CA Rouen, ch. soc. et des affaires de securite soc., 8 juillet 2021, n° 18/04251
ROUEN
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Défendeur :
L'immobilière Normande (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Avocats :
Me Scolan, Me Enault, Me Ulbrich
EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES
Mme X a été engagée par la SARL L'immobilière normande par contrat d'agent commercial du 8 octobre 2013.
Le 13 janvier 2017, Mme X a pris acte de la rupture des relations contractuelles.
Par requête du 2 janvier 2018, Mme X a saisi le conseil de prud'hommes de Louviers en requalification de son contrat d'agent commercial en contrat de travail à durée indéterminée, requalification de la prise d'acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse et paiement de rappels de salaire et d'indemnités.
Par jugement du 18 septembre 2018, le conseil de prud'hommes s'est déclaré compétent pour statuer sur les demandes de Mme X, a dit qu'il y avait lieu de requalifier le contrat d'agent commercial de Mme X en contrat de travail à durée indéterminée à partir du 8 octobre 2013, le lien de subordination entre les parties ayant été parfaitement démontré, dit qu'il convient de requalifier la prise d'acte de rupture de Mme X en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, en conséquence, a fixé le salaire moyen de Mme X à 3 061 euros, condamné la SARL L'immobilière normande à verser à Mme X les sommes suivantes :
· indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 10 000 euros,
· indemnité conventionnelle de licenciement : 2 296 euros,
· indemnité compensatrice de préavis : 6 122 euros,
· congés payés afférents : 612,20 euros,
· article 700 du code de procédure civile : 1 500 euros,
- débouté la SARL L'immobilière normande de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ordonné la remise des bulletins de salaire pour l'ensemble de la relation contractuelle et dit que les montants mensuels qui ont été perçus par Mme X devront être considérés comme son salaire net à payer, ordonné cette remise sous astreinte de 30 euros par jour de retard passé un délai de 180 jours suivant la date de notification du présent jugement, ordonné la remise des documents de fin de contrat tels que le certificat de travail, le reçu pour solde de tout comte et l'attestation Pôle emploi, sous astreinte de 30 euros par jour de retard passé un délai de 180 jours suivant la date de notification du présent jugement, en cas de non-exécution, s'en réservant la liquidation , débouté Mme X de l'ensemble de ses autres demandes, dit qu'à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées par le présent jugement et en cas d'exécution par voie extrajudiciaire, les sommes retenues par l'huissier instrumentaire, en application de l'article 10 du décret du 3 mars 2001 portant modification du décret du 12 décembre 1996, devront être supportées par la société défenderesse en sus de l'article 700 du code de procédure civile, débouté la SARL L'immobilière normande de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée aux dépens.
Mme X a interjeté appel le 19 octobre 2018.
Par conclusions remises le 12 juillet 2019, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, Mme X demande à la cour de confirmer le jugement du 18 septembre 2018 en ce qu'il s'est déclaré compétent pour statuer sur le litige, a requalifié son contrat d'agent commercial en contrat de travail à durée indéterminée à compter du 8 octobre 2013, requalifié la prise d'acte de la rupture des relations contractuelles aux torts exclusifs de la SARL L'immobilière normande en licenciement sans cause réelle et sérieuse, condamné la SARL L'immobilière aux dépens de l'instance, débouté la société SARL L'immobilière de toutes ses demandes reconventionnelles, de l'infirmer pour le surplus et, statuant à nouveau, de fixer sa rémunération mensuelle brute à 4 823,42 euros, de condamner la SARL L'immobilière normande à lui verser les sommes suivantes :
· rappel de salaire pour la période comprise entre mai 2014 et décembre 2016 inclus : 51 023,98 euros bruts,
· indemnité compensatrice de congés payés y afférent : 5 102,39 euros bruts,
· indemnité forfaitaire pour travail dissimulé : 28 940,52 euros,
· cotisations indûment payées au RSI : 26 909 euros bruts,
· indemnité conventionnelle de licenciement : 4 120 euros,
· indemnité compensatrice de préavis : 9 646,84 euros,
· indemnité compensatrice de congés payés y afférent : 964,68 euros,
· indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 50 000 euros,
· article 700 du code de procédure civile : 6 000 euros,
- ordonner à la SARL L'immobilière normande de régulariser sa situation auprès des organismes sociaux sous astreinte de 50 euros par jour de retard passé un délai de 15 jours suivant la notification de l'arrêt, de lui remettre des bulletins de paie sur l'ensemble de la relation contractuelle sous astreinte de 50 euros par jour de retard passé un délai de 15 jours suivant la notification de l'arrêt, ainsi que les documents de fin de contrat de travail (certificat de travail, reçu pour solde de tout compte, attestation employeur destinée à Pôle Emploi) sous astreinte de 50 euros par jour de retard passé un délai de 15 jours suivant la notification de l'arrêt.
