante et à empêcher les ventes transfrontalières. Le plaignant soutenait en outre que les grossistes/importateurs avaient conclu un accord horizontal visant à maintenir des prix de détail élevés.

2. Le 28 janvier 2020, la HCC a envoyé une lettre à la société Nixon Europe SARL (ci-après « Nixon Europe ») informant cette dernière que la Direction générale de la concurrence de la HCC avait ouvert une enquête d’office sur le marché des montres concernant une éventuelle violation de l’article 1 de la loi hellénique sur la concurrence n° 3959/2011 ainsi que de l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après « TFUE »).

3. Dans la même lettre, la HCC invitait Nixon Europe à désigner un avocat au barreau, ayant élu domicile à Athènes en Grèce, afin que tout document pertinent adressé à la société lui soit officiellement remis.

4. Un e-mail avec le même contenu que la lettre susvisée a été envoyé à Nixon Europe le même jour. La HCC a reçu une réponse automatique à cet e-mail.

5. Le 24 février 2020, la HCC a envoyé un e-mail demandant de nouveau à Nixon Europe de désigner un avocat. La HCC a, de nouveau, reçu une réponse automatique à cet e-mail.

6. Le même jour, les agents de la HCC ont appelé le numéro de téléphone indiqué à la rubrique « Mentions Légales » sur le site internet de la marque. Leur interlocuteur leur a indiqué que Nixon Europe avait reçu le courrier et que ce dernier allait être transmis à la personne compétente.

7. En l’absence de réponse à leur demande d’informations, les agents de la HCC ont de nouveau appelé Nixon Europe à deux reprises au cours du mois de mars 2020. La personne contactée auprès de Nixon Europe a confirmé de nouveau que la société allait répondre au courrier de la HCC.

8. En l’absence, une nouvelle fois, de réponse, la HCC, a formulé, le 19 mai 2020, une demande formelle d’assistance aux termes de l’article 22 du règlement n° 1/2003 du Conseil relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité (devenus articles 101 et 102 du TFUE – ci-après « Règlement n° 1/2003 ») auprès de l’Autorité de la concurrence (ci-après « l’Autorité) en vue de l’envoi d’une demande de renseignements au siège de Nixon Europe, situé en France.

B. LES ENTITES CONCERNEES

9. Nixon Europe SARL est une société à responsabilité limitée à associé unique.

10. Détenue à 100 % par Nixon Inc. la société a été créée, en l’année 2000, pour permettre la commercialisation des produits Nixon sur le territoire de la zone EMEA (Europe/Moyen orient/Afrique)2.

11. Son activité est le « marketing distribution vente en gros et au détail de tous produits notamment de pièces d’horlogerie accessoires et pièces de rechange »3.

C. LES PRATIQUES CONSTATEES

12. Afin d’aider les autorités nationales de concurrence à appliquer efficacement les articles 101 et 102 du TFUE, le Règlement n° 1/2003 leur a conféré la possibilité de s’assister mutuellement pour la mise en œuvre de mesures d’enquête. En effet, aux termes du paragraphe 1 de l’article 22 du règlement : « Une autorité de concurrence d’un État membre peut exécuter sur son territoire toute inspection ou autre mesure d’enquête en application de son droit national au nom et pour le compte de l’autorité de concurrence d’un autre État membre afin d’établir une infraction aux dispositions de l’article 81 ou 82 du traité [aujourd’hui articles 101 et 102 du TFUE] ».

13. En ce sens, selon la communication de la Commission européenne relative à la coopération au sein du réseau des autorités de concurrence du 27 avril 2004, « si une autorité nationale de concurrence agit au nom et pour le compte d’une homologue, elle le fait conformément à sa propre législation nationale et en vertu de ses propres pouvoirs d'enquête »4.

14. En droit national, l’alinéa premier du paragraphe I de l’article L. 450-1 du code de commerce prévoit que « [l]es agents des services d'instruction de l’Autorité de la concurrence habilités à cet effet par le rapporteur général peuvent procéder à toute enquête nécessaire à l’application des dispositions des titres II et III du présent livre ».

