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Décisions

CA Toulouse, ch. 2 sect. 1, 10 mars 2010, n° 08/04083

TOULOUSE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Le Bon Vivre (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lagriffoul

Conseillers :

M. Belieres, M. Salmeron

Avocats :

SCP Mallet, SCP Boyer, Lescat et Merle

TGI Toulouse, du 10 juill. 2008

10 juillet 2008

FAITS, PROCEDURE, PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

M. A. a donné à bail précaire à la SARL LE BON VIVRE des locaux à usage exclusif de bar-restaurant et le matériel y afférent dans un immeuble situé à TOULOUSE, 15 bis place WILSON pour une durée de 12 mois à effet du 1er septembre 1992 moyennant un loyer mensuel de 5.183,27 € hors charges et taxes.

Par arrêt confirmatif du 14 juin 2001, cette Cour a jugé que le bail était soumis au statut des baux commerciaux à compter du 2 septembre 1993, date d'un précédent avenant de prorogation du bail initial pour une durée de 11 mois.

M. A. a donné congé pour le 31 décembre 2002 à la SARL LE BON VIVRE, par acte d'huissier du 26 juin 2002, avec offre de renouvellement moyennant un loyer annuel de 150.000 € hors taxes et charges.

La SARL LE BON VIVRE a accepté le principe du renouvellement mais contesté le montant du loyer proposé par lettre recommandée avec accusé de réception du 1er juillet 2002.

Après notification de son mémoire aux fins de fixation du prix du loyer renouvelé par lettre recommandée avec accusé de réception du 13 juin 2004, M. A. a saisi le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de TOULOUSE par acte d'huissier du 21 juillet 2004.

Par jugement avant-dire-droit du 14 juin 2005, le juge des loyers commerciaux a désigné comme expert M. N., lequel a déposé son rapport le 27 mars 2007.

Par jugement du 10 juillet 2008, le juge des loyers commerciaux a :

- fixé le montant du loyer du bail renouvelé à la somme de 61.600 € par an hors charges et taxes à compter du 1er janvier 2003,

- dit que le bailleur doit restitution au preneur des sommes trop-perçues, avec intérêts au taux légal à compter de ce jugement,

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné le demandeur principal aux dépens,

- ordonné l'exécution provisoire.

M. A. a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 29 juillet 2008.

M. A. a déposé et signifié ses conclusions le 1er décembre 2008. Il demande :

- à titre principal :

la réformation du jugement entrepris,

la constatation de l'existence d'une modification notable des facteurs locaux de commercialité justifiant le déplafonnement,

la fixation du prix du loyer annuel du bail renouvelé à compter du 31 décembre 2002 à la somme de 117.600 € hors taxes et charges, avec intérêts de droit capitalisés,

la condamnation du preneur au paiement de la somme de 2.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- subsidiairement :

l'organisation d'une nouvelle expertise.

L'appelant expose que :

- une modification est intervenue dans les obligations respectives des parties alors que le bail d'origine était précaire, ce qui justifiait les conditions de location fixées sans considération de l'acquisition de la propriété commerciale,

- il existe une modification des facteurs locaux de commercialité,

- la valeur locative calculée par l'expert est inférieure au loyer plafonné et elle ne tient pas compte de la décapitalisation du droit au bail sur 9 ans.

La SARL LE BON VIVRE a déposé et signifié ses conclusions le 12 mars 2009. Elle demande :

- la confirmation du jugement entrepris,

- la fixation du loyer du bail renouvelé à la somme de 61.600 € ,

- la condamnation de M. A. au remboursement de la somme de 3.295,60 € au titre du trop-perçu entre le 1er janvier 2003 et le 31 juillet 2008,

- à titre infiniment subsidiaire, qu'il soit dit qu'il n'y a pas eu de modification notable des éléments mentionnés à l'article L. 145-33- 1° à 4° du code de commerce et que le loyer ne peut excéder 70.780,50 € par an,

- la condamnation de M. A. au paiement de la somme de 5.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

L'intimée fait valoir que :

- la valeur locative, inférieure au loyer plafonné, doit être retenue,

- la valeur du droit au bail doit être exclue des loyers de comparaison et doit correspondre aux baux dans lesquels les obligations des parties sont comparables,

- il n'y a pas eu de modification des obligations respectives des parties et des facteurs locaux de commercialité.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 15 décembre 2009.

SUR CE,

Sur le déplafonnement du loyer renouvelé :

Le bail expiré a pris effet le 2 septembre 1993 en vertu de l'arrêt confirmatif de cette cour en date du 14 juin 2001.

Il ressort du rapport d'expertise judiciaire de M. N. que le métro de Toulouse a été mis en service à compter de juin 1993. Les premiers mois de fonctionnement du métro se situant donc pendant la période des congés d'été au cours de laquelle l'activité est notoirement ralentie, l'expert souligne à bon droit que les effets de cette mise en service n'ont pu être mesurés sur une période aussi courte avant la prise d'effet du bail renouvelé et que l'engouement et la modification des comportements de déplacements se sont nécessairement échelonnés au minimum sur plusieurs mois au cours du bail expiré alors que la locataire n'établit pas que cet élément avait déjà été pris en compte pour le calcul du loyer du bail expiré.

M. N. précise que les comptages de fréquentation de la circulation des piétons effectués par la société TISSEO démontrent l'impact du métro, notamment dans le secteur de la place Wilson et des rues avoisinantes.