Par conclusions remises le 15 avril 2019, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, la SARL L'immobilière normande demande à la cour à titre principal, de réformer le jugement déféré en toutes ses dispositions, en conséquence, l'infirmer en ce que le conseil de prud'hommes s'est déclaré compétent pour statuer sur le litige, en ce qu'il a requalifié le contrat d'agent commercial de Mme X en contrat de travail à durée indéterminée à compter du 8 octobre 2013, en ce qu'il a requalifié la prise d'acte de la rupture des relations contractuelles aux torts exclusifs de l'employeur en licenciement sans cause réelle et sérieuse, et l'a condamnée aux dépens de l'instance, de la déclarer recevable et bien fondée en son exception d'incompétence matérielle, y faisant droit, d'inviter l'appelante à mieux se pourvoir, en conséquence de la résiliation intervenue, condamner Mme X à lui verser la somme de 22 953 euros au titre du préavis non effectué, à titre subsidiaire, débouter Mme X de ses demandes, fins et conclusions, à titre infiniment subsidiaire, si la cour ordonnait le remboursement de tout ou partie des cotisations versées au RSI, à titre reconventionnel, condamner Mme X à lui verser la somme de 51 133 euros au titre de commissions indûment perçues, en tout état de cause, condamner Mme X à lui verser la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 27 mai 2021.
MOTIFS DE LA DÉCISION
- Sur la compétence de la juridiction prud'homale
La SARL L'immobilière normande soulève l'incompétence matérielle de la juridiction prud'homale au profit du tribunal de grande instance ou du tribunal de commerce d'Evreux au motif que les parties étaient liées par des contrats de mandat comme l'autorise la loi 70-9 du 2 janvier 1970, lesquels excluent l'existence d'un contrat de travail, que ces contrats font la loi des parties, que Mme X n'a jamais revendiqué le statut de salarié au cours de la relation contractuelle, qu'elle ne rapporte pas la preuve de l'existence d'un contrat de travail.
Mme X soutient que la SARL L'immobilière normande s'est comporté comme son unique employeur, en lui donnant des ordres et des directives dont elle contrôlait l'exécution et sanctionnait les manquements.
Selon l'article L. 8221-6 du code du travail, sont notamment présumées ne pas être liées avec le donneur d'ordre par un contrat de travail dans l'exécution de l'activité donnant lieu à immatriculation ou inscription les personnes physiques immatriculées au registre du commerce et des sociétés, au registre des agents commerciaux et les dirigeants des personnes morales immatriculées au registre du commerce et des sociétés et leurs salariés.
Toutefois, ce même article prévoit que l'existence d'un contrat de travail peut être établie lorsque les personnes mentionnées précédemment fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d'ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard de celui-ci.
Par ailleurs, selon l'article L. 134-1 du code du commerce, l'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux. Il peut être une personne physique ou une personne morale.
Enfin, l'existence d'un contrat de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité, et il appartient au juge de vérifier l'existence des éléments constitutifs de ce dernier, en particulier de celui essentiel que constitue le lien de subordination, lequel est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements d'un subordonné.
Ainsi, il existe une présomption de relation non salariale entre les parties et il appartient à Mme X d'apporter la preuve qu'elle fournissait directement ou par une personne interposée des prestations à la SARL L'immobilière normande dans des conditions qui la plaçait dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard de celle-ci.
La cour n'est pas liée par les conclusions de contrôle opéré par l'Urssaf le 28 juin 2016 portant sur la période 2013-2015 pour apprécier de la nature des relations liant les parties.