15. L’alinéa 4 de l’article L. 450-3 du code de commerce donne des précisions sur les mesures d’enquête qui peuvent être entreprises, à ce titre : « [l]es agents peuvent exiger la communication des livres, factures et autres documents professionnels et obtenir ou prendre copie de ces documents par tout moyen et sur tout support. Ils peuvent également recueillir, sur place ou sur convocation, tout renseignement, document ou toute justification nécessaire au contrôle ».

16. En l’espèce, le 19 mai 2020, la HCC a adressé à l’Autorité une demande formelle d’assistance aux termes de l’article 22 du Règlement n° 1/2003 en vue d’envoyer une demande de renseignements à Nixon Europe. La demande de renseignements, en cause, correspondait à un questionnaire comportant seize questions relatives aux ventes de montres en Grèce et dans l’Union Européenne. Plus précisément, ces questions avaient trait à l’objet social de Nixon Europe, aux parts de marché du groupe Nixon et des concurrents en Grèce, au chiffre d’affaires du groupe par marque de montres pour la période 2011-2019, aux marques de montres Nixon, à l’organisation du réseau de distribution du groupe en Grèce, aux prix des montres Nixon ou encore aux états financiers de Nixon Europe5.

17. Le 9 juin 2020, les services d’instruction de l’Autorité ont envoyé la demande de renseignements au nom et pour le compte de l’HCC au Directeur général de Nixon Europe, M. X…, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception6.

18. À cette occasion, l’Autorité a rappelé à Nixon Europe le contexte de cette demande d’informations. Elle a ainsi souligné que la Direction générale de la HCC menait une enquête d’office sur le marché des montres afin de vérifier l’existence d’une infraction aux dispositions de l’article 1 de la loi 3959/2011, actuellement en vigueur (et/ou de l’article 1 de la loi antérieure 703/1977) et de l’article 101 du TFUE. Elle a ajouté que le questionnaire s’inscrivait dans le cadre de cette enquête et était nécessaire à la HCC afin de continuer à instruire son dossier. La date limite de réponse à la demande de renseignements de l’Autorité était fixée au 10 juillet 20207.

19. L’avis de réception a été tamponné par les services de la poste indiquant une distribution de la lettre à Nixon Europe, le 9 juin 2020. Il n’a cependant pas été signé par Nixon Europe8.

20. En l’absence de réponse de la part de Nixon Europe, le 10 septembre 2020, les services d’instruction de l’Autorité ont envoyé une lettre de rappel signée par le rapporteur général au Directeur général de la société, M. X…, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception. Dans cette lettre, il était rappelé que Nixon Europe était tenue de répondre aux mesures d’enquête réalisées par l’Autorité, même lorsque celles-ci intervenaient pour le compte d’une autre autorité nationale de concurrence de l’Union européenne. En outre, face à l’absence de coopération et d’explication de la part de la société, l’Autorité a rappelé, dans cette lettre, les dispositions du paragraphe V de l’article L. 464-2 du code de commerce sanctionnant les pratiques d’obstruction par une entreprise. L’Autorité a, alors, octroyé un délai de 15 jours à la société pour répondre à la demande de renseignements9.

21. L’avis de réception a été signé et daté le 15 septembre 202010.

22. Le 5 novembre 2020, les services d’instruction ont appelé Nixon Europe. Le standard téléphonique de la société les a mis en relation avec Mme Y…, Directrice Europe de Nixon Europe. Cette dernière a confirmé la réception de la demande de renseignements et confirmé son intention de répondre au questionnaire. Elle a précisé qu’elle se trouvait actuellement en télétravail et qu’elle n’avait pas accès audit questionnaire envoyé par courrier postal. Il a été convenu de lui renvoyer le questionnaire par e-mail.

23. Le 6 novembre 2020, les services d’instruction ont envoyé la demande de renseignements par e-mail à Mme Y…. Dans cet email étaient rappelés le contexte de la demande de renseignements de l’Autorité ainsi que l’obligation de répondre sous risque de sanction pour obstruction. La nouvelle date limite de réponse était fixée au 13 novembre 202011.

24. Les services d’instruction ont reçu une confirmation automatique que l’e-mail avait effectivement été relayé le 6 novembre 202012.

25. Par décision du 6 novembre 2020, le rapporteur général de l’Autorité a désigné Mme Anne Krenzer, rapporteure des services d’instruction de l’Autorité, pour instruire la présente affaire, conformément aux articles L. 450-6 et R. 463-4 du code de commerce13.

