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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 15 novembre 2016, n° 15/14677

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Jili Shoes (SARL)

Défendeur :

Sandro Andy (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rajbaud

Conseillers :

Mme Auroy, Mme Douillet

TGI Paris, du 29 mai 2015

29 mai 2015

La société SANDRO ANDY (ci-après, la société SANDRO) a pour activité la fabrication de vêtements, chaussures et accessoires de mode, pour femmes et hommes, commercialisés sous la marque SANDRO.

La société SANDRO FRANCE distribuait, à titre exclusif, les produits griffés SANDRO via des points de vente situés en France et à l'étranger exploités sous enseigne SANDRO.

Il est exposé que Mme Rachel C. a créé, le16 décembre 2010, pour la société SANDRO ANDY, à qui elle a cédé ses droits d'auteur selon contrat de cession de droits du 21 juin 2012, un modèle de chaussures référencé CH528H et dénommé ALBATOROCK, présentant une combinaison originale d'éléments caractéristiques.

La société SANDRO a procédé à un dépôt d'horodatage FIDEALIS de ce modèle le 27 juin 2011, sous le n° FR335998.

Cette chaussure a été commercialisée en gros par la société SANDRO ANDY, sous la marque SANDRO, en France et dans le monde, pour la collection automne/hiver 2011-2012, le 31 octobre 2011.

La société SANDRO revendique également des droits de dessins et modèles communautaires non enregistrés sur ce modèle.

Elle indique que compte tenu du succès commercial rencontré par les chaussures CH528H ALBATOROCK, elles ont été reconduites, pour la saison été 2012, sous la référence CH624E ALBATOROCK et que les chaussures CH624E ALBATOROCK de l'été 2012 présentent la même combinaison originale des éléments caractéristiques du modèle CH528H ALBATOROCK de l'automne/hiver 2011-2012, la seule différence résidant dans la couleur et la matière (cuir noir pour l'hiver / nubuck camel pour l'été).

Le modèle CH624E ALBATOROCK a été également fait l'objet d'un dépôt FIDELALIS le 1er février 2012 sous le n°FR3 83287.

Le modèle CH624E ALBATOROCK a lui-même été reconduit pour la collection automne/hiver 2012-2013 en noir et divers coloris, ainsi que pour la collection printemps/été 2013 et pour l'automne/hiver 2014.

Ayant appris qu'était commercialisé dans le magasin à l'enseigne FIFI situé [...] un modèle de chaussure comportant, selon elle, les mêmes caractéristiques que son modèle ALBATOROCK, la société SANDRO a procédé à l'achat d'un exemplaire de ce modèle de chaussure, le 25 juin 2013, et constaté qu'il portait la griffe JILI exploitée par la société JILI SHOES.

La société JILI SHOES indique qu'elle est spécialisée dans le commerce en gros de chaussures pour enfants.

Autorisée par  ordonnance du président du Tribunal de grande instance de Paris du 26 juin 2013, elle a fait procéder le 27 juin 2013 à une saisie-contrefaçon dans les locaux de la société JILI SHOES à AUBERVILLIERS (93), qui a permis la saisie de quatre exemplaires du modèle de chaussure litigieux, le recensement d'un stock de 492 paires, ainsi que la remise d'une facture faisant état, selon la gérante de la société JILI SHOES, d'une seule commande de 592 paires de ce modèle commandées au prix unitaire de 3,20 euros à la société chinoise BLUE CENTURY INTERNATIONAL Co.Limited sise à Hong-Kong et livrée le 12 mars 2013.

C'est dans ces conditions que, par  acte du 11 juillet 2013, les sociétés SANDRO ANDY et SANDRO FRANCE ont fait assigner la société JILI SHOES en contrefaçon de droit d'auteur et de dessins et modèles communautaires non enregistrés, ainsi qu'en concurrence déloyale et parasitaire.

