CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 8 juillet 2021, n° 19/08943
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Melisana Pharma (SAS)
Défendeur :
Pharm'up (SARL), Laboratoires Sicobel (Sasu)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Prigent
Avocats :
Me Bremond, Me Bouzidi-Fabre, Me Durade-Replat
FAITS ET PROCÉDURE :
Les deux parties interviennent sur le marché des cosmétiques en France et à l'international.
La société Pharm'Up est spécialisée sur le marché du naturel et bio-cosmétique et a pour activité la distribution et la fabrication de ses propres marques, ainsi que la représentation des produits cosmétiques et de santé par l'intermédiaire d'agents commerciaux avec deux clients essentiellement, que sont les Laboratoires Sicobel et la société Melisana Pharma.
La société Melisana Pharma est spécialisée sur le marché médical-technique. Elle exerce une activité de prestations de services dans le domaine pharmaceutique et assure la commercialisation et la prise de commandes de produits de différentes marques auprès des pharmacies et parapharmacies, tant pour son propre compte que pour le compte de tiers.
En 2008, la société Melisana Pharma a fait appel à la société Pharm'Up en vue de la distribution et de la commercialisation de ses propres produits.
Le 25 janvier 2008, les parties ont ainsi conclu un contrat de sous-traitance et de représentation, pour une durée d'un an, aux termes duquel il était confié à la société Pharm'Up un territoire de 19 départements.
L'activité connaissant une forte croissance, les relations se sont poursuivies d'année en année. La société Pharm'Up s'est vue confier un territoire plus étendu avec près de 50 départements supplémentaires.
En décembre 2015, la société Melisana Pharma a proposé à la société Pharm'Up un nouveau contrat, lequel ne serait plus un contrat d'agent commercial mais un contrat de partenariat.
Un désaccord est né entre les parties au sujet de différentes clauses du contrat.
La société Pharm'Up a finalement refusé de signer le contrat et a sollicité le remaniement de certaines clauses, ce qui a entraîné une dégradation des relations entre les parties.
En janvier 2016, la société Melisana Pharma a informé la société Pharm'Up avoir découvert la distribution par celle-ci d'autres produits cosmétiques, à savoir Placentor et BcBIO.
Par courriel du 14 mars 2016, la société Melisana Pharma a mis la société Pharm'Up en demeure de cesser immédiatement la fabrication et la distribution de produits prétendument concurrents.
Par courrier recommandé en date du 26 avril 2016 avec avis de réception, la société Melisana Pharma a annoncé à la société Pharm'Up la rupture définitive de leur partenariat commercial avec effet immédiat au plus tard à compter du 28 avril 2016.
Par acte d'huissier de justice en date du 25 juillet 2016, la société Pharm'Up a fait assigner la société Melisana Pharma devant le tribunal de commerce de Créteil pour rupture abusive du contrat d'agent commercial. Elle sollicitait le versement des sommes de 1.729.091,97 euros au titre de l'indemnité de rupture, 648.409,48 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ainsi qu'une indemnisation pour des préjudices annexes.
Par jugement du 16 avril 2019, le tribunal de commerce de Créteil a :
- dit irrecevable l'exception d'incompétence soulevée par la société Melisana Pharma Distribution ;
- condamné la société Melisana Pharma Distribution à payer à la société Pharm'Up la somme de 1.729.091,97 euros au titre de l'indemnité de rupture, avec les intérêts au taux légal à compter du 28 avril 2016 ;
- débouté la société Pharm'Up de sa demande au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;
- dit la demande de dommages-intérêts de la société Pharm'Up pour rupture abusive mal fondée et l'en a déboutée ;
- dit la demande de dommages-intérêts de la société Pharm'Up pour préjudice annexe mal fondée et l'en a déboutée ;
- débouté la société Pharm'Up de sa demande d'affichage et de publication de la décision à intervenir ;
- débouté la société Melisana Pharma Distribution de sa demande reconventionnelle relative au préjudice qu'elle aurait subi ;
- ordonné l'exécution provisoire de ce jugement sous réserve qu'en cas d'appel, il soit fourni par le bénéficiaire une caution bancaire égale au montant de la condamnation prononcée à son profit ;
- condamné la société Melisana Pharma Distribution à payer à la société Pharm'Up la somme de 5.000,00 euros au titre de l'article 700 du CPC, débouté la société Parma'Up du surplus de sa demande et débouté la société Melisana Pharma Distribution de sa demande formée de ce chef ;
- condamné la société Melisana Pharma Distribution aux entiers dépens ;
- liquidé les dépens à recouvrer par le greffe à la somme de 77,08 euros TTC (dont TVA 20%).