D. LE RAPPORT

26. Le 30 novembre 2020, les services d’instruction ont adressé un rapport à la société Nixon Europe lui reprochant d’avoir omis de répondre à une demande, répétée, d’informations de l’Autorité, pratique prohibée au titre de l’alinéa 2 du V de l’article L. 464-2 du code de commerce. Ce rapport a également été notifié à la société Nixon Inc., société mère de Nixon Europe, aux fins de lui imputer les pratiques de sa filiale14.

II. Discussion

27. Le deuxième alinéa du paragraphe V de l’article L. 464-2 du code de commerce dispose : « Lorsqu'une entreprise ou une association d'entreprises a fait obstruction à l'investigation ou à l'instruction, notamment en fournissant des renseignements incomplets ou inexacts, ou en communiquant des pièces incomplètes ou dénaturées, l'Autorité peut, à la demande du rapporteur général, et après avoir entendu l'entreprise en cause et le commissaire du Gouvernement, décider de lui infliger une sanction pécuniaire […] ».

A. SUR LA QUALIFICATION DE L’OBSTRUCTION

1. RAPPEL DES PRINCIPES

28. En droit national, l’alinéa premier du paragraphe I de l’article L. 450-1 du code de commerce prévoit que « [l]es agents des services d'instruction de l’Autorité de la concurrence habilités à cet effet par le rapporteur général peuvent procéder à toute enquête nécessaire à l’application des dispositions des titres II et III du présent livre ».

29. L’alinéa 4 de l’article L. 450-3 du code de commerce donne des précisions sur les mesures d’enquête qui peuvent être entreprises, à ce titre : « [l]es agents peuvent exiger la communication des livres, factures et autres documents professionnels et obtenir ou prendre copie de ces documents par tout moyen et sur tout support. Ils peuvent également recueillir, sur place ou sur convocation, tout renseignement, document ou toute justification nécessaire au contrôle ».

30. L’entreprise faisant l’objet d’une mesure d’investigation est ainsi soumise à une obligation de collaboration active et loyale, qui implique de sa part qu’elle tienne à la disposition des services d’instruction tous éléments d’information et justificatifs répondant à l’objet des demandes. Ainsi, les représentants d’une entreprise, par le truchement, le cas échéant, de leurs conseils dûment mandatés, sont tenus de communiquer avec diligence les renseignements et les documents, complets, exacts et non dénaturés, qui leur sont demandés15.

31. En droit de l’Union, les dispositions du 4 de l’article 18 du Règlement n° 1/2003 édictent, de manière similaire aux dispositions législatives précitées, que les entreprises « [s]ont tenues de fournir les renseignements demandés » par la Commission européenne. La jurisprudence de l’Union rappelle régulièrement que l’entreprise faisant l’objet d’une mesure d’instruction est soumise à une obligation de collaboration active, qui implique qu’elle tienne à la disposition de la Commission européenne tous les éléments d’information relatifs à l’objet de l’enquête16.

32. C’est au regard de l’obligation de répondre activement, diligemment et de bonne foi aux demandes de renseignements qui pèse sur toute entreprise faisant l’objet d’une instruction menée par l’Autorité, qu’il convient d’apprécier les manquements qui lui sont reprochés.

33. L’alinéa 2 du V de l’article L. 464-2 et la pratique décisionnelle de l’Autorité prévoient que l’obstruction peut, « notamment », résulter de la fourniture par l’entreprise de renseignements incomplets ou inexacts, ou de la communication de pièces incomplètes ou dénaturées17. L’obstruction, dont les formes ne sont pas limitativement définies par le V de l’article L. 464-2 du code de commerce, recouvre plus largement tout comportement de l’entreprise tendant, de propos délibéré ou par négligence, à faire obstacle ou à retarder, par quelque moyen que ce soit, le déroulement de l’enquête ou de l’instruction18. Ainsi, le refus de communiquer les renseignements ou les documents demandés dans le délai prescrit, de même que l’omission de rectifier une réponse incorrecte ou incomplète, peuvent constituer une obstruction, au sens de l’alinéa 2 du paragraphe V de l’article L. 464-2 précité, dès lors qu’ils font obstacle aux pouvoirs d’enquête dévolus aux agents de l’Autorité.

