ADLC, 12 mai 2021, n° 21-DCC-79
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Décision
relative à la prise de contrôle exclusif de la Société du Pipeline Méditerranée-Rhône par la société Transport Stockage Énergies
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré sur le rapport oral de M. Pierre Boyadjian, M. Pierre Larcher, M. Nicolas Lluch, et Mme Géraldine Rousset, rapporteurs, et l’intervention de M. Étienne Chantrel, rapporteur général adjoint, par Mme Irène Luc, vice-présidente, présidente de séance, M. Emmanuel Combe, M. Henri Piffaut et Mme Fabienne Siredey-Garnier, vice-présidents
L’Autorité de la concurrence,
Vu le dossier de notification adressé au service des concentrations le 14 septembre 2020, déclaré complet le 30 septembre 2020, relatif à la prise de contrôle exclusif de la Société du Pipeline Méditerranée-Rhône par la société Transport Stockage Énergies, formalisée par un accord de cession du 4 mars 2020 ;
Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;
Vu la décision n° 20-DEX-01 du 8 décembre 2020 d’ouverture d’un examen approfondi en application du dernier alinéa du III de l’article L. 430-5 du code de commerce ;
Vu les observations présentées par les représentants de la société Transport Stockage Énergies le 10 mars 2021 en réponse au rapport des services d’instruction du 17 février 2021 ;
Vu les éléments complémentaires transmis par la partie notifiante au cours de l’instruction ;
Vu les engagements déposés le 21 janvier 2021, le 30 mars 2021 et le 21 avril 2021 par la partie notifiante ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Les rapporteurs, le rapporteur général adjoint, le commissaire du Gouvernement et les représentants de la société Transport Stockage Énergies entendus au cours de la séance du 24 mars 2021 ;
Les témoins entendus sur le fondement des dispositions de l’article L. 430-6, alinéa 3, du code de commerce ;
Adopte la décision suivante :
Résumé1
La société Transport Stockage Énergie (ci-après, « TSE ») est une filiale du groupe Ardian. Le groupe Ardian gère et conseille des fonds d’investissements dans divers secteurs, ses activités étant notamment tournées vers les infrastructures. Via TSE, Ardian détient 47 % du capital de la cible. Ardian co-contrôle, avec EDF, la société Géosel-Manosque, qui exploite des dépôts de stockage de produits pétroliers à Manosque.
La Société du Pipeline Méditerranée-Rhône (ci-après, « SPMR ») possède et exploite le Pipeline Méditerranée-Rhône (ci-après, « le PMR »), réseau de canalisations de 760 km de long, qui approvisionne les dépôts du sud-est de la France en produits raffinés : gazole, essences, fioul domestique et carburéacteur.
L’opération consiste en la prise de contrôle exclusif de la SPMR par Ardian. Avant l’opération, la SPMR n’est pas contrôlée au sens du droit des concentrations, dans la mesure où aucun de ses actionnaires, à savoir Ardian (via TSE), Trapil, Esso, ENI et Thévenin-Ducrot Distribution, ne peut exercer sur elle, seul ou conjointement, une influence déterminante.
L’Autorité a analysé les effets de l’opération sur le marché du transport de produits pétroliers raffinés par oléoduc dans le sud de la France et sur le marché du stockage de produits pétroliers raffinés.
S’agissant du marché du transport de produits raffinés par oléoduc dans le sud de la France, l’Autorité a constaté qu’il n’existait pas d’alternative au PMR. Premièrement, les modes alternatifs de transport, tels que le camion, la barge ou le train, n’exercent pas une pression concurrentielle sur le PMR, compte tenu notamment des différences en termes de volumes transportés, de sécurité et d’impact environnemental. Deuxièmement, les autres oléoducs présents dans le sud de la France ne constituent pas des alternatives au PMR. En particulier, l’oléoduc de défense commune (ODC), oléoduc militaire, dont les cycles commerciaux ne sont pas adaptés à la demande des clients, et le SPSE, qui transporte essentiellement des produits pétroliers bruts, n’exercent pas une véritable pression concurrentielle sur le PMR.
Le PMR est donc en situation de monopole de fait sur le marché du transport de produits pétroliers raffinés dans le sud de la France. Compte tenu de son caractère incontournable et des importantes barrières à l’entrée sur le marché, de nature économique et réglementaire, rendant le PMR non duplicable par d’éventuels concurrents, l’Autorité a considéré qu’il pouvait être qualifié d’infrastructure essentielle.
Avant l’opération, la prise de décision au sein de la SPMR nécessitait un certain consensus des actionnaires, dont certains sont utilisateurs de l’oléoduc. L’analyse des discussions relatives aux tarifs du PMR a permis de constater que les discussions au sein du conseil d’administration ont conduit à limiter les hausses de prix, et partant, la maximisation des profits de la SPMR.
Ainsi, après l’opération, Ardian pourra prendre seul les décisions relatives à la politique commerciale et d’investissement de la SPMR, dans l’objectif de maximiser son profit dans la mesure où il n’exerce pas d’activité à l’amont ou à l’aval du transport de produits pétroliers par oléoduc. Cette maximisation pourra se traduire par une augmentation des tarifs du PMR, mais également par une dégradation de la qualité des services, compte tenu, notamment, de l’absence d’incitation d’Ardian à investir en vue de l’améliorer, dès lors que ces investissements n’ont pas pour effet d’accroître la rentabilité du PMR.
Aux termes de son analyse, l’Autorité a constaté que le commissaire du Gouvernement et le ministre en charge de l’énergie exercent actuellement sur la SPMR un contrôle réel, mais qui se limite, pour l’essentiel, au champ de la politique énergétique et à la continuité d’approvisionnement en produits pétroliers du territoire français. Ce contrôle n’apparaît pas suffisant pour écarter le risque qu’Ardian puisse, après l’opération, user du pouvoir de marché détenu par la SPMR sur le marché du transport de produits pétroliers raffinés par oléoducs dans le sud de la France.
De plus, compte tenu de la position de monopole détenue par la SPMR et de l’absence d’alternatives suffisantes en matière de transport de produits raffinés dans le sud de la France, une dégradation de l’offre qu’Ardian déciderait de mettre en œuvre n’occasionnerait pas une perte de clientèle significative. En particulier, s’agissant des tarifs, il est ressorti de l’instruction que les clients de la SPMR répercuteraient une hausse des tarifs sur le consommateur final.
En revanche, l’Autorité a écarté tout risque d’effet non-horizontal entre l’activité de stockage de produits pétroliers exercée par la société Géosel-Manosque, contrôlée conjointement par Ardian et EDF, et le transport de produits raffinés par le PMR, compte tenu de la spécificité de l’activité de stockage exercée par la société Géosel-Manosque (stockage de long terme essentiellement).
S’agissant des risques identifiés sur le marché du transport de produits pétroliers par oléoduc dans le sud de la France, l’Autorité a considéré qu’Ardian n’avait pas apporté suffisamment d’éléments au soutien des gains d’efficience allégués.
Par ailleurs, l’Autorité a considéré que les engagements proposés par Ardian n’étaient pas suffisants pour remédier aux risques d’effets anti-concurrentiels de l’opération.
Les deux premières propositions d’engagements déposées par Ardian visaient, notamment, à limiter la capacité d’Ardian d’adopter seul les décisions de hausses tarifaires et à accroître le rôle du commissaire du Gouvernement, s’agissant des décisions non-tarifaires. L’Autorité a toutefois considéré que ces mesures étaient insuffisantes pour remédier aux risques identifiés, dans la mesure où, en premier lieu, s’agissant des décisions tarifaires, elles ne permettaient pas la formation de majorité alternative à Ardian, contrairement à la situation prévalant avant l’opération, et, en deuxième lieu, Ardian aurait pu utiliser comme levier son pouvoir de décision sur les décisions non tarifaires pour influencer en son sens les votes des actionnaires minoritaires sur les décisions tarifaires et où, en troisième lieu, l’exécution de l’engagement sur les décisions non-tarifaires dépendait de la diligence d’un tiers à l’opération, le commissaire du Gouvernement.
La troisième proposition d’engagements déposée par Ardian visait à neutraliser le contrôle d’Ardian sur la SPMR jusqu’à l’adoption d’une régulation répondant aux problèmes concurrentiels identifiés dans la présente décision. Pour ce faire, Ardian proposait que les actionnaires minoritaires nomment quatre des neuf membres du conseil d’administration, Adrian disposant également de quatre administrateurs et que soit nommé un neuvième administrateur indépendant. L’Autorité a également considéré que ces mesures étaient insuffisantes pour remédier aux risques identifiés. Elle a en effet estimé qu’à supposer que les engagements soient à même de neutraliser le contrôle détenu par Ardian sur la SPMR après l’opération, cette neutralisation aurait, en réalité, pour effet de vider de sa substance l’opération de concentration, pour une durée potentiellement illimitée, en empêchant l’exercice par Ardian d’une influence déterminante sur l’ensemble des activités de la cible. Elle a également relevé qu’Ardian conservant la majorité au sein de l’assemblée générale, il n’était pas garanti que ce dernier ne puisse exercer aucune influence sur les décisions stratégiques de la cible. En outre, l’Autorité a souligné que la nomination d’un administrateur indépendant ne garantissait pas qu’Ardian ne pourrait pas user du pouvoir de marché de la SPMR. Elle a enfin relevé le caractère problématique d’un engagement d’une durée potentiellement illimitée, qui pourrait alors être assimilé à une forme de régulation sectorielle.
L’Autorité a constaté que l’opération portant uniquement sur la prise de contrôle du PMR, elle ne pouvait prononcer aucune injonction structurelle et qu’une injonction comportementale ne serait pas davantage adaptée, car seules des injonctions s’apparentant à un contrôle exercé par une autorité de régulation sectorielle pourraient être de nature à répondre efficacement aux préoccupations engendrées par le comportement de la nouvelle entité. Or, une injonction comportementale ne peut se substituer à une réglementation instaurant un contrôle sectoriel ex ante.
Dès lors qu’aucune mesure corrective adaptée ne pouvait être envisagée sous la forme d’injonctions ou d’engagements, l’Autorité a décidé d’interdire l’opération
DÉCISION N° 21-DCC-79 DU 12 MAI 2021 RELATIVE À LA PRISE DE CONTRÔLE EXCLUSIF DE LA SOCIÉTÉ DU PIPELINE MÉDITERRANÉE-RHÔNE PAR LA SOCIÉTÉ TRANSPORT STOCKAGE ÉNERGIES
I. Les entreprises concernées et l’opération
A. LES ENTREPRISES CONCERNÉES
1. LA SOCIÉTÉ TRANSPORT STOCKAGE ÉNERGIES
1. La société Transport Stockage Énergies (ci-après « TSE ») est une filiale de fonds gérés par Ardian France (ci-après « Ardian »). Ardian, société anonyme de droit français de capital- investissement fondée en 1996, gère et conseille, à travers ses filiales, des fonds d’investissement. Ardian investit principalement dans (i) d’autres fonds d’investissements, (ii) des entreprises non cotées et (iii) des sociétés en charge du développement et de la gestion d’infrastructures, telles que les autoroutes, les réseaux de distribution d’eau potable ou les énergies renouvelables. S’agissant des infrastructures, Ardian exerce notamment un contrôle conjoint sur la société de stockage d’hydrocarbures Géosel-Manosque (ci-après « Géosel »)2.
2. LA SOCIÉTÉ DU PIPELINE MÉDITERRANÉE-RHÔNE
2. La Société du Pipeline Méditerranée-Rhône (ci-après « SPMR ») est une société anonyme de droit français propriétaire d’un réseau de transport de produits pétroliers raffinés de plus de 760 km de longueur dans le sud-est de la France, dénommé le pipeline Méditerranée-Rhône (ci-après « PMR »). Les actionnaires de la SPMR sont TSE (47,2 %), Trapil (32,8 %), Esso (14,2 %), ENI (5 %) et Thévenin-Ducrot Distribution (0,8 %).
3. Avec le PMR, la SPMR transporte des produits pétroliers raffinés (gazole, essences, fioul domestique et carburéacteur). L’oléoduc relie les raffineries et dépôts d'importation de l'étang de Berre et de Feyzin aux dépôts de distribution de la Côte d'Azur, de la vallée du Rhône, de la région lyonnaise et de la Savoie. Il est également indirectement connecté aux ports de Lavéra et Fos-sur-Mer et raccordé à la conduite suisse de la société SAPPRO, qui assure l'approvisionnement du canton de Genève. Des stations de terminaux de livraison et des dépôts situés le long du PMR permettent d’approvisionner l'ensemble de ces régions en produits pétroliers raffinés, qui sont ensuite acheminés par camions citernes vers les zones de consommation (stations-service, distributeurs de fioul domestique et aéroports).
4. Le PMR a le statut de conduite d’intérêt général, aux termes du décret du 8 mai 1967 autorisant la construction et l’exploitation d’une conduite d’intérêt général destinée au transport d’hydrocarbures liquides, pris sur le fondement de l’article 11 de la loi de finances n° 58-336 du 29 mars 1958. En vertu de l’article 5 du décret précité, l’autorisation de construire et d’exploiter le réseau de pipelines PMR a été confiée à la SPMR.
5. En outre, les articles 10 et 13 du décret du 8 mai 1967 précité soumettent la SPMR à une obligation de garantir un accès au PMR et des conditions financières non-discriminatoires à tous les usagers de l’oléoduc.
6. Depuis sa création, la SPMR fait l’objet d’un contrôle administratif, instauré par le décret du 8 mai 1967 précité, complété par le décret n° 2012-615 du 2 mai 2012 relatif à la sécurité, l’autorisation et la déclaration d’utilité publique des canalisations de transport de gaz, d’hydrocarbures et de produits chimiques, lui-même pris sur le fondement de l’ordonnance n° 2010-418 du 27 avril 2010 harmonisant les dispositions relatives à la sécurité et à la déclaration d'utilité publique des canalisations de transport de gaz, d’hydrocarbures et de produits chimiques.
7. Le décret n° 2012-615 simplifie les dispositions réglementaires applicables aux canalisations précitées, qui relevaient précédemment de treize décrets différents, en les regroupant dans un chapitre du code de l’environnement. Il définit, en outre, les règles particulières applicables à ces canalisations « au titre du service public de l’énergie et de la maîtrise des approvisionnements énergétiques », selon les termes de sa notice d’impact.
8. Les « canalisations de transport d'hydrocarbures liquides ou liquéfiés qui présentent un intérêt général parce qu'elles contribuent à l'approvisionnement énergétique national ou régional au sens de l'article L. 555-25 du code de l'environnement » sont régies, pour partie, par le code de l’environnement, pour partie par l’article 6 du décret n° 2012-615 dont les « II, IV, V et VI […] s’appliquent également aux canalisations d’intérêt général dont la date du décret d’autorisation est antérieure à la date de publication du présent décret ».
9. Ainsi que l’Autorité l’a relevé dans son avis n° 21-A-01 du 1er mars 20211 relatif au projet d’arrêté portant contrôle des oléoducs d’intérêt général par le ministre en charge de l’énergie, l’article 6 du décret n° 2012-615 précité soumet ainsi, pour l’essentiel, les sociétés bénéficiaires d’une autorisation de construction et d’exploitation de ces oléoducs à quatre types de contrôle :
un contrôle du ministre en charge de l’énergie sur les changements de capital et de contrôle de la société, assorti d’un droit d’opposition (II) ;
un contrôle du commissaire du Gouvernement auprès de la société, qui peut
« notamment s’opposer à toute décision de la société contraire à la politique générale du gouvernement en matière d’énergie » (III) ;
un contrôle par le ministre en charge de l’énergie des statuts et donc du fonctionnement de la société (III et IV) ; et,
un contrôle du ministre en charge de l’énergie sur la fixation initiale et les modifications ultérieures des tarifs d’accès aux canalisations, caractérisé par un droit d’opposition (V)3.
10. En ce qui concerne ce dernier contrôle, le V de l’article 6 précise :
« Les dispositions prises par le bénéficiaire au début de l'exploitation, concernant les tarifs d'accès à ses canalisations, sont soumises au contrôle du ministre chargé de l'énergie, deux mois avant leur mise en vigueur. Toute modification ultérieure fait l'objet d'une déclaration motivée au ministre chargé de l'énergie, un mois au moins avant sa mise en vigueur.
Pendant ces délais, le ministre chargé de l'énergie peut faire opposition aux mesures proposées ».
11. Le décret n° 2012-615 précité a donc institué un contrôle du ministre chargé de l’énergie, assorti d’un droit d’opposition, qui s’exerce en deux temps : un contrôle sur les dispositions définissant les tarifs d’accès, au début de l’exploitation, puis un contrôle sur toute modification ultérieure de ces tarifs.
12. À côté du contrôle exercé par le ministre, les statuts de la SPMR confèrent un rôle de surveillance des activités de l’entreprise au commissaire du Gouvernement.
13. L’article 24 des statuts de la SPMR4 dispose, en particulier, que le commissaire du Gouvernement :
« assiste aux assemblées générales et aux séances du conseil d’administration » et
« peut prendre part, [à sa] demande, aux séances des comités et groupes de travail qui seraient institués au sein de la [SPMR] » ;
« dispose de tous pouvoirs d’investigation sur pièce et sur place » ;
« peut faire connaître son avis au conseil d’administration sur tous les problèmes qui y sont évoqués et sur l’orientation de la politique générale suivie par la société » ;
« présente toutes observations qu’il juge conforme à l’intérêt général » et « peut demander l’inscription de toute question à l’ordre du jour » ; et,
« peut présenter des réserves sur toute décision de la société jugée par lui incompatible avec la politique générale du Gouvernement en matière d’approvisionnement pétrolier ou de transports ».
B. L’OPÉRATION
14. L’opération notifiée, matérialisée par un contrat de cession d’actions du 24 mars 2020, consiste en l’acquisition par TSE de 5 % du capital social et des droits de vote de la SPMR détenus par ENI. À l’issue de l’opération, TSE détiendra ainsi 52,216 % du capital de la SPMR.
15. Compte tenu de la majorité simple dont elle disposera au sein de l’assemblée générale des actionnaires de la SPMR, TSE décidera seule, in fine, de la nomination et de la révocation des administrateurs de la SPMR, lesquels auront, notamment, pour responsabilité de nommer les dirigeants et de décider de la politique commerciale de la société, les actionnaires minoritaires ne disposant, par ailleurs, d’aucun droit de veto leur conférant un pouvoir d’influence déterminante sur la stratégie de la SPMR. En ce qu’elle se traduit par la prise de contrôle exclusif de la SPMR par Ardian, l’opération constitue une concentration au sens de l’article L. 430-1 du code de commerce.
16. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d’affaires hors taxes total sur le plan mondial de plus de 150 millions d’euros (Ardian : environ [≥ 150 millions] d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2019 ; SPMR : 86,4 millions d’euros pour le même exercice). Chacune de ces entreprises a réalisé en France un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros (Ardian : environ [≥ 50 millions] d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2019 ; SPMR : 68,7 millions d’euros pour le même exercice). Compte tenu de ces chiffres d’affaires, l’opération ne revêt pas une dimension européenne. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au I de l’article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. La présente opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce, relatives à la concentration économique.
II. Délimitation des marchés pertinents
17. Les différentes étapes de la chaîne d’approvisionnement en pétrole en France peuvent être résumées ainsi :
18. Les dépôts d’importation et les raffineries sont reliés à des moyens de transport massifs, dans la quasi-totalité des cas à des oléoducs, qui permettent d’acheminer les produits raffinés sur tout le territoire jusqu’aux dépôts dits de distribution ou de maillage, de dimension plus modeste que les dépôts d’importation, qui permettent un stockage à proximité des zones de distribution (stations-services, aéroports ou distributeurs de fioul domestique par exemple) et à partir desquels ils sont acheminés vers celles-ci par camion.
19. La SPMR est propriétaire de l’oléoduc PMR qui dessert le sud-est de la France en produits raffinés (voir la carte ci-dessous) et en a délégué l’exploitation à la société Trapil.
20. Le réseau du PMR se compose de trois tronçons : un tronçon « B1 » partant de Marseille6 jusqu’à Lyon, un tronçon « B1-B3 » partant de Marseille jusqu’à Genève en passant par la grande agglomération de Lyon (bifurcation juste avant Lyon à Villette-de-Vienne) et par Grenoble, et un tronçon « B6 », indépendant, partant de Marseille jusqu’à Puget-sur-Argens, sur la Côte d’Azur (seul point de sortie sur ce tronçon).
21. Ardian contrôle, conjointement avec EDF7, la société de stockage d’hydrocarbures Géosel, qui possède et exploite un dépôt destiné au stockage de produits pétroliers relié au PMR (voir la carte ci-dessous)8. Géosel est active dans le stockage et, accessoirement, dans le transport d’hydrocarbures en France, via l’exploitation d’un ensemble de cavités souterraines à Manosque (Alpes-de-Haute-Provence), reliées aux raffineries de la zone Fos/Lavéra, au Grand Port Maritime de Marseille et aux réseaux internationaux de pipelines de la SPMR et de la Société du Pipeline Sud-Européen (ci-après « SPSE »)9.
22.
23. L’opération concerne ainsi les marchés du transport de produits raffinés par oléoduc (A), ainsi que les marchés du stockage de ces produits (B).
A. LES MARCHÉS DU TRANSPORT DE PRODUITS RAFFINÉS PAR OLÉODUC
1. DÉLIMITATION DES MARCHÉS DE SERVICES
a) Distinction entre le transport par oléoduc de produits bruts et de produits raffinés24. La Commission européenne11 et l’Autorité12 ont identifié un marché du transport de produits raffinés par oléoducs, distinct du transport de produits bruts par oléoduc13. Elle a indiqué que « les oléoducs transportant les produits pétroliers finis (essences, gazole, fioul domestique) sont des outils logistiques employés à la réception et à la distribution de produits raffinés par différents opérateurs pétroliers, à savoir, les raffineurs, les indépendants ou la grande distribution »14.