Le jugement déféré a notamment :

•  dit que le modèle de basket ALBATOROCK est protégé au titre du droit d'auteur et du droit des dessins et modèles communautaires non enregistrés,

•  dit qu'en important et en offrant à la vente des baskets reprenant les caractéristiques de la basket ALBATOROCK, la société JILI SHOES a commis des actes de contrefaçon au titre du droit d'auteur et de celui des dessins et modèles communautaires non enregistrées au préjudice de la société SANDRO ANDY,

•  dit que la société JILI SHOES a en outre commis des actes (distincts) de concurrence déloyale et de parasitisme au préjudice de la société SANDRO FRANCE,

•  interdit en tant que de besoin la poursuite de ces agissements et ce, sous astreinte de 350 euros par infraction constatée, à l'expiration d'un délai de quinze jours à compter de la signification du présent jugement,

•  condamné la société JILI SHOES à verser

•  à la société SANDRO ANDY une somme de 20 000 € au titre du préjudice résultant des actes de contrefaçon,

•  à la société SANDRO FRANCE une somme de 30 000 € au titre du préjudice résultant des actes de concurrence déloyale et de parasitisme,

•  ordonné la publication du jugement dans deux périodiques au choix des sociétés demanderesses et aux frais de la société JILI SHOES dans la limite de 3 500 € H.T. par publication,

•  condamné la société JILI SHOES aux dépens et au paiement aux sociétés SANDRO d'une somme globale de 3 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les frais du procès-verbal de saisie-contrefaçon,

•  rejeté le surplus des demandes,

•  ordonné l'exécution provisoire.

Le 3 juillet 2015, la société JILI SHOES a interjeté appel de ce jugement.

Par  acte du 29 août 2015, l'intégralité du patrimoine de la société SANDRO FRANCE a été transféré à la société SANDRO ANDY et la société SANDRO FRANCE a été dissoute. Toutes les activités de création, de production et de commercialisation seraient désormais gérées par la société SANDRO ANDY.

Dans ses conclusions, transmises le 30 septembre 2015, la société JILI SHOES poursuit l'infirmation du jugement, demandant à la cour :

•  à titre principal, de débouter la société SANDRO de l'intégralité de ses prétentions en jugeant :

•  que cette dernière n'est titulaire d'aucun droit d'auteur ni d'aucun droit relatif à un dessin ou à un modèle communautaire non enregistré susceptible de lui être opposé,

•  qu'elle même n'a commis aucun acte de concurrence déloyale ou de parasitisme à l'encontre des sociétés SANDRO,

•  à titre subsidiaire, si la cour confirmait partiellement le jugement entrepris, de réduire à une somme symbolique le montant des dommages et intérêts alloués à l'intimée,

•  en tout état de cause, de condamner chacune des sociétés SANDRO à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses conclusions, transmises le 16 novembre 2015, la société SANDRO ANDY (ci-après SANDRO) demande à la cour :

•  de lui donner acte de la transmission universelle de patrimoine en date du 29 août 2015 de la société SANDRO FRANCE, la société SANDRO ANDY ayant intégralement repris la société SANDRO FRANCE et étant désormais seule partie à la procédure,

•  de confirmer le jugement en ce qu'il a :

•  dit que le modèle de basket ALBATOROCK était protégé au titre du droit d'auteur et du droit des dessins et modèles communautaires non enregistrés,

•  dit qu'en important et en offrant à la vente des baskets reprenant les caractéristiques de la basket ALBATOROCK, la société JILI SHOES a commis des actes de contrefaçon au titre du droit d'auteur et de celui des dessins et modèles communautaires non enregistrés et ainsi commis des actes de concurrence déloyale et de parasitisme à son préjudice,

•  interdit la poursuite de ces agissements sous astreinte de 350 € par infraction constatée et dit qu'il restait compétent pour la liquidation de l'astreinte,

•  ordonné la publication du jugement,

•  condamné la société JILI SHOES à lui payer une indemnité de 3 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les frais de procès-verbal de saisie- contrefaçon,

•  d'infirmer le jugement sur le montant des dommages et intérêts alloués, sollicitant :

•  une somme supplémentaire de 80 000 € en réparation du préjudice subi au titre de son activité de grossiste,

