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Décisions

Cass. 3e civ., 4 mars 2021, n° 20-10.912

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chauvin

Rapporteur :

M. David

Avocat général :

Avocats :

SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano

Amiens, du 14 nov. 2019

14 novembre 2019

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 14 novembre 2019), le 29 avril 2003, l'Earl [...] a acquis un corps de ferme, dans lequel la société Uni'Agrid a exercé son activité commerciale à compter du 14 mars 2001, date de sa création.

2. Le 24 novembre 2016, l'Earl [...], reprochant à la société Uni'Agrid d'occuper les lieux sans droit ni titre, l'a assignée en expulsion et paiement d'une indemnité d'occupation.

3. La société Uni'Agrid a reconventionnellement soutenu être titulaire d'un bail commercial sur l'ensemble des bâtiments composant le corps de ferme.

Examen du moyen

Sur le moyen unique pris, en sa première branche

Enoncé du moyen

4. La société Uni'Agrid fait grief à l'arrêt de prononcer la résiliation du bail à ses torts, alors « que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites, et doivent être exécutées de bonne foi ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a expressément relevé que les sociétés Uni'Agrid et [...] étaient liées par un bail, dont l'existence résultait de « deux factures établies par M. A... D..., ancien propriétaire du corps de ferme jusqu'à sa vente intervenue par acte authentique du 29 avril 2003 », libellées au nom de la société Uni'Agrid, « la première portant sur toute l'année 2002, la seconde sur la période du 1er janvier 2003 au 30 avril 2003 », « relatives à la « mise à disposition bâtiments corps de ferme moyennant un prix de 274,41 € par mois, soit la somme annuelle de 3 292,92 € », et que cette occupation avait perduré après l'acquisition de ce corps de ferme par l'Earl [...] ; qu'elle a encore relevé que les deux factures émises par A... D... pour les deux premières années de location en 2002 et 2003 portaient « 'indication « bâtiments » au pluriel sans autre précision », et qu'aux termes de son attestation, M. D... avait indiqué avoir loué à compter de mars 2001 à la société Uni'Agrid « le corps de ferme sans autre précision » ; qu'il résultait de ces constatations que l'assiette du bail verbal conclu initialement entre la Sci Uni'Agrid et l'Earl [...] portait sur le corps de ferme dans sa globalité, et non pas sur un seul des bâtiments le composant, quand bien même les factures ultérieurement émises par l'Earl [...], après cession des parts à Mme G..., portaient comme objet « location bâtiment » au singulier ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 1134 devenu 1103 du code civil. »

Réponse de la Cour

5. Ayant procédé à l'examen de l'ensemble des éléments de preuve produits, la cour d'appel a souverainement retenu que le bail commercial dont elle a dit la société Uni'Agrid titulaire ne portait que sur deux des bâtiments composant le corps de ferme.

6. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le moyen unique, pris en ses deuxième à sixième branches

7. La société Uni'Agrid fait grief à l'arrêt de prononcer la résiliation du bail à ses torts, alors :

« 2°) que lorsque le bail est verbal, le loyer est nécessairement quérable ; que le bailleur ne saurait reprocher au locataire d'avoir manqué à son obligation de paiement du loyer s'il ne justifie lui-même avoir effectué une demande en vue d'obtenir le règlement du prix du bail ; qu'en l'espèce, la société Uni'Agrid faisait valoir que l'Earl [...] avait cessé toute facturation à partir de 2010 et qu'en l'absence de compte établi entre les parties, elle n'avait pas pu payer des loyers qui ne lui étaient pas facturés et qu'elle ne pouvait traduire en comptabilité ; que la cour d'appel a effectivement constaté que l'Earl [...] qui déniait avoir consenti un bail commercial à la société Uni'Agrid, ne lui a jamais adressé la moindre demande de loyer ; qu'en reprochant à la société Uni'Agrid de n'avoir pas versé un loyer qui ne lui était pas demandé, pour prononcer ensuite la résiliation du bail, la cour d'appel a violé les articles 1247 ancien et 1728 du code civil, ensemble l'article 1217 nouveau du même code ;

3°) que le juge ne peut pas fonder sa décision sur un moyen qu'il a relevé d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; qu'en l'espèce, la société Uni'Agrid faisait valoir que l'Earl [...] avait cessé toute facturation à partir de 2010 et qu'en l'absence de compte établi entre les parties, elle n'avait pas pu payer des loyers qui ne lui étaient pas facturés et qu'elle ne pouvait traduire en comptabilité ; que l'Earl [...] qui, à titre principal, contestait l'existence d'un bail commercial entre les parties, n'a jamais prétendu avoir réclamé le moindre loyer à la société occupant les lieux ; qu'or, pour reprocher à la société Uni'Agrid un défaut de paiement des loyers, la cour d'appel a considéré que l'assignation délivrée par l'Earl [...] à la société Uni'Agrid par acte d'huissier du 24 novembre 2016, en paiement d'une indemnité d'occupation d'un montant de 140 400 euros, constituait a minima un appel de loyer ; qu'en se fondant ainsi sur un moyen d'office sans avoir, au préalable, invité les parties à s'en expliquer, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

4°) que le bailleur ne saurait reprocher au locataire d'avoir manqué à son obligation de paiement du loyer s'il ne justifie lui-même avoir effectué une demande en vue d'obtenir le règlement du prix du bail ; qu'à la différence du loyer, l'indemnité d'occupation n'a pas une nature contractuelle ; qu'en considérant, pour reprocher à la société Uni'Agrid un défaut de paiement des loyers, que l'assignation délivrée par l'Earl [...] à la société Uni'Agrid par acte d'huissier du 24 novembre 2016, en paiement d'une indemnité d'occupation constituait a minima un appel de loyer, la cour d'appel a violé les articles 1247 ancien et 1728 du code civil, ensemble l'article 1217 nouveau du même code ;

5°) qu'en toute hypothèse, le défaut de réponse à conclusion est un défaut de motif ; qu'en l'espèce, la société Uni'Agrid faisait valoir que jusqu'à l'année 2010, les loyers avaient été payés à l'Earl [...] par compensation avec les prestations de travaux agricoles effectuées par la société Uni'Agrid au profit de l'Earl [...] ; que le défaut de paiement des loyers à compter de l'année 2010 résultait du conflit existant entre M. J... et son ex-épouse, Mme G... qui, dans le cadre des fonctions salariées qu'elle exerçait au sein de la société Uni'Agrid, avait comptabilisé en dettes plusieurs fausses factures émises par l'Earl [...], lesquelles avaient fait l'objet d'un dépôt de plainte ; que la société Uni'Agrid s'était alors opposée à toute compensation entre les sommes qu'elle devait à l'Earl [...] et les sommes qui lui étaient dues par cette dernière, créant un arriéré de loyers ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans répondre à ce moyen de nature à établir que le défaut de paiement des loyers depuis 2010 ne constituait pas une faute suffisamment grave pour justifier la résiliation du bail aux torts de la société Uni'Agrid, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

6°/ que si les infractions commises par le locataire aux obligations légales et contractuelles découlant du bail commercial constituent des fautes susceptibles de permettre au bailleur de solliciter la résiliation judiciaire du bail, il est nécessaire que ces infractions présentent un caractère de gravité suffisant pour justifier celle-ci ; qu'en l'espèce, il ressortait de la procédure, qu'assignée par acte d'huissier du 24 novembre 2016, devant le tribunal de grande instance d'Amiens, en expulsion du corps de ferme et en paiement d'une indemnité d'occupation, la société Uni'Agrid avait, par conclusions du 25 avril 2018, offert de payer à l'Earl [...] l'intégralité de l'arriéré de loyers ; qu'en considérant que la persistance de cette dette locative près de trois ans après l'introduction de l'action de l'Earl [...] constitue un manquement grave de la société Uni'Agrid à son obligation essentielle de payer le montant du loyer au terme convenu sans s'expliquer sur l'offre de paiement de l'arriéré de loyer formulée, dès la première instance, par la société Uni'Agrid, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 1217 nouveau du code civil. »

Réponse de la Cour

8. La cour d'appel a retenu que l'occupation par la société Uni'Agrid de l'intégralité du corps de ferme et des terrains attenants excédait l'assiette du bail et relevait d'une exécution abusive de celui-ci.

9. Elle a souverainement déduit, de ce seul motif, que ce manquement justifiait la résolution du bail aux torts de la locataire.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.