Par déclaration du 23 avril 2019, la société Melisana Pharma a interjeté appel de ce jugement
en ce qu'il a :
écarté les moyens développés par la société Melisana Pharma qui tendaient à :
- dire et juger qu'en distribuant des produits concurrents de ceux de la société Melisana Pharma, sans autorisation écrite et préalable de la société Melisana Pharma, sur les territoires dans lesquels elle avait reçu un mandat de représentation, la société PHARM UP a commis une faute grave ;
- dire et juger qu'en procédant à une mise en demeure préalable avant de procéder à la résiliation du contrat, la société Melisana Pharma a respecté les dispositions du code civil et du contrat ;
- dire et juger qu'à défaut pour la société Pharm'Up d'avoir notifié dans un délai d'un mois qu'elle allait amender son comportement et cesser toute concurrence, la société Melisana Pharma pouvait résilier le contrat sans le préavis de l'article L. 134-11 du code de commerce ;
- dire et juger en conséquence que la société Melisana Pharma a résilié le contrat à bon droit en raison d'une faute grave de la société Pharm'Up privant celle-ci du droit de demander toute indemnité de rupture comme de préavis ;
- dit que les fautes graves qu'aurait commises la société Pharm'UP dans l'exécution du contrat du 25 janvier 2008 conclu avec la société Melisana Pharma, ne sont pas caractérisées ;
- débouté la société Melisana Pharma de la demande formée de ce chef ;
- condamné la société Melisana Pharma à payer à la société Pharm'Up la somme de 1.729.091,97 euros au titre de l'indemnité de rupture, avec les intérêts au taux légal à compter du 26 avril 2016 ;
- débouté la société Melisana Pharma de sa demande reconventionnelle qui tendait à :
Dire et juger que la faute grave de la société PHARM UP a causé un préjudice à la société Melisana Pharma qui sera réparé par une provision de 500.000 euros sauf à parfaire ;
- condamner la société Pharm'Up à payer à la société Melisana Pharma la somme de 500.000 euros à titre de dommages et intérêts provisionnels ;
- débouté la société Melisana Pharma de sa demande de condamnation de la société Pharma'Up à 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouté la société Melisana de sa demande de condamnation aux dépens de la société Pharm'Up.
Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 13 novembre 2020, la société Melisana
Pharma demande à la cour de :
Vu les articles L. 134-3, L. 134-4, L. 134-11, L. 134-12 et L. 134-13 du code de commerce,
Vu le contrat du 25 janvier 2008 et les pièces produites,
Sur les demandes d'infirmation du jugement entrepris :
- dire et juger qu'en distribuant des produits concurrents de ceux de la société Melisana Pharma, sans autorisation écrite et préalable de la société Melisana Pharma, sur les territoires dans lesquels elle avait reçu un mandat de représentation, la société Pharm Up a commis une faute grave ;
- dire et juger qu'en procédant à une mise en demeure préalable avant de procéder à la résiliation du contrat, la société Melisana Pharma a respecté les dispositions du code civil et du contrat ;
- dire et juger qu'à défaut pour la société Pharm Up d'avoir notifié dans un délai d'un mois qu'elle allait amender son comportement et cesser toute concurrence, la société Melisana Pharma pouvait résilier le contrat sans le préavis de l'article L.134-11 ;
- dire et juger en conséquence que la société Melisana Pharma a résilié le contrat à bon droit en raison d'une faute grave de la société Pharma up privant celle-ci du droit de demander toute indemnité de rupture comme de préavis ;
- dire et juger que la faute grave de la société Pharm Up a causé un préjudice à la société Melisana Pharma qui sera réparé par une provision de 500.000 euros sauf à parfaire ;
En conséquence,
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a d'une part, alloué à la société Pharm Up l'indemnité de rupture que celle-ci sollicitait d'un montant de 1.729.091,97 euros, ainsi qu'une indemnité de 5.000 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile, d'autre part débouté la société Melisana Pharma de sa demande reconventionnelle ;
Statuant à nouveau,
- condamner la société Pharm Up à payer à la société Melisana Pharma la somme de 500.000 euros à titre de dommages et intérêts.
Les demandes de confirmation de principe de certains chefs du jugement entrepris ayant rejeté les autres demandes de la société Pharm Up :
- dire et juger que la demande reconventionnelle d'indemnisation de préavis de la société Pharm Up sur la base « d'une durée de 9 mois » ne repose sur aucun des textes applicables aux agents commerciaux, mais sur l'article L. 442-6, I, 5° ;
- dire et juger de même que la demande d'indemnité pour « rupture brutale » formulée à titre reconventionnel par la société Pharm Up ne repose sur aucun fondement ;
- dire et juger enfin que la demande d'affichage et de publication du jugement est injustifiée.
En conséquence,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Pharm UP de sa demande d'indemnisation de préavis, de « rupture brutale » et « préjudices annexes », ainsi que de sa demande d'affichage et de publication du jugement et débouter la société Pharm Up desdites demandes reconventionnelles ;
Subsidiairement, sur le montant de l'évaluation du préjudice et sur le préavis,
- dans l'hypothèse où par extraordinaire la Cour ne retenait pas de faute grave à la charge de la société Pharm'Up,
- fixer le préjudice de la société Pharm'up à trois mois de commissions, savoir 216.136,50 euros ;
- dire et juger que l'indemnisation du préavis est absorbée par l'indemnisation du préjudice ;
- condamner la société Pharm Up à verser à la société Melisana Pharma une indemnité de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société Pharm Up aux dépens, lesquels pourront être recouvrés directement dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile par Maître Christian Brémond, avocat aux offres de droit.
Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 22 janvier 2021, la société Laboratoires
Sicobel, venant aux droits de la société Pharm'Up, demande à la cour de :
Vu le jugement du tribunal de commerce de Créteil du 16 avril 2019,
Vu les articles L. 134-1 et suivants du code de commerce,
Vu les explications et jurisprudences ci-dessus,
Vu les pièces versées aux débats,
- confirmer la décision du 16 avril 2019 en ce qu'elle a condamné la société Melisana Pharma à verser à la société Laboratoires Sicobel venant aux droits de la société Pharm'Up, la somme de 1.729.091,97 euros outre intérêts au taux légal à compter du 28 avril 2016, et en ce qu'elle a débouté Melisana Pharma de sa demande reconventionnelle au titre des dommages et intérêts pour préjudice subi ;
- infirmer ladite décision pour le surplus de ses dispositions ;
Statuant à nouveau, et à titre incident,
- débouter Melisana Pharma de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
- dire et juger que la rupture du contrat d'agent commercial par la société Melisana Pharma est abusive, et réalisée dans des conditions vexatoires et déloyales ;
- dire et juger que Melisana Pharma n'a pas respecté de préavis ;
En conséquence,
- condamner à titre principal, la société Melisana Pharma à verser à la société Laboratoires Sicobel venant aux droits de la société Pharm'Up, la somme de 648.409,48 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre intérêts au taux légal à compter de la lettre de rupture soit à compter du 26 avril 2016 ;
- à titre subsidiaire sur le montant de l'indemnité compensatrice de préavis, dans l'hypothèse où la Cour devait considérer que le préavis raisonnable était de trois mois, la société Melisana Pharma sera condamnée à verser à la société Laboratoires Sicobel la somme de 216.136,50 euros ;
- condamner la société Melisana Pharma à verser à la société Laboratoires Sicobel venant aux droits de la société Pharm'Up, la somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive par le mandant ;
- condamner la société Melisana Pharma à verser à la société Laboratoires Sicobel venant aux droits de la société Pharm'Up, en réparation des préjudices annexes qu'elle a subis, à savoir la désorganisation de son activité et de ses rapports avec la clientèle, ainsi que l'atteinte à son image suite à la communication faite par Melisana Pharma aux membres du réseau, évalués à la somme totale et forfaitaire de 100.000 euros ;
- prononcer l'affichage et la publication de la décision à intervenir dans les locaux de la société Melisana Pharma ainsi que de ses filiales, sur son site internet et ses catalogues, ainsi que dans deux journaux professionnels, aux frais de la société Melisana Pharma, et ce dans un délai de 15 jours suite au prononcé de cette décision ;
En tout état de cause,
- condamner la société Melisana Pharma à payer à la société Laboratoires Sicobel venant aux droits de la société Pharm'Up, la somme de 30.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
Condamner la même aux entiers dépens d'appel.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 28 janvier 2021.
La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
Sur la rupture du contrat d'agent commercial
La société Melisana Pharma soutient que :
- le contrat de 2008 stipulait une clause de non-concurrence qui interdisait à la société Pharm'Up toute représentation de produits concurrents sur le territoire concédé et lui imposait l'obligation de notifier la distribution de tous éventuels produits concurrents, que la reconduction du contrat ne change rien dès lors que les relations des parties sont restées régies par toutes les clauses du contrat de 2008 à la seule exception de sa durée d'un an.
- l'agent commercial est tenu d'une obligation légale de loyauté qui lui interdit de manière absolue de ne pas concurrencer, de manière déloyale ou non, son donneur d'ordre.
- constitue une faute grave la violation par l'agent de son obligation de loyauté qui ne fait pas connaître à son donneur d'ordre qu'il a été absorbé par un concurrent de celui-ci.
- cette concurrence a été révélée par l'évolution respective des chiffres d'affaires réalisés par ses VRP et par les délégués Pharm'Up qui montrent que ces derniers ont ralenti leurs ventes de produits Melisana Pharma, et par l'aveu de la société Pharm'Up du 30 décembre 2015.
- entre 2013 et 2016, les chiffres d'affaires relatifs au catalogue Melisana Pharma n'ont cessé de chuter concomitamment à une perte importante de clients, alors que dans le même temps, les chiffres d'affaires et le nombre de points de vente du catalogue Sicobel avec les délégués de la société Pharm'Up n'ont cessé d'augmenter.
- la plupart des produits de marques des Laboratoires Sicobel concurrencent directement les produits cosmétiques et de soins, les produits anti-poux et compléments alimentaires de la société Melisana Pharma en ce qu'ils ne sont pas complémentaires mais bien identiques.
- la chute brutale de la liste des clients acheteurs de produits du catalogue Melisana Pharma et l'augmentation, dans le même temps, du nombre de points de vente du catalogue Sicobel confirme que les délégués Pharm'Up ont placé leurs produits Sicobel dans le secteur contractuel de la société Melisana Pharma et ont négligé le catalogue de cette dernière.
- l'absorption de la société Pharm'Up par le groupe Condat, alors que celui-ci avait acquis la société Sicobel en 2014, a considérablement aggravé la concurrence de la société Pharm Up puisque cette dernière s'est trouvée en situation de représenter à la fois les produits de la société Melisana Pharma et ses propres produits, à qui elle a donné la préférence.
Les Laboratoires Sicobel exposent que :
- le contrat de 2008 était conclu pour une durée d'un an sans tacite reconduction, que les parties ont décidé de poursuivre leurs relations commerciales au-delà de son terme, ce qui a donné lieu entre elles à un contrat verbal d'agent commercial à durée indéterminée et donc à l'inopposabilité à l'agent des dispositions contenues dans le contrat de 2008.
- la notion de faute grave, qui est appréciée strictement, doit porter atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et rendre impossible le maintien du lien contractuel.
- si l'agent commercial est soumis à une interdiction de principe de ne pas représenter une entreprise concurrente sans l'accord du mandant, la multiplicité de représentations est en pratique fréquente lorsque les produits ne sont pas concurrents.
- la société Melisana Pharma a eu connaissance des liens capitalistiques existant entre la société Pharm'Up et le groupe Condat dans la mesure où il a toujours été de notoriété publique que celle-ci appartenait au groupe Condat.
