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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 4 septembre 1996, n° 96/17212

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Reebok France (SA)

Défendeur :

Adidas Sarragan France (Sté), Uhlsport (Sté), Association de la jeunesse Auxerroise (Ass.), Commissaire du gouvernement, Ministre de l'Economie, des Finances et du Budget

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bargue

Conseillers :

Mme Thin, Mme Kamara

Avocats :

Me Voillemot, Me Choffel, Me Dunaud, Me Elsen, Me Tixier, Me Lemarchand

Cons. conc., du 23 juil. 1996

23 juillet 1996

Vu les mémoires, pièces et documents déposés au greffe à l’appui du recours ;

La cour est saisie sur le fondement de l’article 12 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 du recours en réformation formé par la société anonyme Reebok France contre la décision n°96-MC-08 prononcée le 23 juillet 1996, ayant rejeté la demande de mesures conservatoires présentée par cette société.

Par lettre du 1er juillet 1996, la société Reebok France a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques anticoncurrentielles résultant des accords passés entre les sociétés Adidas Sarragan France (Adidas) et Uhlsport France d’une part, et la société Adidas et l’Association de la jeunesse auxerroise (AJ Auxerre) d’autre part, et sollicite à titre de mesure conservatoire qu’il soit enjoint aux personnes morales visées par sa saisine de suspendre l’exécution de ces accords.

La société Reebok spécialisée dans la vente de vêtements et d’articles de sport a depuis quelques années étendu son activité aux articles destinés à la pratique du football. Désireuse de bénéficier de la publicité résultant du parrainage des clubs de football, elle a le 12 avril 1996 adressé à l’AJ Auxerre, alors liée à la société Uhlsport par un contrat de parrainage valable jusqu’au 30 juin 1998, un projet de contrat de même nature, et s’est rapprochée de la société Uhlsport, afin d’obtenir qu’elle rompe de façon anticipée le contrat la liant à l’AJ Auxerre.

Le 5 juin 1996, elle a reçu de ce club une lettre l’avisant de la signature d’un contrat de parrainage avec la société Adidas « non pas vraiment pour des conditions meilleures, mais en raison de l’accord qui a été établi entre Uhlsport-Adidas sur les gardiens », la même lettre précisant que l’AJ Auxerre n’avait pu négocier avec Uhlsport la rupture du contrat pour traiter ensuite librement avec le fournisseur de son choix.

Les deux conventions invoquées par la société requérante comme constitutives d’une entente anticoncurrentielle sont :

- le contrat de parrainage conclu le 25 mai 1996 par l’AJ Auxerre et la société Adidas pour une période s’étendant du 1er juillet 1996 au 30 juin 2000 ;

- la convention conclue le 29 mai 1996 entre les sociétés Adidas et Uhlsport, au terme de laquelle Adidas donne acte à Uhlsport de la résiliation partielle du contrat la liant à l’AJ Auxerre, cette société se réservant d’assurer notamment la fourniture des ballons et l’équipement des gardiens de but. Adidas s’engage en outre à ne pas remettre en cause le fait que Uhlsport équipe depuis plusieurs années la plupart des gardiens de but des clubs de 1re et 2e division.

Le Conseil de la concurrence a estimé qu’il n’était pas exclu que cette deuxième convention pût entrer dans le champ d’application du titre III de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Il a toutefois considéré qu’il n’était pas établi que les pratiques dénoncées soient de nature à porter une atteinte grave aux intérêts de la société Reebok, compte tenu de la faible proportion de son chiffre d’affaires résultant de la vente d’articles liés à la pratique du football, du fait que la convention dénoncée ne lui interdisait pas d’obtenir le parrainage d’autres clubs que l’AJ Auxerre, et que la reprise des négociations avec le club n’impliquait nullement qu’elle soit choisie par lui.

Il relevait enfin que la société Reebok n’articulait aucun argument propre à établir une atteinte grave à l’économie générale, au secteur intéressé ou à l’intérêt des consommateurs.