La SARL L'immobilière normande, dont le gérant est M. Y est une agence immobilière ayant pour activité la transaction immobilière, comptant sept agences réparties dans le département de l'Eure.
Pour remplir ses missions, soit elle emploie des négociateurs qui ont le statut de salariés, soit elle a recours à des agents commerciaux.
En l'espèce, Mme X a conclu avec la SARL L'immobilière normande un contrat d'agent commercial le 8 octobre 2013 pour la prospection et la négociation de tous biens et droits immobiliers, à usage commercial et/ou d'habitation sur le secteur géographique de la Haute Normandie, son lieu de travail étant fixé à l'agence immobilière d'Acquigny.
A l'appui de ses prétentions, Mme X invoque un certain nombre de faits qui peuvent être regroupés en quatre points, à savoir une activité exclusive au profit de la SARL L'immobilière normande, et ce, sur un territoire déterminé, des ordres et directives reçus, le contrôle de l'exécution de la prestation et enfin le pouvoir de sanction dont elle disposait à son égard.
I - activité exclusive au profit de la SARL L'immobilière normande
Il n'est pas discuté qu'en exécution du contrat d'agent commercial du 8 octobre 2013, Mme X devait exercer son activité sur un territoire déterminé, à savoir la région Haute Normandie avec interdiction d'effectuer pour son propre compte des opérations commerciales qui pourraient faire concurrence à celles du mandant. S'il s'agit d'une clause restrictive, il doit néanmoins être relevée que l'interdiction d'exercer une activité concurrente est parfaitement conforme aux dispositions du code du commerce relatives à l'agent commercial, l'article L. 134-3 de ce code précisant que si l'agent commercial peut accepter sans autorisation la représentation de nouveaux mandants, il ne peut toutefois accepter la représentation d'une entreprise concurrente de celle de l'un de ses mandants sans accord de ce dernier.
De même, le périmètre limité d'intervention n'est nullement exclusif du statut d'agent commercial, l'article L. 134-6 prévoyant expressément que l'agent commercial chargé d'un secteur géographique déterminé a également droit à la commission pour toute opération conclue pendant la durée du contrat d'agence avec une personne appartenant à ce secteur, sachant que cette clause n'est pas d'ordre public et qu'il est donc possible d'exclure cette rémunération.
Néanmoins, en l'espèce, alors que le secteur d'activité était fixé par le contrat à la Haute Normandie, il est produit deux courriels des 20 novembre 2013 et 28 juin 2014 aux termes desquels la SARL L'immobilière normande définit de manière précise les secteurs de prospection attribués à chacun des "conseillers" incluant «xx » ou « yy» dont il n'est pas démenti qu'il s'agit de Mme X et limitant ainsi son secteur de prospection à quelques communes strictement énumérées.
Ainsi, de manière unilatérale, la SARL L'immobilière normande a modifié le secteur de Mme X.
II - les ordres et directives reçus
Il résulte des débats et il n'est pas sérieusement discuté que l'ensemble des intervenants d'une même agence disposait d'une adresse mail collective.
Aussi, l'ensemble des mails adressés par la SARL L'immobilière normande l'étaient indistinctement aux salariés de l'agence, mais aussi aux autres intervenants, en ce compris les agents commerciaux qui y étaient rattachés.
Ainsi, Mme X a été destinataire des mails relatifs notamment aux congés, permanences, aux consignes et procédures à suivre dans le cadre du suivi des mandats et des ventes, au respect de la règle appelée « Stop visite », à la participation des événements professionnels et promotionnels, à l'élaboration et distribution du magazine de la SARL L'immobilière normande, l'accueil des stagiaires, l'animation des sites internet, l'entretien de l'agence.
D'ailleurs, de manière plus personnelle, elle recevait des courriels adressés par Mme Z lui donnant directement des consignes quant à l'organisation de visites pour des clients.
Elle était également incluse dans les formations mises en œuvre par la SARL L'immobilière normande notamment en vue d'établir un standard dans les méthodes, et personnellement concernée pour une formation dispensée par M. A le 16 novembre 2016 à Acquigny, au point même de la dispenser d'assister à une formation prévue le 25 novembre 2016, ce qui révèle encore plus le caractère imposé.