Sur ce,
L'article L. 134-4 du code de commerce dispose que les contrats intervenus entre les agents commerciaux et leurs mandants sont conclus dans l'intérêt commun des parties (alinéa 1), que les rapports entre l'agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information (alinéa 2), que l'agent commercial doit exécuter son mandat en bon professionnel et que le mandant doit mettre l'agent commercial en mesure d'exécuter son mandat (alinéa 3).
L'article L. 134-12 du même code, dont les dispositions sont d'ordre public, indique qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi, qu'il perd toutefois le droit à réparation s'il n'a pas notifié au mandant, dans un délai d'un an à compter de la cessation du contrat, qu'il entend faire valoir ses droits ; et que ses ayants droit bénéficient également du droit à réparation lorsque la cessation du contrat est due au décès de l'agent.
Par ailleurs, l'article L. 134-16 du même code prévoit qu'est réputée non écrite toute clause ou convention dérogeant, au détriment de l'agent commercial, aux dispositions de l'article précité.
Il est de principe enfin que les parties peuvent licitement convenir à l'avance d'une indemnité de rupture, dès lors que celle-ci assure à tout le moins la réparation intégrale du préjudice subi par l'agent commercial.
L'article L. 134-13 du code de commerce précise toutefois que la réparation prévue à l'article L. 134-12 n'est pas due dans les cas suivants :
1° La cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial ;
2° La cessation du contrat résulte de l'initiative de l'agent à moins que cette cessation ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant ou dues à l'âge, l'infirmité ou la maladie de l'agent commercial, par suite desquels la poursuite de son activité ne peut plus être raisonnablement exigée ;
3° Selon un accord avec le mandant, l'agent commercial cède à un tiers les droits et obligations qu'il détient en vertu du contrat d'agence.
Il est admis que la faute grave, privative d'indemnité de rupture, se définit comme celle qui porte atteinte à la finalité commune du mandat et rend impossible le maintien du lien contractuel ; elle se distingue du simple manquement aux obligations contractuelles justifiant la rupture du contrat.
Il résulte du contrat de sous-traitance de représentation signé le 25 janvier 2008 entre les sociétés Pharm'Up et Gandhour aux droits de laquelle vient la société Melisana que « le présent contrat est conclu pour une durée de un (1) an à compter du 01 janvier 2008. En cas de faute ou d'inexécution de ses obligations par l'une des parties (notamment absence d'agrément écrit de la société Gandhour pour la représentation par Pharm Up de produits concurrents, la résiliation interviendra de plein droit un mois après l'envoi d'une mise en demeure signifiée à la partie défaillante par lettre recommandée avec accusé de réception indiquant son intention de faire jouer la présente clause, et restée sans effet. »
Il était précisé à l'article 7 au titre des obligations de la société Pharm'Up que celle-ci s'engageait à ne pas représenter des produits concurrents.
Etaient annexés au contrat la liste des 19 départements, et les chiffres d'affaires et unités réalisés en 2007 dans chacun des 19 départements sur les gammes de produits du catalogue de la société Gandhour.
S'il est constant que le contrat à durée déterminée qui s'est poursuivi après son terme, donne naissance à un nouveau contrat, à durée indéterminée, dont les éléments ne sont pas nécessairement identiques au contrat initial, en l'espèce, il y a lieu de considérer que les parties ont poursuivi leurs relations sur la base du contrat initial comme le précise la société Pharm'Up dans un courrier adressé le 15 avril 2013 au président de la société Melisana Pharma : « Nous sommes désormais présents dans 68 départements dans lesquels nous assurons l'ensemble des représentations du laboratoire GANDHOUR, à l'exception des grossistes.
Même si le contrat ne nous confère pas formellement une exclusivité, cette dernière existe de fait depuis 2008. Une diminution significative de notre représentation porterait gravement atteinte à l'équilibre financier de notre société. (...) En effet je me permets de vous rappeler que le contrat que nous avons signé le 25 janvier 2008 a été reconduit tacitement pour une durée indéterminée. (...) ».
Cette analyse des relations entre les parties correspond également aux dispositions de l'article L. 134-11 du code de commerce aux termes duquel le contrat à durée déterminée qui continue à être exécuté par les deux parties après son terme est réputé transformé en un contrat à durée indéterminée étant précisé que les parties n'ont introduit aucune nouvelle clause.
Enfin, en vertu de l'obligation de loyauté qui régit les relations entre les parties, l'agent commercial ne doit pas faire concurrence à son mandant.
Par courrier recommandé en date du 26 avril 2016 avec avis de réception, la société Melisana Pharma résiliait le contrat qui la liait à la société Pharm'Up au motif que celle-ci lui faisait concurrence sur plusieurs gammes de produits en lui reprochant de se servir de l'attrait des marques réputées et anciennes commercialisées par Melisana Pharma « pour se faire référencer dans les pharmacies pour ses propres produits et concurrencer ainsi les produits que nous représentons en présentant ses propres produits », et en invoquant l'article 9 du contrat en date du 1er janvier 2008 relatif à la résiliation de celui-ci pour inexécution.