34. Dans sa décision n° 2021-892 QPC du 26 mars 2021 société Akka technologies et autres, le Conseil constitutionnel a confirmé l’interprétation donnée par l’Autorité à la notion d’obstruction au sens de l’alinéa 2 du paragraphe V de l’article L. 464-2 : « […] l'obstruction aux mesures d'investigation ou d'instruction s'entend de toute entrave au déroulement de ces mesures, imputable à l'entreprise, qu'elle soit intentionnelle ou résulte d'une négligence » (paragraphe 15).

35. Il en est de même en droit de l’Union qui, conformément au I de l’article 23 du Règlement n° 1/2003 précité, sanctionne les infractions d’obstruction commises délibérément ou par négligence. L’analyse de la jurisprudence européenne permet de conclure que ce n’est pas seulement « la volonté d’induire en erreur les enquêteurs » qui est sanctionnée au titre de l’obstruction dans les espèces citées. La négligence de l’entreprise, ou sa passivité, qui a compromis l’efficacité de l’action des enquêteurs, peut constituer, à elle seule, l’infraction. Ainsi, le Tribunal de l’Union a jugé que : « En raison de l’obligation de collaboration active imposée aux particuliers concernés au cours de la procédure d’enquête préalable, une réaction passive peut justifier, à elle seule, l’adoption d’une décision formelle au titre de l’article 11, paragraphe 5, du règlement n° 17 »19.

2. APPLICATION EN L’ESPECE

36. En l’espèce, ainsi qu’il ressort des constatations exposées supra, les services d’instruction de l’Autorité ont envoyé, le 9 juin 2020, au nom et pour le compte de la HCC, une demande de renseignements à Nixon Europe.

37. En l’absence de réponse de la part de la société mise en cause, les services d’instruction ont, tout d’abord, renvoyé la demande de renseignements, le 10 septembre 202020, puis, toujours en l’absence de réponse, contacté par téléphone, Mme Y…, directrice Europe de la société, le 5 novembre 2020 et renvoyé, à sa demande, par email, le questionnaire, le 6 novembre 202021. Aucune réponse n’a toutefois été apportée à la demande de renseignements. À la date d’envoi du rapport d’obstruction, le 30 novembre 2020, soit plus de cinq mois après le premier envoi de la demande d’informations, la société mise en cause n’avait apporté aucune réponse au questionnaire communiqué par les services d’instruction.

38. En s’abstenant ainsi, de manière répétée, de répondre à la demande d’informations, envoyée par l’Autorité, au nom et pour le compte de la HCC, la société Nixon Europe a manqué à son obligation de coopération loyale et active avec les services d’instruction.

39. Il convient de relever, à cet égard, que la société mise en cause a confirmé, dans ses observations sur le rapport, la réception des différents mails et courriers des services d’instruction22 et que les services d’instruction, lors des envois du 10 septembre 2020 et du 6 novembre 2020, avaient bien informé la société mise en cause du risque de sanction encouru, sur le fondement du deuxième alinéa du paragraphe V de l’article L. 462-4 du code de commerce, en l’absence de réponse de sa part.

40. Nixon Europe explique, dans ses observations au rapport, que son manque de réactivité serait lié à certains évènements qui ont affecté l’organisation de la société depuis 2016. Elle met ainsi en avant les mesures de restructuration prises, notamment en termes de réduction d’effectifs, à la suite de la crise de l’horlogerie en 2016 et de la crise économique et sanitaire de 202023.

41. Cet argument ne saurait toutefois être reçu en l’espèce.

42. Si le contexte souligné par la société mise en cause a certes pu impacter son activité et sa situation financière, il ne saurait justifier l’absence totale de réponse à une demande de renseignements de l’Autorité. Ainsi, alternativement, Nixon Europe aurait pu, à tout le moins, demander une extension de délai de réponse dès réception de la demande de renseignements du 9 juin 2020. Toutefois, au cas d’espèce, c’est la rapporteure qui a été à l’origine du premier contact téléphonique avec Nixon Europe, le 5 novembre 2020, à la suite de deux premiers courriers restés sans réponse. La première demande de prolongation de délai de réponse par Nixon Europe n’a été effectuée que le 9 février 202124, soit postérieurement à l’envoi du rapport d’obstruction.