Concernant les congés, s'il ne ressort pas des éléments du débat qu'elle devait solliciter l'accord de la SARL L'immobilière normande, néanmoins, elle devait l'informer des dates souhaitées pour permettre d'organiser les permanences en fonction des absences des uns et des autres.
Aussi, il en résulte qu'elle était intégrée au fonctionnement d'une agence au même titre que les négociateurs salariés, sans aucune distinction.
III- le contrôle de l'exécution de la prestation de travail
Le contrôle de l'exécution de la prestation est inhérent à la nature du contrat commercial et conforme aux dispositions de l'article L. 134-4 du code de commerce qui prévoit que les contrats intervenus entre les agents commerciaux et leurs mandants sont conclus dans l'intérêt commun des parties.
Les rapports entre l'agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information.
L'agent commercial doit exécuter son mandat en bon professionnel ; le mandant doit mettre l'agent commercial en mesure d'exécuter son mandat. Ces dispositions sont d'ordre public ainsi que précisé par l'article L. 134-16.
La disposition du contrat précisant que l'agent commercial adresse au mandant, dans un délai de huit jours à compter de la fin de chaque mois un rapport sur les ventes immobilières en unité et en valeur qu'il a réalisées, ainsi qu'un listing des nouveaux mandats de vente s'inscrit directement dans ce devoir d'information.
Néanmoins, en l'espèce, il résulte d'un courriel du 23 janvier 2014 de Mme W conseillère en location ayant pour objet « Tableaux pour Maryline » adressé à « [email protected] », informant l'ensemble des personnes concernées que dorénavant les tableaux de prospection sont plus complets comme y incluant le boitage, le porte à porte et la PIGE et de plusieurs courriels envoyés les samedis à l'ensemble des agences rappelant la nécessité d'adresser les tableaux avant 16h00 ainsi que la justification par Mme X de leur envoi hebdomadaire, alors que le contrat d'agent commercial ne mettait à sa charge que l'établissement d'un rapport mensuel sur les ventes immobilières en unité et en valeur qu'il a réalisées et un listing des nouveaux mandats de vente.
Le rythme et le degré de précision des informations à apporter à la SARL L'immobilière normande sont incompatibles avec le statut d'agent commercial indépendant et d'ailleurs non conformes aux clauses du contrat les liant.
Par ailleurs, il résulte de plusieurs courriels que les réunions étaient organisées et s'adressaient aux différentes agences sans distinction quant au statut du collaborateur devant y assister et par courriel du 6 octobre 2015, M. Y reprenait les différentes actions à mettre en œuvre pour réussir et se différencier de la concurrence, lesquelles avaient été évoquées le même jour en réunion et prévoyant un petit débriefing individuel de 15 minutes sous quinzaine afin d'apprécier les résultats, de sorte qu'il mettait en œuvre un contrôle de chacun des collaborateurs sans distinction.
Cette situation est corroborée par Mme B, agent indépendant de 2014 à 2015 au sein de la SARL L'immobilière normande, qui atteste que le statut d'agent commercial n'était que sur le papier puisqu'elle n'organisait pas son travail, que des tâches lui étaient demandées par les responsables d'agence, que la réunion hebdomadaire du mardi se faisait en présence des agents commerciaux au même titre que les salariés, qu'un planning hebdomadaire lui a été imposé, son travail contrôlé et que les congés étaient soumis à l'aval des responsables.
IV - le pouvoir disciplinaire
Mme X soutient avoir fait l'objet de deux entretiens disciplinaires, et deux sanctions disciplinaires sous forme d'avertissement et d'une mutation forcée sans préavis en l'espace de quatre semaines entre le 16 novembre 2016 et le 13 décembre 2016.
Il résulte des échanges de sms, tels que repris dans le procès-verbal de constat de M. C., Huissier de justice, que le 16 novembre 2016, M. D a demandé instamment à Mme X de le rencontrer le même jour à 16h00, annulant les rendez-vous de Mme X pour le permettre.
Il résulte également du même procès-verbal que le 17 novembre 2016, Mme X était convoquée par Mme Z à 14h00 « pour terminer l'entretien d'hier », contraignant Mme X à modifier son emploi du temps de manière impérative pour se rendre disponible, lui demandant par ailleurs d'apporter l'intégralité des dossiers de l'agence.