La société Melisana Pharma ne rapporte pas la preuve que sur les départements sur lesquels elle exerçait le mandat, la société Pharm'Up prospectait également pour ses propres produits mais elle le déduit des éléments suivants :
- la société Pharm'Up a reconnu dans le courrier du 30 décembre 2015 concurrencer les produits de Melisana Pharma,
- la société Pharm'Up n'a pas obtenu les résultats escomptés,
Par courrier du 1er février 2012, la société Pharm'Up demandait à ses délégués, sur requête de la société Melisana Pharma, de ne plus commercialiser une liste de produits communiqués en précisant : « Sur les secteurs où Pharmup assure la promotion d'Exopharm, les représentants n'ont pas le droit de présenter des produits concurrents à cette liste » et « veuillez noter également que Monsieur X s'engage à retirer les VRP multicartes sur le réseau pharmacies et parapharmacies ». Etait annexée la liste des produits concernés.
Il résulte de ce courrier que la société Pharm'Up a obtempéré lorsqu'il lui a été demandé de veiller au respect du contrat et il n'est rapporté aucune autre inexécution de cette nature.
La société Melisana Pharma communique un constat d'huissier de justice dressé le 22 avril 2016 établissant que le site internet de la société Pharm'Up ne présentait que des produits ne comportant ni cosmétiques, ni produits similaires mais exclusivement des produits non-concurrents.
Le fait qu'il ressorte du constat d'huissier de justice dressé le 28 novembre 2016 que la société Pharm'Up affichait désormais sur son site internet une rubrique « Nos Marques Sicobel » parmi les produits traditionnellement présentés est sans incidence puisque ce constat d'huissier réalisé postérieurement à la résiliation du contrat ne peut démontrer les faits reprochés à la société Pharm'Up durant l'exécution de la convention.
La lettre de résiliation adressée par la société Melisana Pharma à la société Pharm'Up fait suite à des échanges de courriels et courriers entre les parties relatifs à l'élaboration d'un contrat de partenariat.
Aux termes du projet de contrat de partenariat, il était mentionné dans les obligations du partenaire commercial (la société Pharm'Up) : « Toutefois le partenaire commercial devra toujours rechercher l'intérêt des Marques et se garder de favoriser auprès de la clientèle les produits d'autres marques pour lesquelles il agirait, alors même qu'elles ne peuvent être concurrentes ».
Par courrier du 30 décembre 2015, la société Pharm'Up répondait sur ce point « Comme vous le savez Pharm Up distribue certaines marques qui pourraient être considérées comme concurrentes ».
Le 26 janvier 2016, la société Melisana Pharma adressait le courriel suivant à la société Pharm Up : « En effet, alors que nous proposons une évolution de nos relations et que Pharm Up semble ne pas vouloir sortir du schéma actuel, nous apprenons au détour d'une phrase de commentaire du projet de contrat que nous vous avons envoyé : « Comme vous le savez Pharm Up distribue certaines marques qui pourraient être considérées comme concurrentes ».
Il est évident qu'il s'agit pour nous d'une révélation qui est incompatible avec les règles que vous souhaitez voir appliquer dans nos relations. »
Une réunion a eu lieu entre les parties le 2 février 2016 au cours de laquelle étaient présents le président du groupe Condat et le directeur général de la société Pharm'Up.
La société Melisana Pharma indique dans ses conclusions (page 9) que lors de cette réunion, il était clairement expliqué à la société Pharm'Up que la société Melisana Pharma souhaitait construire un partenariat avec celle-ci ce qui supposait un engagement de non-concurrence de cette dernière et corrélativement l'abandon de sa qualité d'agent commercial.
Il était mentionné dans le projet de contrat de partenariat commercial soumis à la société Pharm'Up en son article 2 : « les parties entretiennent des relations commerciales par suite de la signature d'un contrat de sous-traitance de représentation conclu le 25 janvier 2008 et ont décidé de faire évoluer ses relations dans le but d'un partenariat renforcé, le partenaire commercial ayant de son côté renoncé à la qualification d'agent commercial et n'a pas fait renouveler son inscription au registre spécial des agents commerciaux, qui est donc expiré depuis le 17 septembre 2012 ».
La société Melisana Pharma a adressé le 14 mars 2016 à la société Pharm'Up une mise en demeure de cesser toute fabrication et distribution des produits concurrents de ceux du mandant dans le délai d'un mois à compter de la présentation de la lettre. La société Pharm'Up, par courriel du 6 avril 2016, a contesté commercialiser des produits concurrents.
Dans le courrier de rupture en date du 26 avril 2016, la société Melisana Pharma indiquait à la société Pharm'Up que 'les motifs que vous avez opposés à notre mise en demeure ... sont inopérants. Il résulte de ces échanges que la société Pharm'Up a répondu à la mise en demeure de la société Melisana Pharma dont elle contestait les termes.
Il y est ajouté que les parties sont convenues de retenir des conditions de leur partenariat commercial, dont le but est de réserver à chaque partie une part équitable du profit immédiat qui en résultera, profit qui ne sera donc pas capitalisé pour le partenaire commercial sous la forme d'une indemnité de résiliation, lors de la cessation des relations commerciales des parties.
Il résulte expressément de ce projet de partenariat, la volonté de la société Melisana Pharma de voir la société Pharm'Up renoncer à son statut d'agent commercial, sans le versement d'une indemnité.
S'il résultait expressément du contrat signé en 2008 que la société Pharm'Up s'engageait à ne pas représenter les produits concurrents, la société Pharm'Up n'ayant pas renoncé à exercer son activité, cette interdiction concernait la liste des départements dans lesquels le contrat s'appliquait. Etaient annexés à la convention la liste de des départements ainsi que le listing des clients de la société Melisana Pharma. Il n'est pas contesté que le nombre de départements concernés a été étendu.