43. La société mise en cause a finalement produit, le 25 février 2021, dans ses observations en réponse au rapport, des éléments de réponse à la demande de renseignements, sans pour autant fournir une réponse à l’ensemble des questions posées. Pour certaines des questions laissées sans réponse, la société a donné des explications sur son incapacité à satisfaire la demande de l’Autorité : « Vous y trouverez donc en détail le chiffre d’affaire des années fiscales allant de 2014 à 2020.Veuillez noter que l’année fiscale N comprend la période du 1er Juillet N-1 au 30 Juin N. Les données jointes couvrent donc la période du 01/07/2013 au 30/06/2020. Les données du 1er Janvier 2011 au 30 Juin 2013 nous demandent des recherches en cours et non abouties à ce jour. D’autre part, nous n’avons aucune étude de marché permettant de présenter nos parts de marché, ni même les marques de concurrents par gamme de prix »25 (soulignement ajouté). Ces explications, tardives, sur l’impossibilité de la société de répondre à certaines questions de la demande d’informations, auraient pu également être communiquées à l’Autorité en réponse à son premier courrier.

44. Il résulte de l’ensemble de ces éléments que l’infraction d’obstruction est constituée.

B. SUR L’IMPUTABILITE

45. Au sein d’un groupe de sociétés, le comportement d’une filiale peut être imputé à la société mère notamment lorsque, bien qu’ayant une personnalité juridique distincte, cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques26.

46. Dans le cas particulier où une société mère détient, directement ou indirectement par le biais d’une société interposée, la totalité ou la quasi-totalité du capital de sa filiale auteure d’un comportement infractionnel, il existe une présomption selon laquelle cette société mère exerce une influence déterminante sur le comportement de sa filiale, présomption compatible avec les principes de responsabilité personnelle et d’individualisation des peines. Dans cette hypothèse, il suffit pour l’autorité de concurrence de rapporter la preuve de cette détention capitalistique pour imputer le comportement de la filiale auteure des pratiques à la société mère. La société mère peut renverser cette présomption en apportant des éléments de preuve susceptibles de démontrer que sa filiale détermine de façon autonome sa ligne d’action sur le marché. Si la présomption n’est pas renversée, l’autorité de concurrence sera en mesure de tenir la société mère pour solidairement responsable pour le paiement de la sanction infligée à sa filiale27.

47. Ces principes s’imposent à l’Autorité lorsqu’elle fait parallèlement application des articles 101 et 102 du TFUE et des articles L. 420-1 et L. 420-2 du code de commerce : « la notion d’entreprise et les règles d’imputabilité relèvent des règles matérielles du droit de la concurrence de l’Union. L’interprétation qu’en donnent les juridictions de l’Union s’impose donc à l’autorité nationale de concurrence lorsqu’elle applique ce droit »28. Dans un arrêt du 19 mai 2016, la cour d’appel de Paris a énoncé que cette présomption d’imputabilité est applicable par l’Autorité « même lorsqu’elle applique exclusivement le droit national de la concurrence, pour des raisons de cohérence juridique »29.

48. Par ailleurs, comme l’a indiqué la Commission dans une décision du 24 mai 2011 devenue définitive30, les règles régissant l’imputabilité des infractions aux règles de fond et aux règles de procédure sont identiques. Les infractions aux règles de procédure relatives aux pouvoirs d’instruction de la Commission ayant pour effet d’empêcher ou de rendre plus difficile la détection d’infractions aux règles de fond, elles ne sauraient être régies par des principes différents s’agissant de leur imputabilité.

49. Enfin, dans sa décision Akka technologies et autres, le Conseil constitutionnel a indiqué qu’« en faisant référence à la notion d'entreprise, qui désigne les entités constituées sous l'un des statuts ou formes juridiques propres à la poursuite d'un but lucratif, et à celle de chiffre d'affaires mondial, le législateur s'est référé à des catégories juridiques précises permettant de déterminer avec une certitude suffisante les personnes responsables et la peine encourue ». Le Conseil constitutionnel a considéré que le fait d’imputer à une société mère une obstruction commise par l’une de ses filiales était conforme à la Constitution, et a écarté le grief tiré d’une méconnaissance du principe de personnalité des peines et de la présomption d’innocence31.

