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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 1 octobre 1996, n° 95-28736

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Pellon, Corazza

Défendeur :

Ambulances coutrillonnes (SARL), Raynaux, Ambu'Cambes (Sté), Grelaud, Ambulances air Aquitaine bleue (SARL), Ambulances Brannaises (Sté), Armonie Ambulances (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bargue

Conseillers :

Mme Thin, M. Weill

Avocats :

Me Lamarque, Me Boyer

CA Paris n° 95-28736

1 octobre 1996

Vu les mémoires, pièces et documents déposés au greffe à l’appui du recours ;

Saisi par le ministre de l’économie de pratiques anticoncurrentielles mises en œuvre par des entreprises de transport sanitaire lors de la passation de marchés avec le centre hospitalier général Robert-Boulin de Libourne, le Conseil de la concurrence (le Conseil), par décision n 95-D-67 du 24 octobre 1995, a infligé les sanctions pécuniaires suivantes aux entreprises ci-après :

22 000 F à Mme Corazza (Ambulances Lucette Corazza) ;

16 000 F à la SARL Ambulances Air Aquitaine Bleues ;

21 000 F à M. Bardet (Ambulances brannaises) ;

16000 F à la SARL Ambulances Coutrillonnes ;

12000 F à M. Raynaud (Ambulances Raynaud ;

8 500 F à M. Durou (Ambu’Camps) ;

10000 F à M. Greland (Ambulances castillonnaises) ;

13 000 F à M. Grandner (Armonie Ambulances),

et fixé à 13 000 F le montant de la sanction pécuniaire à l’encontre de Mme Pellon, exploitant l’entreprise Sud-Ouest Ambulances.

Disposant d’un service ambulancier qui ne lui permet pas d’assurer la totalité des transports sanitaires lui incombant, le centre hospitalier général de Libourne a recours aux services d’entreprises privées. A la suite de procédures d’appel d’offres ouvert, le marché a été attribué en 1991 à l’entreprise Ambulances Lucette Corazza. En 1992, il est revenu l’entreprise Ambulances ADN. Le centre hospitalier a bénéficié d’un rabais de 35 % sur le tarif préfectoral. Pour 1993, le centre hospitalier a retenu la procédure du marché négocié qui a donné lieu à un avis d’information en date du 3 novembre 1992. En réponse, le centre hospitalier a enregistré deux offres : la première, émanant de l’Association des ambulanciers du Libournais, proposait un rabais de 22 % sur le tarif préfectoral. Cette offre n’a pas été retenue. Le marché a été attribué à l’entreprise Ambulances ADN, qui a fait la seconde offre, proposant un rabais de 35 % sur la prise en charge en ambulance et en véhicule sanitaire léger (VSC) ainsi que sur les kilomètres parcourus.

L’Association des ambulanciers du Libournais a été déclarée à la sous-préfecture de Libourne le Il mai 1992. Elle rassemble onze entreprises : Ambulances Lucette Corazza, SARL Ambulances Air Aquitaine Bleues, Ambulances brannaises, Sud-Ouest Ambulances, SARL Ambulances coutrillonnes, Ambulances Delage, Ambulances Raynaud, Ambu’ Camps, Ambulances Inter, Ambulances castillonnaises et Armonie Ambulances. Son objet est « de faire respecter la déontologie des ambulanciers ». Cette association a succédé à une «coordination» constituée début 1992. Dans un courrier adressé le 3 avril 1992 au directeur du centre hospitalier général de Libourne, les membres de cette coordination ont fait savoir qu’ils s’étaient réunis le 31 mars 1992 pour dénoncer les pratiques irrégulières de l’entreprise ADN, et ont indiqué que cette entreprise faisait du racolage auprès de la clientèle hospitalisée, contrairement à la déontologie de la profession, et portait ainsi atteinte à la liberté du malade de choisir lui-même son ambulancier.

Chacune des entreprises requérantes forme un recours en annulation ou en réformation contre la décision du conseil, qui leur reproche d’avoir conclu une entente visant à se répartir le marché des transports sanitaires locaux, et d’avoir présenté une offre groupée en 1993, constituant une entente de prix et de répartition de marché ayant pour objet et pouvant avoir pour effet de fausser le libre jeu de la concurrence.

L’Association des ambulanciers du Libournais intervient à la procédure à la suite de sa mise en cause ordonnée le 30 janvier 1996.

A l’appui de leurs recours, les entreprises requérantes soutiennent qu’il n’y a pas eu entente prohibée dès lors qu’elles pouvaient, de façon licite, élaborer une offre commune et proposer un prix qui était parfaitement justifié par les contraintes particulières imposées par une garde devant être assurée 24 heures sur 24 et par la nécessité de procéder à des investissements onéreux.

