CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 22 février 2012, n° 10/16376
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Château d'Ax S.P.A (SAS)
Défendeur :
Immobilier Didier Guerin (SARL), Tappezzeria Salese (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Pimoulle
Conseillers :
Mme Chokron, Mme Caber
Avocats :
SCP Bolling, Durand et Lallement, Me Ducros, Me Amsellem, SCP Garnier, Me Nomblot, Me Ingold, Me Roux
Considérant que la société Chateau d'Ax, qui a fait enregistrer le 24 septembre 2003 en classe 6 deux modèles communautaires :
- n° 78951-0010 pour une composition d'ensemble comprenant un canapé 2 places, un élément d'angle et un canapé 3 places,
- n° 7951-0013 pour le seul canapé 2 places,
publiés le 20 avril 2004 et renouvelés le 29 septembre 2008,
ayant appris que la société Mobilier Didier Guérin offrait à la vente dans son magasin de La Ferté Bernard dans la Sarthe, une gamme de canapés dénommée « Oskar » constituant, selon elle, une copie servile des modèles de canapés de sa gamme « Atlantic », après avoir fait procéder le 27 février 2009 à une saisie contrefaçon dans les locaux de cette société ayant notamment permis d'apprendre que ces meubles avaient été fournis par la société de droit italien Tapezzeria Salese, a fait assigner ces deux sociétés sur le fondement de la contrefaçon de ses modèles communautaires et celui de la concurrence déloyale ;
Que le tribunal, par le jugement dont appel, ayant relevé que les sociétés défenderesses ne contestaient pas la validité des modèles enregistrés ni que le modèle « Oskar » est une copie de ces modèles, les a condamnées sur le fondement de la contrefaçon et a condamné la société Tapezzeria Salese à garantir la société Mobilier Didier Guérin, retenant, pour évaluer le préjudice et fixer le montant des dommages-intérêts et les autres mesures réparatrices, que l'étendue de la contrefaçon était limitée à l'offre en vente à la Ferté Bernard d'une seule composition des canapés litigieux, retournée au fournisseur pendant le cours de la procédure et soutenue par quelques prospectus publicitaires retirés après la saisie contrefaçon ;
Qu'il a en revanche débouté la société Chateau d'Ax de sa demande en concurrence déloyale au motif qu'elle n'invoquait au soutien de cette demande aucun fait distinct de ceux constitutifs de la contrefaçon ;
Considérant que, devant la cour, la société Tapezzeria Salese conclut à la nullité des modèles communautaires invoqués et à l'absence d'originalité des canapés et réclame la condamnation de la société Château d'Ax à lui payer des dommages-intérêts pour procédure abusive ;
Que la société Mobilier Didier Guérin conclut au rejet de toutes les prétentions de la société Château d'Ax au motif que celle-ci n'a subi aucun préjudice du fait de la contrefaçon ;
Considérant que la société Château d'Ax, qui n'a relevé appel du jugement que pour voir élever le montant des condamnations prononcées à son profit, demande à la cour de surseoir à statuer sur la question de la validité des modèles, à défaut, de dire ces modèles valides, subsidiairement de dire que les faits reprochés aux intimés constituent des actes de contrefaçon de droits d'auteur et de parasitisme économique ;
Sur la demande de sursis à statuer :
Considérant que, au soutien de sa demande de sursis à statuer, la société Château d'Ax se réfère aux dispositions de l'article 91, 1. du Règlement (CE) n° 6/2002 du
12 décembre 2001 suivant lesquelles : « Sauf s'il existe des raisons particulières de poursuivre la procédure, un tribunal des dessins et modèles communautaires saisi d'une action visée à l'article 81 (i.e. en matière de contrefaçon et de nullité), à l'exception d'une action en constatation de non-contrefaçon, sursoit à statuer de sa propre initiative après audition des parties ou à la demande de l'une des parties et après audition des autres parties, lorsque la validité du dessin ou modèle est déjà contestée par une demande reconventionnelle devant un autre tribunal des dessins et modèles communautaires ou que, s'agissant d'un dessin ou modèle communautaire enregistré, une demande en nullité a déjà été introduite auprès de l'office ;