•  une somme supplémentaire de 270 000 € en réparation du préjudice subi au titre de son activité de détail,

•  de condamner la société JILI SHOES à une somme supplémentaire de 15 000 € au titre des frais irrépétibles exposés en appel.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 10 mai 2016

MOTIFS DE L'ARRÊT

Considérant qu'en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées ;

Sur la situation des sociétés SANDRO

Considérant qu'il y a lieu de constater que par suite de la transmission universelle du patrimoine de la société SANDRO FRANCE à la société SANDRO ANDY intervenue par  acte du 29 août 2015 et la dissolution consécutive de la société SANDRO FRANCE, cette dernière n'intervient plus à la présente procédure ;

Sur la contrefaçon

Considérant qu'il y a lieu de constater que le jugement déféré n'est pas critiqué en ce qu'il a retenu que la société SANDRO était titulaire du droit d'auteur sur les deux modèles (CH528H et CH624E) de chaussures ALBATOROCK et qu'elle était également titulaire des droits de dessins et modèles communautaires non enregistrés sur ces deux modèles, ces points n'ayant d'ailleurs pas été contestés en première instance ;

Sur la protection de la chaussure ALBATOROCK de la socié SANDRO par le droit d'auteur et les dessins et modèles communautaires non enregistrés

Sur la protection de la chaussure ALBATOROCK par le droit d'auteur

Considérant que l'article L.112-1 du code de la propriété intellectuelle protège par le droit d'auteur toutes les œuvres de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination, pourvu qu'elles soient des créations originales ; que selon l'article L. 112-2, 14° du même code, sont considérées comme œuvres de l'esprit les créations des industries saisonnières de l'habillement et de la parure, parmi lesquelles l'industrie de la chaussure ;

Que celui qui se prévaut de ces dispositions doit justifier de ce que l'oeuvre revendiquée présente une physionomie propre traduisant un parti pris esthétique et reflétant l'empreinte de la personnalité de son auteur ;

Considérant que la société JILI SHOES soutient que le modèle ALBATOROCK ne présente pas d'originalité, s'agissant d'un modèle de 'sneakers' cloutées inspiré par Christian L., s'inscrivant dans un courant de mode et vendu par plusieurs autres marques antérieurement à sa commercialisation par la société SANDRO (modèle PARANOID de ASH, modèle de DELISHOES, modèle de LEMOTION, modèle BECKETT d'Isabelle M.) ;

Considérant que la société SANDRO définit l'originalité du modèle ALBATOROCK comme provenant de la combinaison originale des éléments caractéristiques suivants :

•  basket plate,

•  montante à la cheville,

•  au niveau de la cheville, la basket présente, sur tout le pourtour, un contrefort formant deux sortes de boudins de cuir de 2 cm chacun, de même couleur que le reste de la chaussure,

•  la chaussure dispose d'une épaisse languette en cuir de même couleur que le reste de la chaussure,

•  la basket se ferme grâce à un large lacet en tissu de la même couleur que le cuir,

•  le lacet passe dans trois grandes boucles argentées, placées de part et d'autre de la languette, sur les parois de la basket,

•  ces boucles sont rattachées aux parois de la basket par trois languettes de cuir de même couleur que le reste de la chaussure, en forme de triangles isocèles, à surpiqûres apparentes,

•  des clous en métal argenté sont apposés sur l'avant (coup de pied) de la basket, selon la disposition particulière suivante (du haut vers le bout de la chaussure) : deux rangées de 7 clous, une rangée de 6 clous, une rangée de 5 clous, une rangée de 4 clous, une rangée de 3 clous,

•  à l'arrière, les mêmes clous en métal argenté sont apposés sur le talon de la chaussure (allant des deux boudins en cuir jusqu'à la semelle en gomme blanche), selon la disposition particulière suivante (du haut vers le bas du talon), donnant une forme de pyramide : une rangée de 5 clous, une rangée de 7 clous, une rangée de 9 clous, une rangée de 11 clous,