A l’appui de son recours, la société Reebok fait valoir que deux marchés sont affectés par les pratiques en cause :  celui du parrainage des clubs de football professionnel et celui de la vente des articles destinés à l’équipement des joueurs, la société Adidas détenant une position dominante sur chacun de ceux-ci.

Selon la société requérante, l’accord conclu entre les sociétés Adidas et Uhlsport réaliserait le partage entre ces entreprises des activités de parrainage, entravant le libre accès à ce marché des autres fabricants, alors même que cette convention vise les clubs disputant les championnats de France en 1re et 2e division et que cette compétition est la seule dans laquelle la société Adidas ne dispose pas encore de l’exclusivité de la fourniture des équipements. L’avantage ainsi obtenu aurait pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur le marché de la vente de ces équipements en raison des liens étroits existant entre les deux marchés.

Cette convention renforçant la position dominante de la société Adidas, les deux accords ayant pour objet et pour effet d’exclure un concurrent de toute possibilité d’obtenir le parrainage de l’AJ Auxerre caractériseraient une exploitation abusive de cette position.

La société requérante en tire la conséquence qu’une atteinte grave est portée à ses intérêts puisqu’elle se trouve empêchée de développer ses ventes dans le domaine du football, et que l’ensemble du secteur se trouve affecté par la répartition opérée entre elles par les sociétés Adidas et Uhlsport, la suspension immédiate de l’exécution des deux conventions constituant le seul moyen de rétablir la concurrence sur les marchés concernés.

Assignées par la société Reebok, l’AJ Auxerre et les sociétés Adidas et Uhlsport concluent au rejet du recours, en faisant valoir que l’AJ Auxerre a librement choisi la société Adidas qui lui offrait les propositions les plus intéressantes et les équipements présentant les meilleures spécifications de qualité et qu’aucune entrave n’a été mise à l’accès de la société requérante au marché. Elles soutiennent qu’aucune pratique anticoncurrentielle ne se trouve constituée et qu’aucune atteinte grave n’est caractérisée ni à l’égard des intérêts de la société requérante ni au préjudice de l’économie du secteur ou de l’intérêt des consommateurs ;

La société Adidas fait également remarquer que l’accord qu’elle a conclu avec Uhlsport ne saurait réaliser une répartition du marché, cette dernière société ne disposant auprès d’aucun club de football d’une exclusivité de fourniture lui permettant d’imposer son successeur en cas de résiliation.

Elle conteste l’existence revendiquée par la société Reebok d’un marché du parrainage sportif du football professionnel et l’étroitesse du lien établi entre ce mode de publicité et l’évolution des ventes.

A titre préliminaire et principal, la société Adidas soulève l’irrecevabilité de la demande de réformation, au motif que la société Reebok sollicite devant la cour la suspension de l’exécution du contrat de parrainage de l’AJ Auxerre par Adidas afin que le club continue comme par le passé à être équipé par la société Uhlsport, alors que, devant le conseil, elle avait demandé la même mesure dans le but de lui permettre de reprendre ses négociations avec le club de l’AJ Auxerre.

Le ministre de l’économie et des finances conclut au rejet du recours, en relevant que l’activité de la société Reebok n’est pas altérée par les pratiques en cause, car :

- il n’est pas démontré que les conditions de son offre de parrainage auraient nécessairement dû amener l’AJ Auxerre à porter son choix sur elle ;

- elle conserve des liens contractuels avec un club de football professionnel et ne peut donc prétendre être évincée de l’activité de parrainage ;

- le défaut d’extension de son activité ne peut constituer en soi un dommage suffisant ;

- un simple manque à gagner ne peut pas davantage caractériser une atteinte suffisante pour justifier le prononcé de mesures conservatoires ;

- la société requérante n’établit pas que les seules conventions visées constituent des pratiques suffisamment graves ou entraînent en elles-mêmes des effets assez étendus pour qu’il soit indispensable d’en ordonner la suspension.