Par ailleurs, l'extension du cinéma GAUMONT et l'ouverture du théâtre de la rue LABEDA au cours du bail expiré ont également constitué des éléments de nature à améliorer la commercialité du local exploité par la locataire dont l'activité de bar-restaurant profite de la clientèle de ces établissements.

La conjugaison de ces différents éléments démontrant ainsi, au cours du bail expiré, l'existence d'une modification notable des facteurs locaux de commercialité, définis par l'article 23-4 du décret du 30 septembre 1953, pour l'activité commerciale exercée par la SARL LE BON VIVRE, le loyer du bail renouvelé échappe donc à la règle du plafonnement édictée par l'article L 145-34 du code de commerce et le loyer de renouvellement doit dans ces conditions être fixé selon la valeur locative.

Sur le montant du loyer renouvelé :

Le montant du loyer du bail renouvelé doit correspondre à la valeur locative déterminée d'après les éléments visés par l'article 145-33 du code de commerce.

M. N. propose de retenir une valeur locative annuelle de 550 € le m² au 1er janvier 2003 au vu de l'analyse des prix couramment pratiqués dans le voisinage qui sont cités par les parties, lesquels font ressortir une valeur locative moyenne pour le bailleur de 419 € le m², hors droit au bail, et de 475 € pour le preneur, ainsi que de la référence du local FRANCE LOISIRS citée par l'expert qui présente un prix au m² pondéré annuel de 499,85 € hors charges et hors taxes.

M. A. cite 8 références de valeurs locatives qui, selon une méthode intégrant la décapitalisation du droit au bail, font apparaître des prix variant de 2.007,25 € à 640,30 € le m² pour un prix moyen de 1.050 € . Cependant, le bailleur n'établit pas que les droits au bail de ces références correspondent à des suppléments de loyers alors que l'expert a relevé que ces sommes avaient été versées aux précédents locataire et non aux bailleurs. La méthode proposée par le bailleur, qui comme le relève l'expert n'intègre pas le caractère d'immobilisation du droit au bail que le locataire peut récupérer lors de la vente de son fonds, ne peut donc être retenue

Quant aux références citées par la locataire, l'expert a constaté à bon droit leur manque de pertinence alors que ces locaux, place du marché Victoire Hugo ou rue d'Austerlitz, sont situés dans un secteur de moindre commercialité que la place Wilson.

Par ailleurs, les autres éléments visés à l'article L. 145-33 du code de commerce, en vertu desquels doit également être déterminée la valeur locative des locaux loués, font ressortir que ces derniers bénéficient d'une situation autour d'une des places majeures de l'hyper centre ville et dans un secteur d'excellente commercialité réputé pour ses activités de loisirs avec la présence de cinémas, théâtre, grandes enseignes de produits culturels dont la clientèle profite pleinement à l'activité de bar-restaurant exercée par la SARL LE BON VIVRE.

En outre, ces locaux loués sont très bien adaptés à leur utilisation alors qu'ils sont répartis sur deux niveaux, avec la cuisine à proximité de la salle de restaurant qui se trouve en rez-de-chaussée, comme le bar.

Enfin, la locataire a bénéficié à son entrée dans les lieux d'un loyer fixé à un prix qui prenait en compte la courte durée et la précarité du bail alors que, compte tenu de la requalification judiciaire de celui-ci, elle bénéficie désormais de la propriété commerciale sans versement d'un droit d'entrée.

Dans ces conditions, l'estimation de la valeur locative par l'expert apparaît insuffisante et celle-ci sera fixée plus justement à 750 € le m².

Compte tenu de la surface pondérée totale de 112 m² calculée par l'expert, non contestée par les parties et qui sera donc retenue, le prix du loyer du bail renouvelé à compter du 1er janvier 2003 doit en conséquence être fixé à la somme de 84.000 € (750 x 112) hors charges et hors taxes.

Sur les autres demandes :

Les intérêts courront au taux légal sur la différence entre les loyers dus et les loyers payés au fur et à mesure de leur échéance, à compter du 1er janvier 2003, en vertu de l'article 1155 du code civil.

La capitalisation des intérêts dus au moins pour une année entière sera ordonnée à compter du 9 mai 2005, date du mémoire de M. A. dans lequel cette demande a été formulée pour la première fois, en application de l'article 1154 du code civil.

La SARL LE BON VIVRE sera déboutée de sa demande de remboursement du trop- perçu, devenue sans fondement du fait de la fixation du loyer renouvelé à un montant supérieur à celui du loyer réglé.

La fixation du prix du loyer renouvelé étant faite dans l'intérêt commun des parties, les dépens seront partagés entre elles par moitié en vertu de l'article 695 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

Infirme le jugement entrepris.

Statuant à nouveau :

Fixe le prix du loyer annuel du bail renouvelé à la somme de 84.000 € hors charges et hors taxes à compter du 1er janvier 2003.

Dit que les intérêts courront au taux légal sur la différence entre les loyers dus et les loyers payés au fur et à mesure de leur échéance, à compter du 1er janvier 2003.

Ordonne la capitalisation des intérêts dus au moins pour une année entière à compter du 9 mai 2005.

Déboute la SARL LE BON VIVRE de sa demande de remboursement du trop-perçu.

Rejette les demandes en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Fait masse des dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais d'expertise, et dit qu'ils seront partagés par moitié entre les parties, dont distraction au profit des avoués en la cause en vertu de l'article 699 du code de procédure civile.