•  cette chaussure est montée sur une épaisse semelle en gomme blanche ;

Que c'est par des motifs exacts et pertinents, adoptés par la cour, que les premiers juges ont estimé que le modèle ALBATOROCK revendiqué présentait une combinaison novatrice d'éléments par ailleurs connus, reflétant l'empreinte de la personnalité de son auteur et qu'il bénéficiait ainsi de la protection au titre du droit d'auteur, après l'avoir examiné au regard des modèles de baskets sneakers cloutées Christian L. (collection LOUIS) divulgués dès 2010, d'Isabelle M. (modèle BECKETT) également divulgué en 2010, les autres modèles invoqués par la société JILI SHOES (modèle PARANOID de ASH, de DELISHOES et de LEMOTION, ainsi que tous les modèles figurant sur les planches constituant sa pièce 9 résultant d'une recherche sur le site internet shopstyle.fr par les items 'baskets à clous') ne pouvant l'être utilement pour contester l'originalité du modèle revendiqué, n'ayant pas de date certaine de divulgation ;

Qu'il sera ajouté qu'aucune des autres chaussures L. figurant sur la pièce 6 de la société JILI SHOES ne présente une combinaison identique des éléments caractéristiques de la chaussure ALBATOROCK ; qu'il en est de même des modèles de chaussures invoqués et figurant en pièces 7 et 8 de la société appelante ;

Que le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a reconnu l'originalité de la chaussure ALBATOROCK de la société SANDRO ;

Sur la protection au titre des dessins et modèles communautaires non enregistrés

Considérant que l'article 4 § 1 du règlement communautaire n° 6/2002 du 12 décembre 2001 sur les dessins et modèles communautaires dispose que la protection d'un dessin ou modèle par un dessin ou modèle communautaire n'est assurée que dans la mesure où il est nouveau et présente un caractère individuel ; qu'en application des articles 5-a et 6-a dudit règlement, un dessin ou modèle communautaire non enregistré est considéré comme nouveau si aucun dessin ou modèle identique n'a été divulgué au public avant la date à laquelle le dessin ou modèle pour lequel la protection est revendiquée a été divulgué au public pour la première fois et comme présentant un caractère individuel si l'impression globale qu'il produit sur l'utilisateur averti diffère de celle que produit sur un tel utilisateur tout dessin ou modèle qui a été divulgué au public avant cette même date ;

Considérant qu'il est constant que le modèle ALBATOROCK référencé CH528H a été divulgué pour la première fois en France en octobre 2011 ;

Considérant que la société JILI SHOES soutient que le modèle ALBATOROCK est dépourvu des caractères de nouveauté et d'individualité du fait de la divulgation antérieure du modèle de baskets cloutées de Christian L. et du modèle de baskets citadines d'Isabelle M., tous deux commercialisés avant les chaussures de la société SANDRO ;

Considérant cependant que, comme les premiers juges l'ont relevé, la basket cloutée LOUIS de Christian L. présente des différences marquées par rapport à la basket ALBATOROCK (contrefort à l'arrière avec languette, pastille ronde sur le côté, absence de double boudin sur le haut de la chaussure à l'arrière, absence de languette hypertrophiée sur le dessus de la chaussure, clous présents sur toute la chaussure, lacets blancs contrastants, moins larges et passant par des oeillets classiques et non des boucles rattachées aux côtés de la chaussure par des languettes de cuir) ; que la basket L. ne reproduit donc pas l'ensemble des caractéristiques revendiquées de la basket SANDRO ; qu'il en est de même de la basket BECKETT d'Isabelle M. qui est une chaussure à talon compensé comportant 4 languettes à scratch pour la fermer - et pas de lacets ni de boucles fixées sur les côtés -, et des empiècements de cuir entremêlés, et qui ne comporte ni clous, ni double boudin à l'arrière, ni languette hypertrophiée ;

Que le modèle ALBATOROCK présente donc un caractère nouveau ;