Il est également établi que Mme X a été affectée à l'agence d'Autheuil.
Le 23 novembre 2016, elle recevait un message vocal de Mme Z, dont la retranscription par l'officier ministériel révèle que l'appel était destiné à lui donner les secteurs et les conditions de la rétrocession concernant les contacts qui avaient été pris par son prédécesseur.
Dans un mail du 8 décembre 2016 adressé à Mme X, Mme Z admet la mutation à l'agence d'Atheuil en la justifiant par le comportement outrancier de Mme X imposant une mesure rapide.
Le 13 décembre 2016, la SARL L'immobilière normande a adressé à Mme X une lettre recommandée avec accusé de réception ayant pour objet : mise au point, évoquant l'attitude irrespectueuse et outrancière adoptée par Mme X le 15 novembre dernier, justifiant les entretiens tenus le lendemain au cours duquel il lui a été indiqué qu'il était opportun de lui demander d'exercer son activité non plus au sein de l'agence d'Acquigny mais sur celle d'Autheuil.
Il résulte de ce qui précède que le transfert de Mme X vers l'agence d'Autheuil, décision de mutation prise unilatéralement par la SARL L'immobilière normande dans un contexte de désaccord entre les parties, s'analyse en une sanction, cette société n'apportant aucun élément de nature à objectiver ce choix par des motifs autres, révélant ainsi l'exercice du pouvoir disciplinaire de la SARL L'immobilière normande, lequel n'est pas concevable dans le cadre de l'exercice d'un contrat d'agent commercial.
Sans qu'il soit nécessaire d'entrer plus avant dans le détail de l'argumentation de chacune des parties, et alors que les attestations produites de part et d'autre et non reprises par la cour ne sont pas susceptibles de modifier l'analyse des éléments objectifs ci-dessus repris, il ressort de l'ensemble des développements qui précèdent que Mme X était intégrée dans un service organisé par le gérant et la responsable commerciale de la SARL L'immobilière normande au même titre et sans distinction avec les salariés, que dans ce cadre, ont été déterminés les modes de fonctionnement pour accomplir ses missions commerciales, mais qu'elle était également incluse dans l'accomplissement de tâches annexes sans lien direct avec son contrat d'agent commercial du fait de son rattachement à une agence et de sa participation à son fonctionnement et qu'elle était ainsi soumise à un lien de subordination, lequel s'est particulièrement manifesté par le pouvoir de sanction exercé par la SARL L'immobilière normande en décidant unilatéralement de la muter sur une autre agence.
Ainsi, il est établi que la relation contractuelle liant Mme X à la SARL L'immobilière normande présente les caractéristiques d'un contrat de travail, de sorte que c'est à juste titre que le conseil de prud'hommes s'est déclaré compétent pour statuer.
- Sur les conséquences de la requalification de la relation contractuelle
I - rappel de salaire
Mme X sollicite un rappel de salaire à hauteur de 51 023,98 euros et les congés payés afférents de mai 2014 à décembre 2016 inclus, considérant que son salaire mensuel de référence doit être fixé à 4 823,42 euros compte tenu que les collaborateurs salariés percevait une rémunération composée d'une part fixe et d'une part variable et que ne percevant pour sa part que des commissions d'un taux moyen de 30 %, il y a lieu de lui ajouter la part fixe.
Dans la mesure où la relation contractuelle est requalifiée en contrat de travail, il convient d'appliquer la classification de l'emploi de Mme X par référence à la convention collective applicable à raison de l'activité de la SARL L'immobilière normande, soit celle de l'immobilier.
Selon l'article 35 de la convention collective, tous les salariés classés à l'un des 9 niveaux de la convention collective doivent recevoir la qualification de l'emploi occupé à titre principal et permanent. Il est entendu que l'exercice des fonctions définies dans la qualification contractuelle de chaque salarié implique, dans l'esprit d'équipe qui doit animer les collaborateurs de l'entreprise, la réalisation occasionnelle de tâches périphériques ou accessoires relevant éventuellement de fonctions différentes.
