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Décisions

Cass. crim., 20 janvier 2021, n° 19-86.172

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Soulard

Rapporteur :

Mme Zerbib

Avocat général :

Mme Bellone

Avocats :

SCP Marlange et de La Burgade, SCP Spinosi et Sureau

Bastia, du 11 sept. 2019

11 septembre 2019

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Mme T... a porté plainte le 2 novembre 2010 contre MM. R... O... et Y... O..., fils du premier, l'un et l'autre étant cogérants d'une société de travaux SIT, exposant avoir été elle-même cogérante de la société civile immobilière Joya avec son fils, M. M... P..., et les avoir chargés en 2008 du chantier de construction d'une villa puis qu'en proie à de grandes difficultés liées à des deuils successifs, au cancer dont elle a été atteinte, aux interventions chirurgicales et aux séances de chimiothérapie et de radiothérapies subies, elle a confié la gestion administrative de ladite société, notamment des comptes sociaux, et celle de ses comptes personnels, à M. R... O..., homme de confiance de sa famille depuis des années.

3. Mme T... a précisé avoir découvert, après que son état de santé se soit amélioré, différents faits d'abus de faiblesse commis à son endroit dans le contexte de la construction de la villa notamment au moyen de la conclusion d'un contrat de prêt de 300 000 euros souscrit au nom de la société Joya à son insu en 2009 et de l'imputation à son préjudice de dépenses étrangères aux travaux confiés à la société SIT par confection de plusieurs faux.

4. A l'issue de l'enquête préliminaire ouverte, M. Y... O..., poursuivi du chef d'abus frauduleux de faiblesse manifesté par plusieurs faits, d'escroquerie au préjudice de M. M... P..., de nombreux faux et de contrefaçons de chèques, a été relaxé du chef d'escroquerie et déclaré coupable pour le surplus.

5. Cité à comparaître devant le tribunal correctionnel des chefs d'escroquerie et de faux, M. R... O... a été déclaré coupable de ces délits.

6. M. Y... O..., M. R... O..., Mme T..., M. P... et la société Joya ont relevé appel du jugement.

Examen des moyens

Sur les premier et second moyens de cassation proposés pour M. Y... O...

7. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen proposé pour Mme T..., M. P... et la société Joya

Enoncé du moyen

8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a, relaxant M. Y... O... des chefs d'abus de faiblesse et d'escroquerie et relaxant M. R... O... du chef d'escroquerie, rejeté en conséquence les demandes indemnitaires des parties civiles pour les dommages découlant de la commission de ces infractions, alors « que si un rapport d'expertise non-contradictoire peut valoir à titre de preuve, c'est à la condition qu'il ait été soumis à la libre discussion des parties et que celles-ci aient été à même d'en débattre contradictoirement ; qu'en l'espèce, en retenant, parmi les éléments de preuve ayant concouru à la formation de sa conviction, le rapport d'expertise non-contradictoire établi par M. G..., cependant que les parties civiles faisaient utilement valoir que ce rapport avait été produit par la défense pour la première fois à l'audience des débats en appel, c'est-à-dire tardivement, et qu'elles n'avaient pas été à même d'en prendre connaissance et d'en étudier le contenu et la pertinence, la cour d'appel a violé le principe du contradictoire. »

Réponse de la Cour

9. Il est fait grief à la cour d'appel d'avoir relaxé les prévenus des chefs d'abus de faiblesse et d'escroquerie après avoir pris en compte les conclusions d'une expertise privée non contradictoire.

10. Cependant, les motifs de l'arrêt de relaxe n'étant pas fondés sur ce rapport d'expertise, le moyen, qui manque en fait, ne peut être accueilli.

Sur le deuxième moyen proposé pour Mme T..., M. P... et la société Joya

Enoncé du moyen

13. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a, relaxant M. Y... O... du chef d'abus de faiblesse, rejeté en conséquence les demandes indemnitaires des parties civiles pour les dommages découlant de la commission de cette infraction, alors :

