Cass. com., 7 juillet 2021, n° 20-11.146
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Econcepto (SARL), Amer, Alidra
Défendeur :
Bouras, Nile (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guérin
Rapporteur :
Mme Boisselet
Avocat général :
M. Douvreleur
Avocats :
SCP Alain Bénabent, SCP Thouvenin, Coudray et Grévy
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 28 novembre 2019), la société Econcepto a été constituée par M. Bouras, gérant, et Mme Amer, à laquelle a succédé son époux, pour exercer une activité d'agence conseil en communication digitale et création de sites internet. Le 12 mai 2013, M. Amer est devenu cogérant de la société Econcepto. Par procès-verbal d'assemblée générale du 20 décembre 2013, il a été pris acte de la démission de M. Bouras de ses fonctions de gérant à compter du 24 août 2013. M. Alidra a été nommé cogérant.
2. En octobre 2013, M. Bouras a créé la société Nile qui exerce une activité concurrente de celle de la société Econcepto.
3. Reprochant à M. Bouras des anomalies dans la comptabilité de la société Econcepto, cette dernière, ainsi que MM. Amer et Alidra, l'ont assigné, ainsi que la société Nile, aux fins d'indemnisation des préjudices nés de fautes de gestion et de faits de concurrence déloyale. Ils ont également demandé que la cession de parts sociales proposée par M. Bouras soit déclarée effective.
Examen des moyens
Sur le second moyen, ci-après annexé
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation. Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. La société Econcepto, M. Amer et M. Alidra font grief à l'arrêt d'infirmer le jugement en ce qu'il avait retenu des actes de concurrence déloyale de M. Bouras envers la société Econcepto, et de débouter celle-ci de ses demandes à ce titre, alors « que commet un acte de concurrence déloyale l'ancien gérant d'une société qui s'approprie son fichier de clientèle afin de détourner celle-ci au profit de sa propre société ; qu'en l'espèce, les sociétés Econcepto, M. Amer et M. Alidra faisaient valoir que M. Bouras avait pris possession du disque dur externe de la société Econcepto contenant son fichier client pour le copier ; que ce dernier admettait lui-même avoir emprunté ledit disque dur pour effectuer une copie des documents concernant les clients que l'agence Nile souhaitait récupérer ; qu'après avoir retenu qu'"il n'est pas contesté que certains clients ont choisi de suivre M. Bouras et sa nouvelle agence", la cour d'appel a néanmoins débouté la société Econcepto de ses demandes de dommages-intérêts au motif que les pièces produites ne "permettent cependant pas d'imputer ces pertes de clients aux agissements fautifs adverses" ; qu'en se déterminant ainsi, lorsque le départ de clients au profit de la société créée par un ancien salarié constitue nécessairement un acte de concurrence déloyale lorsqu'il est consécutif à la copie du fichier client de son ancien employeur, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause. »
Réponse de la Cour
6. Après avoir constaté qu'il n'était pas contesté que certains clients avaient choisi de suivre M. Bouras et sa nouvelle agence, la cour d'appel a retenu que cela ne caractérisait pas nécessairement la commission d'actes de concurrence déloyale dans la mesure où il existe en la matière un fort intuitu personae et où les pièces produites ne permettaient pas, à raison de leur confusion, d'imputer la perte de ces clients aux agissements incriminés. En cet état, la cour d'appel a pu statuer comme elle a fait.
Mais sur le premier moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
7. La société Econcepto, M. Amer et M. Alidra font grief à l'arrêt d'infirmer le jugement en ce qu'il avait retenu des actes de concurrence déloyale de M. Bouras envers la société Econcepto, et de débouter celle-ci de ses demandes à ce titre, alors : « 2°) qu'il s'infère nécessairement un préjudice, fût-il seulement moral, d'un o acte de concurrence déloyale ; qu'après avoir retenu qu'un constat d'huissier établissait le détournement des sites internet "Thalesimmobilier.com", "elise.mansot.fr " et "elisemansot.fr ", élaborés par la société EConcepto, au profit de l'agence Nile créée par M. Bouras et affirmé que le "détournement allégué apparaît donc établi", la cour d'appel a néanmoins rejeté la demande d'indemnisation de la société Econcepto au motif qu'elle ne démontrait pas "[avoir] subi le moindre préjudice des agissements adverses et notamment une perte de marge brute sur son chiffre d'affaires" ; qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 1382,devenu 1240, du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause ; 3°) que les effets préjudiciables de pratiques consistant à parasiter les efforts o et les investissements, intellectuels, matériels ou promotionnels, d'un concurrent, peuvent être évalués en considération de l'économie réalisée par l'auteur des actes de concurrence déloyale, sans qu'il soit nécessaire d'établir un appauvrissement corrélatif du concurrent parasité ; qu'en rejetant la demande de la société Econcepto tendant à l'indemnisation des préjudices résultant notamment du détournement de ses contenus web et de leur utilisation par la société Nile, au motif qu'elle ne démontrait pas "[avoir] subi le moindre préjudice des agissements adverses et notamment une perte de marge brute sur son chiffre d'affaires", la cour d'appel a violé l'article 1382,devenu 1240,du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :
8. Aux termes de ce texte, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
9. Pour rejeter la demande de dommages-intérêts formée par la société Econcepto au titre d'actes de concurrence déloyale par détournement de produits conçus par celle-ci, l'arrêt, après avoir relevé que la quasi-majorité des pièces produites à l'appui de cette demande émanaient de la société Econcepto, étaient en partie illisibles et se révèlaient donc inexploitables, retient, au vu d'un constat d'huissier de justice dressé le 1 décembre 2014, et que, pour plusieurs sites internet de clients, le détournement allégué est caractérisé mais qu'en l'absence de toute pièce, notamment comptable, démontrant que la société Econcepto a subi un préjudice causé par les agissements adverses, et en particulier une perte de marge brute, aucun préjudice causé par ces faits n'est établi.
10. En statuant ainsi, alors, d'une part, qu'il s'infère nécessairement d'actes de concurrence déloyale un trouble commercial générant un préjudice, fût-il5 591 seulement moral, et, d'autre part, que les pratiques consistant à parasiter les efforts et les investissements, intellectuels, matériels ou promotionnels, d'un concurrent, en ce qu'elles permettent à leur auteur de s'épargner une dépense, induisent un avantage concurrentiel indu dont les effets préjudiciables peuvent être évalués en prenant en considération cet avantage, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief,
La Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute la société Econcepto de ses demandes au titre des actes de concurrence déloyale commis par M. Bourras et la société Nile, l'arrêt rendu le 28 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ; Condamne M. Bouras et la société Nile aux dépens ; En application de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette la demande formée par M. Bouras et la société Nile et les condamne à payer à la société Econcepto la somme globale de 3 000 euros.