Les négociateurs immobiliers ne sont pas classés à l'un des niveaux de la grille conventionnelle mais bénéficient du statut résultant de l'avenant n° 31 du 15 juin 2006, exception faite des négociateurs exerçant des fonctions d'encadrement et bénéficiant à ce titre d'un statut cadre, qui seront classés dans la grille de l'annexe I de la convention collective nationale, tout en bénéficiant du statut de l'avenant n° 31.
L'article 1 de l'annexe IV de l'avenant n° 31 du 15 juin 2006 relatif au statut du négociateur immobilier distingue le négociateur immobilier VRP du non-VRP comme suit :
- le négociateur immobilier VRP est un salarié. A titre principal, il représente son employeur auprès de la clientèle, exerce sa profession à titre exclusif et constant, prospecte la clientèle à l'extérieur de l'agence et lui rend visite en vue de prendre et de transmettre des commandes. Il ne réalise pas d'opérations commerciales pour son compte personnel.
Son employeur lui attribue un secteur géographique et/ou une clientèle déterminée(s), mais ce secteur n'est pas forcément exclusif,
- le négociateur non-VRP est également un salarié. Il peut, à l'occasion, démarcher la clientèle. Toutefois, son activité principale consiste à faire visiter les biens et à accueillir les clients à l'agence (ou dans un bureau de vente) en vue de négocier la vente ou la location des biens objets d'un mandat.
Au vu des développements qui précèdent, alors qu'il n'est pas revendiqué le statut de négociateur cadre, si Mme X était rattachée à une agence et pouvait y accomplir certaines tâches et notamment y assurer des permanences, néanmoins, l'essence même de son activité consistait en de la prospection en dehors de l'agence, de sorte qu'il convient de lui reconnaître la fonction de négociateur immobilier VRP.
L'article 4 relatif à la rémunération minima des négociateurs non-cadres prévoit que les négociateurs immobiliers VRP perçoivent un salaire minimum brut mensuel ne pouvant être inférieur à 1300 euros. Le montant de ce salaire minimum fera l'objet de négociations, chaque année au niveau de la branche, dans le cadre de l'obligation annuelle de négociation sur les salaires.
Les négociateurs immobiliers non-VRP bénéficient d'un salaire minimum brut mensuel correspondant au Smic.
La rémunération du négociateur est composée essentiellement ou exclusivement de commissions.
Elle relève du libre accord du négociateur immobilier et de son employeur sous réserve du présent avenant ; le salaire mensuel brut minimum pouvant constituer en tout ou partie une avance sur commissions.
L'article 5 ajoute que pour le négociateur immobilier, VRP ou non, le 13e mois peut être inclus dans la rémunération, conformément à l'article 38 de la CCN. En conséquence, le négociateur perçoit dans l'année civile, congés payés inclus, au moins 13 fois son salaire minimum brut mensuel tel que défini à l'article 4 du présent avenant.
En application de ce statut spécifique dont relèvent les fonctions de Mme X, lequel était appliqué au sein de l'entreprise comme le démontre les contrats que l'employeur verse au débat établissant que le conseiller immobilier VRP était rémunéré par une commission qui était fixée à 30 % incluant les congés payés et le treizième mois, avec un minimum garanti pour le cas où le calcul des commissions se révélerait insuffisante, récupérable et incluant expressément le 13e mois les congés payés et les frais professionnels d'un montant de 1 450 euros brut dans le contrat de M. E. du 1er juillet 2014 et de 1 500 euros net dans le contrat de M. F du 17 novembre 2016, Mme X ayant perçu des commissions pour un montant supérieur au minimum garanti sur la période non prescrite, a été remplie de ses droits en matière de rémunération et est donc déboutée de sa demande de rappel de salaire.
La cour confirme sur ce point le jugement entrepris.
II - indemnité pour travail dissimulé
Mme X sollicite une indemnité pour travail dissimulé aux motifs que l'élément intentionnel est établi par la conscience de ce que le statut d'agent commercial était dévoyé, que la SARL L'immobilière normande a eu recours à ses services pour des prestations se confondant parfaitement avec sa propre activité, dans des conditions caractérisées par un lien de subordination juridique, sans avoir procédé aux formalités de déclarations préalables d'embauche, ni lui avoir délivré de bulletins de paie.
