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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 16, 9 février 2021, n° 20/05074

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

LKW International Transportorganisation AG (Sté)

Défendeur :

THL (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ancel

Conseillers :

Mme Schaller, Mme Aldebert

T. com. Paris, du 23 janv. 2020

23 janvier 2020

I - FAITS ET PROCEDURE

1. La société LKW WALTER (ci-après "la société LKW ") est un commissionnaire de transport autrichien qui organise des transports routiers de marchandises et des transports intermodaux ferroute en Europe et dans le monde.  

2. La société THL est une société française de transport routier de marchandises spécialisée dans le transport de produits frais.  

3. La société LKW a mis en place une ligne intermodale entre Milan et Paris sous forme de transport combiné rail-route. La majeure partie du trajet est exécutée par voie ferroviaire et le trajet entre le terminal ferroviaire et le destinataire final est exécuté par camion. Pour ce trajet, la société LKW a fait appel depuis novembre 2011 à la société THL à raison de quatre camions, dédiés à cette activité. Les conditions tarifaires des prestations étaient négociées annuellement entre les parties. Aucun contrat n'a été formalisé.  

4. A compter de mai 2016, et suite à une grève de la SNCF en mars 2016, la société LKW a décidé de réduire l'affrètement de camions de la société THL à deux au lieu de quatre.  

5. Par courrier du 29 novembre 2016, la société LKW a informé la société THL qu'elle n'allait plus occuper que 2 véhicules jusqu'à fin février 2017, puis par courrier du 23 décembre 2016, elle lui a notifié qu'elle n'utiliserait plus qu'un camion en mars 2017 et que leur collaboration cesserait complètement à compter du 31 mars 2017.  

6. Par courrier du 26 décembre 2016, la société THL a indiqué à la société LKW qu'elle aurait dû bénéficier d'un préavis de trois mois pour l'arrêt des deux premiers camions et a mis en demeure la société LKW de l'indemniser à hauteur de trois mois de chiffre d'affaires par camion.  

7. Le 4 avril 2017, la société THL a assigne la société LKW devant le tribunal de commerce de Paris pour rupture brutale des relations commerciales établies.  

8. Par jugement en date du 23 janvier 2020, le tribunal de commerce de Pans a :  

- Condamne la société LKW à payer à la société THL la somme de 51.615 euros en principal, outre les intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 26 décembre 2016 au titre du délai de préavis non respecté ;  

- Condamne la société LKW à payer à la société THL la somme de 1.500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens ;  

- Déboute les parties en leurs demandes plus amples, autres ou contraires au dispositif du présent jugement ;  

- Ordonne l'exécution provisoire.  

9. Le 11 mars 2020, la société LKW a interjeté appel de ce jugement et la clôture a été ordonnée le 8 décembre 2020.  

II - PRETENTIONS DES PARTIES  

10. Aux termes de ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 2 décembre 2020, la société LKW WALTER demande à la Cour de bien vouloir :  

- Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 23 janvier 2020 en toutes ses dispositions,  

Statuant à nouveau :  

A titre principal,  

- Débouter la société THL de ses demandes visant la société LKW WALTER INTERNATIONALE TRANSPORTORGANISATION AG.  

A titre subsidiaire,  

- Pour le cas ou par impossible ces demandes seraient accueillies, réduire les prétentions indemnitaires de la société THL a de plus justes proportions avec un maximum de 3 1.500 euros HT. En toute hypothèse,  

- Condamner la société THL à payer à la société LKW WALTER INTERNATIONALE TRANSPORTORGANISATION AG une somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux entiers dépens d'instance.  

11. Aux termes de ses conclusions communiquées par voie électronique le 7 décembre 2020, la société THL demande à la Cour de bien vouloir :  

- Confirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Pans du 23 janvier 2020 et y ajoutant :  

- Condamner la société LKW à verser à la société THL la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.  

-Condamner la société LKW aux entiers dépens de l'instance.  