Que, par ailleurs, en raison de leurs différences importantes par rapport au modèle SANDRO, les modèles L. et M. produiront, aux yeux de l'utilisateur averti, en l'occurrence le consommateur de baskets 'citadine' sensible aux détails de style, une impression visuelle d'ensemble distincte de celle générée par la basket ALBATOROCK ;

Que le modèle ALBATOROCK présente en conséquence un caractère individuel ;

Considérant que le jugement déféré doit donc être confirmé en ce qu'il a retenu que le modèle ALBATOROCK est nouveau et présente un caractère individuel et bénéficie ainsi de la protection des dessins et modèles communautaires non enregistrés ;

Sur les actes de contrefaçon

Considérant que la société SANDRO soutient que la société JILI SHOES a commercialisé une chaussure constituant une copie servile de son modèle ALBATOROCK en en reprenant les caractéristiques et a ainsi commis des actes de contrefaçon tant de ses droits d'auteur que de ses droits au titre du dessin ou modèle communautaire non enregistré ;

Considérant que l'examen auquel s'est livrée la cour des chaussures en présence la conduit à retenir que la combinaison des caractéristiques qui, ensemble, rendent la basket ALBATOROCK protégeable est reproduite sur les baskets saisies dans les locaux de la société JILI SHOES ; que celles-ci sont en effet des baskets plates, montantes à la cheville, montées sur une épaisse semelle en gomme blanche, présentant sur tout le pourtour, au niveau de la cheville, deux boudins superposés de même couleur que le reste de la chaussure ; qu'elles se ferment par un lacet passant dans trois boucles fixées sur le côté de la chaussure grâce à des languettes triangulaires de la même couleur que la chaussure ; que des clous en métal argenté sont apposés sur l'avant (coup de pied) de la basket et à l'arrière, du talon jusqu'au contrefort de boudins, formant une sorte de pyramide ; qu'eu égard à ces ressemblances, non contestées par la société appelante, les seules différences tenant au moindre nombre de clous et à l'utilisation de blanc ou de couleurs vives (bleu, rouge, rose) pour la basket de la société JILI SHOES - qui s'expliquent par le fait qu'il s'agit d'une chaussure enfant - sont sans emport, la contrefaçon s'appréciant par les ressemblances et non les différences ;

Que la contrefaçon de droit d'auteur est caractérisée ;

Considérant qu'il résulte de l'article 19.2 du règlement n° 6/2002 que le dessin ou modèle communautaire non enregistré ne confère à son titulaire le droit d'interdire les actes de contrefaçon que si l'utilisation contestée résulte d'une copie du dessin ou modèle protégé, l'utilisation contestée n'étant pas considérée comme résultant d'une copie si elle résulte d'un travail de création indépendant réalisé par un créateur dont on peut raisonnablement penser qu'il ne connaissait pas le dessin ou modèle divulgué par le titulaire ; que l'article 10 du même règlement prévoit que la protection conférée par le dessin ou modèle communautaire s'étend à tout dessin ou modèle qui ne produit pas sur l'observateur averti une impression visuelle globale différente, l'étendue de la protection s'appréciant en tenant compte du degré de liberté du créateur dans l'élaboration du dessin ou modèle ; qu'en application de l'article 11 du même règlement, un dessin ou modèle communautaire non enregistré est protégé pendant un délai de trois ans à compter de sa première divulgation au sein de la Communauté ;

Que la combinaison d'éléments qui donnent à la basket ALBATOROCK son caractère nouveau et individuel est reprise à l'identique par la basket commercialisée par la société JILI SHOES, ce qui n'est pas contesté par la société appelante ; que la basket commercialisée par la société JILI SHOES produit sur l'utilisateur averti une impression visuelle identique à celle produite par la chaussure de la société SANDRO ; que la société JILI SHOES a commercialisé des copies quasi serviles des modèles ALBATOROCK dans les trois ans qui ont suivi leur première divulgation ;

Que la contrefaçon de dessin ou modèle communautaire non enregistré est donc également établie ;

Considérant que le jugement déféré sera, en conséquence, confirmé de ces chefs ;