25. En l’espèce, le PMR transporte uniquement des produits raffinés.
b) Distinction entre le transport par oléoduc et le transport par train, barge ou camion
26. Il ressort également de la pratique décisionnelle de la Commission européenne15 et de l’Autorité16 que le transport de produits raffinés par oléoduc n’est pas substituable au transport par train, par bateau fluvial ou par camion, compte tenu notamment de la différence de coûts entre ces moyens de transport, le transport par oléoduc étant le moyen le moins onéreux, des contraintes logistiques intrinsèques au transport par rail et des distances réduites couvertes par le transport en camion.
27. La partie notifiante souligne pour sa part que, « même si un marché limité au transport par oléoduc est souvent retenu, il ne peut être exclu que les autres moyens de transport d’hydrocarbures (camions, trains) exercent une pression concurrentielle sur les opérateurs d’oléoducs17 ». Au cours de l’instruction, elle a produit deux études visant à analyser la pression concurrentielle exercée par le transport routier sur le PMR18. Toutefois, ces études ne permettent pas de conclure à la substituabilité entre le transport de produits raffinés par oléoducs et un autre mode de transport, compte tenu de leurs limites, relevées tant par les services d’instruction19 que par la partie notifiante20 elle-même. En particulier, les deux études lient le niveau des prix du PMR aux volumes transportés sans prendre en compte, entre autres, les autres facteurs de variations des volumes transportés. Il est alors difficile d’évaluer si et dans quelle mesure les clients peuvent se reporter vers d’autres solutions de transport en cas de hausse de prix du PMR. En effet, les variations observées des volumes transportés peuvent être dues à d’autres causes qu’une variation du prix du PMR, comme une évolution de la demande de services de transport (tendance générale de marché des produits pétroliers raffinés, ouverture ou fermeture d’une ou de plusieurs stations-service) ou une évolution des prix des autres modes de transport.
28. La partie notifiante a également transmis une étude visant à démontrer que la pression concurrentielle exercée par les modes de transport alternatifs sur le PMR était appelée à s’accroître, compte tenu de la baisse des volumes transportés. Cette étude sera analysée aux paragraphes 36 et suivants de la présente décision, relatifs aux différences de prix entre le transport par oléoduc et les autres moyens de transport.
29. Il ressort de l’instruction que la distinction entre le transport de produits raffinés par oléoduc et les autres moyens de transport (camions, barges et trains) est toujours pertinente. Les répondants au test de marché ont ainsi largement confirmé l’absence de substituabilité entre le transport par oléoduc et les autres moyens de transport. Cette absence de substituabilité résulte des différences suivantes : premièrement, les modes de transport alternatifs n’offrent pas les mêmes garanties que le transport par oléoduc, notamment en termes d’approvisionnement, de sécurité et d’émission de gaz carbonique ; deuxièmement, le recours à un mode de transport alternatif des produits raffinés ne peut se faire aisément, compte tenu de l’impact d’un tel changement sur la chaîne logistique ; troisièmement, s’agissant du transport par barges et par trains, la plupart des dépôts connectés au PMR ne sont pas équipés d’installations pour recevoir de tels moyens de transport ; quatrièmement, les moyens de transports alternatifs ne permettent pas de transporter des volumes aussi importants que ceux transportés par oléoduc.
Sur les caractéristiques respectives du transport par oléoduc et des modes alternatifs
30. Le transport par oléoduc offre un niveau de service aux clients qui ne saurait être égalé par les moyens de transport alternatifs.
31. En effet, le transport par oléoduc garantit non seulement une continuité, mais aussi une sécurité d’approvisionnement que n’offrent pas les autres modes de transport, compte tenu des aléas auxquels ils sont soumis, tels les intempéries ou des mouvements sociaux. Par exemple, s’agissant du transport par train, le groupe Esso a estimé que « l’approvisionnement par train n’offre pas les mêmes performances de fiabilité de continuité de service que l’oléoduc (à titre d’exemples : en raison des incendies ou inondations dans le sud-est endommageant le réseau ferroviaire devenant alors impraticable, ou en raison des différentes grèves SNCF) ». Le groupe Total a pour sa part indiqué que « le transport par rail sert principalement à assurer la liaison entre certaines raffineries et dépôts non desservis par oléoducs (principalement dans le Centre et le Sud-Ouest de la France) ». Le groupe Auchan a estimé que le transport par barges sur le Rhône était soumis à des risques, tels que des « grèves sur la zone de Fos-Lavera », des problématiques de niveau d’eau et de pannes d’écluses21. Enfin, s’agissant du transport par camion, le groupe Esso a indiqué que « le risque sécurité est un critère aussi pris en compte car une option plus économique de transport par route ne permettrait pas de compenser les éventuels risques de sécurité engendrés par des milliers de camions sur les routes »22.
32. En outre, le transport par oléoduc permet aux clients de limiter fortement leur empreinte carbone, ce qui est de nature à constituer demain un facteur décisif de choix.
Sur les difficultés de changement de modes de transport
33. Par ailleurs, les clients ne disposent pas de la possibilité de recourir facilement à des modes alternatifs de transports de leurs produits raffinés, en raison de l’impact qu’aurait une telle décision sur l’ensemble de leur chaîne logistique. Ils choisissent en effet généralement de faire effectuer le transport de leurs produits par oléoduc jusqu’au dépôt de distribution le plus proche de leurs propres clients, puis les transportent jusqu’aux points de vente de détail, par camions. Tout changement consistant par exemple à transporter les produits par des moyens alternatifs, à partir de dépôts d’importation, de raffineries ou de dépôts de distribution plus lointains de leurs propres clients, les conduirait à procéder à un arbitrage entre les différentes solutions. Or, il s’avère que :
un transfert de volumes vers la route aurait pour effet de les priver du bénéfice des tarifs préférentiels23 dans les dépôts dont ils bénéficient s’ils contractualisent des capacités importantes, par exemple, en raison du fait qu’ils livrent un nombre important de points de livraison à partir des dépôts en question. Beaucoup de dépôts appliquent en effet des politiques de tarifs unitaires dégressifs en fonction des capacités réservées ou des durées de stockage ;
la demande de transport de produits raffinés est également contrainte par le caractère potentiellement irréversible d’un report de volumes vers un autre mode de transport. D’une part, un tel report nécessiterait des investissements importants et spécifiques, partant, un engagement relativement long auprès du transporteur alternatif, afin de pouvoir rentabiliser les investissements. D’autre part, tout report des volumes transportés par le PMR vers un mode de transport alternatif est susceptible de réduire les capacités de transport allouées à l’entreprise concernée lors des périodes de saturation du PMR, celles-ci étant calculées sur les volumes transportés par le PMR lors des années passées. Ce risque a d’ailleurs été signalé aux services d’instruction par plusieurs entreprises24.
Sur l’absence d’installations permettant de recevoir trains ou barges
34. Le recours à des modes de transport alternatifs, tels que les barges ou le train, est également limité car la plupart des dépôts connectés au PMR ne sont pas équipés d’installations permettant de recevoir des trains ou des barges.
35. Aucun des dépôts de distribution connectés au PMR n’est équipé d’installations actives permettant de réceptionner des livraisons par train et seuls les dépôts de Port Herriot à Lyon sont équipés d’installations permettant de recevoir des barges. Une connexion de ces dépôts au réseau ferroviaire ou l’installation d’appontements apparaît peu probable, compte tenu, d’une part, de leur coût respectif et de la forte spécificité des investissements requis, et d’autre part, de la nécessité de disposer d’autorisations administratives, le transport de produits raffinés étant étroitement encadré. Il faudrait dès lors que les clients du PMR se reportent vers des dépôts non connectés au PMR pour envisager de recourir au transport par rail ou barge. Or, un tel report aurait certainement pour effet d’augmenter la distance parcourue en camions entre le dépôt et le point de livraison, ce qui est de nature à dissuader les clients d’envisager un tel report. Le groupe Distridyn a ainsi indiqué que « ces options de reports sur des sites de chargement « hors réseau PMR » sont hypothétiques dans la mesure où nous pouvons considérer que la plupart des chargeurs de camions-citerne optimisent déjà leur choix de point de chargement en prenant en considération des questions relatives au temps de parcours des camions-citerne (qu’il convient de limiter pour des raisons évidentes de réduction des risques et de l ’empreinte carbone), au temps de chargement des camions-citerne dans les entrepôts (tout report vers un entrepôt entraîne le risque que les temps de chargements de ce site, les temps d’attente soient augmentés). Enfin, la composante « transport terminal », le prix du km parcouru par le camion- citerne chargé d’hydrocarbures a tendance à augmenter pour diverses raisons qui font que l’hypothèse d’un report sur un entrepôt « hors PMR » ne serait pas économiquement la meilleure à terme »25.
Sur les volumes transportés et les différences de coûts
36. Seul le transport par oléoduc permet à ce jour une massification des flux et garantit des coûts plus bas.
37. De façon générale, le transport par oléoduc permet une massification qui ne peut être égalée par aucun autre mode de transport. Le groupe Esso a ainsi indiqué que « le PMR transporte 10 millions de tonnes par an, un camion c’est 35 tonnes par livraison unitaire - cela représenterait 300 000 camions par an -, une barge c’est de l’ordre de 1 000 tonnes et un train au maximum 2 000 tonnes. Il paraît dès lors compliqué de transférer une partie non négligeable des 10 millions de tonnes sur la route ou sur des barges ou sur des trains. Il faudrait mobiliser énormément de trains, barges ou camions »26. Dans le même sens, le Dépôt Pétrolier de Haute- Savoie a indiqué « « pour le seul dépôt d’Annecy, non connecté sur le Rhône, les livraisons annuelles représenteraient donc 19 500 allers-retours « Marseille Annecy », soit environ 8 millions de km parcourus »27.
38. S’agissant du recours au transport par camion, le report de volumes transportés par le PMR vers du transport routier se heurte à des contraintes de capacités et de durée. D’une part, il est peu probable que l’offre actuellement disponible de transport routier puisse répondre à une demande massive de transport de produits raffinés (voir infra) ; d’autre part, les axes routiers, dont certains sont déjà très chargés tels que l’axe Marseille-Lyon, ne seraient pas en mesure d’absorber de tels flux supplémentaires sans un coût (lié notamment à l’aléa du temps de transport) très élevé. Enfin, les dépôts d’importation ou les raffineries d’où partent les volumes devraient être dotés de nouvelles installations de chargement de camions. S’agissant d’un recours massif au transport routier, le groupe BP a indiqué que « les temps de parcours [en camions] ne seraient pas compatibles ni avec les moyens humains disponibles (conducteurs) et ni avec les moyens matériels disponibles (camion citernes) »28.
39. Cette différence de volumes transportés se traduit par des différences importantes de coûts. Le groupe Trapil a ainsi indiqué que « sur [l]e tronçon [Fos-sur-Mer et Lyon], le tarif est très compétitif comparé à celui du transport routier ou fluvial : il est de 10 euros par m3 transporté de Fos à Lyon contre 25 euros par m3 pour le transport par route sur la même distance, et 15 euros par m3 pour le transport par barges de nouveau sur cette même distance »29. Le groupe BP a ainsi estimé qu’en cas de report massif vers le transport routier, « le coût d’accès au produit serait fortement augmenté et supporté par le client final »30. Le Dépôt Pétrolier de Haute Savoie (DPHS) estime que « les tarifs ne sont pas du tout du même ordre et les volumes massifs transportés par pipeline ne pourraient aucunement être convertis par barge ou route »31.
40. La partie notifiante estime toutefois que la compétitivité-prix des alternatives au transport par oléoduc augmentera, compte tenu de la décroissance des volumes de produits raffinés consommés en France32, car la compétitivité du transport massif par oléoduc repose sur les volumes et les économies d’échelle. Or, selon elle, l’infrastructure devrait se trouver en surcapacité à moyen terme : les oléoducs reposant sur l’amortissement d’investissements importants et supportant des coûts fixes élevés, dont le poids est important dans leur structure de coûts, les solutions de transport, comme le transport routier par exemple, à structure de coûts principalement variables, moins soumises à des effets d’échelle, pourraient plus facilement maintenir des niveaux de marge acceptables, en présence d’un volume d’activité plus réduit. En outre, face à la décroissance des volumes, les plus petits dépôts pétroliers situés sur des aires de population peu denses risqueraient, toujours selon la partie notifiante, d’être moins résistants que les dépôts de plus grande capacité localisés à proximité des métropoles.
41. Toutefois, il est peu probable que les volumes transportés par le PMR diminuent de façon importante à court ou moyen terme.
42. En effet, si la stratégie nationale bas carbone (ci-après, « SNBC »)33 ambitionne une diminution en France de la consommation totale en produits pétroliers de près de 40 % entre 2019 et 2030, la partie notifiante elle-même anticipe que ces objectifs ne seront pas satisfaits, en particulier dans la zone géographique du PMR. […]34.
43. Par ailleurs, le PMR a la possibilité de transporter des biocarburants. Il ressort d’ailleurs des éléments transmis par Ardian que la conversion de l’oléoduc, afin qu’il puisse transporter de nouveaux produits dans le cadre de la transition écologique constitue un des objectifs de la prise de contrôle du PMR. Dans sa note explicative des premiers engagements proposés, le groupe Ardian a notamment indiqué que « dans le contexte actuel de décroissance des volumes, Ardian souhaite accélérer la transformation de la SPMR afin d’assurer sa pérennité et sa rentabilité : sans évolution de sa gestion, celle-ci ne sera pas en mesure de répondre aux défis d’ores et déjà posés par la transition écologique »35.
44. Ardian a également précisé qu’avec la prise de contrôle du PMR « son seul intérêt, à l’instar des dirigeants actuels, sera de maximiser les volumes transportés et ainsi les revenus de la SPMR, et donc non seulement de faire droit à toutes les demandes de transport formulées par les clients – y compris par d’éventuels nouveaux entrants – mais aussi d’accélérer la transformation et la diversification des activités de la SPMR dans le contexte de la transition écologique, afin que celle-ci soit en mesure d’assurer techniquement le transport de nouveaux types de produits »36.
45. Cette conversion possible des infrastructures pétrolières vers les biocarburants a été confirmée au cours de l’instruction. La société Dépôt Pétrolier de Haute-Savoie (DPHS) a ainsi déclaré : « Il est très vraisemblable qu’une part importante des carburants et combustibles actuellement fossiles seront convertis dans les années à venir en produits liquides biosourcés (EMAG / HVO37…). Cette tendance existe déjà, puisqu’actuellement au moins 7 % du gasoil qui circule dans le pipeline est d’origine bio, contre moins de 5 % il y a 10 ans. L’avantage de convertir des carburants / combustibles fossiles en produits biosourcés est de bénéficier de toute l’infrastructure logistique française (pipelines / dépôts…) dont les investissements sont déjà amortis. »38.
46. En outre, il convient de rappeler que l’oléoduc est le moyen de transport de produits pétroliers raffinés le plus écologique et le plus sûr, ainsi que plusieurs acteurs l’ont souligné39. Il est donc très peu probable, qui plus est au regard des impératifs écologiques présents et à venir, que les distributeurs de produits pétroliers se détournent de cette solution de transport au profit du transport par route.
47. Enfin, les politiques publiques environnementales qui seront mises en œuvre dans les prochaines années pourraient favoriser certaines modalités de transport par rapport à d’autres, par exemple en appliquant une fiscalité plus lourde aux solutions ayant un bilan carbone moins favorable.
48. Il ressort, ainsi, de l’ensemble de ces éléments qu’il n’est pas avéré qu’à court ou moyen terme les volumes transportés par le PMR baisseront de manière significative.
49. En tout état de cause, à supposer que les volumes baissent de manière significative et rendent ainsi les modes de transport alternatifs davantage compétitifs en termes de prix, cela ne signifierait pas que les clients de la SPMR se tourneraient vers ces moyens alternatifs, le prix n’étant pas, comme il a été développé ci-dessus, le principal élément déterminant dans le choix des clients de faire transporter leurs produits raffinés par le PMR.
50. En définitive, les modes de transport alternatifs (barges, trains et camions) n’offrent pas les mêmes niveaux de service que le transport par oléoduc et ne permettent pas aux clients de transporter des volumes similaires. Par ailleurs, le changement de mode de transport ne peut se faire aisément, compte tenu de l’impact d’un tel changement sur la chaîne logistique des clients du PMR. Dès lors, tout report des clients vers un mode de transport alternatif se traduirait nécessairement par une perte de qualité du service de transport de produits raffinés et une hausse des émissions de dioxyde de carbone. En fait, ces modes de transport sont, pour l’essentiel, utilisés (i) lorsqu’il n’existe pas d’oléoducs desservant le trajet en question ou (ii) en tant que solutions ponctuelles de transport des produits. Selon le groupe Carrefour, cette absence de moyens de transport substituables au transport par oléoduc s’expliquerait par le choix fait dans les années 1950 de privilégier ce mode de transport40.
51. La majorité des répondants au test de marché ont confirmé cette absence de substituabilité. Le groupe Esso a ainsi souligné que le transport par pipeline était beaucoup plus fiable et sécurisé que les moyens de transport alternatifs, le PMR fonctionnant en continu et n’étant pas soumis aux mêmes aléas que les autres modes de transport41. Le groupe Auchan a de même estimé que « rien ne remplace la capacité de transport, la sécurité de transport et la régularité d’un pipeline »42.
52. L’Autorité relève toutefois que lorsque la distance à parcourir entre le point de chargement et le point de livraison (par exemple la station-service) est limitée, les avantages du transport par oléoduc précédemment énoncés sont moindres, les clients pouvant alors arbitrer entre un transport par oléoduc puis par camion de leurs produits et un transport intégral par camion (également appelé transport en droiture). En effet, sur de courtes distances, le transport par camion peut constituer une alternative, les risques en matière de sécurité et les émissions de dioxyde de carbone étant limités, et permet d’éviter la contrainte de rupture de charge qu’implique le recours à l’oléoduc, qui ne permet pas une livraison directe au client final. Les répondants au test de marché ont notamment identifié une telle possibilité pour le tronçon entre Marseille et Puget-sur-Argens, tronçon le plus court du PMR.
53. En tout état de cause, la question d’une éventuelle substituabilité du transport routier sur des distances limitées peut être laissée ouverte, les conclusions de l’analyse concurrentielle demeurant inchangées, quelle que soit l’hypothèse retenue.
c) Distinction entre le transport de naphta et le transport des autres produits raffinés
54. L’Autorité a, en outre, étudié une éventuelle segmentation par type de produits transportés, notamment en distinguant le transport du naphta de celui des autres produits raffinés, dans la mesure où le naphta, liquide issu de la distillation du pétrole, constitue un produit intermédiaire, pouvant être vendu à une clientèle plus large et faisant l’objet de tarifs de transport spécifiques43.
55. En l’espèce, toutefois, la question d’une segmentation par type de produits du marché du transport de produits raffinés par oléoducs peut être laissée ouverte, dans la mesure où, quelle que soit la position retenue, les conclusions de l’analyse concurrentielle demeurent inchangées.
2. DÉLIMITATION DES MARCHÉS GÉOGRAPHIQUES
56. Selon la pratique décisionnelle de la Commission européenne44, le marché du transport de produits raffinés par oléoduc en France est délimité géographiquement en deux zones (voir la carte ci-après) :
une première zone correspondant à la moitié nord de la France, qui est desservie par l’oléoduc Le Havre-Paris (ci-après, « LHP »), l’oléoduc Donges-Melun-Metz (ci-après,
« DMM ») et la partie nord de l’oléoduc de la défense commune (ci-après,
« ODC ») ; et,
une seconde zone correspondant à la moitié sud de la France, qui est desservie par l’oléoduc PMR et, marginalement, par la partie sud de l’ODC45.
57. Hormis le PMR et l’ODC auxquels fait référence la pratique décisionnelle de la Commission européenne, d’autres oléoducs transportant des produits raffinés dans le sud de la France ont été mentionnés par la partie notifiante. Il s’agit notamment des oléoducs exploités par les sociétés SPSE, Fluxel et Géosel. L’Autorité considère toutefois que ces différents oléoducs, ainsi que l’ODC, n’appartiennent pas au même marché pertinent que le PMR.
a) L’ODC
58. Bien que l’ODC présente un tracé similaire à celui du PMR entre Marseille et Lyon, il n’exerce tout au plus qu’une faible pression concurrentielle sur ce dernier, de sorte qu’il ne saurait être considéré comme appartenant au même marché. Cette absence de pression concurrentielle s’explique par différents facteurs, mettant en lumière la très faible substituabilité entre les deux oléoducs.
59. L’ODC est, tout d’abord, un oléoduc militaire. Il constitue la partie française du réseau d’oléoducs de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (ci-après, « OTAN ») en Centre- Europe (CEPS). Le CEPS a « une mission militaire qui consiste à assurer de manière continue le ravitaillement en carburants des bases militaires aériennes et logistiques implantées sur le territoire centre Europe, mais aussi à l'extérieur de ce territoire par le recours à des moyens de transport complémentaires. Cette activité militaire a été étendue au transport et au stockage de carburants civils […]. Au fil des ans, cette activité est devenue majoritaire, représentant aujourd'hui plus de 85 % du trafic total, même si les besoins militaires restent prioritaires en cas de besoin »47. Ainsi, bien que l’ODC transporte, aujourd’hui, essentiellement des produits civils, son premier usage n’en est pas moins militaire, ce qui le rend peu adapté aux besoins commerciaux classiques. À ce titre, le groupe Auchan a estimé que l’ODC ne disposait d’« aucune flexibilité commerciale pour le transport de produit fini pour des distributeurs »48. De même, Siplec a indiqué que « l’ODC n’est pas un oléoduc adapté à des cycles de transports à destination commerciale »49. Le groupe Distridyn a quant à lui indiqué que les temps de transport par l’ODC étaient « de fait plus aléatoires et relativement longs » que ceux du PMR, en raison, notamment, d’une moindre « fréquence dans les passages par qualité de produit, de la nécessité d’avoir une « taille de lot minimum de transport plus importante » et « d’une gestion des contaminants plus complexe et chère »50. Ce même groupe a souligné qu’il existait une « Priorité -certes théorique- de transports pour des clients privilégiés (Jet/carburéacteurs/ Armées-OTAN), qui s'inscrit plus que les réseaux PMR ou TRAPIL dans des flux européens »51.