Considérant que la société Château d'Ax invoque, premièrement, une décision du Tribunal d'instance de Cologne du 21 janvier 2005 ordonnant à une société tierce d'offrir à la vente ou de commercialiser certains modèles de meubles capitonnés à deux ou trois places, deuxièmement, une décision d'une juridiction de Valence (Espagne), du 27 avril 2007, statuant sur une action en concurrence déloyale ; qu'elle ne démontre donc pas que la validité des dessins et modèles communautaires en cause dans le présent litige serait déjà contestée par une demande reconventionnelle devant un autre tribunal des dessins et modèles communautaires ;
Qu'elle ne prétend pas, par ailleurs, que l'OHMI serait déjà saisi d' une demande en nullité de ces modèles ;
Considérant, aucune des conditions prévues par l'article 91, 1. du Règlement (CE) n° 6/2002 du 12 décembre 2001 n'étant ainsi satisfaite, qu'il n' y a pas lieu de surseoir à statuer ;
Sur la validité des modèles :
Considérant, selon l'article 4, 1. du règlement (CE) 6/2002 que « La protection d'un dessin ou modèle par un dessin ou modèle communautaire n'est assurée que dans la mesure où il est nouveau » ; que l'article 5,1. précise qu'« un dessin ou modèle est considéré comme nouveau si aucun dessin ou modèle identique n'a été divulgué au public ['] b) dans le cas d'un dessin ou modèle communautaire enregistré, avant la date de dépôt de la demande d'enregistrement du dessin ou modèle pour lequel la protection est demandée ou, si une priorité est revendiquée, la date de priorité » ; que le même article ajoute in fine que des dessins ou modèles sont considérés comme identiques lorsque leurs caractéristiques ne diffèrent que par des détails insignifiants » ;
Considérant que l'article 7 dispose, dans son paragraphe 1., qu' « un dessin ou modèle est réputé avoir été divulgué au public s'il a été ['] exposé, utilisé dans le commerce ou rendu public de toute autre manière avant la date visée à l'article 5 paragraphe 1. ['] b) » mais précise, au paragraphe 2 , qu'« il n'est pas tenu compte d'une divulgation si un dessin ou modèle pour lequel la protection est revendiquée au titre du dessin ou modèle communautaire enregistré a été divulgué au public ['] par le créateur ['] pendant la période de douze mois précédant la date de dépôt de la demande d'enregistrement ou la date de priorité, si une priorité est revendiquée » ;
Considérant qu'il résulte des dispositions des articles 24 et 25 du règlement qu'un dessin ou modèle communautaire enregistré est déclaré nul par un tribunal des dessins ou modèles communautaires à la suite d'une demande reconventionnelle dans le cadre d'une action en contrefaçon si le dessin ou modèle ne remplit pas les conditions fixées aux articles 4 à 9 ;
Considérant que, par application de ces dispositions, la société Tapezzeria Salese, dans le cadre de l'action en contrefaçon de ses dessins et modèles communautaires enregistrés engagée par la société Château d'Ax, est recevable à soumettre à la Cour une demande reconventionnelle tendant à voir déclarer nuls les modèles qui lui sont opposés ; qu'elle fait valoir, à cette fin, que ces modèles ne remplissent pas la condition de nouveauté pour avoir été divulgués par leur créateur plus de douze mois avant la date de priorité revendiquée ; que la société Château d'Ax, qui affirme, sans en justifier, que cette demande est « dilatoire, tardive et abusive » n'en tire expressément aucune conséquence quant à la recevabilité de cette demande ;
Considérant que la société Tapezzeria Salese, ayant rappelé que la société Château d'Ax a déposé ses deux modèles communautaires le 24 septembre 2003 sous priorité d'un dépôt italien du 20 mai 2003, fait valoir que ces modèles ont été divulgués en janvier 2002, soit plus de douze mois avant la date de priorité revendiquée ;
Qu'elle produit au débat (pièce n° 24 de son bordereau de pièces communiquées) des conclusions de la société Château d'Ax, signifiées le 27 novembre 2010 dans le cadre d'une procédure distincte où la nullité des mêmes modèles était demandée à titre reconventionnel devant cette Cour, reconnaissant expressément « Ledit modèle est commercialisé par la société Château d'Ax sous la référence ''Atlantic 3609'' depuis le mois de janvier 2002 » (page 4) ;