La société Melisana Pharma expose la gamme de produits commercialisés par la société Pharm'Up et qui concurrenceraient les siens. Cependant, ce seul exposé est insuffisant à caractériser le fait que la société Pharm'Up qui, en l'absence d’exclusivité prévue au contrat, était autorisée à continuer à commercialiser ses propres produits, les vendait aux professionnels, objet du contrat de mandat commercial.
La société Melisana Pharma reproche également à la société Pharm'Up ses insuffisances de vente compte tenu des moyens dont elle disposait et en conclut qu'elle les consacrait à la vente de ses propres produits dans les départements réservés au contrat.
La société Melisana Pharma relève :
- l'important décalage des résultats et des taux de croissance entre les 14 délégués de la société Pharm'Up et les 6 VRP de la société Melisana Pharma,
- qu'alors que le taux de croissance annuel moyen du chiffre d'affaires réalisé par la société Pharm Up était de plus de 23,5 % pendant les cinq premières années de respect du contrat (2008 à 2012), ce taux n'a pas cessé de chuter depuis 2013 et était de 5,26 % en 2015 (soit un taux négatif si on ne tient pas compte du chiffre d'affaires correspondant aux nouveaux produits lancés en 2015 et de la hausse tarifaire annuelle).
La société Melisana Pharma soutient qu'au vu du différentiel entre le chiffre d'affaires moyen par délégué de la société Pharm Up (326.598 euros) et celui par délégué Melisana Pharma (530.962 euros), c'est un chiffre d'affaires total de plus de 7,4 millions d'euros qui aurait pu être atteint en 2015 si la société Pharm Up avait respecté ses obligations contractuelles.
La société Pharm'Up fait à juste titre remarquer que les deux systèmes de distribution sont distincts puisque les 6 VRP exclusivement embauchés par la société Melisana Pharma ne distribuent que les produits de cette dernière alors que ses 14 délégués commerciaux, dits « multicartes », qui ne distribuent pas exclusivement des produits Melisana Pharma mais comme leur nom l'indique, ont plusieurs cartes de distribution ce qui explique les résultats obtenus et dont il ne peut être tiré aucune conséquence.
De plus, la société Melisana Pharma n'a jamais reproché à la société Pharm'Up ses résultats durant l'exécution du contrat qui ne contenait aucune clause d'objectifs.
Enfin, le fait que la société Melisana Pharma propose à sa cocontractante un contrat de partenariat va à l'encontre du fait qu'elle serait insatisfaite de ses résultats.
Il résulte des pièces comptables produites par les parties que le chiffre d'affaires réalisé par la société Pharm'Up a été le suivant selon qu'il commercialisait les produits de la société Melisana Pharma ou les siens (la société Sicobel) : année CA pour Melisana Pharma CA pour Sicobel % pour Sicobel % pour le Mandat
2008 1 925 280 « 1 132 366 » 37 % 63 %
2009 2 430 321 « 1 551 066 » 38,90 % 61,10 %
2010 2 932 577 « 1 380 823 » 32 % 68 %
2011 3 597 123 « 1 174 536 » 24,60 % 75,40 %
2012 4 484 663 « 1 232 639 » 21,50 % % 78,50 %
2013 4 349 012 « 1 714 820 » 28,30 % 71,70 %
2014 4 587 605 « 2 136 017 » 31,77 % 68,23 %
2015 4 625 952 « 2 620 723 » 36,20 % 63,4 %
2016 1 595 850 « 1 673 349 » 4 premiers mois de l'année
Il résulte de ce tableau que la société Pharm'Up a consacré une moyenne de 70 % de son activité à son mandat d'agent commercial, et 30 % à son activité personnelle.
Grâce au mandat commercial, l'activité de la société Melisana Pharma a doublé connaissant une forte augmentation jusqu'en 2012 et est restée stable ensuite, passant ainsi de 1.925.280 euros en 2008 à 4.625.952 euros en 2015. Il ne peut être retenu que la société Pharm'Up a délaissé son activité d'agent commercial au bénéfice de ses propres affaires, le nombre de clients n'ayant pas eu d'incidence sur le chiffre d'affaires.
La société Pharm'Up rapporte la preuve en versant une attestation de M. Y, ancien président des laboratoires Sicobel, qu'entre 2013 et 2016, la société Sicobel a cédé à la société Pharm Up des clients qu'elle gérait antérieurement elle-même ce qui explique l'augmentation de la clientèle de la société Pharm'Up.
En conséquence, la société Melisana Pharma ne démontre pas que la société Pharm'Up ait exercé de manière déloyale le contrat d'agent commercial puisqu'elle ne rapporte aucun fait matériel établissant que sa cocontractante distribue ses propres produits dans les départements où s'exerce la convention.
La société Melisana Pharma reproche également à la société Pharm'Up de ne pas lui avoir notifié le fait qu'elle avait été absorbée par le groupe Condat en septembre 2015 alors même que ce groupe a acquis la société Sicobel en 2014.
Cette absorption a eu lieu quelques mois avant la résiliation du contrat sans que ne soit rapportée la preuve d'une incidence sur les relations entre les parties ; en tout état de cause, cette absence de notification ne constitue pas une faute grave entraînant la privation pour l'agent commercial du paiement de l'indemnité de rupture.
