Cass. com., 7 juillet 2021, n° 20-16.094
COUR DE CASSATION
Décision
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Manitou BF (SA)
Défendeur :
JC Bamford Excavators Limited (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guérin
Rapporteur :
Mme Comte
Avocat général :
M. Douvreleur
Avocats :
Me Bertrand, SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 3 mars 2020), rendu en matière de référé, par acte du 5 mai 2017, la société JC Bamford Excavators Limited (la société JCB) a engagé contre la société Manitou BF (la société Manitou) une action en contrefaçon de ses brevets européens n 1 532 065, portant sur un système de commande pour un appareil de manipulation de charge et n° 2 263 965 portant sur un procédé pour la commande d'une machine de travail. Par une ordonnance du 31 janvier 2019, le juge de la mise en état, après avoir admis la vraisemblance d'une contrefaçon du brevet n° 2 263 965, a prononcé contre la société Manitou une interdiction de o fabriquer et de commercialiser certaines machines susceptibles de contrefaire ce brevet.
2. Le 22 février 2019, à la veille d'un salon professionnel international, la société JCB a publié sur son site internet, et sur les réseaux Linkedin et Twitter, un communiqué de presse en langue anglaise faisant état de cette mesure d'interdiction provisoire.
3. Estimant que la diffusion de ce communiqué par la société JCB constituait un acte de dénigrement constitutif de concurrence déloyale, la société Manitou l'a assignée en référé pour qu'il soit mis fin au trouble subi à ce titre. Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. La société Manitou fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à ce qu'il soit jugé que la société JCB a commis des actes de concurrence déloyale par dénigrement à son égard, à ce que soient ordonnées les mesures conservatoires de nature à faire cesser le trouble subi au titre de la concurrence déloyale et à ce que la société JCB soit condamnée à lui payer une somme de 200 000 euros à valoir sur la réparation du préjudice subi par l'effet du dénigrement, alors : « 1°) que la divulgation d'une information de nature à jeter le discrédit sur un o concurrent constitue un acte de dénigrement caractérisant un acte de concurrence déloyale, à moins que l'information en cause ne se rapporte à un sujet d'intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, et sous réserve qu'elle soit exprimée avec une certaine mesure ; que la cour d'appel a constaté que l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Paris du 31 janvier 2019, évoquée dans le communiqué de la société JCB mettant en cause la société Manitou au titre de la contrefaçon d'un brevet, n'était que "provisoire", que le communiqué faisant état de cette ordonnance comportait un "titre volontairement simplificateur", que "l'information en cause ne se rapporte pas à un sujet d'intérêt général", que le communiqué ne reprend pas “dans son intégralité le dispositif de (la) décision, qui rejetait par ailleurs d'autres demandes de la société JCB et notamment celles portant sur un autre brevet” et que le communiqué litigieux “a été publié quelques jours avant la tenue d'un salon réunissant les professionnels du secteur, (ce) qui témoigne d'une stratégie commerciale volontairement offensive de la part de la société JCB" ; qu'en considérant néanmoins que la société JCB ne s'était rendue coupable d'aucun acte de dénigrement envers la société Manitou en publiant dans son communiqué l'ordonnance du 31 janvier 2019, après avoir elle-même constaté que le texte publié n'était ni exact ni neutre dans sa présentation, qu'il ne se rapportait pas à un sujet d'intérêt général et que la société JCB, loin d'avoir été animée par la volonté d'informer objectivement et de manière désintéressée la clientèle et les partenaires commerciaux communs aux deux entreprises, avait fait usage de la décision de justice à des fins de "stratégie commerciale", ce dont il résultait nécessairement que la concurrence déloyale par dénigrement était établie, et par voie de conséquence l'existence d'un trouble manifestement illicite causé à la société Manitou, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé les articles 1240 du code civil et 872 et 873 du code de procédure civile ; 2°) que subsidiairement, la divulgation d'une information exacte peut être néanmoins constitutive d'un dénigrement dès lors qu'elle est de nature à jeter le discrédit sur un concurrent ; qu'à supposer exacte l'information publiée par la société JCB, la cour d'appel, dès lors qu'elle constatait que la publication de la décision de justice mettant en cause la société Manitou était intervenue à la veille d'un salon commercial et qu'elle s'inscrivait dans le cadre « d'une stratégie commerciale volontairement offensive » menée par la société JCB, devait nécessairement rechercher si cette publication n'était pas motivée par la volonté de la société JCB de jeter le discrédit sur la société Manitou, une telle intention caractérisant suffisamment l'existence d'un acte de dénigrement constitutif d'un trouble manifestement illicite ; qu'en ne procédant pas à cette recherche essentielle à la solution du litige, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1240 du code civil et 872 et 873 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
5. Ayant, par une appréciation souveraine des éléments de fait qui lui étaient soumis, retenu que le titre et le contenu du communiqué se contentaient, dans des termes dénués de tout caractère excessif, de faire connaître aux internautes l'existence d'une décision de justice rendue au profit de la société JCB quelques jours auparavant et ayant prononcé contre la société Manitou une mesure d'interdiction, l'arrêt relève que ce communiqué rappelle expressément le caractère provisoire de la décision rendue, indique le numéro du brevet concerné ainsi que le système précisément visé par l'interdiction. L'arrêt retient ensuite que la décision étant publique, elle pouvait faire l'objet d'une publicité, quand bien même la mesure d'interdiction comme la décision qui la prononce sont « provisoires ». Il retient encore que le communiqué litigieux est dépourvu de tout caractère trompeur, la mention des voies de recours et du juge qui a rendu la décision n'ayant pas à être précisée dès lors que le caractère provisoire de la décision est indiqué. Il retient enfin que le défaut de référence au rejet des demandes concernant le second brevet est indifférent puisque ce dernier n'est pas évoqué dans le communiqué.
6. En cet état, la cour d'appel, qui n'était pas tenue d'effectuer la recherche invoquée par la seconde branche, que ses constatations rendaient inopérante, a pu déduire qu'en dépit de la date à laquelle le communiqué avait été publié, quelques jours avant la tenue d'un salon réunissant les professionnels du secteur, qui témoignait d'une stratégie commerciale volontairement offensive de la part de la société JCB, le caractère manifestement illicite du trouble invoqué n'était pas suffisamment établi.
7. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.