III - MOTIFS DE LA DECISION  

12. La société LKW conteste toute rupture brutale au motif de la force majeure. Elle fait valoir que la grève de la SNCF au printemps 2016 a fortement impacté la liaison intermodale MILAN-PARIS -MILAN sur laquelle la société THL intervenait, entraînant une baisse sensible du trafic de 29 % en moyenne sur l'année 2016, qui était imprévisible dans son ampleur et insurmontable dans ses effets pour la société LKW, ce qui caractérise selon elle un événement de force majeure. Elle souligne que si une grève interne peut constituer un cas de force majeure, une grève externe, comme celle de la SNCF le peut d'autant plus.  

13. Elle souligne le caractère par nature fluctuant des volumes et du chiffre d'affaires résultant de sa relation avec la société THL dont elle reconnaît qu'elle existe depuis 2011 . Elle invoque l'instabilité inhérente au transport et rappelle sa dépendance aux services SNCF.  

14. Concernant la grève de la SNCF au printemps 2016, la société LKW indique que cela a engendré la suppression de trains de fret et donc une réduction du volume des commandes et soutient qu'au cours d'une réunion qui s'est déroulée le 30 mai 2016, les parties ont décidé de diminuer le nombre de camions à deux à compter de juin 2016.  

15. La société LKW indique qu'elle a proposé la reprise du trafic avec quatre camions à la fin de la grève, mais que la société THL ayant licencié deux de ses chauffeurs, il a été convenu de poursuivre les relations sur la base de deux camions.  

16. A titre subsidiaire, elle invoque la contrainte économique lui rendant la rupture non-imputable, et en toute hypothèse, elle invoque la théorie de l'imprévision et l'obligation de renégocier le contrat de bonne foi, notamment en cas de changement de circonstances, ce qui a été fait, les parties étant convenues de réduire leurs relations à deux camions en raison de la baisse du volume du fret, imputable à un événement externe.  

17. En réponse, la société THL soutient que la grève ne concerne pas le personnel de la société LKW, qu'elle ne peut constituer un cas de force majeure dès lors que les circonstances ne sont pas imprévisibles ; qu'elles sont inhérentes à l'exercice normal de l'activité de la société LKW, compte tenu de sa dépendance à l'égard de la SNCF ; que la négociation des tarifs et la durée des engagements prennent en compte cet élément, que les baisses constantes des volumes, la chute du carnet de commandes ou la fermeture d'un site résultant d'une grève ne sont pas considérés comme relevant de la force majeure et ne dispensent donc pas l'auteur de la rupture d'accorder un préavis. De plus, elle indique qu'il n'y avait pas de grèves pendant la période de novembre 2016 à mars 2017. Elle ajoute que LKW n'apporte aucune pièce comptable pour justifier la baisse d'activité et que les factures de la société Cemat qu'elle verse aux débats démontrent au contraire la poursuite de l'activité pendant l'année 2016 en passant par d'autres sociétés de transport intermodal, telles que la société Cemat. Elle en conclut que la réduction du nombre de véhicules commandés est exclusivement due à la société LKW. Elle indique en outre que l'exécution du contrat n'était pas rendue impossible par de simples contraintes financières. 18. Concernant l'imprévision, la société THL conteste tout accord et soutient que la société LKW n'a même pas respecté la renégociation des volumes et qu'elle ne formule aucune demande subsidiaire sur le fondement de l'article 1195 du code civil.  

Sur ce,  

19. L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, dans sa version applicable aux faits de l'espèce, dispose qu'"engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, (...) 5° de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. (...) Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. (...)".  

20. L'existence d'une relation commerciale établie depuis 2011 entre la société LKW et la société THL n'est pas contestée en l'espèce, nonobstant l'absence de contrat écrit.  

21. La société LKW ne conteste pas non plus avoir réduit à deux le nombre de camions à partir du mois de juin 2016 et ce sans préavis, mais elle conteste l'obligation de respecter un préavis compte tenu de la situation de force majeure dans laquelle elle s'est trouvée en raison de la grève de la SNCF en mars 2016 qui s'est prolongée, et elle soutient subsidiairement que cette réduction a fait l'objet d'un commun accord des parties.  

22. S’agissant de la force majeure, qui permet selon l'article L. 442-6, I, 5° rappelé ci-dessus d'exonérer l'auteur de la rupture des relations commerciale de la notification de tout préavis, celle-ci doit, pour être établie, répondre aux critères retenus par la jurisprudence antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 qui a introduit la définition de la force majeure dans le nouvel article 1218 du code civil, mais qui n'est entré en vigueur que le 1er octobre 2016, postérieurement à la rupture partielle du mois de mai 2016.  

23. Ainsi, seul un événement présentant un caractère imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible dans son exécution est constitutif d'un cas de force majeure. Il doit donc s'apprécier en la cause en 2011, puis lors de la renégociation des tarifs, compte tenu de l'absence de contrat écrit et de la renégociation annuelle des prix et de l'ajustement des tarifs aux spécificités du marché.  

24. En l'espèce, la société LKW ne conteste pas sa dépendance à la SNCF, inhérente à son activité, et il est établi par les pièces versées aux débats que la société LKW prenait en compte cette dépendance et en a même fait un élément de négociation des tarifs, après les grèves de 2010 et 2013, refusant notamment de s'engager sur une période de plus de 21 jours de prestations par mois, et n'acceptant de dédommager son transporteur à hauteur d'une somme forfaitaire de 250 HT, en cas d'annulation, que si celle-ci était décidée moins de 24h avant.  

25. Par ailleurs, il est établi que pendant les grèves de 2016, la société LKW a fait appel à un autre transporteur ferroviaire, la société Cemat SpA, transporteur italien qui faisait également la liaison Milan-Paris, ce qui lui a permis de maintenir son activité et de ne pas subir une trop forte perte de chiffre d'affaires sur la période de grève et sur l'année 2016.  

26. Or, comme relevé ci-dessus, la force majeure en matière contractuelle suppose que l'événement échappe au contrôle du débiteur d'une obligation et ne puisse raisonnablement être prévu lors de la conclusion du contrat, ses effets ne pouvant être évités par des mesures appropriées, ce qui, pour ces deux dernières conditions, n'est pas établi en l'espèce, au vu des pièces versées aux débats et des motifs énoncés ci-dessus, quand bien même la grève était extérieure à la société LKW.  

27. C'est dès lors à juste titre que les premiers juges n'ont pas retenu la force majeure, les critères de celle-ci n'étant pas établis en l'espèce.  

28. C'est également à juste titre que les premiers juges ont écarté l'existence d'un accord des parties, celui-ci n'étant établi par aucun des échanges de correspondances entre les parties, ni aucune des pièces versées aux débats, la société THL ayant simplement pris acte de la suppression de l'affrètement pour deux de ses camions à partir du 1er juin 2016 et décidé de licencier deux de ses chauffeurs, ne pouvant les mettre en chômage technique en l'absence de prévisibilité de reprise des commandes, cette décision de réduction émanant unilatéralement de la société LKW.  

29. Il importe peu que la société LKW ait envisagé la remise en route des deux camions ultérieurement, ce que la société THL au demeurant conteste, dès lors que la rupture doit être appréciée à la date à laquelle elle est intervenue, à savoir fin mai 2016. Or, à cette date, la suppression des deux camions avait été décidée à effet immédiat, sans accord de la part de la société THL.  

30. Le fait enfin que la société LKW ait entériné par un courrier du 29 novembre 2016 la cessation de l'affrètement des deux camions et indiqué qu'elle cessera toute relation fin mars 2017, ce qui constitue certes un préavis, mais seulement pour les deux camions restant, ne permet pas de valider a posteriori l'absence de préavis qui aurait dû être notifié avant la rupture partielle de mai 2016 pour les deux premiers camions, ce d'autant qu'aucune indemnisation n'a été proposée pour la période écoulée entre fin mai et fin novembre 2016.  

31. La société LKW ne saurait pas plus se prévaloir de la théorie dite "de l'imprévision", que ce soit au visa de l'article 1134 du code civil, applicable à l'époque des faits, ou au regard de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 qui a introduit un nouvel article 1195 dans le code civil à effet au 1er octobre 2016.  