« 1°) que constitue un abus de faiblesse le fait d'abuser frauduleusement de la situation de faiblesse d'une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité ou à une déficience physique ou psychique, est apparente ou connue de son auteur, pour la conduire à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables ; qu'en l'espèce, en énonçant que les opérations imputables à M. Y... O... au préjudice de Mme T... V... ne revêtaient pas le caractère d'acte ou d'abstention gravement préjudiciables, nonobstant « leur importance, au regard de l'ensemble de l'opération immobilière réalisée par la SCI Joya et du patrimoine de I... T... », la cour d'appel n'a pas tiré les conclusions qui s'évinçaient des faits constants de l'espèce et de ses propres constatations, et a violé l'article 223-15-2 du code pénal ; 2°) que la circonstance selon laquelle la personne dont la faiblesse a été abusée n'aurait pas été l'unique victime des agissements frauduleux ne fait pas disparaître l'infraction d'abus frauduleux de la faiblesse de cette personne et n'en exonère pas son auteur ; qu'en l'espèce, en se fondant sur la circonstance, inopérante, selon laquelle l'abus frauduleux de l'état de faiblesse de Mme T... V... n'avait pas été préjudiciable uniquement à ses intérêts, mais aussi à ceux de son fils, M. M... P..., qui, comme elle, était associé et cogérant de la SCI Joya, pour écarter l'infraction d'abus frauduleux de l'état de faiblesse d'une personne commise au préjudice de Mme T... V... , la cour d'appel a violé l'article 223-15-2 du code pénal. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 223-15-2 du code pénal et l'article 593 du code de procédure pénale

14. Il résulte du premier de ces textes que l'abus frauduleux de faiblesse consiste à amener une personne dont la particulière vulnérabilité est apparente ou connue de l'auteur à consentir un acte ou une abstention qui lui sont gravement préjudiciables sans qu'il y ait lieu de tenir compte, pour caractériser le délit, de l'importance de son patrimoine.

15. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

16. Pour estimer que Mme T... n'avait pas été victime d'un abus frauduleux de faiblesse, l'arrêt énonce notamment que si son état de particulière vulnérabilité en 2009 est caractérisé par des troubles dépressifs et une pathologie cancéreuse et si M. Y... O..., qui la connaissait de longue date et la côtoyait régulièrement, n'est pas fondé à soutenir qu'il n'en avait pas connaissance, il doit être retenu que les actes poursuivis, malgré leur importance au regard de l'ensemble de l'opération immobilière réalisée par la société La Joya, ne lui ont pas été gravement préjudiciables au regard de son aisance patrimoniale et de ce qu'ils ont été commis au préjudice de cette seule société cogérée au surplus par M. P... qui disposait de toutes ses capacités.

17. En premier lieu, en prononçant ainsi alors qu'elle a tenu pour réels les faits abusifs qu'elle a qualifiés d'importants et estimé caractérisée la particulière vulnérabilité de Mme T..., la cour d'appel, qui s'est contredite et a ajouté à l'article 223-15-2 du code pénal une condition qu'il ne prévoit pas tenant à l'importance du patrimoine de la victime, a méconnu les dispositions de ce texte.

18. En deuxième lieu, la circonstance que la société Joya ait été cogérée par M. P... qui n'était pas une personne particulièrement vulnérable et le fait que la société Joya ait pu subir un préjudice financier à la suite des faits poursuivis sont sans incidence sur la réalité de la fraude orchestrée en direction de Mme T..., cogérante de cette société qui en avait délégué en toute confiance la gestion administrative et celle de ses comptes, social et personnel, aux Consorts O... en raison de son état de santé alors très dégradé, fraude dont il est résulté pour elle un préjudice direct et personnel.

19. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Sur le troisième moyen proposé pour Mme T..., M. P... et la société Joya

Enoncé du moyen

20. Le moyen critique l'arrêt en ce qu'il a, relaxant M. O... du chef d'escroquerie, en conséquence, rejeté les demandes indemnitaires des parties civiles pour les dommages découlant de la commission de cette infraction, alors « que le texte d'incrimination du délit d'escroquerie n'exige pas, comme condition de son application, que la remise des choses qu'il énumère ait été faite entre les mains de l'auteur du délit ; qu'en l'espèce, en se fondant, par motifs propres et adoptés, sur la seule circonstance tirée de ce que M. P... n'avait pas effectué de remise de fonds, valeur ou bien à M. O... lui-même pour renvoyer ce dernier des fins de la poursuite pour escroquerie au préjudice de ce même M. M... P..., la cour d'appel a violé l'article 313-1 du code pénal. »

Réponse de la cour

Vu l'article 593 du code de procédure pénale :

21. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

22. Pour confirmer le jugement en ce qu'il a relaxé M. Y... O... du chef d'escroquerie, l'arrêt énonce, par motifs propres et adoptés, que la souscription par M. P... d'une assurance contractée à l'appui du prêt de 2009 destiné à financer des travaux et non à l'appui du prêt in fine de 2007 n'a pas amené M. P... à remettre des fonds à M. Y... O....