Sur la concurrence déloyale et le parasitisme

Considérant que la demande en concurrence déloyale formée par la société SANDRO à titre subsidiaire est sans objet ;

Considérant que la société SANDRO (SANDRO ANDY), en ce qu'elle vient aux droits de la société SANDRO FRANCE, et distribue désormais au détail les produits griffés SANDRO, forme, par ailleurs, à titre principal, une demande en concurrence déloyale et parasitaire, invoquant le préjudice qu'elle subit du fait du risque de confusion généré dans l'esprit du consommateur par les ressemblances entre les chaussures en présence et le fait que la société JILI SHOES a entendu tirer profit de la notoriété de la basket ALBATOROCK afin de vendre des copies très bon marché en même temps qu'étaient commercialisée la chaussure originale ;

Considérant que la concurrence déloyale doit être appréciée au regard du principe de la liberté du commerce qui implique qu'un signe ou un produit qui ne fait pas l'objet de droits de propriété intellectuelle, puisse être librement reproduit, sous certaines conditions tenant à l'absence de faute par la création d'un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit, circonstance attentatoire à l'exercice paisible et loyal du commerce ; que l'appréciation de la faute au regard du risque de confusion doit résulter d'une approche concrète et circonstanciée des faits de la cause prenant en compte notamment le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l'imitation, l'ancienneté d'usage, l'originalité, la notoriété de la prestation copiée ;

Que les agissements parasitaires constituent entre concurrents l'un des éléments de la concurrence déloyale ; qu'ils consistent, pour une personne morale ou physique, à titre lucratif et de façon injustifiée, à s'inspirer ou à copier une valeur économique d'autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d'un savoir-faire, d'un travail intellectuel et d'investissement ;

Considérant que compte tenu des développements qui précèdent, la société JILI SHOES objecte vainement que la chaussure ALBATOROCK est dénuée d'originalité, qu'elle ressemble à la sneaker cloutée de Christian L. et qu'elle s'inscrit dans un courant de mode consistant à insérer des clous sur des accessoires de mode ;

Que la basket de la société JILI SHOES constitue une copie quasi servile de la basket ALBATOROCK, les ressemblances n'étant pas même contestées par la société appelante ; que les chaussures contrefaisantes ont été commercialisées dans le même temps qu'étaient vendues les baskets ALBATOROCK ; que la circonstance que la société JILI SHOES est spécialisée dans la chaussure pour enfants, ce qui ressort du constat d'huissier qu'elle verse aux débats (sa pièce 14), est sans emport dès lors qu'elle propose des chaussures de taille 35 et 36 qui sont des pointures portées aussi bien par des enfants que par des adultes et que la basket ALBATOROCK est portée par des adultes mais également par des adolescents, la société SANDRO fournissant un extrait du site internet du FIGARO duquel il ressort qu'elle constituait un des 'objets incontournables de la rentrée 2013" et était très prisée des collégiens et lycéens parisiens ; que les sociétés sont donc en concurrence, s'adressant potentiellement à une même clientèle ; que du reste, la clientèle des chaussures SANDRO pourra être amenée à croire que la chaussure litigieuse constitue une déclinaison pour enfants du modèle SANDRO ; qu'est de même inopérant le fait que la marque 'JILI' soit apposée sur la semelle intérieure de la chaussure contrefaisante, ce qui la rend invisible lorsque la basket est portée ; que le risque de confusion, dans l'esprit des clients, sur l'origine des produits en cause est dès lors réel ; que le prix de revente au détail de la chaussure contrefaisante est de 99 €, celui de la basket ALBATOROCK de 345 € ; que ces éléments permettent de retenir que la société JILI SHOES s'est rendue l'auteur d'actes de concurrence déloyale au préjudice de la société SANDRO ;

Que par ailleurs, le succès de la chaussure ALBATOROCK auprès du public est attesté par les pièces produites par la société SANDRO ; qu'en copiant ce modèle et en commercialisant la basket contrefaisante à un prix très inférieur, la société JILI SHOES a cherché à profiter de la créativité et de l'image de marque de la société SANDRO et a ainsi également commis des actes de parasitisme à son préjudice ;