32. En effet, il n'est pas établi d’une part, que des changements de circonstances imprévisibles soient survenus, la dépendance de la société LKW à la SNCF étant inhérente à son activité et les grèves de 2013 puis de 2016 ayant été prises en compte pour limiter l'engagement de la société LKW à un maximum de commandes de 21 jours par mois, et d'autre part que le changement de circonstances, à le supposer établi, impose à la société THL d'accepter une réduction de moitié de son activité, alors que la société LKW n'a proposé aucune renégociation des conditions pour prendre en compte ces changements. Il n'est dès lors établi aucune mauvaise foi de la part de la société THL, ni aucun refus de renégocier.  

33. Il y a lieu par conséquent de dire n'y avoir lieu de retenir l'imprévision et de confirmer la décision des premiers juges sur la rupture brutale des relations commerciales établies.

Sur le préjudice invoqué par la société THL  

34. La société LKW fait valoir à titre subsidiaire que la société THL ne justifie pas de la réalité du préjudice dont elle fait état et doit être déboutée de ses demandes indemnitaires formées à ce titre. Elle soutient que la marge brute invoquée par la société THL ne tient compte ni des frais d'entretien économisés, ni des pneumatiques et autres frais variables économisés. La marge telle qu'appliquée ne reflète pas non plus le fait que les chauffeurs de la société THL affectés au trafic impacte du fait de la grève de la SCNF avaient été mis au chômage technique. De plus, elle souligne que la société THL n'a pas non plus justifié le fait que les camions dédiés au trafic "LKW" qui n'ont pu être occupés du fait de la grève SNCF n'ont pu être utilisés pour d'autres marchés/ activités de substitution.  

35. Subsidiairement, elle sollicite la réduction de sa condamnation à un montant maximum de 31.500 euros HT correspondant au forfait de mise à disposition de 250 euros HT (forfait appliqué par la société THL lorsqu'une commande a été annulée) multiplié par le nombre de jours de trafic exigé, soit 21 jours.  

36. En réponse, la société THL fait valoir que sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce et de l'article 12.2. du contrat type du 26 décembre 2003 applicable en matière de sous-traitance de transports routiers, elle aurait dû bénéficier d'un préavis de trois mois et de ce fait est en droit d'obtenir le paiement des trois mois de perte de marge brute pour chacun des deux camions arrêtés. Elle conteste par ailleurs avoir mis au chômage technique deux chauffeurs. Elle souligne de plus que le taux de marge dont elle se prévaut a été attesté par un expert-comptable et est largement confirmé par les études sectorielles des centres agrée de gestion. Elle ajoute que le taux de marge brute retenu en première instance s'explique en raison du fait que le chiffre d'affaires d'une entreprise de transport routier de marchandises est quasiment entièrement absorbé par ses coûts fixes. Elle demande le rejet de la réduction du montant de son indemnisation à la somme de 31.500 euros.  

Sur ce,  

37. C'est à juste titre, et par des motifs que la cour adopte, que les premiers juges ont retenu une durée de préavis d'une durée de trois mois, conforme aux usages, compte tenu de la durée de la relation commerciale établie de plus de cinq ans.  

38. C'est également à juste titre que les premiers juges ont pris en compte la marge brute perdue par camion sur la base d'un taux de marge brute avoisinant le taux de 90 % dûment justifié par les pièces produites, en déduisant du chiffre d'affaires les coûts variables, sans déduire les frais fixes, et en se fondant sur la moyenne mensuelle du chiffre d'affaires réalisé par camion, qu'ils ont justement évaluée à 11.000 euros, au vu des pièces versées aux débats. De même, les éléments comptables pertinents et précis versés aux débats permettent de retenir la marge brute évaluée à juste titre par les premiers juges à la somme mensuelle de 8.602,50 euros par camion.  

39. Il y a lieu par conséquent de confirmer l'indemnisation à hauteur de 51 615 euros correspondant à 3 fois 2 fois 8 602,50 euros.  

40. La société LKW qui succombe sera condamnée aux entiers dépens d'instance et d'appel.  

41. Enfin la société THL a dû engager des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge.  

42. Il y a lieu en conséquence de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile dans la mesure qui sera précisée au dispositif du présent arrêt.  

IV - PAR CES MOTIFS

1. Confirme la décision du tribunal de commerce de Paris du 23 janvier 2020 dans toutes ses dispositions  

2. Condamne la société LKW à payer à la société THL la somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile  

3. La condamne aux entiers dépens.