50. Par conséquent, les règles d’imputabilité des infractions édictées par la jurisprudence européenne et adaptées en droit national, en particulier la présomption d’imputabilité à la société mère des agissements de sa filiale, sont applicables aux infractions d’obstruction visées par le V de l’article L. 464-2 du code de commerce32.

51. En l’espèce, il convient d’appliquer les règles qui commandent l’imputabilité des infractions de la filiale à sa mère et d’opposer à Nixon Inc. qui détient 100 % du capital de la société Nixon Europe, la présomption selon laquelle, constituant avec elle une seule entreprise au sens du droit de la concurrence, elle exerçait une influence déterminante sur le comportement de sa filiale.

C. SUR LES SANCTIONS

52. Les deuxième et troisième alinéas du V de l’article L. 464-2 du code de commerce dispose : « Lorsqu’une entreprise ou une association d’entreprises a fait obstruction à l’investigation ou à l’instruction, […] l’Autorité peut […] décider de lui infliger une sanction pécuniaire. Le montant maximum de cette dernière ne peut excéder 1 % du montant du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre. Si les comptes de l'entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d'affaires pris en compte est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l'entreprise consolidante ou combinante ».

53. L’Autorité de la concurrence n’a pas adopté de lignes directrices énonçant la méthode de calcul qui s’imposerait à elle pour la fixation des amendes en cas d’obstruction mais doit, en toute hypothèse, tenir compte des principes de proportionnalité et d’individualisation de la sanction et prendre en considération, partant, la gravité du comportement reproché aux sociétés mises en cause à la lumière des circonstances particulières de l’espèce, des effets de ce comportement sur le déroulement de l’instruction, et plus généralement, de ses conséquences sur l’ordre public économique que l’Autorité a pour mission de préserver.

54. À cet égard, il convient tout d’abord de relever que l’infraction d’obstruction, prévue à l’article L. 464-2 du code de commerce, est, en soi, une infraction particulièrement grave, dès lors que, par nature, elle met en péril, voire peut faire échec à la finalité de l’instruction des saisines contentieuses de l’Autorité, qui est de constater les infractions au droit de la concurrence, national et européen, d’en établir la preuve et de les sanctionner, et au rétablissement du bon fonctionnement concurrentiel du marché, ce qui préjudicie tant à l’ordre public économique qu’aux entreprises ou acteurs victimes des pratiques anticoncurrentielles.

55. Pour la détermination du montant de l’amende, l’Autorité est fondée à prendre en considération la nécessité de garantir à celle-ci un effet suffisamment dissuasif, ce qui revêt d’autant plus d’importance pour la sanction des infractions d’obstruction que les entreprises ne doivent pas pouvoir estimer qu’il serait avantageux pour elles de faire obstacle à une instruction, et de se prémunir ainsi à bon compte de toute possibilité de sanction.

56. Lorsque l’acte d’enquête ou d’investigation auquel il est fait obstruction a été mené par l’Autorité, non pas pour les besoins de sa propre enquête, mais au nom et pour le compte d’une autre autorité nationale de concurrence, conformément au paragraphe 1 de l’article 22 du règlement n° 1/2003, la gravité de l’infraction n’est pas pour autant remise en cause. En effet, la pratique porte atteinte à l’efficacité de l’assistance d’une autorité nationale de concurrence par l’Autorité et, plus globalement, à la participation de l’Autorité à la mise en œuvre de la politique européenne de concurrence.

57. En ce qui concerne la gravité, le principe de proportionnalité doit conduire à prononcer une sanction adaptée et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes de la loi.

58. En l’espèce, en ne répondant pas de manière répétée à la demande de renseignements envoyée par les services d’instruction, le groupe Nixon a fait obstruction à une mesure d’investigation et compromis l’efficacité de leur action. À cet égard, bien que la demande de renseignements n’ait été liée à aucune saisine contentieuse de l’Autorité, les pratiques des sociétés mises en cause n’ont pas été sans conséquences vis-à-vis de l’Autorité. En effet, le comportement du groupe Nixon a porté atteinte à l’efficacité de l’assistance de l’Autorité à l’enquête de la HCC, et a eu pour conséquence de faire obstacle à la contribution de l’Autorité à la politique européenne de concurrence.