Entendu en ses observation orales, le ministère public conclut au rejet du recours, en remarquant que si les conventions incriminées semblent entrer dans le champ d’application du titre III de l’ordonnance du 1er décembre 1986, la société requérante n’apporte pas la preuve de l’existence d’un préjudice grave et certain ou de son imminence pour elle-même ou pour le secteur concerné.

Sur ce, la cour :

1. Sur la recevabilité de la demande :

Considérant qu’il résulte des assignations délivrées par la société Reebok que son recours tend à la réformation de la décision du Conseil, pour voir, dans l’attente d’une décision au fond, enjoindre, d’une part, aux sociétés Adidas et Uhlsport de suspendre le contrat qu’elles ont conclu en date du 29 mai 1996 et, d’autre part, à la société Adidas et au club de l’AJ Auxerre de suspendre le contrat de parrainage qu’ils ont conclu le 25 mai 1996 ; que cette demande qui ne se distingue pas de la demande, tendant aux mêmes tins, initialement formulée devant le Conseil de la concurrence, est recevable ;

2. Au fond :

Considérant, aux termes de l’article 12 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, que le Conseil de la concurrence ne peut ordonner de mesures conservatoires que si la pratique dénoncée porte une atteinte grave et immédiate à l’économie générale, à celle du secteur intéressé, à l’intérêt des consommateurs ou à l’entreprise plaignante ; qu’elles doivent rester strictement limitées à ce qui est nécessaire pour faire face à l’urgence ;

Considérant, en l’espèce, que le marché concerné par les pratiques dénoncées est celui des équipements destinés aux joueurs de football, le parrainage des clubs constituant un mode d’action spécifique sur les acteurs présents sur ce marché et non en soi un marché pertinent ;

Considérant que la convention passée entre la société Adidas et l’AJ Auxerre ne peut produire d’effets qu’à l’égard de cette opération de parrainage et ne fait pas obstacle à l’obtention par d’autres sociétés concurrentes, et notamment Reebok, du parrainage d’autres clubs ;

Considérant que l’accord intervenu entre les sociétés Adidas et Uhlsport, de par ses termes généraux, est susceptible de recevoir une application plus large que la convention du 25 mai 1996 ; que toutefois, ainsi que l’a relevé le Conseil, la société Uhlsport ne détenant aucune position d’exclusivité pour la fourniture de matériel n’est pas susceptible, en contrepartie de son retrait partiel, d’imposer le choix de la société Adidas pour lui succéder ;

Que la preuve du préjudice allégué porté à l’économie du secteur n’est donc pas apportée ;

Considérant que la société requérante invoque encore le dommage résultant pour elle des pratiques qu’elle dénonce ;

Considérant qu’elle n’établit pas qu’en l’absence des conventions litigieuses l’AJ Auxerre aurait nécessairement traité avec elle, compte tenu de la teneur des propositions émanant des deux sociétés concurrentes, ainsi que de leur notoriété, et de la qualité de leurs produits ;

Considérant en outre que le Conseil a justement relevé que la société Reebok détient sur le marché des équipements sportifs pour le football une part de 6 p. 100, cette activité représentant 2,5 p. 100 de son chiffre d’affaires total ;

Que l’effet des conventions dénoncées sur la situation et l’activité de l’entreprise ne saurait donc être considéré comme constitutif d’une atteinte grave à celles-ci ; que la société Reebok fait valoir qu’elle se trouve précisément mise dans l’impossibilité de faire progresser cette part de marché en raison de l’existence des conventions qui ferment tout accès au parrainage de nouveaux clubs ;

Mais considérant que cet effet, à le supposer démontré, ne constituerait qu’un manque à gagner insuffisant pour caractériser l’atteinte grave justifiant l’édiction de mesures d’urgence ;

Que les conditions d’application de l’article 12 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ne sont donc pas réunies ;

Par ces motifs :

Rejette le recours formé par la société Reebok France contre la décision n° 96-MC-08 du Conseil de la concurrence ;

Condamne la société requérante aux dépens.