60. De plus, l’ODC n’est relié à aucun dépôt sur le tronçon commun avec le PMR entre Marseille et Lyon. Il est uniquement relié à la raffinerie de Feyzin. Le Service National des Oléoducs Interallié (ci-après, « SNOI »), qui exploite l’ODC, a ainsi estimé que « l’ODC n’exerce pas de pression concurrentielle pour la région lyonnaise car non desservie par le réseau. Seule la raffinerie de Feyzin est un client commun du SNOI et de SPMR. Les conditions de transport sur l’ODC n’étant pas les mêmes que celles de SPMR (configurations hydrauliques, délais de livraison entre 1 et 5 semaines), le SNOI n’exerce pas de pression concurrentielle sur ce trajet »52. Distridyn a, dans le même sens, indiqué que « faute d’être relié aux terminaux indépendants de Lyon/St Priest seul l’opérateur TOTAL peut tirer parti de cette éventuelle pression concurrentielle en faisant transiter les produits pétroliers par ses installations de FEYZIN »53.
61. Toutefois, selon Total Raffinage France, bien que l’ODC ne soit pas relié aux dépôts indépendants de Lyon, une telle connexion serait possible, l’ODC pouvant ainsi « exercer une certaine pression concurrentielle sur le PMR » : « ce pipeline dont le tracé correspond étroitement à celui du PMR dispose d’une grande capacité disponible (environ 2,5 M3/an environ entre Lavera et Lyon). L’ODC n’est aujourd’hui pas connecté aux dépôts du PMR. Mais il serait aisé de construire une connexion (quelques km) pour connecter l’ODC aux dépôts lyonnais »54.
62. Néanmoins, la réalisation de tels travaux à court ou moyen terme apparaît peu probable, compte tenu de leur coût. Lors de son audition, un représentant d’Esso a ainsi indiqué qu’ « [i]l faudrait un niveau de hausse des prix très conséquent pour envisager d’investir dans des connexions de nos dépôts avec un autre réseau de pipeline. Cela semble d’autant plus théorique que les volumes de produits raffinés sont appelés à baisser »55.
63. Au surplus, le tracé de l’ODC ne recouvre que partiellement celui du PMR. Il ne dessert ni la région d’Annecy et Genève, ni celle de Nice. À ce titre, Total Raffinage France et la SPSE estiment que la pression concurrentielle qu’exerce l’ODC sur le PMR ne peut concerner que le tronçon entre Lyon et Marseille56.
64. Ainsi, l’ODC, bien qu’ayant un tracé similaire à celui du PMR entre Marseille et Lyon, n’exerce pas de pression concurrentielle sur ce dernier, compte tenu du fait que (i) c’est un oléoduc militaire, ce qui le rend peu adapté aux cycles commerciaux civils, (ii) il n’est relié à aucun dépôt sur le tronçon compris entre Marseille et Lyon, le seul point de connexion étant la raffinerie de Total située à Feyzin, et (iii) son tracé ne recouvre que partiellement celui du PMR. Carfuel a ainsi résumé les différents éléments l’amenant à considérer que l’ODC n’était pas un concurrent du PMR : « l’ODC est un pipe militaire avec des contraintes différentes de SPMR (moins de disponibilités). L’ODC dessert actuellement uniquement la raffinerie de Feyzin et non les dépôts de la région Lyonnaise. Comme Feyzin est une raffinerie, il ne peut approvisionner la raffinerie avec des produits finis uniquement lorsque la raffinerie est à l’arrêt. De ce fait, il n’exerce aucune pression concurrentielle avec SPMR (ou très marginalement) »57.
65. Enfin, si une majorité des acteurs interrogés a confirmé la pertinence de la segmentation antérieure en deux zones géographiques distinctes, il doit être noté qu’une part importante d’entre eux a estimé que l’ODC n’exerçait aucune pression concurrentielle sur le PMR58. En outre, parmi la minorité de répondants à avoir indiqué que l’ODC exerçait une contrainte concurrentielle sur le PMR, il ressort de leurs réponses que cette contrainte serait, en tout état de cause, potentielle et limitée à la seule région lyonnaise59. Cette situation est résumée ainsi par BP France60 : « Il semble important d’identifier de façon distincte les différents réseaux de pipeline dans chacune des zones, dans la mesure où ces réseaux ne sont pas interchangeables (points de ressources et de livraisons), mais également leur capacité de transport globale et par produit est très différente ».
66. Il ressort de l’ensemble des éléments qui précèdent que l’ODC n’appartient pas au même marché que le PMR.
b) Les oléoducs des sociétés Fluxel, SPSE et Géosel
67. Hormis l’ODC et le PMR, la partie notifiante a mentionné et a pris en compte, dans l’évaluation de la position du PMR, d’autres oléoducs desservant le sud de la France en produits raffinés, principalement ceux appartenant aux sociétés SPSE et Fluxel. L’Autorité considère toutefois que ces oléoducs ne sont pas en concurrence avec le PMR, dans la mesure où ils répondent à des besoins spécifiques de leurs clients. Il en est de même s’agissant de l’oléoduc appartenant à Géosel.
68. Premièrement, l’oléoduc appartenant à la société SPSE transporte essentiellement des produits bruts et il est contrôlé exclusivement par le groupe Total61. L’activité historique du SPSE est le transport de pétrole brut, via l’exploitation de trois oléoducs reliant Fos-sur-Mer (Bouches-du- Rhône) à Karlsruhe (Bade-Wurtemberg en Allemagne), Strasbourg (Bas-Rhin) et Feyzin (Rhône)62. Le SPSE transporte également du pétrole brut et du naphta via des lignes secondaires de courtes distances. La quasi-totalité des répondants au test de marché ont indiqué que cet oléoduc n’exerçait pas de pression concurrentielle sur le PMR, compte tenu, d’une part, du fait qu’il transporte essentiellement des produits bruts63, et, d’autre part, du fait que son seul point de sortie dans la région lyonnaise est une raffinerie appartenant au groupe Total64. À ce titre, il convient de souligner que les produits pétroliers bruts et raffinés présentent des caractéristiques différentes, en matière notamment de viscosité et de pollution inter-produits. Selon qu’un oléoduc transporte des produits bruts ou raffinés, son diamètre sera différent et répondra à des besoins d’opérateurs situés à des niveaux différents de la chaîne logistique65. La SPSE a elle- même indiqué, s’agissant de la pression concurrentielle exercée par le SPSE sur le PMR, que « ce n’est pas le cas actuellement, Même lorsque SPSE sera connecté au NATO à partir de Juin 2021 sur la partie Sud du réseau OTAN la pression concurrentielle sera négligeable car elle portera sur de faibles volumes »66.
69. Total Raffinage France a, de son côté, indiqué que « SPSE n’exerce pas de pression concurrentielle sur le PMR. Le SPSE est un pipeline de transport de pétrole brut. Il ne peut donc pas concurrencer le PMR qui transporte des produits raffinés »67. De plus, il est uniquement relié à la raffinerie de Feyzin et à aucun des dépôts connectés au PMR. Distridyn a également estimé que « le passage obligé par la raffinerie de Feyzin (TOTAL) ne permet pas d’envisager d’utiliser ce réseau de façon indépendante »68. Dans le même sens, Esso a indiqué
« à notre connaissance, SPSE possède le dépôt d’hydrocarbures situé à Fos sur Mer et le pipeline PL1 (seul pipeline en service qui ne transporte que du pétrole brut pour alimenter certaines raffineries). SPSE n’est donc pas aujourd’hui en mesure d’exercer une pression concurrentielle sur le PMR »69.
70. Deuxièmement, s’agissant de l’oléoduc exploité par Fluxel, il ressort clairement de l’instruction et des réponses aux tests de marché que cet oléoduc a un positionnement très spécifique et n’est pas en concurrence avec le PMR.
71. La société Fluxel a été créée le 16 mai 2011 et résulte de « la filialisation de [l']activité « vracs liquides » [du grand port maritime de Marseille] dont le périmètre d’activité concerne les deux terminaux pétroliers de Fos et Lavéra et [qui] a créé depuis le 16 mai 2011 avec ses partenaires industriels la société Fluxel S.A.S. L’activité de FLUXEL SAS est la conception, l’acquisition, l’exploitation et la maintenance des équipements et outillages de superstructures nécessaires à la fourniture de prestations de services liées aux opérations de chargement et déchargement des navires transportant des produits pétroliers, des produits chimiques, des huiles végétales et dérivés liquides alimentaires ainsi que la fourniture de prestations de services connexes pour le compte de clients Industriels, Agents Maritimes, Trader, Stockistes. En conséquence, Fluxel SAS, de par son activité de prestataire de services au sein d’une chaîne logistique n’est donc pas un concurrent direct ou indirect de la Société PMR »70. Cette infrastructure permet uniquement le transport par oléoduc de produits entre les ports de Fos-sur-Mer et Lavéra. Total Raffinage France a ainsi indiqué : « [s]elon nous, Fluxel n’exerce pas de pression concurrentielle sur le PMR. Fluxel n’est pas actif en matière de transport. Fluxel (détenu à 66 % par le Grand Port de Marseille) est le gestionnaire et l’opérateur des terminaux pétroliers de Marseille et de Lavera »71.
72. Troisièmement, si Géosel, conjointement contrôlé par Ardian et EDF, transporte des produits raffinés par oléoduc entre la zone portuaire de Fos-Lavéra (Bouches-du-Rhône) et ses cavités de stockage sur le site de Manosque (Alpes-de-Haute-Provence), ces activités ne sont pas en concurrence avec les activités de transport de produits raffinés de la SPMR. En effet, les conduites de Géosel raccordent simplement le site de Manosque aux raffineries et dépôts pétroliers pour permettre le déstockage, par des distributeurs, de produits pétroliers issus de stocks détenus par la Société anonyme de gestion des stocks de sécurité (ci-après, « SAGESS »)72, principalement en cas de crise.
73. En outre, la partie notifiante a précisé qu’environ 95 % des flux de transport observés sur les oléoducs de Géosel (hors stockage/déstockage depuis Manosque) concernent du naphta, transporté sur de courtes distances dans la région de Fos-Lavéra et La Mède. En d’autres termes, la grande majorité des volumes transportés par Géosel concernent un produit qui n’est habituellement pas chargé dans le PMR.
74. Les oléoducs des sociétés Fluxel, SPSE et Géosel n’appartiennent ainsi pas au même marché pertinent géographique que le PMR.
75. En conclusion, s’agissant du transport de produits raffinés par oléoduc dans le sud de la France, le PMR n’est pas soumis à la pression concurrentielle d’oléoducs concurrents.
B. LES MARCHÉS DU STOCKAGE DE PRODUITS RAFFINÉS
1. DÉLIMITATION DES MARCHÉS DE SERVICES
76. La pratique décisionnelle antérieure a distingué le marché du stockage de pétrole brut du marché du stockage d’autres produits pétroliers, en raison de différences techniques liées à la taille des bacs et aux caractéristiques propres aux différents produits73. Bien que Géosel propose à la fois des capacités de stockage de pétrole brut et de produits raffinés (gazole, essences, fioul domestique, naphta), la présente opération n’affectera pas le marché du stockage de produits bruts, dès lors que le PMR ne transporte pas de pétrole brut.
77. S’agissant du stockage de produits raffinés, la pratique décisionnelle européenne et nationale définit ce marché comme un « service effectué au moyen de dépôts destinés à la réception et à la distribution de produits raffinés (essence, gazole, fioul domestique) et qui consiste à assurer la mise à disposition aux opérateurs pétroliers (raffineurs, indépendants et grande distribution), moyennant des contrats de location, d’une partie de la capacité de réception du dépôt afin de permettre à des opérateurs de stocker »74.
78. La pratique décisionnelle de la Commission européenne et de l’Autorité de la concurrence considère, par ailleurs, que les marchés du stockage de produits raffinés destinés à l’exportation et des produits raffinés destinés à l’importation constituent des marchés distincts.
79. En outre, la pratique décisionnelle française distingue les dépôts d’importation, généralement situés en façade maritime à proximité des ports pétroliers, dotés de grandes capacités de stockage et permettant un ravitaillement en produits raffinés via des moyens de transports massifs (oléoducs, barges, trains et bateaux), et les dépôts de distribution ou de maillage, situés à l’intérieur du territoire et disposant de capacités de stockage plus faibles75.
80. L’Autorité a envisagé de segmenter le marché du stockage de produits raffinés destinés à l’importation en distinguant par type de produits, notamment en raison de leurs différentes modalités de stockage, une cuve distincte étant utilisée pour chacun d’entre eux76. La Commission européenne a, quant à elle, estimé que le marché en cause pouvait recouvrir le stockage de l’ensemble des produits pétroliers, dès lors que les terminaux de stockage possèdent plusieurs types de réservoirs ou cuves, de sorte que différents produits peuvent être stockés dans un même terminal77. En l’espèce toutefois, la question d’une segmentation selon le type de produits raffinés peut être laissée ouverte, les conclusions de l’analyse concurrentielle demeurant inchangées, quelle que soit l’hypothèse retenue.
81. Enfin, la pratique antérieure du ministre de l’économie opère une distinction entre les dépôts ouverts, dont les capacités peuvent être louées à des tiers et les dépôts fermés, utilisés exclusivement pour les besoins propres de l’opérateur78.
82. En l’espèce toutefois, la question de la délimitation précise du marché du stockage de produits raffinés peut être laissée ouverte, les conclusions de l’analyse concurrentielle demeurant inchangées, quelle que soit l’hypothèse retenue.
2. DÉLIMITATION DES MARCHÉS GÉOGRAPHIQUES
a) Pour les dépôts d’importation
83. Au regard de la pratique décisionnelle antérieure, tant européenne que nationale, la délimitation géographique du marché du stockage de produits raffinés destinés à l’importation doit s’effectuer en considération des moyens de transport de masse qui relient les dépôts d’importation79. Sur ce fondement, les autorités de concurrence ont identifié deux marchés géographiques distincts correspondant au marché français des dépôts d’importation : un premier marché recouvrant la moitié nord de la France et un second recouvrant la moitié sud80.
b) Pour les dépôts de distribution
84. La pratique décisionnelle de la Commission européenne, du ministre de l’économie, puis de l’Autorité, a retenu une zone de chalandise de 150 km autour du dépôt de maillage pour délimiter le marché pertinent, puisque « chaque dépôt est susceptible de desservir une zone de chalandise (…) dont le rayon est fonction des coûts de transport à supporter pour l’acheminement du produit vers la destination finale. Ces coûts peuvent varier selon les différents moyens de transport disponibles. Toutefois, en moyenne, la zone de livraison d’un dépôt s’étend rarement au-delà de 150 kilomètres »81. En général, le transport de produits vers le client final se fait par camions.
85. À cet égard, dans sa décision TotalFina/Elf, précitée, la Commission européenne a indiqué que le transport par camions n’était utilisable que pour une zone de 30 à 50 km dans les régions à grande densité de population82.
86. En l’espèce toutefois, la question de la dimension géographique des marchés du stockage de produits raffinés, tant pour l’importation que la distribution, peut être laissée ouverte, les conclusions de l’analyse concurrentielle demeurant inchangées, quelle que soit l’hypothèse retenue.
III. Analyse concurrentielle
87. Le test appliqué pour apprécier les effets d’une opération de concentration sur la concurrence est celui défini à l’article L. 430-6 du code de commerce, selon lequel l’Autorité examine si l’opération « est de nature à porter atteinte à la concurrence, notamment par création ou renforcement d’une position dominante ou par création ou renforcement d’une puissance d’achat qui place les fournisseurs en situation de dépendance économique » (voir également les paragraphes 502 et suivants des lignes directrices).
88. L’Autorité doit caractériser les risques concurrentiels d’une opération à partir d’une analyse prospective tenant compte de l’ensemble des données pertinentes et se fondant sur un scénario économique plausible. En effet, seule la situation antérieure à l’opération est observable et les effets probables de l’opération doivent être présumés. Cette analyse s’appuie sur les caractéristiques du marché et du fonctionnement de la concurrence sur celui-ci, telles qu’elles existent au moment du contrôle, mais aussi compte-tenu des évolutions envisageables.
89. En l’espèce, la prise de contrôle de la SPMR par la partie notifiante est susceptible de produire des effets non coordonnés sur le marché du transport de produits raffinés par oléoducs (A) et sur les marchés du stockage de produits raffinés (B) dans le sud de la France.
A. EFFETS DE L’OPÉRATION SUR LE MARCHÉ DU TRANSPORT DE PRODUITS PÉTROLIERS RAFFINÉS PAR OLÉODUCS DANS LE SUD DE LA FRANCE
90. Après avoir déterminé la position détenue par les parties sur le marché du transport de produits pétroliers raffinés par oléoducs (1), l’Autorité analysera les risques d’atteinte à la concurrence que l’opération est susceptible d’engendrer sur ce marché (2).
1. POSITION DE LA SPMR SUR LE MARCHÉ
91. La partie notifiante a présenté les parts de marché du PMR sur le marché du transport de produits raffinés par oléoduc dans la moitié sud de la France englobant, hormis le PMR, les oléoducs de l’ODC, de Fluxel, du SPSE et de Géosel.
92. Contrairement aux estimations de la partie notifiante, et comme développé aux paragraphes 58 et suivants de la présente décision, l’ODC, le PSE et les oléoducs exploités par les sociétés Fluxel et Géosel ne constituent pas des alternatives au PMR pour le transport de produits pétroliers raffinés dans le sud de la France. Dans ces conditions, l’Autorité constate que la SPMR se trouve en situation de monopole de fait sur le marché du transport de produits pétroliers raffinés par oléoducs dans le sud de la France.
93. De plus, le caractère incontournable du PMR sur le marché du transport de produits pétroliers raffinés par oléoducs dans le sud de la France résulte du fait que les autres modes de transport de produits pétroliers raffinés ne constituent pas une alternative crédible aux services qu’offre le PMR en matière de transport. En effet, ces modes de transports alternatifs, notamment le transport par camion, barge ou ferroviaire, ne permettent pas un volume d’approvisionnement comparable au PMR, se heurtent à différentes contraintes logistiques et ne présentent pas les mêmes garanties de sécurité, de coûts, d’approvisionnement, ou de limitation des émissions de dioxyde de carbone (voir, en ce sens, les paragraphes 26 et suivants de la présente décision).
94. Ce caractère incontournable a été souligné par de nombreux clients du PMR au cours de l’instruction de l’opération examinée. Ces clients ont en particulier mis en avant que le PMR était le seul moyen d’assurer un approvisionnement massif en produits pétroliers raffinés et qu’une éventuelle hausse des tarifs du PMR serait répercutée sur le consommateur final et n’occasionnerait pas de changement dans les modes d’approvisionnement.
95. À titre d’exemple, la société Auchan Énergies déclare : « [l]’ensemble de la profession est dépendante du réseau PMR malgré les contingentements régulièrement constatés sur ce réseau, il n’y a aucune substitution possible qui puisse garantir les volumes, la qualité et la sécurité d’approvisionnement »83. La société Dyneff, qui importe et distribue des produits pétroliers, indique : « [l]e PMR est le seul moyen d'approvisionnement économiquement viable de la zone.
- le coût du pipe représente environ 1ct du litre/HT. Tout renchérissement impliquerait une répercussion automatique des prix des produits commercialisés sur la zone»84. La Raffinerie du Midi, gestionnaire de dépôts de stockage reliés au PMR souligne : « [l]e PMR étant l’unique moyen d’approvisionnement massif de produits pétroliers de toute la zone sud est de la France, l’impact d’une augmentation massive de la tarification aurait principalement des répercussions sur le consommateur final au niveau du prix de vente du produit dans toute la zone Rhône- Alpes / PACA »85.
96. Par ailleurs, comme développé aux paragraphes 26 à 75 de la présente décision, il n’existe aucun autre oléoduc pouvant répondre aux besoins des clients du PMR.
97. De plus, compte tenu des importantes barrières à l’entrée sur le marché constituées notamment par le montant élevé des investissements requis pour la création d’un oléoduc, leur nature spécifique et non déployable, et les contraintes réglementaires du régime d’autorisation, l’entrée sur le marché d’un oléoduc susceptible de représenter une alternative crédible au PMR sur l’ensemble de son tracé ne peut être raisonnablement envisagée. Par ailleurs, la connexion de l’ODC à la raffinerie de Feyzin n’apparaît pas de nature à constituer une alternative crédible au PMR sur le tronçon Marseille-Lyon, compte tenu, d’une part, des caractéristiques de l’ODC (tant au niveau de son usage que de son débit) ainsi que cela a été précédemment indiqué aux paragraphes 58 à 66 de la présente décision, dans la partie relative à la définition des marchés et, d’autre part, des faibles volumes qui seraient concernés. De même, la connexion de l’ODC aux dépôts indépendants de Lyon apparaît improbable à court ou moyen terme, ainsi que cela a été précédemment indiqué dans la partie relative à la définition des marchés (voir, en ce sens, les paragraphes 60 à 62 de la présente décision). En tout état de cause, le tracé du PMR ne recouvre que partiellement celui de l’ODC, de sorte qu’il ne pourrait pas répondre à l’ensemble des besoins des clients du PMR.