59. Au vu de l’ensemble de ces éléments et des circonstances de l’espèce, dont notamment la situation financière du groupe, le montant de la sanction infligée solidairement à Nixon Europe et Nixon Inc. est fixé à 5 000 euros.

DÉCISION

Article 1er : Il est établi que les sociétés Nixon Europe SARL, en tant qu’auteure de l’infraction, et Nixon Inc., en sa qualité de société mère, ont enfreint les dispositions du V de l’article L. 464-2 du code de commerce, en faisant obstruction à l’investigation de l’Autorité.

Article 2 : Au titre de l’infraction visée à l’article 1er, il est infligé solidairement à la société Nixon Europe SARL, en tant qu’auteure de l’infraction, et à la société Nixon Inc., en sa qualité de société mère, une sanction pécuniaire d’un montant de 5 000 euros.

NOTES

1 Ce résumé a un caractère strictement indicatif. Seuls font foi les motifs de la décision numérotés ci-après.

2 Cote 77.

3 Cote 30.

4 Communication de la Commission relative à la coopération au sein du réseau des autorités de concurrence, OJ C 101, 27.4.2004, point 29.

5 Cotes 4 à 8.

6 Cotes 3 à 11.

7 Cotes 3 à 11.

8 Cote 13.

9 Cotes 14 à 23.

10 Cote 24.

11 Cotes 25 à 26.

12 Cote 27.

13 Cote 2.

14 Cotes 33 à 57.

15 Décision n° 17-D-27 du 21 décembre 2017 relative à des pratiques d’obstruction mises en œuvre par Brenntag, paragraphe 181.

16 Arrêt de la Cour de justice du 18 octobre 1989, Orkem/Commission, 374/87, points 22 et 27.

17 Décision n° 17-D-27 du 21 décembre 2017 relative à des pratiques d’obstruction mises en œuvre par Brenntag, paragraphe 187.

18 Décision n° 17-D-27 du 21 décembre 2017 relative à des pratiques d’obstruction mises en œuvre par Brenntag, paragraphe 187, décision n° 19-D-09 du 22 mai 2019 relative à des pratiques d’obstruction mises en œuvre par le groupe Akka, paragraphe 34.

19 Arrêt du Tribunal du 9 novembre 1994, Scottish Football Association/Commission, T-46/92, point 31.

20 Cotes 14 à 23.

21 Cotes 25 à 26.

22 Cote 76.

23 Cotes 77 et 78.

24 Cote 66.

25 Cote 76.

26 Arrêt de la Cour de justice du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, C-97/08, point 58, arrêt de la Cour de justice du 20 janvier 2011, General Quimica/Commission, C-90/09, point 37 ; voir également l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 29 mars 2012, Lacroix Signalisation e.a., 2011/01228, pages 18 et 20.

27 Arrêt de la Cour de justice du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, C-97/08, points 60 et 61, arrêt de la Cour de justice du 20 janvier 2011, General Quimica/Commission, C-90/09, points 39 et 40 ; voir également l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 29 mars 2012, Lacroix Signalisation e.a., 2011/01228, pages 19 et 20.

28 Décision n° 11-D-17 du 8 décembre 2011 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des lessives, paragraphe 541.

29 Arrêt de la cour d’appel de Paris du 19 mai 2016, Mobilitas SA, n° 2014/25803, page 6.

30 Décision de la Commission européenne du 24 mai 2011, aff. 39.796, Suez Environnement, paragraphes 88 et suivants.

31 Décision du Conseil constitutionnel n° 2021-892 QPC du 26 mars 2021 société Akka technologies et autres, paragraphes 9 et 18.

32 Décisions de l’Autorité n° 19-D-09 du 22 mai 2019 relative à des pratiques d’obstruction mises en œuvre par le groupe Akka, paragraphes 78 et suivants et n° 17-D-27 du 21 décembre 2017 relative à des pratiques d’obstruction mises en œuvre par Brenntag, paragraphes 217 et suivants. Voir également arrêt de la cour d’appel de Paris du 26 mai 2020, Akka Technologies e.a., n° 19/11880, point 93.