Elles font valoir qu’elles ne pouvaient faire une réponse de qualité qu’en se regroupant et que le rabais proposé de 22 % n’a pas faussé le jeu de la concurrence, ADN ayant proposé un rabais de 35 %.

L’Association des ambulanciers ajoute qu’elle a œuvré pour le respect des règles déontologiques, sa constitution n’étant pas liée exclusivement à l’appel d’offres.

Mme Pellon fait valoir que, faisant alors l’objet d’une procédure de redressement judiciaire ouverte le 27 juillet 1992, elle n’avait pu matériellement commettre les faits reprochés.

Dans ses observations écrites, le Conseil a souligné qu’une association professionnelle ne devait, d’une manière quelconque, avoir une influence directe sur le jeu de la concurrence, que la taille des entreprises leur permettait de répondre individuellement à l’appel d’offres, que le rabais proposé a été le fruit d’une concertation, que ce rabais était inférieur à celui précédemment consenti, que Mme Pellon a, par l’intermédiaire de l’association, répondu à l’appel d’offres et donc participé aux faits reprochés.

Le ministre de l’économie estime que la dénonciation auprès de l’hôpital des pratiques de la société ADN n’avait pas de fondement déontologique, que le rabais proposé était inférieur à celui consenti par l’une des entreprises membres de l’association et par l’entreprise moins-disante pré sentant les mêmes caractéristiques économiques, que les entreprises ont eu la volonté de se répartir le marché, que Mme Pellon faisait partie de l’association qui a répondu à l’appel d’offres.

Le ministère public conclut oralement au rejet des recours ;

Sur ce, la cour :

Sur la qualification de l’entente :

Considérant que les entreprises requérantes se sont concertées en créant l’Association des ambulanciers libournais pour assurer le respect de la déontologie de leur profession et celui de la concurrence entre entreprises de transport sanitaire ; que, si une telle pratique n’est pas, en soi, illicite, en revanche, la disposition du règlement intérieur stipulant qu’aucun membre de l’association ne doit, à titre individuel, soumissionner à un quelconque appel d’offres du centre hospitalier de Libourne ou de la clinique du Libournais concernant tous les transports sanitaires constitue, par l’interdiction générale et absolue ainsi formulée, une pratique ayant pour objet de fausser le libre jeu de la concurrence ;

Considérant que, si la réponse formulée en commun par des entreprises indépendantes et concurrentes à un appel d’offres ne constitue pas nécessairement en soi une pratique prohibée au sens de l’article 7 de l’ordonnance du l décembre 1986, en revanche, la réponse consistant à offrir un rabais dc 22 % alors que l’offre antérieure d’une entreprise faisant partie du groupement était plus favorable et qu’une entreprise isolée, ne disposant pas des moyens du groupe ayant fait l’offre commune, a proposé un rabais de 35 % a pour objet et pour effet de porter atteinte à la concurrence ;

Considérant qu’il résulte des pièces du dossier que les entreprises n’ont jamais envisagé de véritable mise en commun de leurs moyens, le but recherché par leurs dirigeants étant de se répartir à tour de rôle le marché que la nécessité technique d’une concentration des moyens n’est pas démontrée dès lors que chacune des entreprises pouvait assurer seule les prestations ; que l’entreprise en définitive retenue, extérieure au groupe ment incriminé, disposait de moyens équivalents à ceux de chacune des entreprises membres de l’association ayant fait l’offre commune ;

Considérant que Mme Pellon, faisant partie de l’association qui a fait l’offre commune, a donc ainsi pris part aux pratiques critiquées ;

Considérant que le Conseil a, en conséquence, exactement retenu à l’encontre des entreprises concernées l’existence d’une entente prohibée qui avait pour objet et a eu pour effet de fausser le libre jeu de la concurrence ;

Sur les sanctions :

Considérant que le marché concerné a été évalué, pour l’année 1993, à 150 000 F; que les pratiques condamnées étaient de nature à favoriser une répartition du marché et à limiter la concurrence entre les entreprises d’ambulances concernées, s’agissant du marché des transports sanitaires requis par le centre hospitalier ainsi que des transports sanitaires dans la région de Libourne ;

Considérant que l’entente prohibée a réuni onze des douze entreprises d’ambulances de la région, qu’en revanche le marché a pu être attribué à la douzième ;

Qu’ainsi, eu égard à la gravité des faits et au dommage causé à l’économie, le Conseil a prononcé des sanctions qui doivent être approuvées,

Par ces motifs :

Rejette les recours formés par les entreprises Ambulances Lucette Corazza, Madeleine Pellon, SARL Ambulances Air Aquitaine Bleue, Ambulances brannaises, SARL Ambulances Coutrillonnes, Ambulances Raynaud, Ambu ‘Camps, Ambulances castillonnaises, Armonie Ambu lances, contre la décision n’ 95-D-67 du Conseil de la concurrence,

Condamne in solidum lesdites entreprises aux dépens.