CA Aix-en-Provence, 4e ch. C, 20 janvier 2011, n° 09/05136
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
PARTIES
Défendeur :
Eden Shoes (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Isouard
Conseiller :
M. Nedelec
Avocats :
SCP Latil, Penarroya, Latil et Alligier, Me Ristaino, Me Jauffres, Me Culioli
EXPOSÉ DU LITIGE :
Madame C. est propriétaire du local situé .... Elle l'a donné en location commerciale le 30 octobre 1986 pour une période de neuf ans débutant le 1er octobre 1986 pour se terminer le 30 septembre 1995. À partir de cette date, le bail s'est poursuivi par tacite reconduction et le 16 janvier 2001, le preneur, alors la société Myrys, a demandé le renouvellement de son bail lequel est intervenu le 16 avril 2001, le bailleur n'ayant pas répondu à cette demande dans le délai de trois mois prévu par l'article L. 145-10 du Code de commerce.
Suite à diverses cessions du fonds de commerce, le bail a été cédé le 31 juillet 2003 à la société Laurent Beaugrenelle dénommée actuellement la société Eden Shoes.
Par mémoire reçu par le locataire le 2 avril 2002, Madame C. a demandé la fixation du nouveau loyer à la somme de 139 000 euros portée ensuite à celle de 159 319 euros le 3 mars 2004, lors de l'assignation en fixation du loyer.
Par jugement du 17 février 2009, le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Grasse, après expertise exécutée par Monsieur G., a fixé le montant du loyer renouvelé le 16 avril 2001 à la somme de 81 826 euros hors charges et hors taxes et a précisé que ce nouveau loyer était dû par la société Eden Shoes à compter du 1er août 2003 avec intérêts au taux légal à compter de la même date pour chaque échéance. Il a entériné le rapport d'expertise qui avait retenu une surface pondérée de 100,74 mètres carrés, une valeur au mètre carré d'après les éléments de comparaison de 950 euros, un coefficient de 0,95 en raison de la destination des lieux, de la consistance et de l'équipement des locaux et un abattement de 10 % pour transfert des charges.
Le 16 mars 2009, Madame C. a interjeté appel de cette décision. Elle sollicite sa réformation et la fixation du loyer aux sommes annuelles de 139 000 euros à compter du 26 mars 2002 (date de son mémoire en fixation du loyer), de 159 319 euros à compter du 3 mars 2004 (date de la saisine du juge des loyers commerciaux), et de 280 000 euros à compter du 17 juin 2008 (date de son mémoire après expertise), la condamnation de la société Eden Shoes à lui payer l'intérêt au taux légal sur la partie impayée des échéances et une indemnité de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile. Subsidiairement, si la méthode de décapitalisation n'était pas retenue, elle souhaite la fixation du loyer à la somme annuelle de 196 339 euros.
Pour cela, elle invoque une superficie pondérée de 143,05 mètres carrés, la décapitalisation des loyers de référence, un loyer de référence de 1 958 euros le mètre carré et l'absence de tout abattement.
Formant appel incident, la société Eden Shoes conclut à la fixation du loyer à la somme annuelle de 25 400 euros, à l'exigibilité de ce loyer à son égard qu'à compter du 1er août 2003 (et non pas 1er mars comme indiqué manifestement par erreur dans le dispositif de ses conclusions), à la fixation du cours des intérêts légaux à la date de cet arrêt et à la condamnation de son bailleur à lui payer la somme de 5 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle retient une superficie pondérée de 70,58 mètres carrés, un prix de référence de 450 euros le mètre carré et l'application d'un coefficient de 0,8 pour les différentes obligations mises à sa charge par le bail.
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MOTIFS DE LA DÉCISION :
L'article L. 145-33 du Code de commerce énonce :
Le montant des loyers des baux à renouveler ou révisés doit correspondre à la valeur locative.
À défaut d'accord, cette valeur locative est déterminée d'après :
1°) Les caractéristiques du local considéré ;
2°) la destination des lieux ;
3°) Les obligations respectives des parties ;
4°) Les facteurs locaux de commercialité ;
5°) Les prix couramment pratiqués dans le voisinage.
Les parties s'accordent que le bail à renouveler ayant eu, par l'effet de la tacite reconduction, une durée supérieure à douze ans, la règle du déplafonnement ne s'applique pas, conformément à l'article L. 145-34 du Code de commerce.
Le local se situe au rez-de- chaussée d'un immeuble ancien avec une cave accessible tant du local que des parties communes de l'immeuble. Sa destination est vente d habillement, chaussures et maroquinerie pour hommes et femmes'. La société Eden Shoes y exploite un commerce de chaussures pour femmes.
Les parties différent sur la surface pondérée, sur les conséquences des obligations respectives des parties et sur les éléments de référence pour le calcul des prix couramment pratiqués dans le voisinage.
Sur la surface pondérée :
L'expert G. fixe la surface pondérée à 100,74 mètres carrés en se référant aux éléments suivants :
- surface utile du magasin (50,72 m² × 1)............................................................. : 50,72 m²,
- coin bureau (3,57 m² × 0,4) ............................................................................... : 1,42 m²,
- WC (1,95 m² × 0,3) ........................................................................................... : 0,58 m²,
- dégagement à usage de réserve (14,80 m² × 0,4) .............................................. : 5,92 m²,
- accès sous-sol (4,56 m² × 0,2).............................................................................: 0,91m²,
- petite réserve derrière la porte (5,98 m² × 0,3)................................................... : 1,79 m²,
- premier volume de réserve (68,13 m² × 0,4) ...................................................... : 27,25 m²,
- second volume de réserve (30,40 m² × 0,4) ....................................................... : 12,16 m².
Madame C. conteste tout d'abord la surface brute et la hauteur sous plafond du sous-sol que l'expert a retenu comme variant entre 1,93 mètres et 2,31 mètres. Pour cela elle invoque un plan dressé selon elle par un géomètre-expert. Mais rien n'atteste que le plan qu'elle verse aux débats et qu'elle avait annoncé à l'expert sans cependant le produire, ait été établi par un géomètre-expert ; en effet aucune des indications figurant sur ce plan ne permet d'en connaître son auteur et notamment aucun tampon d'un géomètre-expert n'y a été apposé. Il convient donc de retenir la description des lieux faites par l'expert qui a procédé à leur mesurage à l'aide d'un télémètre laser.
Madame C. reproche aussi à l'expert et au premier juge qui a retenu son rapport, d'avoir considéré comme réserve la partie de 14,80 mètres carrés alors que cet usage résulte d'un choix de l'exploitant qui pouvait l'utiliser comme surface de vente. Mais cette partie se trouve en fond du magasin et en retrait par rapport à la partie principale et jouxte la partie bureau et l'escalier d'accès au sous-sol. Quel que soit son usage, elle offre une commercialité nettement moindre que le reste du local et c'est très exactement qu'un coefficient de 0,4 lui a été appliqué.
Elle se plaint aussi des coefficients retenus pour le sous-sol aménageable selon elle en surface de vente et souhaite l'application de coefficients plus élevés (0,7 pour les deux principales réserves). Mais l'expert relève dans son rapport l'absence d'ouverture du sous-sol et la faible hauteur sous plafond et estime que seul un usage de réserve peut convenir. Compte tenu de son état, l'utilisation comme surface de vente nécessiterait des travaux importants qui auraient pour conséquence par la nécessité de mettre en place un faux plafond de réduire la hauteur ; son accès ne pourrait se faire que par la pièce en retrait située au fond de magasin. Ainsi son attrait commercial serait réduit et les coefficients retenus par l'expert (0,4 pour les deux principales réserves) apparaissent adéquats.
La société Eden Shoes conteste l'absence de pondération de la surface du magasin. Elle fait valoir que ce magasin est étroit (3,47 m) de façade et tout en profondeur. Elle admet l'absence de pondération pour la première partie de cinq mètres de profondeur, mais réclame un coefficient de 0,8 pour les cinq mètres suivants et de 0,6 pour le reste.
Cela correspond aux usages habituellement retenus pour le calcul de la surface pondérée et pour les écarter l'expert retient que la partie magasin constitue une zone commerciale d'un seul tenant où la clientèle déambule, les chaussures étant mises en valeur partout. Mais d'une part l'appréciation de la superficie ne doit pas s'opérer d'après les aménagements particuliers effectués par le commerçant qui essaye de remédier aux inconvénients de son local et d'autre part l'attrait des produits présentés en fin de magasin est moins fort que de ceux exposés dans les zones plus proches de la rue.
Ainsi les coefficients habituellement appliqués doivent être retenus. La surface pondérée du magasin doit être fixée à :
- zone 1 (sur les premiers 5 m, 17,35 m² × 1)................................................ : 17,35 m²,
- zone 2 (les 5 m suivant, 17,35 m² × 0,8)...................................................... : 13,88 m²,
- zone 3 (le surplus 16,02 m² × 0,6).............................................................. : 9,61 m².
Surface pondérée du magasin ........................................................................ : 40,84 m².
La société Eden Shoes souhaite également l'application d'un coefficient de 0,2 au sous -sol. Mais comme il a déjà été indiqué, le coefficient de 0,4 retenu par l'expert doit y être appliqué.
Ainsi la surface pondérée du local est de :
- surface pondérée du magasin............................................................................. : 40,84 m²,
- coin bureau (3,57 m² × 0,4) ............................................................................... : 1,42 m²,
- WC (1,95 m² × 0,3) ........................................................................................... : 0,58 m²,
- dégagement à usage de réserve (14,80 m² × 0,4) .............................................. : 5,92 m²,
- accès sous-sol (4,56 m² × 0,2).............................................................................: 0,91m²,
- petite réserve derrière la porte (5,98 m² × 0,3)................................................... : 1,79 m²,
- premier volume de réserve (68,13 m² × 0,4) ...................................................... : 27,25 m²,
- second volume de réserve (30,40 m² × 0,4) ....................................................... : 12,16 m².
Total ..................................................................................................................... : 90,87 m².
Sur les éléments de référence pour le calcul du loyer :
Les éléments de référence pour le calcul du loyer sont les prix couramment pratiqués dans le voisinage selon l'article L. 145-33 du Code de commerce. L'article R. 145-7 du même code précise que ces prix doivent concerner les locaux équivalents et qu'à défaut ils peuvent être corrigés en considération des différences constatées entre le local loué et les locaux de référence'. L'article R. 145-8 dispose qu' il est aussi tenu compte des modalités selon lesquelles le prix antérieurement applicable a été originairement fixé'.
Madame C. invoque la décapitalisation du loyer en intégrant dans la valeur locative la valeur du droit au bail divisée par un coefficient pour aboutir à un chiffre qui s'ajoute au loyer réellement payé. Elle soutient que cela permet d'évaluer à son exacte valeur le prix de location de son local.
Mais la valeur du droit au bail constitue un élément du fonds de commerce et ne correspond pas à une somme que perçoit le bailleur. Elle ne peut être transformée en loyer et intégrée d'une manière artificielle aux loyers payés couramment pratiqués dans le voisinage auxquels le juge doit se référer pour le calcul du loyer renouvelé.
Ainsi cette méthode ne peut être retenue.
Madame C. procède aussi par rétrocession du loyer, c'est-à-dire part de loyers renouvelés postérieurement au sien et le recalcule en appliquant la variation des indices. Si cette méthode n'est pas à proscrire absolument, elle présente l'inconvénient de prendre en considération de nouveaux loyers qui ont pu être déterminés en considération d'une situation économique qui n'était pas celle existante lors du renouvellement ; elle doit être appliquée avec prudence et utilisée seulement lorsque les éléments de comparaison existant lors du renouvellement s'avèrent insuffisants pour constituer une référence valable.
Or en l'espèce l'expert a retenu seize éléments de comparaison, nombre suffisant pour déterminer le loyer. La méthode de rétrocession doit être écartée.
L'expert ventile ces seize références en cinq groupes selon le montant du loyer et écarte les loyers du premier groupe (le moins élevé qui comprend le 6, rue Félix Faure dont Madame C. prétend qu'il ne constitue pas un élément pertinent) et celui du cinquième groupe (le plus important) pour ne retenir que les onze loyers des trois groupes intermédiaires et aboutit à une moyenne de 920,68 euros. Après recoupement avec d'autres méthodes qui déterminaient une valeur locative comprise entre 940 euros et 973 euros le mètre carré, il propose une valeur de 950 euros le mètre carré.
Madame C. émet aussi des critiques sur le calcul du mètre carré des éléments de référence proposés par l'expert contestant essentiellement la superficie pondérée de certains locaux de référence et avançant une superficie moindre, ce qui a pour effet d'augmenter le prix au mètre carré. Mais elle n'a pas soumis cette contestation à l'expert et ne produit pas de données établissant l'erreur de celui-ci dans les surfaces retenues. Son objection doit être écartée.
La société Eden Shoes conteste également les références choisies par l'expert. Elle expose que son commerce se situe dans la partie la moins attrayante de la rue d'Antibes et que les loyers de référence doivent être choisis dans cette partie.
Elle n'a pas estimé utile de soumettre la pertinence de ce moyen à l'expert. Ce dernier cependant note dans son rapport l'extrême hétérogénéité des loyers de la rue d'Antibes avec un écart de 1 à 13 dont l'explication n'apparaît pas reposer sur la seule consistance des locaux ou la qualité de l'emplacement ; il précise que la rue d'Antibes est une rue commerçante dans son intégralité ; il ajoute que les locaux se situent dans une des zones commerciales les plus prisées de la commune de Cannes et dans un secteur fort attractif avec à proximité plusieurs enseignes prestigieuses.
Ainsi le preneur n'établit pas le défaut de pertinence des certains des éléments de référence retenus par l'expert.
En conséquence la valeur de 950 euros le mètre carré doit être retenue.
Sur les caractéristiques du local :
L'expert a appliqué un coefficient de 0,95 sur cette valeur de 950 euros au motif que les locaux étaient plus profonds que larges, que les réserves disposaient d'une hauteur sous plafond insuffisante et que les équipements étaient usuels et communs.
La moins-value résultant de la configuration des lieux a déjà été prise en compte lors du calcul de la surface pondérée où un abattement a été pratiqué en raison de l'éloignement d'une partie de la surface de vente de la rue.
La hauteur du sous-sol d'environ deux mètres a justifié le coefficient de 0,4 qui lui a été appliqué et apparaît normale pour un usage de réserve.
Des équipements qualifiés d'usuels et de communs par l'expert sans plus de précision correspondent à un usage courant et ne justifient aucun abattement.
Les caractéristiques du local ne justifient aucun abattement.
Sur les obligations respectives des parties :
Le bail met à la charge du preneur toutes les réparations même celles de l'article 606 du Code civil, l'impôt foncier et l'assurance de l'immeuble.
S'agissant de charges qui incombent habituellement au preneur l'expert a retenu un abattement de 10 % sur le loyer alors que la société Eden Shoes souhaite 20 % et Madame C. ne procède à aucune réduction.
Elle fait valoir que jusqu'à ce jour, le preneur n'a pas eu à supporter de grosses réparations et que l'éventuel montant de celles-ci se limiteront à sa part dans l'immeuble.
Mais cela n'empêche pas que la clause de grosses réparations qui a vocation à jouer dans un avenir plus ou moins lointain même si l'immeuble ancien présente un état correct de conservation foncière, constitue une charge supplémentaire pour le preneur et un avantage pour le bailleur.
Ajoutée à la charge de l'impôt foncier et à celle de l'assurance, elle justifie l'abattement de 10 % proposé par l'expert et retenu par le premier juge.
Sur le montant du loyer :
Le loyer du bail renouvelé doit être fixé à la somme de 77 693,85 euros (950 € × 90,87 m² - 10 %).
Ce loyer prend effet en principe à compter du 2 avril 2002, date de la notification par Madame C. de son mémoire au preneur mais à l'égard de la société Eden Shoes, locataire que depuis le 1er août 2003 qu'à compter de cette dernière date.
Si ce loyer n'est fixé que par cet arrêt, il est dû par la société Eden Shoes depuis le 1er août 2003 et cette dernière société doit être condamnée à payer l'intérêt au taux légal sur la différence entre l'échéance due et celle réglée à partir de chacune des échéances.
Les prétentions des parties n'étant que partiellement fondées, il convient de rejeter leurs demandes au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et de partager les dépens par moitié.
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PAR CES MOTIFS :
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort ;
Vu le jugement du 17 février 2009 du juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Grasse ;
Statuant à nouveau :
Fixe à compter du 2 avril 2002 le loyer du bail renouvelé le 16 avril 2001 à la somme de 77 693,85 euros hors charges et hors taxes ;
Précise que la société Eden Shoes n'est débitrice de ce loyer qu'à compter du 1er août 2003 ;
Condamne la société Eden Shoes à payer à Madame C. l'intérêt au taux légal sur la différence entre le loyer exigible et le loyer payé à compter de chacune des échéances dues ;
Rejette les demandes au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Fait masse des dépens, dit qu'ils seront supportés par moitié par chacune des parties et admet les avoués au bénéfice de l'article 699 du Code de procédure civile.