La SARL L'immobilière normande s'y oppose en faisant valoir qu'il n'est pas démontré le caractère intentionnel de la prétendue dissimulation, démentant avoir fait pression pour obtenir la conclusion de contrat d'agent commercial sur des salariés, ce choix étant libre.
Si le caractère intentionnel ne peut se déduire du seul recours à un contrat inapproprié, néanmoins, alors que Mme X a été engagée en qualité d'agent commercial depuis le 8 octobre 2013 suivant des modalités le plaçant de manière quasi permanente sous la subordination juridique de la SARL L'immobilière normande, sans qu'il soit procédé aux formalités déclaratives obligatoires, ni à la délivrance de bulletins de salaire, l'élément intentionnel du travail dissimulé est établi.
Mme X peut donc prétendre à une indemnité égale à six mois de salaire, qui, compte tenu de la facturation des commissions pour l'année 2016 à hauteur de 38 814,62 euros, permettant de retenir un salaire moyen de référence de 3 234,55 euros, s'élève à la somme de 19 407,30 euros.
III - remboursement des cotisations payées au RSI
Mme X sollicite que la SARL L'immobilière normande soit condamnée à lui rembourser les sommes versées au titre de ses cotisations au RSI.
Conformément aux dispositions de l'article L. 311-2 du code de la sécurité sociale, et alors que le statut social d'une personne est d'ordre public et s'impose de plein droit dès lors que sont réunies les conditions de son application, la décision administrative individuelle d'affiliation qui résultait de l'adhésion du salarié au régime des travailleurs indépendants s'oppose, qu'elle soit ou non fondée, à son affiliation rétroactive au régime général de la sécurité sociale pour la période en litige et à la perception des cotisations correspondantes.
Aussi, la cour confirme le jugement entrepris ayant rejeté cette demande.
Pour le même motif, il n'y a donc pas lieu d'ordonner la régularisation de la situation de Mme X auprès des organismes sociaux.
- Sur la rupture du contrat de travail
Mme X a pris acte de la rupture du contrat par lettre du 13 janvier 2017.
La lettre de M. G du 9 décembre 2016 dans laquelle il met un terme au contrat le liant à la SARL L'immobilière normande et dans lequel il évoque l'entretien du 15 novembre 2015 avec M. D pour faire un point sur son activité et au cours duquel lui a été reproché la baisse de ses résultats, lui demandant alors de faire en plus de la prospection classique de la prospection téléphonique et en porte-à-porte, ce qu'il a refusé et a alors donné lieu à la proposition de signature d'un protocole de rupture d'un commun accord du contrat qu'il a refusé, qu'alors le 17 novembre, lui a été annoncée sa mutation à l'agence de Saint Marcel, alors que l'article 3 du contrat d'agent commercial ne visait que la possibilité d'exercer son activité dans l'une des trois agences, à savoir Louviers, Acquigny, La Croix Saint Leufroy, que cela lui portait préjudice compte tenu de l'éloignement de son domicile personnel et que finalement à son arrivée à l'agence de Saint Marcel le 18 novembre 2016, il avait constaté que rien n'était prévu pour l'accueillir et qu'il était privé de toute possibilité de contact avec la clientèle.
Elle sollicite de la rupture soit imputée à la responsabilité de la SARL L'immobilière normande qui a manqué gravement à ses obligations en ne respectant pas son statut d'agent commercial indépendant et la plaçant dans un situation de subordination juridique, la maintenant dans une situation de travail salarié dissimulé pendant trois ans, la privant ainsi de la protection sociale à laquelle peut prétendre un salarié, que si la situation n'est pas nouvelle, elle a pris conscience du caractère anormal de la situation au fur et à mesure que s'accumulaient les indices du lien de subordination juridique, considérant au surplus, que la gravité des manquements résulte de leur durée.
La SARL L'immobilière normande soutient que la prise d'acte doit s'analyser en une démission en faisant valoir que, jusqu'à la lettre de rupture du 13 janvier 2017, Mme X n'a jamais émis de contestations sur la nature de la relation contractuelle, que si manquement il y a eu, ils n'ont pas empêché la poursuite des relations.