98. Quant au tronçon secondaire entre Marseille et Puget-sur-Argens, l’Autorité relève que les volumes qui y sont transportés représentent 8 % des volumes totaux transportés sur le PMR en 2019 et qu’il est indépendant du reste du réseau du PMR. Sur ce tronçon, le PMR pourrait être soumis à la pression concurrentielle du transport routier, cette pression semblant plus élevée en hiver, lorsque les axes routiers ne sont pas encombrés, qu’en été, le PMR ayant d’ailleurs une tarification différenciée entre l’été et l’hiver. Concernant ce tronçon, plusieurs répondants au test de marché ont indiqué qu’en cas de hausse significative des prix du PMR, ils pourraient envisager de livrer directement leurs clients finals par camion. Toutefois, ainsi que l’a souligné le groupe Esso, s’agissant de ce tronçon, « le camion est une alternative mais uniquement en hiver car c’est une zone très saisonnalisée : en été les routes sont très encombrées, de sorte qu’il n’est pas possible de recourir massivement au transport par camion pour acheminer nos produits »86.
99. Il ressort de ces éléments que le PMR est une infrastructure incontournable pour le transport de produits pétroliers dans le sud de la France et, compte tenu d’importantes barrières à l’entrée, n’est pas duplicable par ses concurrents.
100. Dans son avis n° 21-A-01 du 1er mars 2021 précité, l’Autorité a rappelé les critères permettant de qualifier une infrastructure de facilité essentielle. Elle a relevé, ainsi, que « [l]a notion de facilité ou d’infrastructure essentielle, apparue en droit américain, puis reprise par la pratique décisionnelle et la jurisprudence nationale et communautaire, recouvre l’hypothèse dans laquelle une infrastructure ne peut être reproduite dans des conditions économiques raisonnables par les concurrents de l’entreprise qui la gère, tandis que son accès leur est indispensable pour exercer une activité économique sur un marché amont, aval ou complémentaire »87.
101. Dans ces conditions, l’Autorité considère que le PMR peut être qualifié d’infrastructure essentielle, quand bien même il existerait un certain degré de pression concurrentielle exercée par les modes alternatifs de transports sur le tronçon secondaire du PMR, reliant Marseille à Puget-sur-Argens.
102. Cette conclusion s’inscrit par ailleurs dans la droite lignée de l’analyse menée par l’Autorité dans son avis n° 21-A-01. S’agissant spécifiquement des oléoducs, l’Autorité a souligné « [qu’il] ressort de la pratique décisionnelle française et européenne précitée ainsi que des éléments recueillis lors de l’instruction du présent avis – et notamment des contributions reçues dans le cadre de la consultation des acteurs intéressés– que les oléoducs sont des infrastructures, d’une part, qu’il n’est pas possible ou raisonnable de dupliquer, compte tenu des contraintes économiques et financières et des autorisations d’utilisation du domaine public requises pour leur déploiement, et, d’autre part, qui présentent un caractère incontournable, faute d’alternative pour les transports massifs de produits pétroliers et sur longue distance – hormis pour certaines routes ou « origines-destinations » pour lesquelles existeraient des possibilités de transport parallèles par modes fluvial, routier ou ferroviaire, et où, par conséquent, une pression concurrentielle pourrait s’exercer, mais marginalement. »88
2. ANALYSE DES RISQUES D’ATTEINTE À LA CONCURRENCE SUR LE MARCHÉ DU TRANSPORT DE PRODUITS PÉTROLIERS RAFFINÉS PAR OLÉODUC DANS LE SUD DE LA FRANCE
a) Le scénario anticoncurrentiel pertinent en l’espèce
103. En l’espèce, l’opération n’a pas pour effet d’affecter le marché par le biais de la suppression d’une contrainte concurrentielle à laquelle la SPMR faisait face sur le marché du transport de produits pétroliers raffiné par oléoducs dans le sud de la France, Ardian n’étant pas actif sur ce marché au-delà des participations qu’il détient au sein de la SPMR.
104. Toutefois, à l’issue de l’opération, le fonctionnement du marché se trouvera structurellement modifié car Ardian pourra décider seul de la politique commerciale de la SPMR, laquelle n’était pas contrôlée au sens du droit des concentrations, avant l’opération.
105. Contrairement à ce qu’a soutenu Ardian lors de l’instruction, la circonstance que l’opération n’entraîne pas de chevauchement d’activité sur le marché du transport de produits pétroliers raffinés par oléoducs dans le sud de la France ne suffit pas à écarter tout problème de concurrence. En effet, une acquisition conduisant à prendre le contrôle est de nature à changer les incitations de la SPMR. Lorsque son capital était partagé, la société devait obtenir une majorité pour pouvoir mettre en œuvre ses décisions, certains de ses clients étant actionnaires, et Trapil actionnaire et exploitant, du PMR. Dans ces conditions, les décisions ne maximisaient pas systématiquement le profit de la SPMR. En revanche, une fois l’opération notifiée mise en œuvre, une atteinte à la concurrence pourrait se matérialiser par une stratégie de dégradation tarifaire ou non tarifaire de l’offre du PMR par Ardian, dès lors que ce dernier serait capable de mettre en œuvre une telle stratégie, et qu’il y serait incité à la suite de l’opération. Cette stratégie prendrait appui sur la position de monopole de fait dont dispose la SPMR et viserait à exploiter la rente de monopole du PMR au détriment des consommateurs.
106. En l’espèce, le changement des incitations, résultant lui-même de la prise de contrôle, pourrait se traduire par une hausse des tarifs plus importante que celle qui serait intervenue en l’absence de l’opération. À ce titre, à supposer qu’une hausse de prix consécutive à l’opération soit, comme le soutient la partie notifiante, limitée, l’Autorité souligne d’emblée qu’en l’absence de gains d’efficience susceptibles de contrebalancer cette hausse, celle-ci n’en demeurerait pas moins préoccupante, d’autant plus qu’elle serait répercutée directement sur le consommateur final et qu’elle pourrait se combiner avec des effets non-tarifaires.
107. En effet, le changement des incitations dû à l’opération serait également susceptible de se traduire par une dégradation de la qualité, pouvant notamment se matérialiser par une réduction au strict minimum des investissements nécessaires à la maintenance, au renouvellement et aux raccordements du réseau, d’autant que la SPMR a en charge la desserte des établissements chargeurs et réceptionnaires raccordés au PMR, ou par une augmentation du temps d’attente des clients pour leurs approvisionnements. L’exercice du pouvoir de marché du PMR pourrait aussi se traduire par une désincitation à investir, en négligeant par exemple les investissements qui ne bénéficieraient pas directement à la rentabilité de l’infrastructure, mais seraient un élément d’attractivité vis-à-vis des utilisateurs (comme, à titre d’illustration, les infrastructures de raccordement des dépôts de distribution au PMR). Ardian pourrait dès lors se concentrer sur les investissements visant uniquement à améliorer la rentabilité du PMR.
108. Dans son avis n° 21-A-01 du 1er mars 2021, l’Autorité a détaillé le comportement qu’une entreprise contrôlant un oléoduc est incitée à adopter en vue de tirer profit de sa situation de monopole. Elle a notamment relevé que « […] sans incitation à rester efficace et en l’absence de régulation sectorielle apte à contrôler l’exercice de son pouvoir de marché, la société d’exploitation d’un oléoduc serait susceptible de se livrer à des abus d’exploitation ou d’éviction. Elle peut ainsi avoir pour intérêt d’investir, de répercuter des coûts ou d’augmenter le prix de ses prestations, sur certains services ou selon certaines « routes », en fonction de son seul intérêt financier. Elle pourrait, par exemple, approvisionner en priorité les entreprises prêtes à payer davantage pour accéder à l’oléoduc lors de ces périodes. Elle pourrait également augmenter les tarifs sur des routes où la concurrence modale est encore plus faible, les baisser à l’inverse en cas de concurrence, possiblement jusqu’à décourager ou évincer des alternatives modales. Elle pourrait encore réduire les investissements nécessaires à la maintenance, au renouvellement et aux raccordements du réseau ou dégrader ou discriminer par la qualité de service ».
109. Dans ces conditions, l’analyse des effets de l’opération implique de déterminer dans quelle mesure Ardian pourra dégrader l’offre de la SPMR, en s’appuyant sur la position de monopole dont celle-ci dispose, et dans quelle mesure une telle dégradation serait spécifique à l’opération.
b) La capacité de décision conférée à Ardian par l’opération
La situation de la SPMR avant l’opération
110. Antérieurement à l’opération, aucun actionnaire de la SPMR ne détenait le pouvoir de déterminer seul le comportement de l’entreprise sur le marché.
111. La SPMR a été autorisée à construire et exploiter le PMR par le décret du 8 mai 1967 autorisant la construction et l'exploitation d'une conduite d'intérêt général destinée au transport d'hydrocarbures liquides. À l’origine, la SPMR était une société anonyme détenue par ses utilisateurs (alinéa 2 de l’article 5 du décret du 8 mai 1967, précité) et auprès de laquelle le ministre chargé des carburants et le ministre chargé des transports devaient désigner, chacun, un commissaire du Gouvernement (article 6 du décret du 8 mai 1967, précité).
112. Ardian est entré au capital de la SPMR en 2017, via TSE, en rachetant les parts de BP et de Total. Ensuite, en 2019, Ardian, toujours via TSE, a acquis les parts détenues par Pétrofrance.
113. Aujourd’hui, la structure actionnariale de la SPMR est la suivante :
114. Ainsi, malgré le retrait d’actionnaires-utilisateurs historiques, tels que BP, Shell ou Total, le capital de la SPMR est, aujourd’hui encore, réparti entre plusieurs actionnaires, sans qu’aucun n’ait le contrôle exclusif ou conjoint de la société et donc de l’oléoduc. Cette répartition se fait entre : (i) Ardian, (ii) ENI, Esso et Thévenin-Ducrot, actionnaires-utilisateurs et (iii) Trapil, exploitant délégué du PMR, dont le capital est réparti entre la société Pisto et les principaux utilisateurs du PMR (Esso et Total), sans avoir jamais été contrôlée, elle non plus, ni exclusivement ni conjointement.
115. Cette répartition du capital entre plusieurs actionnaires, dont aucun n’est majoritaire, se reflète dans la composition du conseil d’administration. Celui-ci est actuellement composé de neuf membres : quatre membres désignés sur proposition de TSE, trois membres désignés sur proposition de Trapil, un membre désigné sur proposition d'ENI et un membre désigné sur proposition d'Esso. Ainsi, aucun des actionnaires de la SPMR n’exerce le contrôle sur celle-ci au sens du droit de la concurrence : la politique commerciale de la SPMR est fixée par son conseil d’administration, au gré des alliances fluctuantes entre ses actionnaires, aucun d’entre eux ne détenant la majorité des droits de vote ou une minorité de blocage au sein du conseil d’administration89.
116. Cet éclatement de l’actionnariat entre plusieurs opérateurs, directement ou indirectement, utilisateurs de l’infrastructure, était d’ailleurs un mode de gouvernance caractéristique du secteur. Ainsi que le note l’avis n° 21-A-01 précité90, l’actionnariat éclaté des sociétés d’exploitation des oléoducs permettait l’exercice de contre-pouvoirs, dès lors que chaque actionnaire-utilisateur avait besoin de l’oléoduc pour distribuer ses produits pétroliers, mais qu’aucun n’était en mesure d’édifier seul ce type d’infrastructure.
117. La partie notifiante conteste l’effet vertueux de cette absence de contrôle. Ardian souligne que si cette autorégulation avait existé effectivement, la réglementation déclarant le PMR d’intérêt général et visant à garantir l’équité des utilisateurs n’aurait pas été nécessaire. Ardian soutient que la politique commerciale de la SPMR n’est pas le fruit d’une autorégulation vertueuse mais, au contraire, d’une volonté des actionnaires de maximiser les profits, en desservant l’ensemble des raffineries et des dépôts situés sur le tracé du PMR, et de sécuriser l’approvisionnement des plus importants utilisateurs de l’oléoduc (règles relatives au contingentement).
118. Toutefois, l’Autorité considère que les modalités de fixation des hausses tarifaires passées, chaque année, illustrent ce mécanisme d’équilibre des intérêts au sein de la SPMR.
119. En effet, la direction de la SPMR établit une proposition de budget prévisionnel qui inclut une proposition de hausse tarifaire. Chaque fin d’année, cette proposition de hausse tarifaire est présentée par le président du conseil d’administration à l’ensemble des administrateurs et actionnaires, qui sont invités à se prononcer. La proposition tarifaire initiale du président est ajustée en fonction des échanges entre les actionnaires. Enfin, le président du conseil soumet ensuite au vote du conseil d’administration la proposition tarifaire ajustée à la suite des échanges.
120. L’analyse rétrospective des propositions et des votes du conseil d’administration relatifs aux augmentations tarifaires révèle le positionnement différent des actionnaires, s’agissant de la politique tarifaire de la SPMR91. Certaines discussions intervenues au sein du conseil d’administration démontrent, en effet, l’influence déflationniste des administrateurs nommés, notamment, par Esso et ENI, et, dans une moindre mesure, par Trapil.
121. Ainsi, par exemple, pour les tarifs de l’année 202092, […], […] et […] estimaient que la proposition initiale de la SPMR de [0-5] % de hausse du tarif pour la France, hors Puget-sur- Argens, était trop élevée. […] et […] suggéraient [0-5] %. […] estimait également que la proposition de [0-5] % de hausse pour Puget-sur-Argens était trop élevée et suggérait [0-5] %. […] trouvait quant à elle « la prévision d’EBITDA trop faible et indique que les dernières études sur la concurrence montrent que l’élasticité reste extrêmement faible ». Le président de la SPMR a finalement tenu compte de ces éléments et revu à la baisse les propositions initiales (hausse de [0-5] % des tarifs des transports à destination de la France, avec une hausse de [0-5] % vers la branche B3 et une stabilité des tarifs vers la branche B6). Le conseil d’administration a voté à l’unanimité pour cette proposition de hausse tarifaire révisée.
122. S’agissant des tarifs pour l’année 201993, […] estimait que la proposition initiale de la SPMR de [0-5] % de hausse des tarifs pour la France, hors Puget-sur-Argens, était trop importante et suggérait [0-5] %. De la même manière, […] suggérait de revoir la proposition à [0-5] %. […] estimait que si une hausse inférieure à [0-5] % devait être retenue, elle devrait s'accompagner d'un effort sur les charges. […] insistait sur « la nécessité d'assurer la pérennité de la société qui passe par un maintien, voire une progression, de sa rentabilité », afin « de permettre à SPMR de gérer son intégrité et maintenir son EBITDA ». Elle estimait que « sans effort supplémentaire sur les coûts, la hausse de [0-5] % est un minimum ». Le président a tenu compte de la position d'[…] et de […] pour chercher un compromis à 4 %. Le conseil d’administration a voté par 8 voix pour et une voix contre ([…]), la hausse tarifaire révisée de [0-5] %.
123. Il ressort de ces constats que les échanges entre les actionnaires au sein du conseil d’administration ont conduit le président du conseil d’administration, en 2019 et 2020 notamment, à revoir à la baisse certaines propositions de hausses tarifaires des services de la SPMR. Cet exemple permet donc de constater qu’en l’espèce, l’absence de contrôle exercé sur la SPMR par ses actionnaires, dont certains sont des utilisateurs, a conduit à freiner une dégradation de l’offre tarifaire de celle-ci, par ailleurs soutenue par Ardian.
124. Au cours de l’instruction, Ardian a soutenu que les contraintes de négociation, internalisées par les actionnaires, pouvaient les amener à proposer des hausses ou des baisses plus importantes que ce qu’ils souhaitaient en réalité. Dans cette hypothèse, et en tout état de cause, l’Autorité relève que ces discussions illustrent les incitations respectives des coactionnaires et que la nécessité d’un compromis ne conduisait pas à une maximisation du profit de la SPMR. Ainsi, par exemple, les discussions s’agissant des tarifs pour 2019 et 2020, ont finalement abouti à une limitation de la hausse de prix soutenue par Ardian.
125. En conclusion, avant l’opération, l’exercice du pouvoir de marché dont dispose la SPMR était limité par la nécessité de recueillir le consentement d’actionnaires aux intérêts divergents au sein des organes décisionnels de la SPMR, aucun opérateur n’ayant la capacité de décider seul des orientations de la politique commerciale de l’oléoduc.
126. Ces facteurs d’équilibre disparaîtront avec la prise de contrôle exclusif de la SPMR par un seul opérateur, de surcroît, non utilisateur de l’infrastructure, situation sans précédent dans le secteur.
La situation de la SPMR après l’opération
127. À l’issue de l’opération, Ardian détiendra seul le contrôle du PMR et pourra exercer seul son pouvoir de marché, en détenant 52,2 % du capital de la SPMR.
128. Dans la mesure où il n'existe pas de pacte d'actionnaires, ni aucune règle de gouvernance spécifique s'agissant de la prise de décisions stratégiques, et compte tenu de la majorité dont disposera TSE au sein de l'assemblée générale des actionnaires, la nouvelle entité décidera seule, in fine, de la nomination des administrateurs de la SPMR qui auront pour responsabilité de nommer ses dirigeants et de décider de la politique commerciale du PMR. Ardian disposera donc de la capacité de prendre seul, au sein de la SPMR, les décisions concernant le PMR.
129. Ainsi, l’opération a pour effet de mettre un terme à la situation d’absence de contrôle qui prévalait avant l’opération. Cette situation rendait nécessaire, dans le processus de prise de décision au sein de la SPMR, un consensus des actionnaires. Ce consensus avait pour effet, comme l’exemple des discussions relatives aux tarifs du PMR l’illustre, de contenir l’expression du pouvoir de marché dont dispose la SPMR sur le marché du transport de produits pétroliers par oléoducs dans le sud de la France. L’opération est donc de nature à modifier substantiellement le comportement de la SPMR, la nouvelle entité contrôlant seule le PMR, qui est en monopole et dispose ainsi d’un très fort pouvoir de marché.
130. Dans ces conditions, Ardian sera, après l’opération, capable d’exercer le pouvoir de marché détenu par le PMR, sous réserve de respecter les obligations de non-discrimination liées à son statut d’infrastructure d’intérêt général.
L’insuffisance du contrôle exercé par l’État
131. Dans ses observations au rapport des services d’instruction94, la partie notifiante fait valoir que le cadre réglementaire rappelé aux paragraphes 6 à 13 ci-avant, bien que non spécifiquement dédié à la régulation concurrentielle, permet d’encadrer les comportements de la SPMR et donc de limiter les risques d’effets anticoncurrentiels engendrés par l’opération, qu’ils soient de nature tarifaire ou non tarifaire. En particulier, la partie notifiante avance le fait que l’adoption du décret du 12 mai 2012 précité a permis d’inscrire dans les statuts de la SPMR que le commissaire du Gouvernement peut faire valoir les observations qu’il juge conformes à l’intérêt général.
132. Sur ce point, s’agissant spécifiquement de la possibilité, pour le commissaire du Gouvernement, de présenter toutes observations qu’il juge conformes à l’intérêt général, mentionnée au 2° de l’article 24 des statuts de la SPMR, et à supposer même, comme le fait la partie notifiante, que la notion d’intérêt général recouvre la protection de la concurrence, il suffit de constater que ces éventuelles observations ne contraindraient en rien le comportement de la société exploitante. En effet, seule la présentation de réserves, sur le fondement du 3° du même article, par le commissaire du Gouvernement, est susceptible de suspendre l’exécution d’une décision prise par la SPMR pour autant, cependant, que cette dernière soit contraire à la politique du Gouvernement en matière d’approvisionnement pétrolier ou de transports. En outre, il doit être souligné qu’en vertu de la procédure décrite au 3°, le ministre dispose toujours de la faculté de passer outre les réserves émises par le commissaire du Gouvernement et de ne pas s’opposer in fine à l’exécution de la décision controversée, laquelle devient alors exécutoire.
133. Il s’ensuit que les dispositions de l’article 24 des statuts de la SPMR ne permettent pas de considérer que la présence du commissaire du Gouvernement au sein de ladite société est suffisante pour remédier aux risques concurrentiels posés par l’opération.
134. En outre, et de manière plus générale, il doit être relevé que, dans son avis n° 21-A-01, rendu à la demande du ministre de l’économie, des finances et de la relance, et portant sur un projet d’arrêté visant à préciser les dispositions du décret n° 2012-615 précité, l’Autorité s’est prononcée sur l’étendue et la nature du contrôle dual exercé par l’État sur les oléoducs.
135. Ainsi qu’il ressort de l’avis précité95, le contrôle existant sur les oléoducs d’intérêt général tel que le PMR vise essentiellement « à garantir la continuité de l’approvisionnement en hydrocarbures du territoire français. La dimension économique parait, ainsi, secondaire. Elle concerne essentiellement les tarifs pratiqués par les opérateurs des oléoducs et consiste en un contrôle préalable annuel des demandes tarifaires ». L’Autorité observe également que, à ce jour, « toutes les demandes de révision des grilles tarifaires ont consisté en des demandes d’augmentation et aucun refus formel ne leur a été opposé. Par ailleurs, aucune action visant spécifiquement à préserver la concurrence ne parait avoir été diligentée […] (soulignement ajouté) ».
136. Aux termes de son analyse, l’Autorité en conclut que « bien que défini en des termes très larges, le contrôle tarifaire apparait, de fait, limité. Il ne paraît pas permettre, en l’état, au ministre en charge de l’énergie de faire opposition à des décisions tarifaires qui manifesteraient l’exercice d’un pouvoir de marché (hausse sans lien des coûts pertinents ou résultant d’un surinvestissement par exemple) hors les cas strictement définis par les textes, ni à d’autres décisions ou comportement extratarifaires qui pourraient nuire aux utilisateurs, par exemple, en dégradant les prestations offertes ou la qualité de service» 96 .
137. Enfin, comme le souligne également l’avis précité97, la Commission européenne a aussi écarté l’argument selon lequel la présence du commissaire du Gouvernement au conseil d’administration permettrait de remédier au risque d’exploitation de l’oléoduc par la société gestionnaire au détriment des autres opérateurs98, aux motifs, en premier lieu, qu’un pouvoir de marché pouvait s’exercer à des niveaux de décision qui ne relèvent pas des organes dirigeants et sont donc invisibles au commissaire du Gouvernement et, en second lieu, que le contrôle exercé par le commissaire du Gouvernement pouvait laisser suffisamment de marge de manœuvre aux entreprises concernées pour exercer un tel pouvoir.
138. Il ressort de ce qui précède que le commissaire du Gouvernement et le ministre en charge de l’énergie exercent actuellement sur les sociétés d’exploitation d’oléoducs d’intérêt général, et donc sur la SPMR, un contrôle réel mais qui se limite, pour l’essentiel, au champ de la politique énergétique et à la continuité d’approvisionnement en produits pétroliers du territoire français.
139. Enfin, comme le rappelle l’avis n° 21-A-01 précité99, à supposer même que le commissaire du Gouvernement ou le ministre élargisse le contrôle actuellement en vigueur de manière à prendre effectivement en compte la protection de la concurrence, une telle utilisation de leurs prérogatives pourrait constituer une restriction de la liberté d’entreprendre qui ne peut être autorisée que par la loi, en vertu de l’article 34 de la Constitution. En outre, dans l’hypothèse où l’objectif de préservation de la concurrence irait à l’encontre d’autres objectifs pris en compte par le commissaire du Gouvernement, il n’existe aucune garantie que cet objectif serait préservé.
140. En conséquence, l’Autorité considère que le contrôle exercé par l’État sur les décisions de la SPMR n’est pas suffisant pour écarter le risque qu’Ardian puisse, après l’opération, user du pouvoir de marché détenu par la SPMR sur le marché du transport de produits pétroliers raffinés par oléoducs dans le sud de la France.
c) Sur les incitations d’Ardian à user du pouvoir de marché de la SPMR
Arguments de la partie notifiante
141. Premièrement, Ardian expose qu’en sa qualité d’opérateur neutre, non-actif à l’amont ou à l’aval du PMR, il n’aurait pas d’incitation à dégrader l’offre du PMR100.
142. Il indique ainsi n’avoir aucun intérêt à discriminer les clients du PMR par le temps d’attente, dans la mesure où, d’une part, il ne peut appliquer de discrimination tarifaire et d’autre part, le commissaire du Gouvernement, destinataire du planning de l’oléoduc pour chaque semaine, veille à l’égalité de traitement des utilisateurs101. S’agissant du risque de réduction des investissements et du niveau de maintenance de l’oléoduc, Ardian soutient qu’une telle réduction se traduirait par un risque de dégradation de l’outil, donc de pannes ou d’incidents d’exploitation. Le résultat en serait une augmentation des périodes de contingentements et donc une perte de volume transporté. En outre, il existerait également un risque de dégradation de la qualité des produits pour laquelle la responsabilité financière de la SPMR pourrait être engagée. Enfin, une baisse de l’investissement ferait peser un risque fort vis-à-vis des obligations environnementales et sécuritaires, dont la bonne exécution est soumise au contrôle de la Direction régionale et interdépartementale de l’environnement et de l’énergie (ci-après, « DREAL »)102.
143. Deuxièmement, Ardian considère que le contre-pouvoir des clients du PMR, qui seraient en mesure de reporter leurs volumes de produits raffinés à transporter sur la route, notamment, serait de nature à limiter ses incitations à dégrader l’offre du PMR103. En outre, selon la partie notifiante, la présence de la raffinerie de Feyzin (Total) dans la région lyonnaise exercerait également une pression concurrentielle sur la SPMR, cette raffinerie étant approvisionnée en pétrole brut par un autre oléoduc, exploité par la SPSE (dont les actionnaires sont, notamment, Total, Esso, Shell et BP)104.
144. Troisièmement, Ardian met en avant qu’à supposer que le PMR puisse être qualifié d’infrastructure essentielle ou d’opérateur en position dominante, il demeure soumis à la prohibition des pratiques anti-concurrentielles, notamment de l’abus de position dominante105.
Appréciation de l’Autorité
• Sur la neutralité d’Ardian
145. L’Autorité partage le constat de la partie notifiante quant au caractère d’opérateur neutre d’Ardian. En effet, à l’exception du co-contrôle qu’il exerce, aux côtés d’EDF, sur Géosel, Ardian n’est pas actif à l’amont ou à l’aval du transport de produits pétroliers raffinés par oléoducs dans le sud de la France.
146. Sur le plan tarifaire, Ardian tirerait intégralement profit d’une augmentation du tarif du PMR, dans la mesure où celle-ci n’affecterait pas sa compétitivité sur les marchés situés à l’amont ou à l’aval du transport de produits pétroliers raffinés par oléoducs puisqu’il n’y est pas actif. Ardian se distingue ainsi des actionnaires-utilisateurs, dont les incitations peuvent être fonction des activités qu’ils exercent à l’amont ou à l’aval du transport de produits pétroliers raffinés par oléoduc. Au cours de l’instruction, Ardian a ainsi souligné qu’Esso a souvent appelé à « la modération des hausses tarifaires »106.
147. Si le cadre réglementaire fait effectivement peser sur le PMR un certain nombre d’obligations en matière de qualité et de maintenance de l’infrastructure, l’Autorité considère toutefois qu’il n’est pas en lui-même suffisant pour écarter tous risques d’effets anticoncurrentiels de l’opération, notamment en ce qui concerne leurs aspects non-tarifaires. En effet, Ardian pourrait décider, après l’opération, d’investir uniquement en vue de se maintenir en conformité avec le cadre réglementaire applicable, sans viser à améliorer la qualité de l’infrastructure au-delà de ce que requiert ce cadre. L’Autorité relève qu’Ardian n’est pas intéressé par un éventuel gain d’efficacité du PMR si ce gain n’est pas susceptible d’accroître son profit. Dans ces conditions, comme Ardian pourra fixer les prix qu’il souhaite et comme il ne sera plus contraint par ses coactionnaires, il aura moins d’incitation à entreprendre des investissements qui pourraient profiter aux clients pétroliers utilisateurs du PMR, comme, par exemple, des travaux relatifs aux structures de raccordement entre le PMR et les dépôts pétroliers. En d’autres termes, Ardian ne sera pas structurellement incité à améliorer son offre de services et pourra orienter la politique commerciale de la SPMR dans le sens d’une maximisation de son profit de monopole.
148. Dans ces conditions, l’opération est de nature à engendrer un changement d’orientation de la politique commerciale du PMR tendant vers la maximisation du profit que peut permettre une situation de monopole, et ce, dans un sens opposé aux intérêts des clients.
149. L’examen des comptes rendus du conseil d’administration de la SPMR illustre d’ailleurs l’incitation d’Ardian à user du pouvoir de marché du PMR, ce qu’il sera en capacité de faire après avoir pris le contrôle exclusif de la cible. Ainsi, par exemple, […]
150. Les incitations d’Ardian à maximiser les profits tirés du PMR dans un sens opposé aux intérêts des clients ont été relevées par un certain nombre d’opérateurs consultés au cours de l’instruction. Ainsi, Dyneff a indiqué : « Ardian étant un actionnaire non-utilisateur et ayant le monopole du transport par pipe sur certaines zones après l’opération, cette acquisition peut se traduire par une hausse des prix (retour sur investissement). Il serait seul à décider son taux, on peut penser qu’il y aurait un impact sur le tarif de transport »107. Lors de son audition par les services d’instruction, Dyneff a également déclaré : « De notre point de vue, cela coule de source. Dyneff n’a pas connaissance de la stratégie d’Ardian. Toutefois, un fonds d’investissement achète pour revendre. Il n’est pas impossible qu’un fonds d’investissement envisage de créer de la valeur grâce au PMR pour la réinvestir dans un autre secteur, plus rentable ou plus novateur, plutôt que de la réinvestir dans le PMR. Nous pensons donc qu’il faudrait garantir que les tarifs du PMR soient publics et ne favorisent aucun utilisateur »108. En ce sens, Shell a indiqué « [n]éanmoins, considérant qu’Ardian n’est pas utilisateur des pipelines nous pensons que l’objectif d’un fonds de pension est de maximiser la profitabilité et de revendre la société avec un profit, à moyen-long terme »109. Sappro souligne : « [i]l s'agit là d'une préoccupation majeure. Pourquoi Ardian n'augmenterait-elle pas le prix du transport sur le PMR ? Si Ardian devient majoritaire, il serait impératif de mettre en place un contrôle strict des prix afin de ne pas distordre le marché. Ceci étant particulièrement important pour la Suisse qui n'a aucun accès aux grandes raffineries »110.
• Sur le contre-pouvoir de la demande
151. Ardian a fait valoir durant l’instruction que la clientèle du PMR exerce sur lui un contre-pouvoir de nature à limiter les risques de dégradation de son offre. Il met en particulier en avant l’hypothèse d’un report de clientèle vers les modes alternatifs de transport, tels que le camion, déjà utilisé en cas de panne du PMR ou directement auprès de la raffinerie de Feyzin, détenue par Total et située à proximité de Lyon.
152. Or, s’il est raisonnablement prévisible qu’en cas de panne du PMR, les distributeurs de produits raffinés des régions Auvergne-Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d’Azur se reporteraient en partie sur des solutions alternatives de transport plus contraignantes que les oléoducs, comme le transport routier ou le transport ferroviaire, un tel report ne saurait se produire lorsque le PMR fonctionne, celles-ci ne constituant qu’une alternative très imparfaite.
153. Premièrement, s’agissant de l’alternative au PMR que peuvent représenter les modes de transports alternatifs de transport, tels que le camion, les éléments développés dans la section relative à la définition des marchés mettent en avant une absence de substituabilité entre le transport de produits pétroliers raffinés par le PMR et ces modes alternatifs de transport. Dans ces conditions, une dégradation de l’offre du PMR après l’opération n’est pas susceptible de générer des reports de clientèle suffisamment significatifs pour discipliner la nouvelle entité. Les éléments recueillis durant l’instruction mettent en effet en évidence que l’élasticité de la demande, notamment son élasticité-prix, est extrêmement faible de sorte que, s’agissant par exemple des tarifs, une augmentation de ceux-ci se traduirait par une répercussion sur le consommateur plutôt que par un report de clientèle vers les modes alternatifs de transport. À titre d’exemple, Sappro111 a indiqué : « [u]ne augmentation trop importante du tarif se répercutera indubitablement sur le prix à la pompe. ». Auchan112 a souligné : « [d]ans le cas, ou le tarif reste un tarif unique applicable à l’ensemble de la profession (tarif public), les conséquences seraient limitées à la répercussion de l’augmentation de tarif à nos clients. ». Enfin, Siplec113 (groupe Leclerc) a considéré que « [c]ette augmentation serait de facto répercutée dans sa totalité sur les prix de vente aux consommateurs, quel qu’en soit le pourcentage ».
154. Deuxièmement, sur la propension de la clientèle à s’approvisionner directement auprès de la raffinerie de Feyzin, l’examen des documents internes à la SPMR souligne qu’Ardian ne considère pas cette raffinerie comme un actif susceptible de conférer à la clientèle un contre- pouvoir. Ainsi, lors des discussions au sein du conseil d’administration en vue d’adopter les tarifs du PMR pour l’année 2018114, Ardian soulignait que la raffinerie de Feyzin fonctionnait déjà au maximum de ses capacités et qu'une hausse des tarifs de la SPMR ne changerait pas l'équilibre des origines des produits. En tout état de cause, l’alternative que pourrait constituer la raffinerie de Feyzin serait géographiquement limitée à la zone de Lyon et ne saurait répondre à l’ensemble des besoins des clients du PMR, compte tenu de ses fortes contraintes en termes de capacité.
155. Troisièmement, durant l’instruction, Ardian a fait valoir qu’une augmentation homogène des tarifs pourrait conduire à une perte globale de clientèle, non compensée par le surplus de profit généré par les tronçons les moins exposés à la pression concurrentielle d’autres modes d’approvisionnement.
156. L’Autorité note toutefois que le réseau du PMR est composé de trois principaux tronçons : un tronçon « B1 » partant de Marseille jusqu’à Lyon, un tronçon « B3 » partant de la grande agglomération de Lyon (Villette-de-Vienne) et passant par Grenoble, Chambéry et Annecy pour être finalement raccordé à la conduite suisse de la société SAPPRO, et un tronçon « B6 », indépendant, partant de Marseille jusqu’à Puget-sur-Argens sur la Côte d’Azur (seul point de sortie sur ce tronçon). La grille tarifaire du PMR distingue les différents tronçons, selon une logique origine-destination, de sorte qu’Ardian pourrait, après l’opération, adopter des hausses tarifaires différenciées.
157. Ainsi, par exemple, en novembre 2020, concernant les tarifs 2021115, le conseil d’administration de la SPMR a approuvé une hausse de 3,5 % des tarifs pour les lignes méditerranéennes Rhône Alpes ; une hausse de 2 % des tarifs pour la ligne Albens-Annecy et une hausse de 1 % des tarifs pour la ligne Côte d’Azur.
158. Si le pouvoir de monopole de la SPMR est, sur le segment reliant Marseille à Puget-sur-Argens, davantage soumis à un risque de report de la demande vers des schémas logistiques alternatifs, Ardian pourra choisir de limiter la dégradation de son offre sur ce segment, tout en faisant jouer son pouvoir de marché à plein sur les autres tronçons du PMR.
159. Enfin, Ardian soutient que la politique commerciale de la SPMR pourrait être contrainte dans une certaine mesure par le risque qu’une hausse de prix ou tout autre dégradation de l’offre ferait peser sur la viabilité des « petits » dépôts de Puget-sur-Argens et d’Annecy/Albens, alors même que la SPMR n’a pas intérêt à la fermeture de ces dépôts et à la perte de revenus importante qui en résulterait. S’agissant des dépôts d’Annecy/Albens, l’Autorité relève que l’argument d’Ardian suppose l’existence d’alternatives au PMR, et par extension, aux dépôts qui lui sont raccordés, pour le transport de produits pétroliers et auprès desquels les clients pourraient s’adresser en cas de dégradation de l’offre du PMR. Or, comme développé à la Section II de la présente décision, de telles alternatives n’existent pas dans ces zones. Pour ce qui concerne le dépôt de Puget-sur-Argens, l’Autorité rappelle, comme indiqué au paragraphe précédent, qu’il serait loisible à Ardian de limiter la dégradation de son offre sur ce tronçon.
160. Ainsi, compte tenu des éléments qui précèdent et de ceux développés dans la section consacrée à la définition des marchés, l’Autorité considère que les incitations de la nouvelle entité à user du pouvoir de marché de la SPMR ne sauraient être contrecarrées par l’existence de capacités de rétorsion des clients.
• Sur l’effet dissuasif des règles relatives à la prohibition des abus de position dominante
161. Concernant l’argument de la partie notifiante fondé sur l’effet dissuasif des règles de prohibition des abus de position dominante, l’Autorité rappelle que le contrôle des concentrations consiste à apprécier ex-ante si une opération est de nature à porter atteinte à la concurrence, notamment par création ou renforcement d'une position dominante, et non à s’en remettre à une hypothétique répression ex-post d’abus, ce qui reviendrait à rendre inopérant tout contrôle ex- ante des concentrations.
162. Au surplus, l’effet dissuasif de la prohibition des abus de position dominante est étroitement lié à la probabilité de détection de telles pratiques. En l’espèce, les pratiques en cause, consistant à profiter de la situation de monopole du PMR, ne sont pas aisément détectables, quand bien même le commissaire du Gouvernement participe aux conseils d’administration de la SPMR, d’autant plus qu’elles pourraient être étalées dans le temps. Dans ces conditions, l’Autorité considère que les règles prohibant les abus de position dominante ne sont pas de nature à éliminer les incitations d’Ardian à mettre en œuvre une stratégie de dégradation de l’offre de la SPMR.
163. Il ressort de l’ensemble de ces éléments, que l’opération confère à Ardian la capacité d’user du pouvoir de marché de la SPMR dans le sens d’une maximisation du profit pouvant être tirée de la situation de monopole de fait détenue par celle-ci. Avant l’opération, l’absence de contrôle sur la SPMR et la nécessité de trouver un compromis entre actionnaires étaient de nature à limiter cette situation de maximisation du profit, compte tenu des incitations respectives des coactionnaires d’Ardian. Après l’opération, Ardian aura la capacité et l’incitation à maximiser ce profit, ce qui pourra se traduire par une augmentation des tarifs du PMR et par une dégradation de la qualité de l’offre du PMR, Ardian pouvant notamment décider de limiter au strict minimum les investissements en privilégiant, par exemple, les investissements permettant une meilleure rentabilité du PMR, tout en négligeant les investissements concourant à l’efficacité de l’ensemble de la chaîne logistique.
B. EFFETS SUR LES MARCHÉS DU STOCKAGE DE PRODUITS PÉTROLIERS RAFFINÉS
164. Le transport de produits pétroliers raffinés par oléoduc s’opère au sein d’une chaîne logistique impliquant d’autres infrastructures, telles que les raffineries, les dépôts d’importation et les dépôts de distribution. Afin d’exercer leurs activités, ces infrastructures dépendent, chacune pour des raisons liées à la nature de leurs activités, du PMR.
165. La partie notifiante détient des parts dans la société de stockage Géosel. Sa participation est détenue et gérée par la société Transport Stockage Hydrocarbures (TSH), filiale commune d'Ardian et du groupe EDF116.
166. Les stocks de Géosel sont soit (i) des stocks de sécurité SAGESS destinés à être mis sur le marché uniquement en cas de rupture d'approvisionnement, soit (ii) des stocks industriels destinés à approvisionner les sites pétrochimiques des clients de Géosel, situés dans la région de l'étang de Berre, soit (iii) des stocks temporaires constitués par des traders de produits pétroliers dans le cadre d'opérations d'arbitrage sur le marché pétrolier. Ces derniers ne représenteraient que [0-5] % des volumes chargés dans le pipeline.
167. Comme le rappellent les lignes directrices de l’Autorité119, une opération de concentration verticale ou conglomérale produit des effets non coordonnés lorsqu’elle permet à l’entreprise résultant de l’opération de restreindre ou d’empêcher l’accès à un ou plusieurs marchés. Une entreprise qui bénéficie, à l’issue de l’opération, d’une position forte sur un marché peut être en mesure de verrouiller l’accès à un ou plusieurs marchés connexes en exploitant un effet de levier. Dans certains cas, cette position peut lui permettre d’empêcher, totalement ou partiellement, des concurrents situés en aval de la chaîne de valeur d’accéder à une ressource essentielle qu’elle contrôle en amont (paragraphes 711 et suivants).
168. Il convient dès lors d’examiner si, à l’issue de l’opération, la nouvelle entité pourrait s’appuyer sur la position incontournable qu’elle détiendra en contrôlant seule le PMR pour développer l’activité du dépôt de Géosel, au détriment des dépôts concurrents connectés au PMR.
1. ARGUMENTS DE LA PARTIE NOTIFIANTE
169. La partie notifiante soutient que la nouvelle entité n’aurait pas la capacité de mettre en œuvre des pratiques de nature à produire des effets non-horizontaux entre l’activité de transport de produits pétroliers par le PMR et l’activité de stockage de Géosel. Selon elle, tout risque anticoncurrentiel peut être écarté, car, d’une part, le dépôt de Géosel, compte tenu de ses caractéristiques singulières, ne serait ni un dépôt d’importation, ni un dépôt de distribution, et, d’autre part, il ne serait pas possible de le convertir en dépôt d’importation ou de distribution.
170. Selon la partie notifiante120, Géosel n’aurait pas la capacité de récupérer tout ou partie de l’activité des dépôts concurrents de la zone. En effet, les clients du stockage de Géosel ainsi que ceux des autres dépôts de la zone ne seraient pour l’essentiel pas des clients du transport via le PMR. Inversement, les clients du PMR ne seraient pour l’essentiel pas des clients de Géosel.
171. Les services de Géosel répondraient, par ailleurs, à des besoins de stockage très différents de ceux des dépôts de la zone de Fos-Lavéra (stockage stratégique ou industriel de long terme à Géosel et de court terme dans les dépôts de la zone de Fos-Lavéra), de sorte que les volumes stockés dans les dépôts de la zone de Fos-Lavéra ne pourraient pour l’essentiel pas être stockés dans le dépôt de Géosel dans des conditions économiques et logistiques raisonnables121.
172. La partie notifiante avance, en outre, qu’il est impossible pour Géosel de réexpédier directement les produits par camions, par trains ou par barges vers les zones de mise à la consommation, sans repasser par les dépôts de la zone de Fos-Lavéra.
173. Ardian souligne enfin que Géosel n’a pas mis en œuvre de vente groupée des services de Géosel et du PMR jusqu’alors. Par ailleurs, Géosel n’aurait pas jugé profitable d’investir dans des infrastructures de raccordement ou de chargement à Géosel. En résumé, l’opération ne changerait pas les incitations d’Ardian.
2. APPRÉCIATION DE L’AUTORITÉ
174. Le dépôt de Géosel, compte tenu de sa situation géographique, des infrastructures dont il dispose et de son activité, ne présente actuellement pas les caractéristiques d’un dépôt de distribution ou d’importation. Il représente d’ailleurs moins de 1 % des volumes chargés dans le PMR. Cette appréciation est également partagée par une large majorité des clients de la SPMR interrogés lors du test de marché qui considèrent le dépôt de Géosel comme un dépôt de stockage pour les stocks stratégiques.
175. Ainsi, Shell a indiqué, lors de son audition par les services d’instruction : « Shell ne voit actuellement pas de synergies entre Géosel et le PMR. Shell ne pense pas que Géosel pourrait être un dépôt de distribution car il faudrait qu’il dispose d’une gare routière, ce qui n’est pas le cas, et qu’il existe une zone d’achalandage, ce qui n’est également pas le cas, car Manosque est assez isolé. Il semble également peu probable que Géosel puisse être utilisé comme dépôt d’importation, les installations n’étant pas adaptées »122.
176. Il semble également peu probable qu’à court ou moyen terme, l’activité de Géosel puisse évoluer vers une activité de dépôt d’importation ou de distribution. En effet, d’un point de vue économique, le coût d’une stratégie consistant à développer l’activité de Géosel semble important puisqu’Ardian devrait offrir des compensations aux clients pour la qualité inférieure des services de stockage de Géosel (taux de rotation inférieur dû aux contraintes logistiques, délais d’acheminement et de déstockage bien supérieurs, etc.), comparativement aux services des autres dépôts les plus proches, situés, eux, dans la zone portuaire de Fos-Lavéra. L’enclavement dans les terres à 120 km de la zone de Fos-Lavéra implique des coûts de transport supplémentaires et des contraintes logistiques particulières, dans le cas où les clients décideraient de stocker leur produit à Manosque, avant leur mise sur le marché.
177. D’un point de vue réglementaire et technique, une augmentation des tarifs qui affecterait les volumes expédiés depuis la zone de Fos-Lavéra s’appliquerait à l’identique aux volumes stockés à Géosel, du fait des contraintes réglementaires de non-discrimination qui empêchent le PMR de discriminer selon ses clients, et dès lors que les volumes stockés à Géosel passent nécessairement par les dépôts d’importation de Fos-Lavéra. Ardian ne pourrait donc pas cibler et avantager les clients ne passant pas par Géosel mais par les dépôts d’importation concurrents, l’utilisation des capacités de Géosel nécessitant le passage obligatoire par l’un des dépôts d’importation de la zone Fos-Lavéra.
178. Compte tenu de ces éléments, l’Autorité considère que le risque d’atteinte à la concurrence résultant de la mise en œuvre de stratégies de nature non-horizontale entre le PMR et les activités de Géosel peut être écarté.
C. CONCLUSIONS DE L’ANALYSE CONCURRENTIELLE
179. L’opération a pour effet de conférer à Ardian la capacité d’user du pouvoir de marché détenu par la SPMR, en situation de monopole de fait sur le marché du transport de produits pétroliers raffinés par oléoducs dans le sud de la France. Si Ardian était, dès avant l’opération, incité à maximiser les profits tirés de cette position de monopole, sa capacité à le faire était néanmoins contrainte par l’absence de contrôle de la cible prévalant avant l’opération, et par la présence d’actionnaires, notamment d’actionnaires-utilisateurs, dont les incitations étaient différentes. Cette situation était de nature à limiter la maximisation du profit permise par la situation de monopole de fait du PMR et ainsi limitait les possibilités de hausses tarifaires et de dégradation de la qualité.
180. En l’absence d’un contrôle suffisant de l’État sur la SPMR et d’une demande capable d’exercer sur elle un contre-pouvoir significatif, l’opération se traduit par un risque de dégradation de l’offre de la SPMR, de nature tarifaire et non-tarifaire et, en conséquence, par un risque d’atteinte à la concurrence sur le marché du transport de produits pétroliers raffinés par oléoduc dans le sud de la France.
IV. Gains d’efficience
181. En application des dispositions de l’article L. 430-6 du code de commerce, lorsque l’Autorité de la concurrence procède à un examen approfondi d’une opération de concentration, elle « apprécie si l’opération apporte au progrès économique une contribution suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence ».
182. Tant le Conseil d’État que les autorités de concurrence ont dégagé des critères d’appréciation applicables à la prise en compte des gains d’efficacité économique. Ainsi, les gains d’efficacité allégués doivent être quantifiables et vérifiables, spécifiques à la concentration et une partie des gains doit être transférée aux acheteurs-consommateurs, y compris intermédiaires, ce qui exclut les gains ne bénéficiant qu’aux parties à l’opération. En outre, il incombe aux parties qui souhaitent faire valoir des gains d’efficacité de produire un argumentaire étayé et quantifié démontrant que les gains d’efficacité économique de l’opération sont susceptibles de contrebalancer ses effets anticoncurrentiels, et de fournir tous les éléments de preuve utiles pour soutenir cette démonstration. Ceci implique que les gains d’efficacité invoqués par les parties soient présentés avec un détail et une spécificité suffisante pour en contrôler l’existence, à défaut de quoi « l’imprécision des données fournies ne permet pas d’établir que les effets anticoncurrentiels de l’opération envisagée pourraient être compensés par une contribution suffisante au progrès économique et social »123.
A. ARGUMENTS DE LA PARTIE NOTIFIANTE
183. La partie notifiante soutient que l’opération induira deux types de gains d’efficience.
184. En premier lieu, Ardian met en avant le fait que la prise de contrôle exclusif de la SPMR lui permettra de remettre en jeu le contrat d’exploitation du PMR conclu avec la société Trapil (ci- après, « contrat Trapil »), par ailleurs actionnaire de la cible124. Selon Ardian, en son état actuel, le contrat Trapil n’est pas en ligne avec les standards du marché s’agissant des conditions de rémunération, essentiellement forfaitaires, et de son manque de transparence, empêchant une évaluation précise des performances de Trapil. Le contrat Trapil induirait en définitive une relation de dépendance de la SPMR vis-à-vis de Trapil. Sa remise en jeu permettrait ainsi l’élaboration d’un nouveau contrat, fondé sur trois axes : (i) […], (ii) […] (iii) […]. Prenant pour exemple le contrat conclu pour l’exploitation de Géosel, la partie notifiante présente un projet de contrat reposant sur un dispositif incitatif de performance et incluant des investissements ciblés pour réduire les coûts d’opération. Par ailleurs, la mise en jeu du contrat Trapil serait, pour Ardian, spécifique à l’opération. En effet, […]. La mise en place de ce nouveau contrat permettrait, pour Ardian, de maintenir les prix actuels, voire de les réduire, et d’améliorer la qualité des services.
185. En deuxième lieu, Ardian entend orienter la politique commerciale du PMR dans le sens de la transition énergétique125. La partie notifiante envisage en effet de mettre en œuvre une stratégie de long terme visant d’une part, à numériser un certain nombre de tâches et, d’autre part, et surtout, à procéder aux investissements nécessaires pour permettre au PMR de transporter des biocarburants. Les gains se traduiraient par un maintien des volumes transportés (les volumes de produits « standard » étant actuellement en déclin), par l’ajout des biocarburants, et une accélération plus globale de la transition écologique dans le secteur. Selon Ardian, de tels gains seraient spécifiques à l’opération : l’opération confèrerait à Ardian, opérateur neutre, le contrôle de la politique commerciale de la SPMR, celle-ci se heurtant, à date, à la résistance des autres actionnaires, en situation de conflits d’intérêts.
B. APPRÉCIATION DE L’AUTORITÉ
186. S’agissant de l’ampleur des gains d’efficience, les lignes directrices de l’Autorité font référence (paragraphe 773) aux lignes directrices de la Commission sur l’appréciation des concentrations horizontales (paragraphe 84), qui précisent : « l’incitation de la nouvelle entité issue de l’opération à répercuter les gains d’efficacité sur les consommateurs est souvent liée à l’existence de pressions concurrentielles exercées par les autres entreprises présentes sur le marché et par les concurrents potentiels. […] Il est hautement improbable qu’une opération qui débouche sur une position proche du monopole, ou sur un niveau de pouvoir de marché comparable, puisse être déclarée compatible avec le marché commun au motif que les gains d’efficacité suffiraient à contrebalancer ses effets anticoncurrentiels potentiels ». La Commission rappelle également (paragraphe 83) que « d’une manière générale, plus les gains d’efficacité projetés seront éloignés dans le temps, moins la Commission pourra leur accorder de poids. Cela signifie que, pour être considérés comme un facteur de contrepoids, les gains d’efficacité doivent intervenir en temps utile ».
187. Premièrement, s’agissant des gains d’efficacité liés à la remise en jeu du contrat de Trapil, l’Autorité relève que la SMPR est en situation de monopole sur le marché du transport de produits pétroliers par oléoduc et que la demande qui s’adresse à elle est très peu élastique au prix. Après l’opération, Ardian n’aura donc pas d’incitation structurelle à répercuter à l’aval les éventuelles économies de fonctionnement tirées de la remise en jeu du contrat Trapil.
188. De plus, au soutien de ses arguments, Ardian n’a pas fourni de données suffisamment étayées permettant de quantifier l’ampleur des gains d’efficience avancés. En effet, la partie notifiante se borne essentiellement à identifier les principaux aspects du contrat qui s’écarteraient des standards du marché et qui seraient source d’inefficacité du PMR, sans pour autant établir précisément et de manière suffisamment quantifiée, dans quelle mesure une amélioration de ces conditions aurait comme conséquence une amélioration de l’offre du PMR.
189. Deuxièmement, s’agissant des gains liés à la transition énergétique du PMR, l’Autorité relève que des gains de nature écologique pourraient, en théorie, être recevables en vue de contrebalancer les risques d’atteinte à la concurrence liés à une opération de concentration. Toutefois, en l’espèce, Ardian n’a pas fourni suffisamment d’éléments permettant de quantifier avec précision l’ampleur des gains allégués. Au surplus, s’agissant des incitations, et du caractère spécifique à l’opération des gains avancés par la partie notifiante, il convient de souligner qu’Ardian a, au cours de l’instruction, plusieurs fois mis en avant la baisse tendancielle de la consommation de produits « standards ». Il ne peut dès lors être exclu qu’en l’absence de l’opération, les actionnaires de la cible, notamment les actionnaires utilisateurs du PMR, soient, à terme, incités à entreprendre les investissements nécessaires au transport de biocarburants afin de sauvegarder l’activité du PMR et permettre le transport de leurs propres biocarburants.
190. Compte tenu de l’ensemble des éléments qui précèdent, l’Autorité de la concurrence considère que la partie notifiante n’a pas démontré que l’opération notifiée est susceptible de générer des gains d’efficience de nature à compenser ses effets anticoncurrentiels.
V. Les engagements
A. LES OBJECTIFS DES REMÈDES
191. Les mesures destinées à remédier aux atteintes à la concurrence résultant de l’opération notifiée doivent être conformes aux critères généraux définis par la pratique décisionnelle des autorités de concurrence et la jurisprudence du Conseil d’État afin d’être jugées suffisantes pour assurer une concurrence effective sur les marchés concernés, conformément aux dispositions de l’article L. 430-7 du code de commerce.
192. Ainsi que le précisent les lignes directrices de l’Autorité précitées, ces mesures doivent être efficaces en permettant de remédier aux atteintes à la concurrence identifiées. À cette fin, leur mise en œuvre ne doit pas soulever de doute, ce qui implique qu’elles soient rédigées de manière suffisamment claire et précise et que les modalités opérationnelles pour les réaliser soient suffisamment détaillées126. Il ressort également de la jurisprudence du Conseil d’État qu’il appartient à l’Autorité « de n'accepter des engagements que s'ils sont suffisamment certains et mesurables »127. Leur mise en œuvre doit également être rapide, la concurrence n’étant pas préservée tant qu’elles ne sont pas réalisées. Elles doivent en outre être contrôlables. Enfin, l’Autorité doit veiller à ce que les mesures correctives soient neutres, au sens où elles doivent viser à protéger la concurrence en tant que telle et non des concurrents spécifiques.
193. L’Autorité recherche en priorité des mesures correctives structurelles, qui visent à garantir des structures de marché compétitives par des cessions d’activités ou de certains actifs, sauf lorsque des remèdes de nature comportementale s’avèrent tout aussi efficaces pour compenser les atteintes à la concurrence. Le paragraphe 416 des lignes directrices précise à ce titre que « [l]e choix du type de mesure corrective le plus adapté est néanmoins fonction des effets de l’opération. Lorsque l’opération porte atteinte à la concurrence essentiellement en raison du chevauchement horizontal des activités entre les parties, les cessions d’actifs sont les mesures correctives les plus efficaces. En revanche, lorsqu’il faut remédier à des risques de verrouillage de marchés en amont ou en aval, des mesures comportementales visant à garantir l’accès des concurrents aux intrants ou à la clientèle peuvent s’avérer suffisantes, tout en préservant les gains d’efficacité liés à l’intégration verticale. Il en est de même pour les concentrations conglomérales ».
B. LES ENGAGEMENTS PROPOSÉS LES 21 JANVIER ET 30 MARS 2021
1. PRÉSENTATION DES ENGAGEMENTS PROPOSÉS
194. Le 21 janvier 2021, préalablement à l’envoi du rapport des services d’instruction, Ardian a déposé une première proposition d’engagements, visant à remédier en particulier aux risques de nature tarifaire engendrés par l’opération128. Cette proposition d’engagements a été soumise à un test de marché. Ardian a déposé une seconde version des engagements le 30 mars 2021129, postérieurement à la séance devant le collège de l’Autorité qui s’est déroulée le 24 mars 2021.
195. Dans sa proposition initiale d’engagements, Ardian entendait limiter sa capacité à voter seul en conseil d’administration une proposition de hausse de la grille tarifaire du PMR. Pour ce faire, Ardian s’engageait, d’une part, à ne nommer que six des neuf membres du conseil d’administration, les trois autres étant nommés par les actionnaires minoritaires Trapil et Esso, et d’autre part, à ce que deux de ses administrateurs s’abstiennent de voter sur les propositions de hausse de la grille tarifaire. Ainsi, l’adoption de toute décision relative à une hausse tarifaire nécessitait l’aval d’au moins un autre administrateur. Ardian estimait qu’une telle proposition permettait de restaurer le statu quo ante concernant les décisions tarifaires. Ces engagements étaient proposés pour une durée de cinq ans renouvelables une fois.
196. La deuxième version des engagements, qui reprenait et enrichissait la version initialement proposée est présentée ci-après.
a) Les engagements portant sur la gouvernance et visant à écarter tout risque de hausse tarifaire unilatéralement décidée par Ardian
L’engagement relatif au maintien de la pluralité de la représentation des actionnaires au conseil d’administration et à la composition du conseil d’administration (engagement « E.1 »)
197. Ardian s’engagerait à maintenir au conseil d’administration la représentation de tout actionnaire de la SPMR détenant au moins 10 % du capital et des droits de vote. Tout actionnaire minoritaire détenant plus de 30 % du capital social et des droits de vote aurait le droit au minimum à deux administrateurs au conseil d’administration.
198. Ardian s’engagerait à maintenir une composition d’au moins neuf membres au conseil d’administration et à limiter à six les administrateurs de TSE au conseil d’administration. Les autres administrateurs au conseil d’administration devraient être nommés sur proposition des actionnaires minoritaires.
199. Ainsi, à la première assemblée générale des actionnaires suivant la date de réalisation de l’opération, Ardian s’engagerait à voter en faveur d’un conseil d’administration initialement composé de neuf membres, dont six membres nommés sur proposition de TSE, deux membres nommés sur proposition de Trapil et un membre nommé sur proposition d’Esso.
200. Dans l’hypothèse où il ne subsisterait aucun actionnaire minoritaire détenant au moins 10 % du capital et des droits de vote de la SPMR, Ardian s’engagerait à nommer des administrateurs indépendants en lieu et place des trois administrateurs nommés par le (ou les) actionnaire(s) minoritaire(s).
L’engagement d’abstention de vote (engagement « E.2 »)
201. Pour toute décision concernant une proposition de révision à la hausse de la grille tarifaire du PMR, lors du vote au conseil d’administration et sans préjudice de la possibilité laissée au commissaire du Gouvernement et au ministre de l’énergie de s’opposer à cette révision, Ardian s’engagerait à ce que deux de ses représentants présents ou représentés au conseil d’administration s’abstiennent de voter sur la proposition de hausse de la grille tarifaire.
202. Conformément au deuxième alinéa de l’article L. 225-37 du code de commerce, les abstentions devraient s’interpréter comme des votes « contre ». Si une situation de blocage survenait concernant la proposition de révision à la hausse de la grille tarifaire du PMR, la grille tarifaire en vigueur continuerait à s’appliquer.
L’engagement de notification à l’Autorité de toute modification de la composition du conseil d’administration (engagement « E.3 »)
203. Ardian s’engagerait à notifier à l’Autorité toute proposition de modification à la hausse ou à la baisse du nombre d’administrateurs prévu par l’engagement E.1. au moins dix jours ouvrés avant la tenue de l’assemblée générale. Afin de conserver l’effet utile de l’engagement E.2., Ardian pourrait proposer de modifier le nombre de représentants de TSE devant s’abstenir de voter sur les propositions de hausse de la grille tarifaire du PMR.
b) Engagements donnant un pouvoir de décision ex ante au commissaire du Gouvernement
204. En plus de la renonciation à la possibilité de voter seul les tarifs, et afin d’améliorer les outils de contrôle du commissaire du Gouvernement, la partie notifiante proposait de mettre en place des obligations de transparence, couplées avec un dispositif d’avis conforme pour certaines décisions.
205. Ainsi, Ardian proposait de solliciter l’avis du commissaire du Gouvernement concernant certaines propositions qui seraient soumises au vote du conseil d’administration, en particulier celles relatives (i) à la modification des règles de fonctionnement du PMR, (ii) à la modification de la politique commerciale, et (iii) à la politique d’investissement.
206. En cas de désaccord motivé ou de réserve du commissaire du Gouvernement, sur une des propositions mentionnées au paragraphe ci-dessus, Ardian s’engageait à ce que ses administrateurs ne votent pas en faveur de ladite proposition.
207. Dans l’hypothèse où le commissaire du Gouvernement n’aurait pas émis d’avis favorable ou défavorable sur une des propositions concernées Ardian ne serait pas tenu de s’abstenir de voter en faveur de cette proposition. Toutefois, si la proposition de décision était adoptée par le conseil d’administration, sauf nécessité absolue, Ardian s’engagerait à ne pas mettre en œuvre la décision prise avant un délai d’un mois après son adoption. Dans ce délai, le commissaire du Gouvernement pourrait exprimer au regard de l’intérêt général des réserves ou son désaccord sur la décision adoptée. Dans ce cas, Ardian s’engagerait à ne pas mettre en œuvre l’exécution de la décision jusqu’à ce qu’un nouveau conseil d’administration soit organisé. Si, au plus tard lors de ce conseil d’administration, le commissaire du Gouvernement maintenait, en les motivant, son désaccord ou ses réserves, Ardian s’engagerait à révoquer la décision initialement adoptée par le conseil.
c) Engagements de renforcement de la transparence vis-à-vis du commissaire du Gouvernement
208. Afin de permettre au commissaire du Gouvernement de se prononcer utilement sur les propositions de décision et de vérifier ex post la mise en œuvre des décisions du conseil d’administration, la partie notifiante s’engagerait à :
- mettre en place une comptabilité analytique ;
- justifier auprès du commissaire du Gouvernement les propositions de décision concernant la politique d’investissement ou l’évolution de la grille tarifaire en joignant des documents utiles.
209. En outre, Ardian proposerait de créer un comité des utilisateurs au sein duquel chaque client direct de la SPMR représentant au moins 1 % du volume annuel transporté durant l’année précédente aurait la possibilité de nommer un représentant. Ardian s’engagerait à consulter ce comité sur toute question concernant une modification des règles de fonctionnement du PMR ou de la politique commerciale de la SPMR, à l’exception des propositions de décision en matière d’évolution de la grille tarifaire. Le président du comité serait incité à assister et participer aux discussions du conseil d’administration portant sur ces décisions (à l’exception des évolutions de la grille tarifaire). Ardian s’engagerait également à permettre au comité des utilisateurs de nommer un représentant qui assisterait aux séances des comités techniques de la SPMR.
210. Enfin, Ardian proposerait de mettre en place certaines mesures d’audit et de publicité.
d) Modalités d’exécution des engagements et contrôle du mandataire
211. Les engagements seraient souscrits pour une durée de 20 ans à compter de la date de la décision.
212. À l’issue de cette période, l’Autorité pourrait renouveler autant de fois que nécessaire la mise en œuvre de tout ou partie des engagements, chaque fois pour une durée de 10 ans, si l’analyse concurrentielle à laquelle elle procédera rend nécessaire leur maintien.
213. Enfin, la mise en œuvre des engagements serait soumise au contrôle d’un mandataire.
2. APPRÉCIATION DES ENGAGEMENTS PROPOSÉS
214. L’Autorité constate que cette deuxième proposition renforce la version précédente, en précisant les modalités d'application de certains engagements initialement souscrits, et en ajoutant de nouvelles obligations.
215. En premier lieu, elle renforce l’effet utile de l’engagement relatif à la politique tarifaire en précisant les différents cas que recouvrent les notions de hausse de grille tarifaire et de changement dans l’actionnariat. En deuxième lieu, elle met en place des obligations de consultation des clients et d'information des utilisateurs et des pouvoirs publics, ce qui permet d’accroître la transparence sur les services offerts par SPMR sur le marché du transport. Enfin, elle confère de nouveaux moyens d’opposition au commissaire du Gouvernement.
216. Toutefois, ces engagements restent insuffisants pour remédier aux risques concurrentiels identifiés, en particulier sur les points suivants.
217. Premièrement, en ce qui concerne les risques tarifaires identifiés à la Section III ci-dessus, l’engagement a pour objectif de priver formellement Ardian de sa capacité à décider unilatéralement d’une hausse de la grille tarifaire du PMR.
218. L’Autorité relève toutefois qu’en tout état de cause, si les engagements tendent à restaurer, formellement, l’absence de capacité d’Ardian à décider unilatéralement d’une hausse de tarif, ils n’auront pas pour effet de rétablir le statu quo ante car, avant l’opération, une majorité pouvait toujours se former sans la présence d’Ardian. À l’issue de l’opération, en revanche, aucune décision tarifaire ne pourra être prise sans l’aval des représentants d’Ardian, contrairement à la situation antérieure à l’opération.
219. De plus, la disparition d’ENI au sein de l’actionnariat de la SPMR privera cette dernière de la participation aux prises de décision d’un actionnaire ayant des incitations différentes de celles d’Ardian. Comme exposé aux paragraphes 121et 122 de la présente décision, ENI, sans exercer de contrôle sur la cible ni même un droit de veto, a pu contribuer à influencer, par exemple, l’ampleur des hausses tarifaires lors des discussions au sein du conseil d’administration de la cible.
220. Deuxièmement, Ardian disposera toujours du pouvoir de prendre seul les décisions non- tarifaires, ce qui est de nature à lui permettre d’exercer une pression sur les autres actionnaires, et notamment Trapil, qui est également un actionnaire non actif sur le marché de la distribution, pour qu’ils votent dans son sens s’agissant des hausses tarifaires. À cet égard, le fait que la partie notifiante ait indiqué sa volonté de renégocier le contrat d’exploitation la liant à Trapil pourrait être de nature à inciter ce dernier à se montrer conciliant avec l’actionnaire majoritaire. En outre, de telles pressions ne seraient pas forcément nécessaires, dès lors qu’Ardian pourrait, par exemple, accepter des dépenses liées à un investissement qui serait bénéfique à l’un des autres actionnaires, en contrepartie d’un vote positif sur les hausses tarifaires.
221. De plus, concernant les risques liés aux pratiques non tarifaires, le dispositif envisagé par la partie notifiante vise essentiellement à permettre une meilleure information du commissaire du Gouvernement, afin que ce dernier, tiers à l’opération, puisse être en mesure de réagir vis-à-vis des pratiques portées à sa connaissance et d’empêcher leur adoption lors du conseil d’administration.
222. Les engagements de nature comportementale proposés par la partie notifiante apparaissent comme conditionnels, puisque dépendants de l’intervention du commissaire du Gouvernement. Or, le point 354 des lignes directrices rappelle que « l’efficacité des engagements ne [peut] dépendre de la diligence de la partie notifiante ». Dès lors, a fortiori, un engagement qui reposerait sur les diligences d’un tiers ne saurait remplir les critères d’efficacité requis.
223. Par ailleurs, l’Autorité observe que l’engagement en cause n’empêcherait l’adoption d’une décision du conseil d’administration qu’à la condition qu’Ardian se soit vu signifier des réserves ou un refus motivé par le commissaire du Gouvernement. En l’absence de toute action, Ardian conservera sa pleine capacité à déterminer le comportement de la SPMR. L’Autorité relève donc que l’architecture du contrôle, telle qu’envisagée par la partie notifiante, ne permet pas d’écarter la situation dans laquelle le commissaire du Gouvernement ne s’opposerait pas à des décisions qui présenteraient les risques concurrentiels identifiés à la Section IV ci-dessus, dès lors que ces dernières pourraient se voir justifiées par des motifs tirés de la politique générale du Gouvernement en matière d’énergie.
224. Au surplus, l’Autorité observe que, en substance, le mécanisme proposé par la partie notifiante ne permet pas de remédier à un risque d’exercice de son pouvoir de marché qui se manifesterait par un comportement passif. Or, ainsi qu’il a été établi ci-avant, Ardian pourrait également maximiser ses revenus en s’abstenant de consacrer des investissements à l’amélioration ou au maintien de la qualité de services offerts aux utilisateurs du PMR, sans que le commissaire du Gouvernement puisse intervenir. En effet, ce dernier, s’il peut empêcher Ardian de faire adopter des décisions par le conseil d’administration de la SPMR, ne peut le contraindre à adopter un comportement particulier.
225. En tout état de cause, l’Autorité relève également que le champ de compétences techniques du commissaire du Gouvernement concerne principalement les questions relatives à la politique de l’État en matière de sécurité des approvisionnements, et non celles ayant trait uniquement à la concurrence et à la capacité d’Ardian d’user du pouvoir de marché que lui confère le contrôle de la SPMR. Dans ces conditions, le commissaire du Gouvernement pourrait ne pas être en mesure de s’opposer à une modification de la politique commerciale ou des règles de fonctionnement du PMR, alors même que celle-ci serait rendue possible par la capacité, acquise par Ardian, d’abuser du pouvoir de marché de la cible.
226. Troisièmement, l’engagement relatif à la mise en place d’un comité d’utilisateurs, s’il est de nature à permettre aux clients d’Ardian d’exprimer leur position sur différentes questions relatives au PMR, ne présente aucun caractère contraignant pour Ardian, qui ne sera pas tenu de suivre les positions exprimées par ce comité. Il en est de même concernant l’engagement de prévoir des mesures régulières d’audit.
227. Quatrièmement, en ce qui concerne la durée des engagements, la partie notifiante propose de s’engager pour une durée initiale de 20 ans, renouvelable par tranches de dix ans, autant de fois que l’Autorité l’estimera nécessaire, et au plus tard jusqu’à l’adoption d’une régulation portant sur la tarification du transport d’hydrocarbures par oléoduc répondant aux préoccupations de concurrence identifiées. Il s’ensuit que, à défaut de modification satisfaisante de l’environnement légal et réglementaire, la partie notifiante s’engage sur une durée indéterminée. Interrogés en séance sur la perspective de modification du cadre réglementaire, les services du Ministre représentés par la DGEC, n’ont pas été en mesure d’indiquer un horizon temporel à court ou moyen terme dans lequel une telle modification interviendrait. Un tel engagement perpétuel peut être assimilé à une forme de régulation sectorielle.
228. En conclusion, les engagements proposés le 30 mars 2021 sont insuffisants pour répondre aux risques tarifaires et non-tarifaires identifiés ci-avant. De plus, le rôle que la partie notifiante envisage de voir confié au commissaire du Gouvernement dans l’exécution des engagements suscite des interrogations au regard de sa base légale, dès lors, d’une part, qu’il n’appartient pas à une entreprise de définir les codes d’une intervention des autorités de l’État, et d’autre part, que le rôle envisagé excède les missions qui ont été confiées par la loi ou le règlement au commissaire du Gouvernement et enfin qu’il pourrait avoir des effets sur les tiers à la partie notifiante et aux engagements.
C. LES ENGAGEMENTS PROPOSÉS LE 21 AVRIL 2021
1. PRÉSENTATION DES ENGAGEMENTS PROPOSÉS
229. Aux termes de la proposition déposée le 21 avril 2021130, Ardian envisage de prendre les engagements détaillés ci-après, pour une durée de vingt ans, renouvelable autant de fois que nécessaire, chaque fois pour une durée de dix ans, si l’analyse concurrentielle à laquelle l’Autorité procédera rend nécessaire leur maintien.
230. En cas d’adoption d’une nouvelle régulation ou de modification de la régulation existante portant sur le transport d’hydrocarbures par oléoduc répondant aux préoccupations de concurrence identifiées par la présente décision, l’Autorité lèverait lesdits engagements à la demande écrite d’Ardian.
231. La mise en œuvre des engagements s’opèrerait sous le contrôle d’un mandataire.
a) L’engagement relatif au maintien de la pluralité de la représentation des actionnaires de la SPMR au conseil d’administration et la composition du conseil d’administration (engagement « E.1 »)
232. Ardian s’engagerait à maintenir au conseil d’administration la représentation de tout actionnaire de la SPMR détenant au moins 10 % du capital et des droits de vote mais moins de 50 % du capital et des droits de vote de la SPMR (« actionnaires minoritaires » au sens de la proposition d’engagements).
233. Ardian s’engagerait à maintenir une composition d’au moins neuf membres au conseil d’administration et à limiter à quatre les administrateurs de TSE au conseil d’administration. Quatre autres administrateurs au conseil d’administration seraient nommés sur proposition des actionnaires minoritaires, selon les modalités décrites ci-après et le cinquième serait un administrateur indépendant, qui remplacerait l’actuel administrateur d’ENI. Ardian ne modifierait le nombre d’administrateurs au conseil d’administration qu’après avoir suivi la procédure décrite à l’engagement E.2 (voir infra).
234. Tout actionnaire minoritaire aurait le droit de proposer la nomination d’un administrateur au conseil d’administration par tranche de 10% du capital social et des droits de vote dont il dispose, et Ardian s’engagerait à nommer cet administrateur. Le nombre maximal d'administrateurs pouvant être nommés sur proposition des actionnaires minoritaires serait donc de quatre.
235. Ardian s’engagerait à nommer au conseil d’administration un administrateur indépendant qui remplira les conditions de professionnalisme et d’expertise nécessaires à l’exécution de sa mission. Ardian soumettrait la proposition de nomination de cet administrateur indépendant à l’approbation de l’Autorité.
236. Ardian s’engagerait, à chaque assemblée générale des actionnaires tenue aux fins d'élire un membre du conseil d’administration ou de renouveler son mandat, à voter conformément aux stipulations ci-dessus. En cas de vacance d'un administrateur, les nominations précitées pourraient être réalisées par cooptation par le conseil d’administration, conformément aux stipulations des statuts de SPMR et en respectant les droits de nomination décrits ci-dessus.
237. Ardian s'engagerait, à toute assemblée générale des actionnaires, à voter en faveur de la révocation d’un administrateur, (i) dont l’actionnaire minoritaire ayant proposé initialement la nomination en demanderait la révocation, sans qu’un motif soit nécessaire pour cette demande ou (ii) dont l’actionnaire minoritaire ayant proposé initialement la nomination cesserait de réunir les conditions prévues à la définition d’ « actionnaire minoritaire ».
238. Conformément aux principes ci-dessus, à la première assemblée générale des actionnaires suivant la date de réalisation de l’opération, Ardian s’engagerait à procéder aux nominations d'administrateurs nécessaires afin que le conseil d’administration soit composé de neuf membres dont, sans préjudice des éventuelles évolutions capitalistiques entre la date du dépôt des engagements et la date de ladite assemblée générale impliquant des changements par application des règles de nomination : (i) quatre membres nommés sur proposition de TSE, (ii) trois membres nommés sur proposition de Trapil, (iii) un membre nommé sur proposition d’Esso et (iv) un administrateur indépendant d’Ardian préalablement approuvé par l’Autorité.
239. Si une réunion du conseil d’administration se tenait avant cette assemblée générale, Ardian garantirait que les administrateurs nommés sur proposition de TSE votent en faveur d'une cooptation d'administrateur(s) respectant les mêmes principes. Ardian s'engagerait, lors de l'assemblée générale suivante, à ratifier ladite (lesdites) cooptation(s).
240. Si, à la suite d’une dilution de l’actionnariat des actionnaires minoritaires, notamment par voie de transfert d’actions ou d’augmentation de capital, les actionnaires minoritaires ne disposaient plus du droit de nommer au total quatre administrateurs (conformément à l’engagement E.1.), Ardian s’engagerait à nommer des administrateurs indépendants en lieu et place des administrateurs précédemment nommés sur proposition du ou des actionnaire(s) minoritaire(s) selon la procédure prévue à l’engagement E.1.
b) Engagements relatifs à la notification à l’Autorité de toute modification de la composition du CA (engagement « E.2 »)
241. Ardian s’engagerait à notifier à l’Autorité toute proposition de modification à la hausse ou à la baisse du nombre d’administrateurs prévu par l’engagement E.1. au moins dix jours ouvrés avant la tenue de l’assemblée générale.
242. L’Autorité pourrait s’opposer dans un délai de dix jours ouvrés à cette proposition si elle ne permettait pas de remplir les objectifs de l’engagement E.1, à savoir neutraliser la capacité d’Ardian d’adopter seul toute proposition de décision soumise au conseil d’administration. En cas d’absence de réponse de la part de l’Autorité, les modifications proposées seraient réputées approuvées par l’Autorité.
243. Ardian s’engagerait à notifier à l’Autorité (que ce soit directement ou via le mandataire) (i) toute réalisation de transfert ou d'émission d’actions de la SPMR qui entrainerait une modification des droits de nomination d'administrateur(s) au titre des engagements, ainsi que la nouvelle composition du conseil d’administration qui en résulterait, dans les dix jours ouvrés suivants le moment où Ardian en a connaissance et (ii) la nécessité, le cas échéant, de nommer des administrateurs indépendants conformément à l’engagement E.1.
c) Engagements visant à prévenir tout contournement de l’effet utile des engagements E.1. et E.2. (engagement « E.3 »)
244. Afin de ne pas être en mesure de modifier les statuts unilatéralement, Ardian s’engagerait à ne pas détenir plus de deux tiers du capital et des droits de vote de la SPMR.
245. Ardian s’engagerait à ne pas faire inscrire à l’ordre du jour des assemblées générales ordinaires des projets de résolutions (conformément à l'article 31, deuxième alinéa, des statuts de la SPMR) qui relèvent de la compétence du conseil d’administration et qui portent sur des décisions stratégiques au sens du droit des concentrations (notamment, nomination des dirigeants de la SPMR (autre que ses administrateurs), adoption du budget ou du plan d’affaires), des décisions relatives à l’exploitation commerciale de la SPMR ou à l’exploitation technique du PMR.
2. APPRÉCIATION DES ENGAGEMENTS PROPOSÉS
246. Les engagements proposés par Ardian ont pour objectif de dissocier la prise de participation dans le capital de la SPMR du pouvoir que celle-ci est susceptible de conférer à Ardian via le conseil d’administration. Le système des engagements consiste en substance à suspendre la matérialisation de la prise de contrôle de la SPMR par Ardian, jusqu’à l’intervention d’une régulation de nature à écarter les problèmes de concurrence identifiés par la présente décision, et donc à différer, jusqu’à cette date, l’effet du changement de contrôle.
247. Il convient à ce stade de rappeler que le contrôle des concentrations vise à analyser l’impact sur les marchés d’une opération consistant en un changement de la nature du contrôle sur une entreprise. L’existence d’un changement de contrôle conditionne, partant, la mise en œuvre du contrôle des concentrations. Le paragraphe 144 des lignes directrices précise, en outre, que « [s]i aucune disposition ne limite dans le temps la validité des autorisations accordées par l’Autorité, les opérations doivent néanmoins être réalisées dans un délai raisonnable ».
248. En l’espèce, à supposer que les engagements soient à même de neutraliser le contrôle détenu par Ardian sur la SPMR après l’opération, ce qui n’est pas avéré en l’espèce, cette neutralisation a, en réalité, pour effet de vider de sa substance l’opération de concentration, pour une durée potentiellement illimitée ainsi que cela sera indiqué infra, en empêchant l’exercice par Ardian d’une influence déterminante sur l’ensemble des activités de la cible. Ainsi, les engagements n’apportent pas à proprement parler une solution aux problèmes de concurrence identifiés par l’Autorité, qui se traduirait concrètement sur le fonctionnement du marché, mais conduisent à priver de son objet même l’opération et, partant, le contrôle des concentrations opéré par l’Autorité. En effet, en acceptant les engagements proposés par Ardian, l’Autorité autoriserait en définitive le changement de contrôle sur la SPMR, à la condition que ce changement ne se matérialise pas dans les faits.
249. De plus, et à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où interviendrait une régulation de nature à écarter les problèmes de concurrence identifiés par la présente décision, ce qui est incertain en l’espèce, la clause de réexamen, telle que prévue par les engagements, pourrait contraindre l’Autorité à lever ces derniers, alors même que la situation concurrentielle aurait changé et que la majorité d’Ardian au sein du conseil d’administration de la SPMR serait susceptible d’engendrer d’autres problèmes de concurrence liés, par exemple, à une diversification des activités d’Ardian à l’amont ou à l’aval du marché du transport de produits pétroliers raffinés par oléoducs.
250. Il est exact que l’Autorité a déjà pu imposer ou accepter, au stade des remèdes, une dissociation entre la participation détenue par une entreprise dans une autre et l’influence déterminante qu’elle était susceptible d’exercer à travers le conseil d’administration. Toutefois, cette dissociation n’a jamais porté sur l’ensemble des activités de la société cible mais uniquement sur une partie des activités d’une des parties.
251. En effet, dans sa décision n° 12-DCC-100 du 23 juillet 2012 relative à la prise de contrôle exclusif de TPS et CanalSatellite par Vivendi et Groupe Canal Plus (ci-après, « GCP »), l’Autorité a enjoint à GCP, à défaut de cession dans les temps de sa participation dans la société OCS, de révoquer les administrateurs dont il disposait au sein du conseil d’administration d’OCS, pour nommer des administrateurs indépendants. À l’issue de cette opération, si GCP continuait de détenir des parts dans le capital d’OCS, il n’était toutefois plus associé à la prise de décision et ne nommait plus aucun administrateur. Cette situation se distingue toutefois du cas d’espèce, le remède n’ayant pas pour objectif, contrairement aux présents engagements, de neutraliser l’opération faisant l’objet d’un contrôle, à savoir la prise de contrôle exclusif de TPS et CanalSatellite.
252. Par ailleurs, dans sa décision n° 14-DCC-167 du 13 novembre 2014 relative à la prise de contrôle exclusif de la Société du Pipeline Sud-Européen (ci-après, « SPSE ») par Total SA, l’Autorité a accepté un engagement consistant pour Total à renoncer au contrôle exclusif négatif que lui conférait l’opération sur certaines décisions devant être prises par le conseil d’administration de la SPSE. Toutefois, il convient de souligner que ces engagements portaient uniquement sur un type de décisions spécifiques relatives à l’une des activités concernées par l’opération, et ne visaient donc pas à régir l’ensemble de la gouvernance de la cible, contrairement aux engagements proposés en l’espèce.
253. De plus, si en vertu des engagements, Ardian ne détiendra plus, formellement, la majorité au sein du conseil d’administration, il conserverait toutefois une majorité au sein de l’assemblée générale des actionnaires (52,216 %). Or, un certain nombre de décisions liées à la gouvernance de la SPMR sont susceptible d’être discutées et prises au niveau de l’assemblée générale des actionnaires. De ce fait, et afin d’éviter un contournement des engagements de neutralisation du contrôle au sein du conseil d’administration, les engagements prévoient qu’Ardian ne pourra détenir plus de deux tiers du capital de la cible et ne pourra inscrire à l’ordre du jour de l’assemblée générale des décisions relevant du conseil d’administration et relevant de la notion de décisions stratégiques (engagement E.3.).
254. Cet engagement ne permet toutefois pas de garantir qu’Ardian ne pourra exercer aucune influence sur les décisions stratégiques de la cible. En effet, sans qu’il soit possible d’identifier l’ensemble des décisions pouvant conférer un tel levier d’influence, il peut être souligné qu’il serait loisible à Ardian de systématiquement voter contre les décisions concernées lors des délibérations de l’assemblée générale, afin d’en perturber le fonctionnement et d’inciter ses coactionnaires à suivre ses positions au sein du conseil d’administration. L’insuffisance de cet engagement a d’ailleurs été soulignée par un certain nombre de répondants au test de marché, qui recommandent que cet engagement, pour être efficace, soit substantiellement renforcé. Ainsi par exemple, Trapil, coactionnaire de la SPMR, recommande que l’engagement E.3. ne se limite pas aux seules décisions stratégiques au sens du droit des concentrations et qu’Ardian s’engage (i) à ne pas voter en faveur de résolutions qui n’auraient pas été recommandées par le conseil ou à ne pas voter contre des résolutions recommandées par le conseil et (ii) à ne pas exercer plus de deux tiers des votes présents ou représentés en assemblée générale131.
255. En l’espèce, la restauration de l’équilibre actionnarial avant l’opération est une condition essentielle à l’efficacité de l’engagement, dès lors que celui-ci a pour objectif de neutraliser les effets de l’opération sur la gouvernance de la cible.
256. Ainsi, dans la mesure où les problèmes de concurrence identifiés sont générés par un changement de gouvernance, et où Ardian conservera une influence sur la cible, en dépit des engagements, l’Autorité considère que ces derniers ne sont pas suffisants.
257. Au surplus, les engagements reposent sur la nomination d’un administrateur indépendant, notion qui ne fait l’objet d’aucune définition légale ou réglementaire. Cette absence de définition ne permet pas d’anticiper les positions de cet administrateur au sein du conseil d’administration de la SPMR. Il n’en demeure pas moins que, dans la mesure où les incitations de l’administrateur indépendant ne sont, par définition, pas les mêmes que celles d’ENI, opérateur utilisateur du PMR, l’Autorité relève que sa nomination ne serait pas de nature à répondre aux problèmes de concurrence identifiés, quand bien même elle permettrait de neutraliser la majorité d’Ardian au conseil d’administration. En effet, et comme le soulignent une partie des répondants au test de marché, il appartiendrait à l’administrateur indépendant d’agir dans le meilleur intérêt social de la SPMR. Or, dès lors que la SPMR n’est pas elle-même active à l’amont ou à l’aval du transport de produits pétroliers par oléoducs, son meilleur intérêt social pourrait légitimement s’entendre de la maximisation des profits réalisés par le PMR. Dans ces conditions, les incitations de l’administrateur indépendant ne seraient pas différentes de celles d’Ardian, et se trouveraient satisfaites par l’exploitation de la rente de monopole détenue par la SPMR.
258. En l’espèce, les problèmes de concurrence identifiés sont générés par un changement de gouvernance de la SPMR. Or, dans la mesure où Ardian conservera une influence sur cette gouvernance, en dépit des engagements, et où la nouvelle gouvernance ne rétablira en tout état de cause pas les incitations présentes avant l’opération, l’Autorité considère que ces engagements ne sont pas suffisants pour écarter ces problèmes de concurrence.