Sur la demande d'indemnité compensatrice de rupture
Les Laboratoires Sicobel sollicitent la somme de 1.729.091,97 euros au titre de l'indemnité de rupture prévue par l'article L. 134-12 du code de commerce correspondant à deux ans de commissions HT fixée selon la moyenne des commissions perçues sur les trois dernières années (864.545,98 euros), outre les intérêts au taux légal à compter du 28 avril 2016.
La société Melisana Pharma fait valoir que :
- Conformément à l'article L. 134-13, 1° du code de commerce, l'indemnité de rupture n'est pas due en cas de faute grave de l'agent qui est en l'espèce caractérisée par la violation de l'obligation de non-concurrence.
- Le montant alloué sur la base usuelle de deux années de commissions fait double emploi avec les commissions perçues dans le même temps par la société Pharm'Up au titre du chiffre d'affaires qu'elle a réalisé avec les produits du catalogue Sicobel.
- A titre subsidiaire, le préjudice subi par la société Pharm'Up doit être réduit à trois mois de commissions dès lors qu'elle n'a effectué que très peu d'investissements pour développer les marques de la société Melisana Pharma et qu'elle a privilégié les produits Sicobel.
Sur ce,
L'indemnité de rupture est destinée à réparer le préjudice subi par l'agent du fait de la perte pour l'avenir des revenus tirés de l'exploitation de la clientèle commune. Son quantum n'étant pas réglementé, il convient de fixer son montant en fonction des circonstances spécifiques de la cause, même s'il existe un usage reconnu qui consiste à accorder l'équivalent de deux années de commissions, lequel usage ne lie cependant pas la cour.
Pour fixer cette indemnité, il sera tenu compte de la durée du mandat soit 8 ans et de la contribution conséquente de la société Pharm'Up à la constitution de la clientèle de la société Melisana Pharma qui a assuré la première année 2008 un chiffre d'affaires de 1.925.280 euros, chiffre qui a été multiplié par 2,4 pour atteindre 4.625.952 euros en 2015, les départements concernés ayant évolué de 19 à 68.
L'indemnité de rupture qui indemnise la perte de revenus futurs est indépendante du versement des commissions résultant de l'exercice du mandat d'agent commercial, les deux pouvant se cumuler.
Au vu de ces éléments, le jugement sera confirmé en ce que le tribunal a fixé l'indemnité à deux années de commission. Cette indemnité sera évaluée sur la base des 3 dernières années d'activité totale soit de 2014 à 2015. Les factures de commissions produites pour ces 3 années s'élèvent à la somme de 864.545,98 euros soit pour deux années 1.729.091,97 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du jugement qui l'a fixée, compte tenu de son caractère indemnitaire.
Le jugement sera confirmé sur le montant de l'indemnité fixée mais infirmé sur la date de départ des intérêts.
Sur la demande d'indemnité compensatrice de préavis
Les Laboratoires Sicobel allèguent que :
- il résulte des articles L. 134-4, R. 134-1 et L. 134-11 du code de commerce que le mandant qui rompt le contrat d'agent doit respecter un préavis raisonnable et de l'article L. 134-12 que l'agent a droit à une indemnité compensatrice en cas de cessation du contrat.
- l'indemnité de préavis ne peut être incluse dans l'indemnité compensatrice de rupture, que le délai de préavis ne peut commencer à courir qu'à compter du moment où la résiliation est formulée et non à compter de la mise en demeure et que si les dispositions de l'article L. 134-11 du code de commerce ne prévoient qu'un délai de préavis minimum de trois mois, cela n'empêche pas les juridictions de fixer un préavis plus long, qu'elle doit être indemnisée sur la base d'un délai de préavis de neuf mois.
La société Melisana Pharma sollicite le rejet de cette demande aux motifs que :
- L'article L. 134-11 du code de commerce relatif au calcul du préavis ne s'applique pas lorsque le contrat prend fin en raison notamment d'une faute grave de l'une des parties.
- Si la société Pharm'Up n'a pas bénéficié d'un préavis de trois mois à raison de la faute grave qu'elle a commise, elle a cependant bénéficié d'un préavis d'un mois et demi dans la mesure où elle a été prévenue des intentions de la société Melisana Pharma de mettre fin au contrat par le courrier de mise en demeure du 14 mars 2016.
Sur ce,
La rupture du contrat a été signifiée par la société Melisana Pharma à la société Pharm'Up par courrier du 26 avril 2016 avec effet au 28 avril 2016, date à laquelle il a été interdit à cette dernière de prendre des commandes au nom de la société Melisana Pharma.
L'absence de préavis doit être indemnisée de manière autonome et le délai de préavis doit être calculé à compter de la date de la résiliation du contrat et non de la mise en demeure.
Conformément à l'article L. 134-11 du code de commerce, le contrat s'étant poursuivi au-delà d'une durée de trois ans, la société Pharm'Up doit bénéficier d'un préavis d'une durée de trois mois ce qui correspond à la somme de 864.545,98 euros (montant des commissions annuelles) /12 mois X 3 mois = 216.136,50 euros. Compte tenu de son caractère indemnitaire, cette somme portera intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur la demande d'indemnité au titre de la rupture brutale de la relation contractuelle
Les Laboratoires Sicobel estiment que :
- L'agent commercial est en droit de solliciter l'allocation de dommages et intérêts sur le fondement de la responsabilité contractuelle et de l'obligation de bonne foi lorsque les circonstances de la rupture révèlent un comportement fautif du mandant.
- La société Melisana Pharma a pris pour prétexte l'existence d'une faute grave de son agent pour résilier le contrat alors qu'elle avait déjà anticipé depuis 2015 de se défaire de sa relation avec la société Pharm'Up pour la remplacer par un autre partenaire.