Que la société Tapezzeria Salese verse en outre (pièce 25) une facture de commercialisation datée de janvier 2002 dont la société Château d'Ax reconnaissait elle-même, dans cette autre procédure, qu'elle s'appliquait au modèle de canapé revendiqué, et un document publicitaire de la société Château d'Ax (pièce 26) daté du 14 mai 2002 comportant une représentation photographique du modèle de canapé ;
Considérant que saisie de la même question, cette Cour, dans son arrêt prononcé le 7 septembre 2011, a jugé « que les pièces versées au débat et notamment les catalogues, les documents publicitaires ainsi que les factures et articles de presse suffisent à établir que le modèle Atlantic 3609 est diffusé et commercialisé, en particulier sur le territoire français, sous son nom par la société Château d'Ax depuis 2002 » ; qu'il n'est pas indifférent de rappeler que, dans le cadre de cette même procédure distincte, la société Château d'Ax, assistée il est vrai d'un autre conseil, mais confrontée aux mêmes moyens, avait renoncé à des prévaloir de ses modèles communautaires ;
Considérant que, dans la présente instance, la société Château d'Ax se borne à affirmer péremptoirement, contre l'évidence, qu'il n'existe aucune preuve de la divulgation invoquée ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les deux modèles communautaires invoqués sont nuls ; qu'il n'y a pas lieu d'examiner le second moyen de nullité des mêmes modèles tirés par la société Tappezzeria Salese de leur défaut de caractère individuel ; que les prétentions de la société Château d'Ax fondées sur la contrefaçon de ces modèles doivent en conséquence être rejetées ;
Sur la contrefaçon de droits d'auteur :
Considérant que la société Château d'Ax fonde subsidiairement ses demandes sur le droit d'auteur en affirmant, sans plus d'explication : « En l'espèce les modèles sont à n'en pas douter des créations protégées au titre du droit d'auteur, ces modèles constituant des créations originales, résultant d'un bureau de style de grande renommée ayant cédé ses droits à la concluante » ;
Considérant que, si l'article L.111-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que « L'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous », il appartient à celui qui entend se prévaloir d'un droit de cette nature qu'il est l'auteur d'une œuvre de l'esprit, fruit de sa création ;
Considérant, en l'espèce, qu'il incombe à la société Château d'Ax que les canapés sur lesquels elle revendique des droits d'auteur sont le résultat d'une création originale ayant date certaine, étant observé que cette preuve ne résulte pas du seul dépôt de ces canapés à titre de modèles ;
Considérant que l'appelante s'abstient d'indiquer les caractéristiques de ses canapés qui en feraient, selon elle, une œuvre de l'esprit au sens des dispositions du code de la propriété intellectuelle relatives au droit d'auteur ; que l'esquisse frappée du logo « Sylvain Joly Design » (pièce n° 5 de la société Château d'Ax) n'est pas datée ; que, d'ailleurs, la société Tappezzeria Salese produit au débat sa pièce n°32) la photographie en couleur du canapé ''Conforto 2'' extraite du catalogue d'une société tierce datée de 1997, laquelle, confrontée aux représentations des modèles revendiqués par la société Château d'Ax (ses pièces 1 et 2) suffit à anéantir toute prétention à l'originalité de ces derniers, ainsi que l'a jugé cette Cour dans son précédent arrêt du 7 septembre 2011 ;
Considérant qu'il suit de tout ce qui précède que les prétentions de la société château d'Ax fondées sur la contrefaçon de droit d'auteur doivent être rejetées ;
Sur la concurrence déloyale et parasitaire :
Considérant que la société Château d'Ax soutient que, en s'appropriant sans bourse délier les efforts et investissements qu'elle a réalisés pour concevoir, développer, promouvoir et distribuer sa gamme de mobilier de salon Atlantic 3609, en profitant des compétences et du temps investi et des retombées des campagnes publicitaires réalisées en faveur de cette gamme de mobilier, les sociétés Mobilier Didier Guérin et Tappezzeria Salese ont commis des actes de parasitisme économique à son préjudice ;
Considérant que les attestations produites au débat par la société Château d'Ax (pièces 16 et 18), émanant d'une salariée et du gérant d'un magasin distribuant les modèles en cause, ne contiennent aucune observation directe des faits allégués et ne font que rapporter des propos prêtés à des clients ; que l'attestation d'une autre salariée du même magasin (pièce 17) qui affirme avoir constaté elle-même la présence, dans les locaux de la société Mobilier Didier Guérin, d'un modèle de canapé présenté comme provenant des usines de la société Château d'Ax et vendu à un prix inférieur, outre qu'elle est établie par une personne en lien de subordination avec son employeur et par là indirectement liée aux intérêts de la société château d'Ax, circonstance qui ne peut être écartée quand il s'agit d'en apprécier la force probante, ne mentionne la présence que d'un seul article identique vendu moins cher, ce qui ne caractérise pas un acte de concurrence déloyale ou parasitaire ;
Considérant, par ailleurs, que les écritures de la société Château d'Ax n'apportent aucune précision sur la consistance des efforts et investissements qu'elle prétend avoir réalisés pour concevoir, développer, promouvoir et distribuer sa gamme de mobilier de salon Atlantic 3609 et qui auraient été parasités par les intimées ; que les documents qu'elle verse au débat ne permettent pas de les mesurer ;
Considérant enfin qu'il n'est pas justifié de la copie d'une gamme de mobilier ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société Château d'Ax doit être déboutée de ses prétentions fondées sur la concurrence déloyale et parasitaire ;
Sur la demande de dommages-intérêts de la société Tappezzera Salese :
Considérant que la société Tappezzeria Salese n'est pas fondée à imputer à faute à la société Château d'Ax d'avoir introduit une action en contrefaçon sur la base de modèles communautaires présumés valides et dont elle n'a d'ailleurs pas contesté la validité en première instance ;
Qu'elle n'établit pas la réalité du préjudice commercial qu'elle invoque et ne démontre pas qu'elle aurait subi, du fait de la procédure, un préjudice distinct de la nécessité dans laquelle elle s'est trouvée d'avoir à exposer des frais pour sa défense, ce qui donnera lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile dans la mesure fixée au dispositif ; que sa demande de dommages-intérêts sera en conséquence rejetée ;
Sur les demandes de la société Mobilier Didier Guérin :
Considérant qu'il résulte du sens de l'arrêt que la demande en garantie formée par la société Mobilier Didier Guérin contre la société Tappezzeria Salese est sans objet ;
Considérant que la société Mobilier Didier Guérin ne démontre pas qu'elle aurait subi, du fait de la procédure, un préjudice distinct de la nécessité dans laquelle elle s'est trouvée d'avoir à exposer des frais pour sa défense, ce qui donnera lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile dans la mesure fixée au dispositif ; que sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive sera en conséquence rejetée ;
PAR CES MOTIFS,
DIT n'y avoir lieu à surseoir à statuer,
CONFIRME le jugement seulement en ce qu'il a débouté la société Château d'Ax de ses demandes fondées sur la concurrence déloyale et parasitaire ;
L' INFIRMANT pour le surplus et STATUANT à nouveau,
DÉCLARE NULS les modèles communautaires n° 78951-0010 et n° 7951-0013 de la société Château d'Ax,
ORDONNE, par application de l'article 86 du Règlement (CE) n° 6/2002, la transmission de l'arrêt à l'OHMI,
DÉBOUTE la société Château d'Ax de toutes ses prétentions,
DIT que la demande en garantie formée par la société Mobilier Didier Guérin contre la société Tappezzeria Salese est sans objet,
DÉBOUTE la société Tappezzeria Salese de sa demande de dommages-intérêts,
DÉBOUTE la société Mobilier Didier Guérin de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive,
CONDAMNE la société Château d'Ax aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile et à payer, par application de l'article 700 du code de procédure civile, 10.000 euros à la société Mobilier Didier Guérin et 30.000 euros à la société Tappezzeria Salese.