259. Enfin, la proposition d’engagements n’apporte pas de solution au problème inhérent à leur durée. En effet, la fin de ces engagements, d’une durée initiale extrêmement longue, est soumise à la condition de la survenance d’une modification du cadre réglementaire qui apparaît incertaine, ainsi que précédemment indiqué au paragraphe 227 de la présente décision.
260. Or, comme l’indique le point 413 des lignes directrices, les mesures correctives comportementales sont toujours prévues pour une durée déterminée, fixée en fonction du temps nécessaire pour compenser les effets de l’opération sur la structure des marchés. La pratique décisionnelle de l’Autorité a déjà pu accepter des engagements de nature comportementale à l’occasion d’opérations à l’issue desquelles la nouvelle entité serait en position dominante, voire en monopole, sur le marché concerné. Toutefois, ces engagements prévoyaient une durée fondée sur des éléments matériels tangibles permettant de circonscrire leur horizon temporel. Ainsi, dans sa décision n° 16-DCC-167 du 31 octobre 2016, mentionnée par les lignes directrices, l’Autorité a considéré que les engagements comportementaux de Vinci dans le cadre de la prise de contrôle exclusif d’Aéroports de Lyon devaient durer le temps du contrat de concession, soit 30 ans. Dans sa décision n° 20-DCC-126 du 18 septembre 2020 relative à la prise de contrôle exclusif de la Société de financement local (ci-après, « SFIL ») par la Caisse des dépôts et consignations, l’Autorité a accepté un engagement comportemental dont la durée correspond à celle prévue par la décision de la Commission européenne en matière d’aide d’État autorisant la SFIL à exercer une activité de refinancement de crédit-export afin de pallier la défaillance de l’offre privée sur ce marché.
261. En tout état de cause, il convient d’observer qu’aucun engagement reposant sur une durée virtuellement illimitée n’a été accepté par l’Autorité, un tel engagement perpétuel pouvant être assimilé à une forme de régulation sectorielle.
262. Il ressort de l’ensemble de ces éléments que les engagements proposés le 21 avril 2021 par Ardian ne sont pas suffisants pour remédier aux problèmes de concurrence identifiés par la présente décision.
VI. Sur les conséquences de l’insuffisance des engagements proposés
A. LES DISPOSITIONS ET PRINCIPES APPLICABLES
263. L’article L. 430-6 du code de commerce dispose que, dans le cadre de l’examen approfondi d’une opération de concentration, l’Autorité examine si l’opération « est de nature à porter atteinte à la concurrence, notamment par création ou renforcement d’une position dominante ou par création ou renforcement d’une puissance d’achat qui place les fournisseurs en situation de dépendance économique. Elle apprécie si l’opération apporte au progrès économique une contribution suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence ».
264. Il résulte des III et IV de l’article L. 430-7 du même code que l’Autorité peut interdire l’opération de concentration, ou l’autoriser, soit en adressant aux parties des injonctions afin d’assurer une concurrence suffisante, ou des prescriptions obligatoires destinées à apporter au progrès économique une contribution suffisante, soit en subordonnant l’opération, le cas échéant, à la réalisation d’engagements pris par les parties.
265. De même, il résulte de la jurisprudence du Conseil d’État qu’il incombe à l’Autorité d’user de ses pouvoirs d’interdiction, d’injonction, de prescription ou de subordination de son autorisation à la réalisation d’engagements « à proportion de ce qu'exige le maintien d'une concurrence suffisante sur les marchés affectés par l'opération »132.
266. Statuant sur la légalité d’une décision par laquelle les ministres de l’économie et de l’agriculture avaient interdit une opération de concentration, le Conseil d’État a jugé « qu’eu égard à la nature et à l’importance des effets anticoncurrentiels du projet de concentration et à la difficulté corrélative de déterminer des mesures adéquates pour les compenser, la décision prise par les ministres de s’opposer purement et simplement à l’opération projetée ne peut être regardée comme ayant porté une atteinte excessive à la liberté du commerce et de l’industrie »133.
267. Ainsi, il appartient à l’Autorité de prendre en considération à la fois l’importance des effets anticoncurrentiels de l’opération et la possibilité d’y remédier par des mesures adéquates. Par suite, si les engagements éventuellement proposés par la partie notifiante ne permettent pas d’apporter une réponse appropriée aux effets anticoncurrentiels de l’opération, l’Autorité examine si l’opération peut être autorisée en adressant des injonctions ou des prescriptions à la partie notifiante. Les injonctions doivent ainsi permettre de remédier efficacement aux effets anticoncurrentiels de l’opération, et, en outre, être nécessaires et proportionnées. Cela signifie que l’objectif poursuivi ne doit pas pouvoir être atteint avec des remèdes moins contraignants et que les mesures prescrites ne doivent pas imposer à la partie notifiante des obligations excessives au regard du but recherché134.
268. Si l’Autorité ne peut identifier de remèdes adaptés, il lui revient alors d’interdire l’opération, dès lors que celle-ci n’apporte pas au progrès économique une contribution suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence.
B. APPLICATION AU CAS D’ESPÈCE
269. Il a été précédemment démontré que les engagements proposés par la partie notifiante ne permettent pas de remédier efficacement aux effets anticoncurrentiels de l’opération (voir Section V de la présente décision).
270. Par ailleurs, aucune mesure corrective adaptée ne peut en l’espèce être envisagée sous la forme d’injonction, qu’elle soit de nature structurelle ou comportementale.
271. Le prononcé d’injonctions structurelles est, par définition, exclu, dès lors que les risques identifiés par l’Autorité portent directement sur l’unique objet de l’opération notifiée, la prise de contrôle du PMR par Ardian, et que toute injonction structurelle de cession reviendrait en définitive à interdire l’opération135.
272. De même, aucune injonction comportementale ne pourrait remédier aux risques identifiés sur le marché du transport de produits raffinés par oléoducs dans le sud de la France. En effet, dans la mesure où le PMR constitue une infrastructure en monopole et où le champ du contrôle actuellement exercé par les pouvoirs publics n’intègre pas les préoccupations concurrentielles, seules des injonctions s’apparentant à un contrôle exercé par une autorité de régulation sectorielle pourraient être de nature à répondre efficacement aux préoccupations engendrées par le comportement de la nouvelle entité. Or, une injonction comportementale ne peut se substituer à une réglementation instaurant un contrôle sectoriel ex ante. Le cadre législatif et réglementaire actuel ne permet pas non plus de confier une telle mission à une autorité compétente pour le secteur concerné. Notamment, eu égard à l’ampleur du contrôle qui devrait être exercé, qui s’apparente à une régulation sectorielle, le contrôle correspondant ne saurait relever de l’Autorité. Enfin, à la différence d’une régulation fondée sur la loi et confiée, le cas échéant, à une autorité de régulation sectorielle, des obligations résultant d’injonctions comportementales ne sauraient répondre, rationae materiae, aux risques identifiés (les injonctions étant définies à la date de l’autorisation mais ne pouvant ensuite évoluer en fonction des nécessités), et rationae temporis, s’agissant d’une situation concurrentielle appelée à durer aussi longtemps que l’installation sera en fonctionnement.
273. Enfin, ainsi qu’il a été rappelé aux paragraphes 181 à 190, l’opération n’est pas susceptible d’engendrer des gains d’efficience permettant de contrebalancer les effets anticoncurrentiels du projet. En conséquence, aucune prescription de nature à apporter au progrès économique une contribution suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence ne peut être identifiée en l’espèce.
274. Il résulte de ce qui précède qu’en l’absence de remèdes adaptés, il appartient à l’Autorité d’interdire l’opération de concentration.
DÉCIDE
Article unique : L’opération notifiée sous le numéro 20-071 est interdite.
NOTES
1 Ce résumé a un caractère strictement informatif. Seuls font foi les motifs de la décision numérotés ci-après.
2 La participation d’Ardian dans Géosel est détenue et gérée par la société Transport Stockage Hydrocarbures (« TSH »), filiale de fonds gérés par Ardian et du groupe Électricité de France (« EDF »).
3 Voir l’avis n° 21-A-01 précité, paragraphe 29 et suivants.
4 Voir cotes 137 à 144.
5 Cote 60.
6 Pour les besoins de la présente décision, toute référence à Marseille recouvrira de manière plus large une zone englobant les dépôts et raffinerie de l’étang de Berre, de Fos-sur-Mer, Lavéra et la Mède.
7 L’actionnariat de Géosel depuis 2017 est le suivant : 76,7 % TSH (50 % EDF et 50 % Ardian), 19,9 % Petroineos et 3,4 % Total.
8 Ardian exerce indirectement le contrôle sur la société Géosel, via la société TSH, filiale commune d’Ardian et du groupe EDF. TSH détient en effet 76,7 % du capital de Géosel, le reste de son capital étant détenue par la société PetroIneos Manufacturing France à 19,9 % et par le groupe Total à 3,4 %. Voir cote 68.
9 Cote 68.
10 Cote 69.
11 Décision de la Commission européenne du 9 février 2000, COMP/M.1628, TotalFina/Elf, paragraphe 119.
12 Décisions de l’Autorité n° 15-DCC-54 du 13 mai 2015 relative à la prise de contrôle exclusif de la société anonyme de la Raffinerie des Antilles par la société Rubis, paragraphe 23 et n° 14-DCC-167 du 13 novembre 2014 relative à la prise de contrôle exclusif de la Société du Pipeline Sud-Européen par Total SA, paragraphe 18.
13 Décision de l’Autorité n°14-DCC-167 précitée, paragraphe 8.
14 Décision COMP/M.1628 précitée, paragraphe 119.
15 Décision COMP/M.1628 précitée, paragraphe 123. 16 Décision n° 14-DCC-167 précitée, paragraphe 18. 17 Cote 79.
18 Plus précisément, la partie notifiante a communiqué une première analyse de l’historique des volumes transportés sur le PMR et des tarifs applicables sur la période 2015-2019 (cotes 1815 à 1820), et une seconde analyse produite par le cabinet « AA » pour le conseil d’administration de la SPMR en novembre 2013 de l’élasticité-prix de la demande (cotes 1900 à 1979). Elle a également soumis une modélisation réalisée par le cabinet « E-cube » (cotes 1807 à 1814), établissant, selon la partie notifiante, la frontière entre les « zones de chalandise » des dépôts alimentés par le PMR, c'est-à-dire la zone où le PMR est le moyen de transport le plus compétitif compte tenu de son coût, du coût d’acheminement des alternatives de transport et du coût d’utilisation des dépôts pétroliers. La modélisation permettrait ensuite de recalculer cet état d’équilibre en fonction d’évolutions tarifaires simulées sur PMR. Néanmoins, les services d’instruction ont souligné que cette modélisation suppose que les clients choisissent systématiquement le schéma logistique engendrant les coûts logistiques les plus faibles. Or, les clients peuvent tenir compte d’autres paramètres non pris en compte par le modèle, notamment leur participation dans des dépôts, l’irréversibilité potentielle d’un report des volumes, les contraintes en termes de sécurité d’approvisionnement et de transport, et les contraintes environnementales (paragraphes 127 et 135 du rapport des services d’instruction sur l’opération – ci-après le « rapport »). Les services d’instruction rappelaient également que les élasticités calculées par le modèle étaient relativement faibles et que l’analyse proposée n’expliquait pas comment ces élasticités pouvaient se traduire au niveau de la rentabilité du PMR dont les marges d’exploitation sont importantes (paragraphes 137 et 138 du rapport). La partie notifiante n’est pas revenue sur cette modélisation et les critiques afférentes, ni dans ses observations en réponse au rapport, ni au cours de la séance.
19 Cotes 4 128, 4 129 et 4 134.
20 Cotes 4 210 à 4 214.
21 Cote 3 738.
22 Cote 3 803.
23 Cote 3642.
24 Voir, par exemple, les déclarations d’Esso, cote 3874.
25 Cote 3 115.
26 Cote 3 874.
27 Cote 3 417.
28 Cote 3 755.
29 Cote 2 709.
30 Cote 3 755.
31 Cote 3 417
32 Dans un contexte de transition énergétique, les ambitions nationales décrites dans la stratégie nationale bas carbone (SNBC) prévoient une diminution de la consommation totale en produits pétroliers de près de 40 % entre 2019 et 2030. En particulier, le développement de l’électromobilité et dans une moindre mesure des autres motorisations alternatives (GNV, hydrogène) s’effectuera au détriment des véhicules thermiques et des carburants routiers traditionnels (essences et diesel). Les politiques de rénovation énergétique des bâtiments et de soutien aux moyens de chauffage vertueux conduisent à l’érosion des volumes de fioul domestique. La SNBC envisage une disparition de la consommation de fioul domestique en 2028 (contre 5,7 Mt consommés sur l’année 2018).
33 Introduite par la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, la SNBC est la feuille de route adoptée par le Gouvernement et dédiée à la lutte contre le changement donnant des orientations pour mettre en œuvre, dans tous les secteurs d’activité, la transition vers une économie bas-carbone, circulaire et durable. Voir https://www.ecologie.gouv.fr/strategie-nationale- bas-carbone-snbc
34[…]
35 Cote 4 092.
36 Cote 4 092.
37 Pour, respectivement, esters méthyliques d’acide gras et huiles végétales hydrogénées.
38 Cote 3 418.
39 Voir sur ces points, les auditions de Shell, cotes 3884 à 3888 et Esso, cotes 3872 à 3877.
40 Cote 3 863.
41 Cote 3 806.
42 Cote 3 737
43 Décision n° 14-DCC-167 précitée, paragraphe 19.
44 Décision COMP/M.1628, paragraphe 128.
45 S’agissant des autres oléoducs présents dans le sud de la France, ils seront évoqués en détail, après la présente partie, dans une partie spécifique relative au positionnement spécifique des oléoducs dans le sud de la France.
46 Source : www.ecologie.gouv.fr/chaine-petroliere#e3
47 Source : https://www.defense.gouv.fr/energie-ops/organisation/les-oleoducs/l-utilisation-des-reseaux-oleoducs-au-seo
48 Cote 3 268.
49 Cote 3 276.
50 Cote 3 774.
51 Ibid.
52 Cote 2 845.
53 Cote 3 118.
54 Cote 3 256.
55 Cote 3 873.
56 Réponses de Total Raffinage France (cote 3 256) et de la société SPSE (cote 2 838) au premier test de marché.
57 Cote 3 063.
58 Voir sur ce point les réponses de BP France (cote 3 755), Carfuel (cote 3 768), Dyneff SA (cote 3 787), Ginouves (cote 3 722), Shell (cote
3 849), Sappro (cote 3 727), Auchan (cote 3 737) et Siplec (cote 3 831).
59 Voir réponses de Bolloré Energy (cote 3 748) ; Distridyn, (cote 3 774) ; Petroineos (cote 3 819) et Total (cote 3 837).
60 Cote 3 754.
61 Décision n° 14-DCC-167 précitée.
62 Décision n° 14-DCC-167 précitée.
63 Les volumes de produits raffinés transportés par le SPSE ont représenté en 2019 environ 12 % du total des produits transportés et parmi ces 12 %, une partie importante des volumes étaient constitués par du naphta. Le transport de gasoil n’a ainsi représenté que 7 % des produits transportés par le SPSE en 2019 (cote 2 836).
64 La grande majorité des clients de la cible ont estimé que le SPSE n’exerçait pas de pression concurrentielle sur le PMR.
65 Voir en ce sens la décision n° 14-DCC-167 précitée.
66 Cote 2 838.
67 Cote 3 256.
68 Cote 3 118.
69 Cote 3 172.
70 Cote 2 852.
71 Cote 3 256.
72 La SAGESS, créée en 1988 par des opérateurs pétroliers, a pour objet la constitution et la conservation de stocks stratégiques de produits pétroliers. Voir https://www.sagess.fr/fr.
73 Voir, notamment, la décision de l’Autorité n° 15-DCC-54 du 13 mai 2015 relative à la prise de contrôle exclusif de la Société Anonyme de la Raffinerie des Antilles par la société Rubis et la lettre du ministre de l’économie C2008-68 du 27 août 2008, aux conseils de la société Macquarie, relative à une concentration dans le secteur du stockage d’hydrocarbures.
74 Voir la décision COMP/M.1628, la lettre du Ministre C2008-68 du 27 août 2008, page 3 et la décision de l’Autorité n° 14-DCC-167, paragraphe 33, précitées.
75 Voir, en particulier, les décisions de l’Autorité n° 18-DCC-119 du 18 juillet 2018 relative à l’acquisition du contrôle exclusif de six fonds de commerce de distribution hors réseau au détail de produits pétroliers par Total Marketing France ; n° 15-DCC-54 , paragraphe 16 ; n° 14- DCC-167, paragraphe 34, précitées et; n° 14-DCC-37 du 14 mars 2014 relative à l’acquisition par la société Bolloré Énergie de la société Petroplus Marketing France, paragraphe 9 ; ainsi que la lettre du ministre de l’économie C2008-68 du 27 août 2008 , page 3, précitée.
76 Décision de l’Autorité n° 15-DCC-54 précitée, paragraphe 17.
77 Décisions de la Commission européenne du 10 septembre 2000, affaire n° IV/M.1621 – Pakhoed / Van Ommeren (II), point 11 ; du 21 février 2007, affaire n° COMP/M.4532 – Lukoil / ConocoPhilips, point 14 ; et du 19 mars 2012, affaire n° COMP/M.6463 – Marquard & Bahls / Bominglot, du 19 mars 2012.
78 Voir la décision de l’Autorité n° 18-DCC-119 et la lettre du ministre de l’économie C2008-68 du 27 août 2008, précitées.
79 Voir la lettre du ministre de l’économie C2008-68 du 27 août 2008, et la décision COMP/M.1628 précitées.
80 Voir la décision COMP/M.1628, point 108 et la décision de l’Autorité n° 14-DCC-167 précitée, paragraphe 36.
81 Voir la décision COMP/M.1464, la lettre du ministre du 27 août 2008 aux conseils de la société Macquarie et la décision n° 18-DCC-19 précitées.
82 Voir la décision COMP/M.1628 précitée, paragraphe 125.
83 Cote 3 266.
84 Cote 3 130.
85 Cote 3 415.
86 Cote 3 874.
87 Avis n° 20-1-01 précité, paragraphe 80.
88 Avis n° 20-A-01, précité.
89 Cote 55.
90 Voir l’avis n° 21-A-01 précité, paragraphe 89.
91 Pour un historique des votes relatifs aux tarifs du PMR sur les 10 dernières années, voir cotes 1 781 à 1 790.
94 Notamment, cotes 4 196 à 4 215.
95 Voir avis n° 21-A-01 précité, paragraphes 104 et suivants.
96 Ibid. paragraphe 111.
97 Ibid. paragraphe 112.
98 Voir décision COMP/M.1628 précitée, paragraphes 152-153.
99 Voir l’avis n° 21-A-01 précité, paragraphe 142 et suivants.
100 Voir, par exemple, cote 4 224.
101 Voir, notamment, cote 4 228.
102 Voir, notamment, cotes 4 228 à 4 231.
103 Voir la section de la présente décision relative à la définition des marchés pertinents.
104 Voir, par exemple, cote 1 762.
105 Cote 4 231.
106 Cote 1 352.
107 Cote 3 131.
108 Cote 4 074.
109 Cote 3 220.
110 Cote 3 261.
111 Cote 3261.
112 Cote 3266.
113 Cote 3277.
114 Cote 1 740.
115 Voir courrier du Ministère de la transition écologique du 9 décembre 2020 annexé aux réponses du questionnaire n° 4, cote 3637.
116 L’actionnariat de Géosel depuis 2017 est le suivant : 76,7 % TSH (50 % EDF et 50 % Ardian), 19,9 % Petroineos et 3,4 % Total.
117 Cote 64.
118 Cote 72.
119 Lignes directrices de l’Autorité de la concurrence relatives au contrôle des concentrations, 2020.
120 Cotes 1 793 à 1 804.
121 Néanmoins, toujours selon la partie notifiante, Shell et PetroIneos sont tout à la fois clients de Géosel et des dépôts d’importations de la zone de Fos-Lavéra. Ainsi, Shell souscrit près de […],km3 de capacité de stockage de gasoil à SPSE (moins de [0-5] % des capacités de stockage disponibles tous carburants confondus, [20-30] % des capacités destockage de gasoil) et […] km3 de capacité de stockage de jet au dépôt pétrolier de Fos-sur-Mer. Petroineos souscrit près de […] km3 de capacité de stockage d’essence au dépôt pétrolier de Fos-sur-Mer (de l’ordre de [10-20] % des capacités disponibles).
122 Cote 3888.z
123 Conseil d’État, arrêt rendu dans la décision relative à la concentration Coca-Cola / Orangina, 9 avril 1999, 201853.
124 Voir cotes 4 254 à 4 263.
125 Voir cotes 4 264 à 4 268.
126 Voir, en ce sens, paragraphe 354 des lignes directrices.
127 Voir CE, Assemblée, 23 décembre 2014, St Métropole Télévision, n° 363702, publié au recueil.
128 Cotes 3 892 à 3 897.
129 Cotes 4 421 à 4 431.
130 Cotes 4 471 à 4 477.
131 Cote 4 699.
132 CE, Section, 30 nov. 2010, Société Métropole Télévision, n° 338197, publié au recueil ; CE, Assemblée, 21 décembre 2010, Société Groupe Canal Plus, n° 362347, publié au recueil.
133 CE, Section, 9 avril 1999, Société The Coca-Cola Company, n° 201853, publié au recueil.
134 Voir en ce sens les conclusions du rapporteur public Vincent Daumas sous la décision Société Groupe Canal Plus précitée.
135 Voir, en ce sens, le paragraphe 356 des lignes directrices.