- En tentant d'imposer, par un projet de contrat totalement déséquilibré, des contraintes unilatérales à la société Pharm'Up tout en se conférant un maximum de prérogatives, la société Melisana a eu un comportement totalement déloyal à l'égard de son cocontractant, ce qui a causé un préjudice distinct de celui causé par l'absence de préavis et la rupture du contrat et justifie le versement de la somme de 100.000 euros de dommages et intérêts.
La société Melisana Pharma réplique que cette demande doit être rejetée aux motifs que :
- La société Pharm'Up a commis une faute grave la privant de tout droit à une quelconque indemnité pour rupture abusive.
- Il n'existe pas d'abus distinct de l'absence de préavis et la jurisprudence ne retient pas une distinction entre l'indemnité de cessation et les dommages et intérêts pour rupture abusive.
- Le nouveau cadre contractuel proposé en 2015 ne peut s'assimiler à une rupture des relations contractuelles imputable à la société Melisana Pharma dans la mesure où celui-ci était équilibré et que, la société Pharm'Up ayant fait savoir, suite à la réception de ce nouveau projet, qu'elle voulait continuer à vendre des produits concurrents, il n'y avait aucune faute à demander le respect du contrat de 2008.
Sur ce,
Le jugement déféré repose sur des motifs exacts et pertinents que la cour adopte ; il y a lieu d'ajouter que les échanges de courriels entre les parties démontrent que la société Pharm'Up était tout à fait favorable à l'élaboration d'une convention de partenariat afin de contractualiser de nouveau ses relations avec la société Melisana Pharma même si elle contestait certaines des clauses du projet qui lui avait été soumis. La société Pharm'Up disposait de la force économique pour résister aux sollicitations de la société Melisana Pharma quant au contenu du nouveau contrat et celle-ci a soumis le projet à sa cocontractante, des réunions ayant été organisées pour parvenir à l'élaboration de celui-ci. Si la rupture du mandat d'agent commercial sans que soit caractérisé de faute de la société Pharm'Up a permis à celle-ci de bénéficier d'une indemnité de rupture, la preuve du comportement déloyal de la société Melisana Pharma n'étant pas démontrée, ses motivations quant à la rupture des relations commerciales n'ayant pas été établies si ce n'est sa volonté de réorganiser son activité.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur la demande d'indemnisation des préjudices annexes
Les Laboratoires Sicobel considèrent que la communication très rapide de la société Melisana Pharma sur la rupture de ses relations commerciales avec la société Pharm'Up auprès des membres du réseau et de la clientèle a porté une atteinte grave à l'image de cette dernière, que cette rupture a eu des conséquences significatives sur son organisation et ses rapports avec la clientèle et sollicitent en réparation la somme globale et forfaitaire de 100.000 euros.
La société Melisana Pharma sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a décidé que cette demande était mal fondée, mais en fondant ce rejet sur la simple absence de caractérisation d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité.
Sur ce,
Le jugement déféré reposant sur des motifs exacts et pertinents que la cour adopte, il sera confirmé sur ce point.
Sur la demande d'affichage et de publication de la décision
Les Laboratoires Sicobel sollicitent l'affichage et la publication de la décision à intervenir dans les locaux de la société Melisana Pharma, sur son site internet, ses catalogues, ainsi que dans deux journaux professionnels aux frais de la société Melisana Pharma.
La société Melisana Pharma sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a décidé que cette demande était mal fondée dès lors qu'il ne retenait pas de faute de la société Melisana Pharma.
La nature du litige ne justifie pas la publication de la décision. Les Laboratoires Sicobel seront déboutés de leur demande de ce chef.
Sur la demande reconventionnelle de la société Melisana Pharma
La société Melisana Pharma allègue que les agissements concurrentiels commis par la société Pharm'Up lui ont causé un préjudice du fait des chiffres d'affaires insuffisants qu'elle a réalisés sur le territoire de la représentation et sollicite à ce titre une provision de 500.000 euros sauf à parfaire ultérieurement.
Les Laboratoires Sicobel répliquent que cette demande est totalement exorbitante, non démontrée et qu'elle se heurte, en son principe même, à l'absence de faute de l'agent.
Aucune faute résultant d'agissements concurrentiels n'ayant été retenue à ....
Sur les demandes accessoires
La société Melisana Pharma sera condamnée à verser à la société Laboratoires Sicobel venant aux droits de la société Pharm'Up la somme de 20.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et assumera les dépens de la procédure d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement et contradictoirement,
INFIRME le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de la société Pharm'Up au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, et sur le point de départ des intérêts de retard relatifs à l'indemnité de rupture du contrat d'agent commercial,
LE CONFIRME pour le surplus,
Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant,
CONDAMNE la société Melisana Pharma à payer à la société Laboratoires Sicobel venant aux droits de la société Pharm'Up la somme de 216.136,50 euros au titre de l'indemnité de préavis, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision,
Dit que l'indemnité de rupture du contrat d'agent commercial portera intérêts au taux légal à compter du 16 avril 2019, date du jugement,
DIT n'y avoir lieu à publication de l'arrêt,
CONDAMNE la société Melisana Pharma à payer à la société Laboratoires Sicobel venant aux droits de la société Pharm'Up la somme de 20.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
REJETTE toute autre demande,
CONDAMNE la société Melisana Pharma aux dépens de la procédure d'appel.