La prise d'acte est un mode de rupture du contrat par lequel le salarié met un terme à son contrat en se fondant sur des manquements qu'il impute à l'employeur.
Il convient d'apprécier les griefs reprochés par le salarié et de s'assurer qu'ils sont suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail et ainsi, qualifier la rupture de licenciement sans cause réelle et sérieuse.
A défaut, la prise d'acte s'analyse en une démission.
C'est au salarié qu'il incombe d'établir les faits allégués à l'encontre de l'employeur qu'ils soient mentionnés dans l'écrit ou invoqués au soutien de ses prétentions.
Si comme démontré plus avant, la réalité de la relation ne relevait pas du statut d'agent commercial mais d'une relation salariale, néanmoins, il ne résulte pas des éléments du débat que depuis le 8 octobre 2013, Mme X ait remis en cause de quelque manière que ce soit le mode de fonctionnement mis en oeuvre par la SARL L'immobilière normande en revendiquant l'autonomie inhérente au contrat qui la liait à cette société et ce, en dépit de la privation évoquée des droits attachés au statut de salarié, étant précisé qu'en tout état de cause, elle bénéficiait de droits en lien avec son activité indépendante.
Aussi, alors que le manquement a perduré sans empêcher la poursuite du contrat, la prise d'acte du 13 janvier 2017 s'analyse en une démission.
La cour infirme ainsi le jugement entrepris et déboute Mme X de ses demandes financières au titre de la rupture.
- Sur les demandes reconventionnelles de la SARL L'immobilière normande
La SARL L'immobilière normande sollicite la condamnation de Mme X à lui verser la somme de 22 853 euros au titre du préavis non effectué par référence au contrat d'agent commercial les liant et par application de l'article L. 134-11 du code de commerce.
Mme X soulève l'incompétence de la cour pour statuer sur cette demande au profit du tribunal de commerce ou du tribunal judiciaire, mais ajoute que la SARL L'immobilière normande ne lui a jamais réclamé l'exécution d'un préavis.
Dans la mesure où le contrat d'agent commercial a été requalifié, la cour est compétente pour statuer sur la demande et du fait de cette requalification, il ne peut être sollicité un préavis fondé sur les seules règles applicables au contrat d'agent commercial, lequel n'existe plus du fait de la requalification, de sorte que pour ce seul motif, la demande est rejetée, la cour complétant ainsi le jugement entrepris.
- Sur les autres points
La SARL L'immobilière normande devra remettre à Mme X un bulletin de paie récapitulatif des salaires perçus par année civile du 8 octobre 2013 à fin 2016, sans qu'il soit nécessaire d'y adjoindre une astreinte.
- Sur les dépens et frais irrépétibles
En qualité de partie principalement succombante, la SARL L'immobilière normande est condamnée aux entiers dépens, déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile et condamnée à payer à Mme X a somme de 1 000 euros en cause d'appel, en sus de la somme allouée en première instance.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande au titre du travail dissimulé, a dit que la prise d'acte du 13 janvier 2017 produisait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et a alloué les indemnités subséquentes ;
Statuant à nouveau,
Dit que la prise d'acte du 13 janvier 2017 produit les effets d'une démission ;
Condamne la SARL L'immobilière normande à payer à Mme X la somme de 19 407,30 euros au titre de l'indemnité pour travail dissimulé ;
Déboute Mme X de ses demandes en lien avec la rupture du contrat de travail ;
Ordonne la remise par la SARL L'immobilière normande à Mme X d'un bulletin de paie récapitulatif des salaires perçus par année civile du 8 octobre 2013 à fin 2016 ;
Dit n'y avoir lieu au prononcé d'une astreinte ;
Dit n'y avoir lieu d'ordonner la régularisation de la situation de Mme X auprès des organismes sociaux ;
Confirme le jugement entrepris en ses autres dispositions non contraires ;
Le complétant et y ajoutant,
Déboute la SARL L'immobilière normande de sa demande au titre du préavis ;
Condamne la SARL L'immobilière normande à payer à Mme X la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en appel ;
Déboute la SARL L'immobilière normande de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile en appel ;
Condamne la SARL L'immobilière normande aux entiers dépens de première d'instance et d'appel.