23. Les juges ajoutent que M. Y... O... a reconnu que le devis établi à l'appui de la demande de prêt était majoré car il y avait inclus sciemment des travaux déjà réalisés pour correspondre à la somme totale sollicitée de la banque et qu'il en était de même des factures établies pour obtenir le déblocage des fonds prêtés puisqu'elles devaient correspondre aux dits devis.

24. En prononçant ainsi sans rechercher, d'une part, si la souscription de cette police, comme indiqué dans la poursuite, a été consentie à la demande de M. Y... O..., gérant de la société SIT, par M. P..., au nom de la société Joya, tenu dans l'ignorance de ce qu'elle couvrait un nouvel emprunt contracté en 2009 destiné non pas à garantir un prêt antérieur mais à profiter en réalité à la société SIT en proie à de grandes difficultés financières, alors que les gérants de ladite société ne l'auraient jamais sollicité, d'autre part, si cette société n'a pas eu en conséquence à supporter indûment le coût de l'assurance, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.

25. La cassation est par conséquent encourue.

Sur le quatrième moyen de cassation proposé pour Mme T..., M. P... et la société Joya

Enoncé du moyen

26. Le moyen critique l'arrêt en ce qu'il a, relaxant M. R... O... des fins de la poursuite, en conséquence, rejeté les demandes indemnitaires des parties civiles pour les dommages découlant de la commission de l'infraction qui lui était reprochée, alors "qu'en relaxant M. R... O... des fins de la poursuite sans rechercher si, même s'ils ne correspondaient pas strictement aux termes de la prévention, les faits retenus à son encontre ne correspondaient à aucune infraction pénale, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision."

Réponse de la Cour

Vu les articles 388, 512 et préliminaire du code de procédure pénale et l'article 470 du même code : 27. Le juge correctionnel, qui n'est pas lié par la qualification donnée à la prévention, ne peut prononcer une décision de relaxe qu'autant qu'il a vérifié que les faits dont il est saisi ne sont constitutifs d'aucune infraction. Il a le droit et le devoir de leur restituer leur véritable qualification à la condition de n'y rien ajouter.

28. Pour infirmer le jugement en ce qu'il a retenu la culpabilité de M. R... O... du chef d'escroquerie, l'arrêt énonce notamment que les fonds prêtés suite à la convention du 16 septembre 2009 par la Société générale à la société Joya ont été versés sur le compte de cette dernière et affectés au règlement de travaux confiés à la SIT en vertu de factures présentées à la société Joya qui ne sont pas en tant que telles visées à la prévention et que le litige relève de la juridiction civile même s'il peut exister des surfacturations.

29. En prononçant ainsi, alors qu'il appartenait aux juges du second degré de soumettre aux débats notamment la qualification de faux et usage afin de mettre le prévenu en mesure de s'expliquer sur la requalification envisagée, plusieurs pièces étant visées comme fausses dans la prévention, et de rechercher si les devis, factures, ordres de virement et attestations de mise hors d'eau et hors d'air comportaient de fausses mentions à l'origine de préjudices pour les parties civiles, la cour d'appel a méconnu les textes et principes ci-dessus rappelés.

30. D'où il suit que la cassation est encourue.

31. Les dispositions de l'article 618-1 sont applicables en cas de rejet du pourvoi, qu'il soit total ou partiel. La culpabilité de M. Y... O... étant devenue définitive par suite du rejet de son pourvoi, il y a lieu de faire partiellement droit à la demande des parties civiles.

Portée et conséquences de la cassation

32. L'arrêt étant cassé en ses seules dispositions civiles, Il appartiendra à la cour d'appel de renvoi de rechercher l'existence de fautes civiles à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Sur le pourvoi de M. Y... O...

Le DÉCLARE NON ADMIS ;

Sur les pourvois de la société Joya, de Mme T... et de M. P...

CASSE et ANNULE, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Bastia, chambre correctionnelle, en date du 11 septembre 2019, mais en ses seules dispositions civiles, toutes autres dispositions étant expressément maintenues,

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

FIXE à 2 500 euros la somme que M. Y... O... devra payer à la société Joya, Mme T... et M. P... en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale.