Livv
Décisions

CA Amiens, ch. économique, 14 novembre 2019, n° 18/04026

AMIENS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Uni'Agrid (SARL)

Défendeur :

L'EARL E. (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Grandjean

Conseillers :

Mme Paulmier-Cayol, Mme Leroy-Richard

TGI Amiens, du 21 sept. 2018

21 septembre 2018

L'EARL E. est une société d'exploitation agricole dont le capital social est réparti entre Mme Alice D. et son frère M. Bernard D.. Cette société est devenue propriétaire en vertu d'une vente passée par acte du 29 avril 2003 d'un corps de ferme sis [...].

La société Uni'agrid constituée sous forme de SARL a pour activité la réalisation de travaux agricoles, le transport public routier de marchandises et la location de véhicules industriels ; cette société a été créée et est dirigée par M. Philippe I. ex-époux de Mme Alice D. ; le capital social de cette société est réparti entre cinq associés, outre M. Philippe I., son ex-épouse Mme Alice D. qui fut également salariée de la société, ainsi que MM. Jean-François I., Jean-Charles et Bernard D. frères respectifs des ex-époux. La société Uni'agrid a installé son activité au sein du corps de ferme appartenant à l'EARL E..

Les relations entre les deux sociétés se sont dégradées dans le courant de l'année 2007 du fait de la mésentente des époux I./D. dont le divorce a été prononcé le 22 mars 2010.

L'EARL E. a été dissoute en mars 2008 et Mme Alice D. a été nommée liquidateur amiable. Cette dernière a en outre démissionné de ses fonctions de salariée de la société Uni'agrid.

Mme Alice D., à titre personnel et de liquidateur amiable de l'EARL E. a assigné par acte d'huissier du 24 novembre 2016 la SARL Uni'agrid aux fins d'expulsion du corps de ferme reprochant à cette dernière société d'être occupante des lieux sans droit ni titre.

Par un jugement du 21 septembre 2018, le tribunal de grande instance d'Amiens :

- a déclaré irrecevable comme prescrite la demande reconventionnelle de la société Uni'agrid tendant à voir reconnaître l'existence d'un bail commercial,

- a dit que la société Uni'agrid est occupante sans droit ni titre du corps de ferme et des terrains appartenant à l'EARL E., sis à [...], cadastrée section AD n° 191 et 280 et section ZK n° 95,

- a ordonné son expulsion et celle de tous occupants de son chef, des biens, matériels et engins entreposés de toute nature aux besoins avec le concours de la force publique,

- a dit que la société Uni'agrid disposera pour vider les lieux d'un délai de quatre mois qui commencera à courir à compter du jour de la signification de la présente décision,

- et passé ce délai de quatre mois, a ordonné une astreinte provisoire de 500 € par jour de retard pendant 90 jours,

- s'est réservé la liquidation de l'astreinte,

- a dit que l'expulsion sera suivie par un constat d'état des lieux contradictoire réalisé par un huissier, dont le coût sera supporté par la société Uni'agrid,

- déclaré prescrite la demande d'indemnité d'occupation pour la période antérieure au 24 novembre 2011, l'a déclarée recevable pour le surplus,

- a condamné la société Uni'agrid à payer à l'EARL E. une indemnité d'occupation d'un montant de 107 900 € augmentée des intérêts au taux légal à compter du jour du jugement, outre une indemnité d'occupation de 1 300 € par mois à compter du jour du jugement ,

- a débouté l'EARL E. de ses autres demandes de dommages et intérêts,

- a débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- a condamné la société Uni'agrid à payer à l'EARL E. la somme de 2 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens avec application de l'article 699 du même code.

- a ordonné l'exécution provisoire à l'exception de la mesure concernant l'expulsion.

La société Uni'agrid a relevé appel de cette décision par déclaration du 5 novembre 2018.

Par une ordonnance présidentielle du 14 mars 2019, l'exécution provisoire attachée au jugement a été suspendue.

Aux termes de ses dernières conclusions remises le 28 juin 2019, l'appelante demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et statuant à nouveau :

- de débouter l'EARL E. de l'ensemble de ses demandes,

- à titre principal, de constater qu'elle est titulaire d'un bail commercial ayant commencé à courir le 1er janvier 2002,

- à titre subsidiaire, de constater qu'elle est titulaire d'un contrat de louage ayant commencé à courir le 1er janvier 2002,

- de dire que le loyer contractuel est arrêté à la somme annuelle de 9 678,03 € TTC,

- de fixer le total des arriérés de loyers dus au 31 janvier 2019 à la somme de 37 614,30 € TTC,

- de dire que cette somme sera réglée en 24 mensualités d'un montant de 1 567,26 € TTC chacune à compter du 1er jour du mois suivant la signification à partie de la décision à intervenir,

- de condamner l'EARL E. à lui payer la somme de 20 000 € à titre de dommages et intérêts pour abus de procédure, ainsi que 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens dont distraction au profit de maître P. en application de l'article 699 du même code,

- à titre infiniment subsidiaire, de fixer un délai de 36 mois pour son départ des lieux.

L'appelante rappelle le contexte particulièrement conflictuel du litige opposant les deux ex-époux I./D. ainsi que les multiples procédures judiciaires les ayant opposés ou toujours en cours.

L'appelante soutient que sa demande de constatation de l'existence d'un bail verbal est recevable et n'est pas soumise à la règle de la prescription biennale de l'article L. 145-60 au motif qu'elle est formulée par voie d'exception et qu'elle présente donc un caractère perpétuel.

Elle fait valoir que l'existence du bail commercial dont elle se prévaut découle de la mise à disposition continue de l'intégralité des locaux du corps de ferme appartenant à l'EARL E. et dans lequel elle exploite un fonds commercial. Elle ajoute que cette mise à disposition s'est faite à titre onéreux, ayant payé pendant plusieurs années consécutives un loyer.

Elle rappelle que la validité du bail commercial n'est subordonnée à aucune condition de forme particulière et que le statut des baux commerciaux est d'ordre public.

L'appelante souligne que Mme D. en qualité de gérante l'EARL E., propriétaire des locaux dès 2003, a émis des factures et a sollicité le règlement des loyers jusqu'à son divorce et que les loyers ont été payés directement ou par compensation avec les prestations de travaux agricoles qu'elle effectuait pour le compte de l'EARL. Elle conteste que le bail aurait pris fin à la suite du divorce des époux.

A titre subsidiaire, elle soutient qu'il existe entre les deux sociétés en cause un contrat de louage de droit commun au sens des articles 1709 et suivants du code civil. Elle fait valoir que ce dernier se prouve par tous moyens. Elle note que les parties se sont entendues tant sur la mise à disposition des lieux que sur le prix du loyer. Elle ajoute au visa de l'article 1736 du code civil que le contrat de louage ne peut cesser que par un congé qui fait défaut en l'espèce.

Au visa de l'article 1184 ancien du code civil, elle fait valoir que la demande reconventionnelle en résiliation de bail ne saurait prospérer, réfutant toute faute locative de sa part.

Elle conteste le quantum de l'indemnité d'occupation retenu par les premiers juges qui ont entériné la méthode proposée par l'expert qu'elle estime critiquable.

Au soutien de sa demande en délais de paiement, elle argue de sa bonne foi, précisant avoir subi une réduction importante de son chiffre d'affaires à la suite de l'effondrement du cours du sucre. Elle sollicite à titre subsidiaire un délai pour quitter les lieux au visa de l'article L. 412-3 du code des procédures civiles d'exécution, faisant valoir qu'elle ne dispose pas de locaux de remplacement et qu'une expulsion sans délai aboutirait à sa liquidation.

Aux termes de ses dernières conclusions remises le 29 août 2019, la société E. prise en la personne de son liquidateur, Mme Alice D., demande à la cour :

- de confirmer le jugement entrepris, subsidiairement,

- de rejeter la demande reconventionnelle subsidiaire de l'appelante au titre de la reconnaissance d'un contrat de louage de droit commun,

- de prononcer la résiliation judiciaire du contrat dont l'existence serait reconnue par la cour et d'ordonner l'expulsion de la société Uni'agrid ou de tout occupant de son chef,

- de dire qu'elle disposera de quatre mois pour quitter les lieux à compter de la décision de la cour et passé ce délai d'ordonner une astreinte de 500 € par jour de retard pendant 90 jours et que la cour se réservera la liquidation de l'astreinte et dire que l'expulsion sera suivie par un constat d'état des lieux contradictoire réalisé par un huissier dont le coût sera supporté par la société Uni'agrid,

- de condamner la société Uni'agrid au paiement de la somme de 107 900 € sauf à parfaire et fixer l'indemnité d'occupation à compter de la résiliation à la somme de 1 300 € par mois à parfaire,

- d'ordonner une expertise judiciaire si la cour le jugeait nécessaire afin de déterminer le montant de l'indemnité d'occupation,

- de débouter la société Uni'agrid de l'intégralité de ses demandes et la condamner aux entiers dépens dont distraction au profit de la Selarl D. & associés et à payer la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'intimée soutient que la société Uni'agrid gérée par M. I. occupe l'ensemble du corps de ferme sans droit ni titre et sans verser aucune somme depuis 2010, alors que ne lui avait été consentie qu'une simple mise à disposition portant seulement sur une partie du corps de ferme. Elle indique qu'aucune convention écrite n'a été produite. Elle prétend avoir été évincée de la ferme depuis la séparation des époux, alors qu'auparavant les deux sociétés avaient des relations contractuelles établies liées à la prestation de travaux agricoles et cohabitaient au sein du corps de ferme.

Elle fait valoir que la demande de la société Uni'Agrid tendant à se voir reconnaître l'existence d'un bail commercial ou tendant à la requalification de la convention ayant lié les parties en bail commercial n'est pas une exception mais une demande reconventionnelle au sens de l'article 64 du code de procédure civile au motif qu'elle vise à obtenir des avantages autres que le simple rejet de la demande initiale qui tend à son expulsion.

Elle poursuit donc en soutenant que s'agissant d'une demande reconventionnelle, celle-ci est soumise au même délai de prescription que si elle avait été formée à titre principale dans le cadre d'une action en justice ; elle soulève l'irrecevabilité de cette demande reconventionnelle au motif qu'elle est prescrite par application de l'article L. 145-60 du code de commerce qui soumet à une prescription biennale toutes les actions exercées en vertu du chapitre de ce code consacré au bail commercial, dont l'action en reconnaissance ou en re-qualification en bail commercial ; elle prétend que le délai de prescription a commencé à courir à compter de la conclusion de la convention qui remonte à l'année 2002.

Elle soutient que la société Uni'Agrid ne saurait se prévaloir de la solution d'une décision de jurisprudence qui a été rendue dans une espèce où un bail dérogatoire de courte durée soumis aux dispositions de l'article L. 145-5 du code de commerce avait lié les parties, s'agissant d'une situation radicalement différente de celle soumise à la cour.

Elle réfute que l'émission et le règlement de factures de mise à disposition pendant la période où les époux I./ D. étaient mariés et leurs activités imbriquées, répondant ainsi à des préoccupations d'ordre familial et pratique, correspondait à la volonté des deux sociétés de conclure un bail commercial. Elle indique que les parties étaient alors liées par une convention sui generis qui découlait des relations familiales ; elle précise que c'est dans le cadre de cette convention que diverses prestations ont été accomplies de part et d'autre entre les deux sociétés.

Elle ajoute que la société Uni'Agrid n'occupait alors qu'un bâtiment avec un auvent puis à compter de 2005 suite à des travaux d'aménagement, cette dernière a occupé en sus un bureau, une salle pour les employés et des sanitaires et qu'elle même avait conservé la jouissance des autres bâtiments du corps de ferme ; elle reproche à la société Uni'Agrid de s'être appropriée l'intégralité du corps de ferme et précise que le litige ne porte pas sur l'assiette d'un bail mais sur l'accaparement par un des époux de la totalité d'un corps de ferme dont la propriétaire se trouve irrégulièrement évincée alors qu'elle s'était acquittée du paiement de l'assurance relative à ces bâtiments pour lesquels elle s'est vue accorder une autorisation préfectorale d'exploiter.

Elle relève que la société Uni'Agrid n'a versé aucune somme d'argent en contrepartie de l'occupation des locaux et conteste que cette absence de règlement financier soit liée à une absence de facturation et s'étonne que la société Uni'Agrid n'ait pas saisi la justice pour consigner le montant des loyers.

L'EARL E. soulève la prescription sur le fondement de l'article 2224 du code civil de la demande subsidiaire de l'appelante en reconnaissance d'un contrat de bail de droit commun. A titre subsidiaire, elle fait valoir qu'aucun bail ne saurait être constaté, l'utilisation du corps de ferme au bénéfice de la seule société Uni'agrid n'ayant jamais été consentie par la propriétaire.

Elle conteste être redevable de sommes à l'égard de la société Uni'agrid.

Au visa de l'article l'article 1184 ancien du code civil, elle demande à titre subsidiaire la résiliation de la convention qu'il s'agisse d'un bail commercial ou d'un bail de droit commun invoquant comme grief l'appropriation par l'appelante du corps de ferme dans son entier sans son consentement et l'absence de versement d'une contrepartie financière. Elle précise qu'une demande de résiliation n'est pas subordonnée à la délivrance d'un congé.

Elle s'appuie sur le rapport de l'expertise amiable de M. D. pour justifier le montant de l'indemnité d'occupation qu'elle réclame, affirmant que ce montant correspond à la valeur locative proposée par cet expert à partir d'une méthode rigoureuse. Elle conteste les proposés par la société Uni'Agrid sur la base d'une somme annuelle de 9 678,03 € montant alors convenu entre les parties dans le cadre d'une occupation partagée et en fonction des relations familiales qui les unissaient alors.

Elle sollicite le rejet de la demande de délais de paiement en faisant valoir que M. I. a volontairement amoindri le chiffre d'affaires de la société Uni'agrid en transférant une partie de son activité à la SARL Agr'i..

Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des prétentions et moyens.

L'instruction de l'affaire a été close le 3 octobre 2019.

MOTIFS

Sur la recevabilité de la demande de la société Uni'Agrid en reconnaissance d'un bail commercial.

L'article L. 145-1 du code de commerce qui introduit le chapitre V relatif au bail commercial du livre 1er de ce code énonce que les dispositions du présent chapitre s'appliquent aux baux des immeubles ou locaux dans lesquels un fonds est exploité, que ce fonds appartienne soit à un commerçant ou à un industriel immatriculé au registre du commerce et des sociétés, soit à un chef d'entreprise immatriculé au répertoire des métiers, accomplissant ou non des actes de commerce.

Ce texte présente un caractère d'ordre public de sorte que si toutes les conditions qui y sont prévues sont remplies, à savoir l'existence d'un bail portant sur un ou des immeubles ou un ou des locaux dans lesquels un fonds est exploité qui appartient à une personne inscrite au registre du commerce et des sociétés ou au registre des métiers, le propriétaire de ce fonds est titulaire d'un bail commercial ; il est alors appliqué de plein droit aux relations des parties les dispositions du chapitre V qui traitent du bail commercial ; les droits et obligations respectifs que les parties tirent de ce chapitre V sont communément désignés sous le terme de statut des baux commerciaux.

L'existence d'un bail commercial n'étant pas soumise à l'exigence d'un écrit, il est admis qu'un bail commercial puisse être verbal.

L'article 1709 du code civil définit le bail comme étant un contrat par lequel l'une des parties s'oblige à faire jouir l'autre d'une chose pendant un certain temps, et moyennant un certain prix que celle-ci s'oblige à payer.

La mise à disposition d'un bien moyennant une contrepartie pendant une certaine durée, notion qui se distingue de la précarité sont ainsi les ingrédients indispensables mais suffisants à l'existence d'un bail.

Selon les termes de l'exploit introductif d'instance, l'EARL E. demandait que soit constaté que la société Uni'Agrid était occupante sans droit ni titre et en conséquence que soit ordonnée son expulsion; l'EARL E. déniait donc selon les termes de cet acte à la société Uni'Agrid tout titre régulier d'occupation et notamment l'existence d'un titre locatif.

Pour contrer cette demande d'expulsion que poursuit l'EARL E. devant la cour, la société Uni'Agrid prétend être titrée en vertu d'un bail commercial.

L'article L. 145-60 du code de commerce dispose que toutes les actions exercées en vertu du présent chapitre se prescrivent par deux ans.

Il est jugé que l'action en requalification en bail commercial d'une convention conclue sous une autre qualification est soumise à la prescription biennale de l'article L. 145-60 susvisé et que le délai de la prescription court à compter de la date de la conclusion du contrat dont la requalification est demandée, étant en effet considéré que depuis cette date, le demandeur à la requalification est en mesure de connaître ses droits lui permettant d'agir au sens de l'article 2224 du code civil.

Dans la présente espèce, la société Uni'Agrid ne demande pas la requalification en bail commercial d'un contrat autrement qualifié, mais à voir tirer en application de l'article L. 145-1 du code de commerce les conséquences d'une situation factuelle et juridique qui présente selon elle tous les ingrédients du bail commercial.

Si le statut des baux commerciaux confère des droits aux parties liées par un bail commercial, comme sa durée d'au moins neuf années, le droit pour le preneur au renouvellement du bail ou au paiement d'une indemnité d'éviction, le plafonnement du loyer du bail renouvelé sauf pour un des motifs de déplafonnement prévus par loi, la soumission du congé destiné à mettre fin au bail à des conditions de forme et de délais (...), ces droits découlent du seul effet de la loi.

Si ces droits peuvent être considérés comme des avantages pour le titulaire du bail commercial, étant la conséquence directe du statut des baux commerciaux, ils ne font pas l'objet de demandes autonomes de la part de la société Uni'Agrid par rapport à sa demande de rejet des prétentions de l'EARL E. tendant à son expulsion.

La prétention de l'appelante en reconnaissance de l'existence d'un titre locatif et en l'espèce d'un bail commercial est ainsi un moyen de défense au sens de l'article 71 du code de procédure civile à la demande d'expulsion présentée par l'EARL E. fondée sur une occupation sans droit ni titre.

La reconnaissance de l'existence d'un bail commercial à laquelle prétend la société Uni'Agrid étant une défense au fond, elle peut en application de l'article 72 du code de procédure civile être proposée en tout état de cause et échappe donc à la prescription biennale de l'article L.145-60 du code de commerce .

Partant, réformant le jugement entrepris, il y a lieu de déclarer recevable la prétention de la société Uni'Agrid tendant à la reconnaissance de l'existence d'un bail commercial.

Sur le fond.

Le bail commercial supposant d'abord l'existence d'un bail, il est recherché en premier lieu si l'EARL E. et la société Uni'Agrid sont liées par un tel contrat.

La société Uni'Agrid produit deux factures établies par M. Henry E. ancien propriétaire du corps de ferme jusqu'à sa vente intervenue par acte authentique du 29 avril 2003 ; ces factures sont libellées à son nom, la première portant sur toute l'année 2002, la seconde sur la période du 1er janvier 2003 au 30 avril 2003 ; ces factures sont relatives à la « mise à disposition bâtiments corps de ferme » moyennant un prix de 274,41 € par mois, soit la somme annuelle de 3 292,92 €.

Les factures précitées établissent que l'occupation par la société Uni'Agrid des bâtiments du corps de ferme est donc antérieure à l'acquisition par l'EARL E. de ce corps de ferme ; cette occupation au vu de ces factures remonte au début de l'année 2002.

Si l'acte de vente ne fait pas mention de l'occupation par la société Uni'Agrid du corps de ferme, il n'est pas contesté que cette occupation a perduré après cette acquisition, certainement favorisée par la relation d'alliance qui unissait alors les associés des deux sociétés et par la complémentarité de leurs activités

L'envoi par l'EARL E. à la société Uni'Agrid de factures pour les années 2004, 2005, 2006, 2007, 2008, 2009 suffit à établir que la première avait connaissance de l'occupation de la seconde, étant relevé qu'aucune réserve ne figurait sur ces factures quant à la régularité de cette occupation.

Il résulte du préambule figurant sur le constat d'huissier dressé le 5 juin 2009 à la requête de l'EARL E. que Mme Alice D. en sa qualité de gérante de cette société a exposé à l'huissier qu'elle avait donné en location à la société Uni'Agrid un bâtiment agricole puis un bâtiment à usage de bureaux et qu'à ce jour cette dernière ne règle plus l'intégralité des loyers relatifs à ces deux bâtiments.

L'EARL E. ayant elle-même fait état à l'huissier qu'elle a requis d'une situation locative est mal-venue de la contester devant la cour.

L'existence d'une mise à disposition et de son origine consensuelle sont ainsi rapportées. Si les parties s'opposent sur l'étendue de l'assiette du corps de ferme, l'EARL E. reprochant à la société Uni'Agrid de s'être indûment accaparée divers bâtiments, ce que la société Uni'Agrid réfute, cette question qui relève d'une exécution abusive du contrat n'est pas de nature à faire disparaître la mise à disposition d'origine.

La contrepartie onéreuse est indispensable à l'existence d'un bail qui est un contrat à titre onéreux le distinguant d'un prêt à usage ; pour autant, il suffit que cette contrepartie ait été convenue dès lors que le défaut de son versement a trait à l'exécution du contrat mais est indifférent à sa formation.

Les deux factures précitées montrent le caractère onéreux de cette mise à disposition dans le cadre des relations entre la famille E. et la société Uni'Agrid. Cette mise à disposition a continué à présenter un caractère onéreux après le rachat par l'EARL E. du corps de ferme et donc après la mise à disposition par cette dernière comme en témoignent les factures que cette dernière a adressées à la société Uni'Agrid pour les années 2004, 2005, 2006, 2007, 2008, 2009.

Il apparaît qu'à compter de l'année 2007 a été facturée en sus à la société Uni'Agrid la location de bureaux pour un montant annuel de 4 800 € ; il est à noter que le terme de location utilisé à cette occasion relève directement du champ lexical du bail.

Le fait que le montant facturé par M. Henry E. à hauteur de 3 293€ n'ait pas été revu après l'acquisition du corps de ferme par l'EARL E. qui a continué à appeler ce même montant en contrepartie de la mise à disposition des biens loués ne rend pas pour autant la contrepartie réclamée dérisoire et ne font donc pas perdre à cette mise à disposition son caractère onéreux.

Le 10 mars 2010, Mme Alice D. agissant comme gérante de l'EARL E. retournait à la société Uni'Agrid le chèque que cette dernière lui avait adressé à son nom personnel et lui demandait d'en modifier le libellé de façon à ce qu'il soit fait à l'ordre de la société qu'elle dirigeait. Cette intervention de la gérante de la société Uni'Agrid en vue du recouvrement des sommes qu'elle estime dues par la société Uni'Agrid au titre de son occupation du corps de ferme à la société qu'elle dirige corrobore encore le caractère onéreux de cette mise à disposition par l'EARL E..

La cour retient donc l'existence d'une contrepartie à la charge de la société Uni'Agrid à la mise à disposition par l'EARL E..

L'existence d'un bail suppose une certaine pérennité dans sa durée qui le distingue d'une convention d'occupation précaire à laquelle il peut être mis fin à tout moment, le motif de précarité devant exister dès sa formation et doit être indépendant de la seule volonté des parties.

Il n'apparaît nullement que la mise à disposition par l'EARL E. du corps de ferme ait été entachée dès celle-ci d'un quelconque motif de précarité, la dissension familiale apparue postérieurement à la mise à la mise disposition et étroitement liée à la personne des dirigeants des parties n'étant pas un motif valable de précarité.

Tous les éléments nécessaires à l'existence d'un bail étant réunis, l'EARL E. et la société Uni'Agrid sont donc liées par un bail.

La nature immobilière des biens occupés par la société Uni'Agrid n'est pas contestée.

Même si au vu des statuts de la société Uni'Agrid et de son extrait Kbis délivré le 9 février, le lieu de son siège social est à [...], l'appelante en tête de ses écritures indique que son siège social est à [...] dans l'immeuble pour lequel elle demande à se voir reconnaître l'existence d'un bail commercial, marquant ainsi à tout le moins l'intérêt que représente cet immeuble pour son activité.

Par ordonnance rendue sur requête le 21 mai 2012, l'EARL E. se voyait autorisée à faire constater les conditions d'occupation du corps de ferme par un huissier de justice commis. L'huissier de justice ainsi commis rencontrait sur place M. Philippe I. qui s'est présenté comme étant le gérant de la société Uni'Agrid qui lui déclarait occuper le corps de ferme en qualité de locataire depuis la création de la société précitée intervenue au mois de mars 2001. Il a indiqué à l'huissier que cette location comprend le corps de ferme avec ses bâtiments, sa cour et le terrain situé sur l'arrière. L'huissier constatait l'existence d'un bâtiment comprenant un local technique utilisé par les salariés de la société Uni'Agrid, avec vestiaire et salle d'eau, ainsi que deux pièces à usage de bureau. Dans le fond de la cour, il relevait la présence d'un hangar à usage d'atelier dans lequel étaient garés divers engins agricoles et entreposés divers produits agricoles ; sur un terrain clôturé, il relevait la présence de divers engins agricoles garés ; il notait que d'autres bâtiments comprenant des hangars étaient utilisés soit pour entreposer des produits « Phito », soit comme atelier ; l'huissier relevait que dans une pièce étaient stockés divers produits et cuves en plastique.

L'huissier a estimé utile de faire apparaître dans son constat en caractère gras et avec une police de grande taille que « ces différents locaux lui sont décrits par M. Philippe I. comme étant occupés par la société Uni'Agrid ».

Ces constatations suffisent à démontrer que la totalité du corps de ferme est occupée par la société Uni'Agrid pour les besoins de son activité, l'EARL E. reprochant d'ailleurs comme il sera vu ci-après à la société Uni'Agrid d'avoir accaparé celui-ci en son entier.

Il est ainsi établi que la société Uni'Agrid société commerciale par sa forme et donc commerçante exploite son activité dans les locaux appartenant à l'EARL E..

L'ensemble des éléments nécessaires à l'existence d'un bail commercial prévu par l'article L.145-1 du code de commerce est en conséquence réuni.

Pour s'opposer à la reconnaissance d'un bail commercial, l'EARL E. invoque le caractère sui generis de la convention au motif qu'elle est intervenue dans le cadre d'intérêts réciproques ayant existé d'abord entre les époux I./D. qui vivaient ensemble au sein du domicile conjugal dans une habitation située à côté du corps de ferme et qui travaillaient en bonne intelligence, dans le cadre d'une collaboration étroite, chacun développant ses activités au travers des deux sociétés, étant précisé que Mme Alice D. associée et salariée de la société Uni'Agrid était également investie dans cette société.

Le caractère d'ordre public du statut des baux commerciaux prime sur les circonstances particulières tenant aux intérêts croisés des associés des deux sociétés liés par des liens familiaux et d'alliance quand bien même la mise à disposition par l'EARL E. à la société Uni'Agrid satisfaisait ces intérêts. Ce caractère d'ordre public dépasse également la volonté des parties de sorte que même s'il n'a pas été de la commune intention des parties de s'engager dans un bail commercial, celui-ci existe dès lors que les ingrédients indispensables mais suffisants à sa formation sont réunis.

De même est aussi inopérant le moyen défendu par l'EARL E. selon lequel la société Uni'Agrid ne peut prétendre au bénéfice d'un bail commercial faisant suite à son maintien dans les lieux à l'expiration d'un bail dérogatoire prévu par les dispositions de l'article L.145-5 du code de commerce dès lors que la société Uni'Agrid ne soutient pas en cause d'appel s'être vu consentir un bail dérogatoire que les éléments de l'espèce tenant à la nécessité d'un écrit suffisent d'ailleurs à exclure.

Partant, au vu de ce qui précède, infirmant le chef du jugement entrepris qui a dit que la société Uni'Agrid était occupante sans droit ni titre, il est jugé que la société Uni'Agrid est titulaire d'un bail commercial portant sur un corps de ferme situé à [...].

Au soutien de sa demande subsidiaire en résiliation de bail, l'EARL E. invoque comme griefs l'obstacle mis par la société Uni'Agrid à une utilisation partagée du corps de ferme, lui reprochant à cette dernière de s'être ainsi accaparée la totalité de ce corps de ferme et le défaut de versement par celle-ci de la contrepartie onéreuse désormais qualifiée de loyer.

Etant de l'essence du bail de conférer la jouissance du bien loué, l'EARL E. ne peut valablement prétendre exercer sa jouissance sur la chose louée. Pour autant, il résulte du constat d'huissier du 4 juillet 2012 que le corps de ferme dont s'agit comprend plusieurs parties distinctes, ce corps de ferme étant notamment constitué de divers bâtiments pouvant chacun être individualisé ; ce corps de ferme étant donc divisible, il convient de rechercher quels étaient les biens loués, autrement dit quelle était l'assiette du bail.

Les parties s'opposent sur cette assiette, l'EARL E. prétend que n'ont été mis à disposition de la société Uni'Agrid qu'un bâtiment agricole à usage d'atelier et son extension puis à partir de 2005 suite à des travaux d'aménagement, un bâtiment à usage de bureau comprenant également une salle pour les employés, outre des sanitaires, comprenant lave-mains, toilettes et douche, le reste du corps de ferme lui étant réservé. L'occupation par la société Uni'Agrid de bâtiments autres que les deux susvisés correspond à l'accaparement que l'EARL E. lui reproche.

La société Uni'Agrid prétend pour sa part que lui a été mis à disposition l'ensemble du corps du ferme comme son gérant l'a d'ailleurs clairement exprimé à l'huissier qui faisait ses opérations de constat à la demande de l'EARL E..

Le contexte particulier de la mise à disposition ci-avant décrit explique que n'a pas été établi lors de celle-ci un état descriptif des biens mis à disposition.

Il résulte du jugement du divorce produit que l'ordonnance de non conciliation est en date du 10 décembre 2007. Par ailleurs, dès le 2 mai 2007, Mme Alice D. ainsi que ses deux frères s'adressaient à M. Philippe I. en tant que gérant de la société Uni'Agrid pour l'informer de leur volonté de quitter cette société et qu'ils ne cautionneront plus les achats effectués. Il est donc établi que c'est au cours de l'année 2007 que la séparation non seulement des époux I./D. était consommée mais aussi la fin de l'entente entre les membres de leurs familles respectives et donc la cessation de toute coopération des sociétés que ces derniers animaient et/ou dirigeaient.

Après cette séparation, l'EARL E. a contesté l'étendue de l'occupation par la société Uni'Agrid ; le conseil de l'EARL E. par un courrier du 7 février 2008 adressé à la société Uni'Agrid lui demandait de libérer trois parcelles de terres que sa cliente estimait indûment occupées par cette dernière. La société Uni'Agrid rétorquait le 23 février 2008 qu'elle n'avait pas l'intention de libérer ces trois parcelles pour lesquelles elle serait en mesure de revendiquer un bail commercial ; l'EARL E. a entendu se ménager une preuve de l'occupation illicite par la société Uni'Agrid d'une partie des bâtiments en faisant établir le constat d'huissier du 5 juin 2009, ayant précisé à l'huissier que cette dernière avait annexé un second bâtiment ainsi qu'un terrain sans son accord.

Le litige étant définitivement consommé dès le début de l'année 2009 entre les parties qui sont restées depuis campées sur leurs positions contraires, l'étendue de l'assiette du bail doit être recherchée à partir d'éléments antérieurs lorsque les parties n'étaient pas encore en conflit.

N'ayant pas été fait mention dans l'acte de vente de l'existence d'une location du corps de ferme à la société Uni'Agrid, cette location n'était pas opposable à l'EARL E. en application de l'article 1743 du code civil ; en conséquence il ne peut être tiré argument de l'indication « bâtiments » au pluriel sans autre précision figurant sur les deux factures émises par M. Henry E. pour les années 2002 et 2003 que l'EARL E. a mis à la disposition de la société Uni'Agrid l'intégralité de ce corps de ferme après en être devenue propriétaire. De même l'attestation de M. E. selon laquelle il a loué à compter de mars 2001 à la société Uni'Agrid le corps de ferme sans autre précision outre que cette location et donc son étendue ne sont pas opposables à l'EARL E. ne renseigne pas sur l'étendue exacte de la mise à disposition par cette société.

Les factures émises par l'EARL E. les 5 janvier 2004, 2005, 2006, portent comme objet « location bâtiment », ce dernier terme étant employé au singulier. La colonne quantité figurant sur les factures est renseignée par le chiffre « 1 ». Le 5 janvier 2007, étaient émises deux factures, l'une pour une « mise à disposition bâtiment », toujours avec comme mention de quantité « 1 », l'autre relative à une « location de bureau ».

L'emploi du terme bâtiment au singulier associé au chiffre 1 comme élément quantitatif milite en faveur d'une assiette limitée à un seul bâtiment.

Un courrier de la compagnie d'assurance Groupama adressé à l'EARL E. fait état des conditions de la garantie souscrite par cette dernière relative aux biens immobiliers de son assurée affectés à son exploitation (pièce 30 de l'EARL E.). A ce courrier était annexé un plan des bâtiments pour chacun desquels l'assureur a attribué un numéro ; l'implantation des bâtiments telle qu'elle figure sur ce plan correspond à celle du plan cadastral. Par ailleurs à chacun des bâtiments figurant sur le plan cadastral correspond un bâtiment du plan établi par l'assureur de l'EARL E..

Il est donc retenu que le plan de l'assureur est exhaustif en ce qu'il porte sur l'ensemble des bâtiments du corps de ferme.

Il résulte du courrier précité que la garantie de l'assureur de l'EARL E. porte sur l'ensemble des bâtiments du corps de ferme, à l'exception des bâtiments n°3 et 4 du plan qui sont situés au fond de la cour ; le bâtiment n°4 apparaissant tant sur le plan cadastral que sur le plan de l'assureur est le plus important du corps de ferme, ce dernier est prolongé par un auvent ou appentis en sa façade donnant sur la cour coté droit.

Il ressort du rapprochement de ces plans avec le constat d'huissier du 4 juillet 2012 que le hangar à usage d'atelier dans lequel l'huissier a relevé la présence de plusieurs engins et produits agricoles et pièces mécaniques correspond au bâtiment n°4 qui compose d'après l'EARL E. l'assiette du bail, outre les bureaux et sanitaires.

La souscription par l'EARL E. d'une assurance pour l'ensemble des bâtiments du corps de ferme autre que cet hangar à usage d'atelier constitue un indice sérieux que l'assiette du bail se limitait à ce bâtiment jusqu'à son extension aux locaux à usage de bureau et sanitaires et que le constat d'huissier permet de localiser dans un bâtiment situé sur la droite de la cour de ferme, bâtiment auquel le plan de l'assureur a attribué le bâtiment n°2.

L'attestation produite par la société Uni'Agrid émanant de M. B. qui était un ami du couple I./D. selon laquelle la totalité du corps de ferme est actuellement occupée par l'entreprise de travaux agricoles de M. Philippe I. et qui ne fait que décrire une situation factuelle et actuelle ne contrarie pas que l'assiette du bail puisse porter uniquement sur le bâtiment n°4, outre le local à usage de bureau et sanitaires. Il en est de même s'agissant des attestations émanant de M. R., de M. Van H. et de M. N..

L'attestation de M. Henry E. qui outre les éléments non probants ci-avant analysés comprend l'indication que ce dernier n'a jamais vu ne serait-ce qu'un kilo de blé ou autres céréales stockés dans les bâtiments du corps de ferme ; cette attestation ne permet pas déduire que l'assiette du bail désormais reconnu entre l'EARL E. et la société Uni-Agrid s'étendait à l'ensemble du corps de ferme. Il en est de même pour les remarques de son auteur sur la réalisation des travaux culturaux de l'EARL E. par la société Uni'Agrid et l'absence de participation de Mme Alice D. aux travaux culturaux.

Au vu de ce qui précède, il est retenu que l'assiette du bail dont la société Uni'Agrid est reconnue titulaire ne portait que sur le hangar à usage d'atelier correspondant au bâtiment n°4 et à son extension correspondant au bâtiment n°3 selon la numération de ces bâtiments par le plan de l'assureur de l'EARL E..

L'occupation de l'intégralité du corps de ferme et des terrains attenants est établie notamment par le constat du 4 juillet 2012 ; cette occupation qui excède l'assiette des lieux loués relève en conséquence d'une exécution abusive du bail.

L'EARL E. reproche à la société Uni'Agrid d'avoir cessé le règlement de tout loyer à compter de l'année 2010 ce que la société Uni'Agrid ne conteste pas, expliquant avoir cessé ses versement par le fait qu'elle ne recevait plus factures de loyers et qu'elle ne pouvait donc pas traduire en comptabilité le paiement du loyer.

Aux termes de l'article L. 145-33 du code de commerce, seul le montant du loyer du bail renouvelé ou révisé doit correspondre à la valeur locative. Le montant du loyer du bail d'origine est en conséquence fixé par les parties au montant qu'elles conviennent.

En application de l'article L. 145-9 du code de commerce, à défaut de congé ou de demande de renouvellement le bail commercial se poursuit par tacite prolongation. En l'occurrence, il est d'évidence que le bail n'a pas été renouvelé ; la procédure de révision du loyer instituée par les articles L. 145-38 et R. 145-20 et suivants du code de commerce n'ayant pas été suivie, aucune révision du montant du loyer n'a pu intervenir.

Il s'en suit que le montant du loyer est resté fixé comme le soutient d'ailleurs la société Uni'Agrid selon les conditions du bail d'origine. Etant établi par les factures produites qu'a été appelée au titre de la location du bâtiment loué et de son extension la somme annuelle de 3 292 € HT soit 3 937,23 € TTC, il est retenu que le montant du loyer y afférent est fixé à cette même somme. Le même raisonnement vaut pour les locaux à usage de bureau et sanitaires facturés pour un montant de 4 800 € HT. Le montant du loyer annuel s'élève en conséquence à la somme de 8 092 € ce qui correspond à une somme mensuelle de 674,33 €.

Aux termes de l'article 1728 du code civil, le paiement du prix du loyer au terme convenu est une des deux obligations principales du preneur.

Si selon l'article 1247 ancien du code civil applicable à la cause, le paiement du loyer est quérable à défaut d'une stipulation contraire, l'assignation délivrée par l'EARL E. à la société Uni'Agrid par acte d'huissier du 24 novembre 2016 en paiement d'une indemnité d'occupation d'un montant de 140 400 € alors qu'elle même se prévaut de l'existence d'un bail commercial et du maintien du loyer au montant des facturations qui lui avaient été adressées, constitue a minima un appel de loyer.

Selon l'attestation du propre expert comptable de la société Uni'Agrid (pièce 48) qui a soustrait la somme de 34 754,38 € représentant le montant de plusieurs facturations de l'EARL E. estimées litigieuses par sa cliente et qui a calculé le montant des loyers sur la base des factures établies par l'EARL E. jusqu'en 2009, sa cliente est redevable après compensation de la somme de 33 449,28 € au titre des arriérés de loyers sur la période 2010 à 2017 compris.

L'EARL E. n'ayant pas contredit par des éléments circonstanciés l'avis de l'expert comptable de la société Uni'Agrid et n'ayant notamment intenté à ce jour aucune action en paiement au titre des facturations contestées par la société Uni'Agrid et dont la plus ancienne remonte au 31 mars 2007, la proposition de l'expert comptable de cette dernière de les exclure des dettes dont celle-ci est redevable est pertinente.

La société Uni'Agrid aux termes de ses écritures admet rester redevable mois de janvier 2019 compris de l'intégralité du montant des loyers de 2018 et du loyer du mois de janvier 2019 ; son propre décompte arrêté à la date du 31 janvier 2019 fait état d'une dette locative de 37 614,30€ (page 30 des conclusions de l'appelante).

En l'absence de contestation par l'EARL E. du décompte de la société Uni'Agrid qui repose sur des éléments comptables vérifiés par son expert-comptable, il est retenu que la dette locative arrêtée au 31 janvier 2019 s'établit à la somme de 37 614,30 €.

La persistance de cette dette locative près de trois ans après l'introduction de l'action de l'EARL E. constitue un manquement grave de la société Uni'Agrid à son obligation essentielle de payer le montant du loyer au terme convenu.

Cette infraction ajoutée à l'exécution abusive par la société Uni'Agrid du bail résultant de l'occupation par cette dernière de locaux non compris dans son assiette est d'une gravité suffisante pour emporter la résiliation du bail. La résiliation du bail est en conséquence prononcée aux torts de la société Uni-Agrid.

Le bail étant résilié judiciairement par le présent arrêt, la société Uni'Agrid était redevable jusqu'à son prononcé d'un loyer.

En sus du montant de la dette locative arrêtée au 31 janvier 2019, la société Uni'Agrid était tenue de payer les loyers pour la période ayant couru du mois de février 2019 jusqu'à la date du 14 novembre 2019.

Le montant des loyers pendant cette période s'élève à la somme de 5 709,32 € [(674,33 x 8) + (674,33/14)].

L'EARL E. ne contestant pas que la société Uni'Agrid a versé par trois fois la somme de 1 300 € depuis le prononcé du jugement et dont elle fait état page 30 de ses conclusions, la réalité de ces versements est retenue.

Il ressort donc que la dette de loyers arrêtée à la date du prononcé du présent arrêt s'élève à la somme de 39 423,62 € (37 614,30 + 5 709,32€ - 3 900 €).

En l'état de la demande subsidiaire de l'EARL E. en résiliation de bail qui ne vise jusqu'à la date de la résiliation que des arriérés de loyers et non une indemnité d'occupation pour la partie des locaux occupés indûment par la société Uni'Agrid, il ne peut être prononcé qu'une condamnation au titre des loyers .

Partant, réformant le jugement entrepris, il y a lieu de condamner la société Uni'Agrid à payer à l'EARL E. la somme de 39 423,62 au titre des arriérés de loyers dus jusqu'à la résiliation du bail intervenant à la date du prononcé de l'arrêt.

La société Uni'Agrid n'a commencé à apurer sa dette locative ancienne de plus de huit ans que de façon minime depuis l'introduction de l'action et encore seulement en raison du risque de mesures d'exécution intentées à son encontre puisque le jugement était assorti de l'exécution provisoire. L'ancienneté et l'importance de la dette locative justifient le débouté de sa demande de délais de l'appelante.

Le bail étant résilié, la société Uni'Agrid se trouve dépourvue d'un titre régulier d'occupation ; cette dernière demande que lui soit octroyé un délai de 36 mois pour occuper les lieux. Alors qu'elle sait depuis des années que son occupation du corps de ferme est contestée et depuis l'introduction de l'instance devant le tribunal de grande instance d'Amiens que le risque de son éviction est susceptible de se réaliser, elle ne justifie pas avoir entrepris quelque démarche pour se réinstaller, son gérant ayant ainsi fait le choix de donner à bail commercial des bâtiments agricoles appartenant à une société civile immobilière dont il est également le gérant plutôt que de les affecter à l'activité de la société Uni'Agrid.

Le délai de quatre mois courant à compter de la signification du présent arrêt proposé par l'EARL E. pour que la société Uni'Agrid libère les lieux et qu'a retenu le tribunal est approprié. Il est donc confirmé sauf à voir fixer son cours à compter du prononcé du présent arrêt ; il convient dès lors passé ce délai de quatre mois de confirmer le jugement qui a ordonné l'expulsion de la société Uni'Agrid et de celle de tout occupant de son chef, des biens, matériels et engins entreposés, de toute nature, au besoin avec le concours de la force publique.

Afin d'éviter que l'occupation non titrée par la société Uni'Agrid des lieux ne se prolonge et de mettre fin à une situation devenue délétère du fait de ses ramifications personnelles qui continuent à opposer les deux ex-époux I./D. et leurs familles respectives, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris qui a ordonné une astreinte pendant une durée de 90 jours passé le délai de quatre mois courant à compter de la signification de l'arrêt, sauf à ramener son montant à la somme de 150 € par jour de retard.

L'EARL E. demande que l'expulsion de la société Uni'Agrid soit suivie d'un constat d'état des lieux dressé par un huissier de justice dont le coût sera supporté par cette dernière.

Le conflit personnel qui continue d'opposer les deux ex-époux I./D. au travers de leurs sociétés fait craindre des difficultés liées à la sortie de la société Uni'Agrid qu'un constat d'huissier lors de la sortie de cette société peut si ce n'est régler au moins établir la situation de fait ; il y a donc lieu en confirmant le jugement sur ce chef de faire droit à cette demande sauf à dire que les frais de constat seront partagés entre la société Uni'Agrid et l'EARL E. s'agissant d'une mesure prise dans l'intérêt de chacune d'elles et à dire que ce constat devra être réalisé à l'initiative de l'EARL E., la société Uni'Agrid dûment convoqué dans un délai de 15 jours suivant la sortie de cette dernière.

Par ailleurs, la société Uni'Agrid est redevable d'une indemnité d'occupation à compter du présent arrêt jusqu'à sa libération définitive des lieux destinée à compenser le préjudice résultant de l'occupation illicite par la société Uni'Agrid ; cette indemnité d'occupation est déterminée notamment en fonction de la valeur locative des biens que cette dernière continue à occuper.

Pour justifier de leur valeur locative, la société Uni'Agrid produit un rapport de M. D., expert foncier, agricole et immobilier qui conclut à une valeur locative de l'ensemble du corps de ferme de 20 000€. Ce rapport n'a pas été établi contradictoirement ; pour autant, ayant été régulièrement communiqué, il fait partie du débat contradictoire.

Si le juge ne peut fonder sa décision uniquement sur un rapport amiable établi non contradictoirement, un tel rapport peut concourir à forger sa conviction.

La société Uni'Agrid ne conteste pas que les bâtiments du corps de ferme qu'elle occupe développent dans leur ensemble une surface de 1 926 m² comme retenu par M. D..

L'expert propose de retenir une valeur de 3 € par m² et d'affecter au résultat obtenu un coefficient dit d'utilisation de 3,5.

L'annexe 2 de l'arrêté préfectoral du 6 septembre 2019 relatif au montant du fermage prévoit que la valeur locative des bâtiments d'exploitation se détermine en fonction de la catégorie du bâtiment, cet arrêté prévoit ainsi quatre catégories et pour chacune catégorie un prix minimum et maximum au m² ; la valeur la plus faible de la dernière catégorie étant 0,10 € et la plus haute de la première catégorie de 3,50€.

Toutefois, ces prix au m² ressortent de valeurs locatives en matière de fermage ; ils ne peuvent donc être transposés purement et simplement à l'occupation par la société Uni'Agrid des locaux qui s'inscrit dans le cadre d'une activité commerciale et qui fait suite au bail commercial reconnu par le présent arrêt.

Le hangar à usage d'atelier et son extension développent ensemble une superficie de 957,70 m² (852,70 m² + 105 m²) d'après M. D. dont les relevés et le calcul ne sont pas contestés. Cette superficie est en conséquence retenue.

Le montant du loyer de ce bâtiment et de son extension s'élève au vu des facturations de l'EARL E. à la société Uni'Agrid à la somme de 3 292 €, montant sur lequel il n'apparaît pas que la société Uni'Agrid ait émis une quelconque contestation. Il en ressort un montant au m² de 3,43 m² qui n'est pas très éloigné du montant de 3 € retenu par M. D. qui a toutefois affecté ce montant d'un coefficient de 3,5 qui résulterait selon lui du barème départemental.

Alors que l'arrêté préfectoral du 6 septembre 2019 relatif au montant du fermage et de son annexe II qui détermine la valeur locative des bâtiments agricoles ne prévoit pas de les affecter d'un coefficient multiplicateur, M. D. n'a pas précisé à quel barème départemental il se référait, lacune que n'a pas comblée l'EARL E.. Il n'y a donc pas lieu de déterminer la valeur locative des bâtiments après application d'un coefficient multiplicateur.

Le montant du loyer étant toutefois resté au même montant que celui que facturait déjà M. Henry E. pour l'occupation du bâtiment, il convient d'actualiser ce montant pour déterminer la valeur locative à la date du prononcé du présent arrêt en le fixant la somme de 5 € par m². Il en ressort une valeur locative du bâtiment à usage d'atelier et de son extension de 4 788,50 €.

S'agissant du restant des bâtiments du corps de ferme occupé par la société Uni'Agrid, il représente une surface totale au sol de 968 m², y compris le bâtiment à usage de bureau et de sanitaires qui développe une superficie de 94,50 m². Une fois soustraite, la superficie des locaux à usage de bureau et de sanitaires, la superficie de ces bâtiments est de 873,50 m².

Ces bâtiments apparaissent présenter une qualité moindre que le bâtiment à usage d'atelier et de son extension, certains n'ayant pas un sol bétonné mais en terre battue et aucun ne développant une superficie d'un seul tenant aussi importante que le hangar à usage d'atelier qui de ce fait est particulièrement adapté à l'activité de la société Uni'Agrid. A ces bâtiments s'ajoute la parcelle ZK 95 d'une superficie au vu des indications figurant à l'acte de vent de 77a 74ca et dont le constat d'huissier dressé le 4 juillet 2012 montre qu'elle est occupée par des engins agricoles utilisés par la société Uni'Agrid.

Par ailleurs, la société Uni'Agrid profite également de la surface de la cour de ferme qui donne accès aux divers bâtiments et que le plan cadastral fait apparaître comme étant vaste et de forme homogène ; dans cette cour, l'huissier requis par l'EARL E. a relevé la présence d'engins agricoles utilisés par la société Uni'Agrid.

Au vu de ces différents éléments, il est fait une juste appréciation de la valeur locative de ces bâtiments qui doit être appréciée en fonction de l'activité commerciale poursuivie par la société Uni'Agrid en la fixant à la somme de 3,50 € par m², soit une somme de 3 057,25 € (873,50 m² x 3,50 €), montant qui intègre aussi l'usage de la cour qui dessert leur accès et de la parcelle ZK 95.

La société Uni'Agrid n'a jamais contesté que le montant de 4 800 € au titre des locaux à usage de bureau et de sanitaires ne correspondait pas à leur valeur locative. Il ressort au vu de la surface de 94,50 m² développée par ces locaux un prix au m² de 50,79 €. S'agissant toutefois d'un prix fixé en 2007 alors que la valeur locative doit être déterminée à la date du prononcé du présent arrêt puisque c'est à cette date que la société Uni'Agrid est redevable d'une indemnité d'occupation, il y a lieu d'actualiser ce montant en retenant un prix de 60 € au m² ; il en ressort une valeur locative de 5 670 € par an.

Au vu des éléments qui précèdent, la valeur locative du corps de ferme et des terrains annexes occupés par la société Uni'Agrid à la date du prononcé du présent arrêt s'élève à la somme annuelle de 13 515,75 € (4 788,50 + 3 057,25 € + 5 670 €).

Il y a lieu de majorer ce montant de 15% afin de compenser le préjudice causé à l'EARL E. par l'irrégularité de son occupation. Il ressort que le montant de l'indemnité d'occupation due par la société Uni'Agrid s'élève à un montant annuel de 15 543,11 €.

La solution apportée au litige amène à rejeter la demande de la société Uni'Agrid en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Les parties échouant chacune partiellement en ses prétentions, elles conserveront la charge des frais et dépens qu'elles ont exposés. S'agissant des frais et dépens qui seraient exposés en exécution du présent arrêt, ils sont mis à la charge de la société Uni'Agrid à l'encontre de laquelle est prononcée une condamnation en paiement et qui voit son expulsion ordonnée.

Les considérations de l'espèce commandent de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

la cour statuant publiquement par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe, infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 21 septembre 2018 par le tribunal de grande instance d'Amiens à l'exception :

- de son chef ayant ordonné l'expulsion de la société Uni'Agrid et de tous les occupants de son chef ainsi que biens, matériels et engins entreposés, de toute nature, au besoin avec le concours de la force publique, à l'expiration d'un délai de quatre mois sauf à voir dire que ce délai commence à courir à compter du présent arrêt,

- de son chef ayant dit que l'expulsion sera suivie d'un constat des lieux contradictoire réalisé par un huissier de justice, sauf à voir dire que ce constat n'est pas réservé à l'hypothèse de l'expulsion et sera réalisé à l'initiative de l'EARL E. dans les 15 jours du départ de la société Uni'Agrid cette dernière dûment convoquée et qu'il sera effectué aux frais partagés entre l'appelante et l'intimée,

- de son chef ayant ordonné une astreinte par jour de retard passé ce délai de quatre mois pendant 90 jours sauf à ramener son montant à la somme de 150 € par jour ;

statuant à nouveau :

dit que la demande de la société Uni'Agrid en reconnaissance de l'existence d'un bail commercial n'est pas prescrite ;

dit que la société Uni'Agrid est titulaire d'un bail commercial portant sur un hangar à usage d'atelier et son extension ayant respectivement une superficie de 852,70 m² et 105 m² dépendant du corps de ferme sis à [...] et ayant pris effet le 29 avril 2003 date d'acquisition par l'EARL E. de ce corps de ferme ;

prononce la résiliation de ce bail commercial aux torts de la société Uni'Agrid ;

condamne la société Uni'Agrid à payer à l'EARL E. la somme de 39 423,62 €€ au titre des loyers impayés arrêtés à la date du prononcé du présent arrêt ;

condamne la société Uni'Agrid à payer à l'EARL E. une indemnité d'occupation à compter du prononcé du présent arrêt fixée à la somme annuelle de 15 543,11 € jusqu'à sa libération définitive et totale des lieux ;

déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

dit n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile ;

dit que chaque partie conserve la charge des frais et dépens exposés;

dit que les frais relatifs à l'exécution du présent arrêt sont mis à la charge de la société Uni'Agrid.