CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 28 mai 1996, n° 95-25401
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Belou Luiz Ruiz (SARL), ETS A Dokcha Guy (Sté), Société aubinoise transports sanitaires (SARL), Ambulances 2000 (SARL)
Défendeur :
Ministre de l'Economie, des Finances et du Budget
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bargue
Conseillers :
Mme Thin, M. Weill
Avocat :
Me Neu
Vu les mémoires, pièces et documents déposés au greffe à l’appui des recours ;
Saisi le 11 octobre 1993 par le ministre de l’économie de pratiques mises en œuvre pas des entreprises de transports sanitaires lors de la passation de marchés avec le centre hospitalier de Decazeville, le Conseil de la concurrence, par décision n’ 95-D-52 du 5 septembre 1995, a infligé aux entreprises concernées les sanctions pécuniaires suivantes :
20000 F à la SNC Belou Luis Ruiz ;
8 000 F à la SARL Ambulances 2000 ;
7 000 F à M. Dokcha (entreprises Guy Dokcha ) ;
19 000 F à la SARL SATS ( Société aubinoise de transports sanitaires).
Les entreprises sanctionnées avaient assuré jusqu’en 1991, avec deux autres entreprises dont l’une a cessé toute activité et l’autre n’a pas formé de recours contre la décision du Conseil de la concurrence, le service des transports sanitaires accessoires à l’activité de l’hôpital de Decazeville, chacune de ces entreprises assumant seule et à tour de rôle l’intégralité des transports.
Contactées individuellement par l’hôpital le 19 mai 1991, afin de sou mettre des offres devant aboutir à la passation d’un marché négocié, ces six entreprises ont déposé le 5 juillet 1991 une offre commune, sur la base d’un prix inférieur de 15 p. 100 au tarif maximum fixé par arrêté interministériel.
Le marché relatif à la période comprise entre le mois d’août 1991 et le mois d’août 1992 a été attribué à une septième entreprise qui avait proposé un rabais supérieur.
Pour l’exercice suivant, les mêmes entreprises, à nouveau consultées par l’hôpital, avaient à la suite d’une réunion de leurs responsables décidé de ne présenter aucune offre.
Le Conseil a estimé que cette concertation à l’occasion de chacun des deux marchés était constitutive d’ententes anticoncurrentielles tant par leur objet que par leurs effets.
Les quatre sociétés susvisées ont déposé des recours en réformation, en faisant valoir que leurs pratiques ne sauraient être considérées comme anticoncurrentielles ni par leur objet ni par leurs effets. Elles estiment applicable l’exception prévue à l’article 10, alinéa 2, de l’ordonnance du 1er décembre 1986 et sollicitent la condamnation du ministre de l’économie à payer à chacune d’entre elles la somme de 10000 F au titre de l’article 700 du NCPC.
Le Conseil de la concurrence rappelle que la concertation reprochée aux entreprises, loin d’être rendue nécessaire par les conditions d’exécution de la mission de celles-ci, visait à pérenniser le système de répartition du marché antérieurement mis n place.
Le ministre de l’économie estime que le groupement des entreprises n’était pas nécessaire et qu’il importe peu que l’hôpital ait pu ou non être trompé sur la réalité de la concurrence, dès lors que l’action des entreprises l’avait réduite de façon substantielle.
Il expose enfin que le progrès économique invoqué n’est pas démontré et conclut au rejet des recours.
Le ministère public conclut oralement au rejet des recours.
Sur quoi, la cour,
1° Sur la qualification des ententes :
Considérant que les entreprises requérantes soutiennent qu’en raison des contraintes particulières imposées aux entreprises de transports sanitaires par les textes réglementant leur profession, d’une part, et par la nécessité d’organiser une garde, d’autre part, il était impossible à une seule entreprise isolée d’assurer la mission objet du marché. Elles affirment donc que seule une soumission groupée permettait de répondre à l’offre de l’hôpital, et que cette réunion, dépourvue de tout caractère occulte, ne pouvait tromper le maître de l’ouvrage sur la réalité de la concurrence ;
Mais, considérant que la nécessité de l’intervention de plusieurs entreprises de transports sanitaires est démentie par les circonstances qu’à deux reprises, en 1991 et 1992, une seule entreprise, disposant de moyens matériels et humains comparables à ceux de chacune des requérantes a été retenue, et qu’antérieurement au mois de mai 1991 ces mêmes requérantes assuraient, non pas concomitamment mais à tour de rôle, les transports sanitaires de l’hôpital ;
Qu’il résulte des déclarations recueillies que six ambulanciers concernés tous implantés dans le bassin de Decazeville se sont réunis afin d’arrêter ensemble une position commune, en particulier sur le pourcentage de réduction de prix à proposer à l’hôpital, qu’une telle concertation a eu pour objet et pour effet de limiter le jeu normal de la concurrence sur le marché des transports sanitaires de l’hôpital de Decazeville ;
Que les requérants soutiennent en vain que ce marché échapperait à toute concurrence en raison de la réglementation de la profession d’ambulancier et des tarifs pratiqués; qu’en effet les entreprises présentes sur un même marché entrent en concurrence tant par la qualité des services qu’elles proposent que par les prix dans la limite du tarif maximum imposé par les pouvoirs publics, les hôpitaux effectuant le choix de leurs cocontractants au vu de ces éléments ;
Que, dès lors, il importe peu que l’hôpital de Decazeville ait pu ou non être trompé sur la réalité de la concurrence que l’action des entreprises groupées avait été réduite de façon substantielle ;
Considérant que le refus concerté des mêmes entreprises de répondre à l’appel d’offres de 1992 a également eu pour objet et pour effet de restreindre la concurrence sur le marché, une seule offre émanant d’un ambulancier implanté en dehors du bassin de Decazeville ayant été reçue par l’hôpital ;
2° Sur l’application de l’article 10-2 de l’ordonnance du 14 février 1996 :
Considérant que les requérants sollicitent le bénéfice de l’exonération prévue par cet article, sans préciser en quoi consisterait le progrès économique invoqué; qu’en toute hypothèse ils ne démontrent pas que leur concertation aurait constitué l’unique moyen d’améliorer la qualité du service rendu ;
3° Sur les sanctions
Considérant que le montant des sanctions, qui n’est pas en lui-même contesté, a fait l’objet d’une exacte appréciation par le Conseil de la concurrence eu égard à la gravité des faits reprochés, au dommage causé à l’économie et à la situation personnelle de chacune des entreprises ;
Considérant enfin que les requérants succombant en leur recours, il n’y a pas lieu de faire application de l’article 700 du NCPC,
Par ces motifs :
Rejette les recours formés par la SNC Belou Luis Ruiz, la SARL Ambulances 2000, l’entreprise Dochka Guy et la SARLS ATS (Société aubinoise de transports sanitaires), contre la décision n°95-D-52 du Conseil de la concurrence.
Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du NCPC.
Met les dépens à la charge des entreprises requérantes.