Considérant que le jugement sera également confirmé sur ces points ;

Sur les mesures réparatrices

Sur les demandes indemnitaires

Considérant, en ce qui concerne la contrefaçon, qu'en application des  article L. 331-1-3 et L. 521-7 du code de la propriété intellectuelle, ce dernier rendu applicable aux dessins et modèles communautaire par l'article L. 552-1 du même code, dans leur version applicable aux faits de l'espèce, la juridiction prend en considération, pour fixer les dommages et intérêts, les conséquences économiques négatives, dont le manque à gagner, subies par la partie lésée, les bénéfices réalisés par le contrefacteur et le préjudice moral causé au titulaire des droits du fait de l'atteinte ;

Considérant que la société JILI SHOES sollicite une diminution des sommes allouées en première instance, invoquant notamment la faible quantité de baskets contrefaisantes acquises (592 paires) et le fait que seules 80 ont été effectivement vendues et que la basket ALBOTOROCK n'est désormais plus commercialisée par la société SANDRO qui vend beaucoup d'autres modèles de chaussures ;

Que la société SANDRO demande une majoration substantielle des sommes allouées en première instance ;

Considérant que lors des opérations de saisie contrefaçon, a été remise à l'huissier instrumentaire une facture, en date du 7 février 2013, émanant de la société BLUE CENTURY INTERNATIONAL sise à Hong Kong, portant sur 26 257 paires de chaussures, toutes référencées 'girl's shoes (PU)', qui, selon la gérante présente au moment des opérations de saisie- contrefaçon, auraient été livrées le 14 mars 2013 ; que selon la gérante, seule la première ligne de la facture, désignant 592 paires au prix unitaire de 3,20 €, correspondrait aux chaussures arguées de contrefaçon ; que cette affirmation n'est corroborée que par l'attestation en date du 28 août 2014 de la société BLUE CENTURY INTERNATIONAL qui indique que la commande concernait 592 paires de sneakers cloutées pour enfant ; que cette attestation, qui émane du fournisseur de la chaussure contrefaisante, est cependant d'une valeur probante faible, d'autant qu'elle mentionne une référence (B01) et une date de facturation (27 février 2013) qui ne correspondent pas aux mentions figurant sur la facture saisie ; qu'en outre, la société SANDRO fait valoir pertinemment que l'huissier n'a retrouvé que 492 paires des chaussures litigieuses, ce qui signifierait que seules 100 paires ont été vendues en plus de deux mois, ce qui est peu probable ; que la société SANDRO relève à juste raison que la société JILI SHOES ne verse aucune attestation de son expert-comptable ou de son commissaire aux comptes certifiant les quantités importées et vendues ;

Que les chaussures ALBATOROCK étaient vendues en gros au prix unitaire de 36,83 € HT et commercialisées au détail au prix de 345 € TTC ; que la chaussure contrefaisante achetée au prix de 3,20 € était vendue au détail environ 99 € (pièces 34 à 36 de la société SANDRO) ;

Que la totalité de la marge ne peut toutefois être prise en considération pour la détermination du manque à gagner, dès lors que les clients qui ont acquis le modèle contrefaisant au prix de 99 € n'auraient pas tous acheté le modèle original ALBATOROCK au prix de 345 € ;

Que la basket contrefaisante a été commercialisée en même temps que la basket contrefaite ;

Que comme l'a retenu le tribunal, le procès-verbal de constat d'huissier établi le 29 août 2014 à la demande de la société JILI SHOES duquel il ressort qu'à cette date les chaussures contrefaisantes n'étaient plus offertes à la vente, ne démontre pas que la commercialisation a cessé dès la saisie-contrefaçon ni que le stock constaté de 492 paires n'a pas été vendu ;

Que la vente de chaussures constituant des copies quasi serviles à un prix très inférieur a nécessairement dévalorisé la chaussure contrefaite et causé un préjudice moral à la société SANDRO ;

Considérant que la cour dispose ainsi des éléments suffisants pour évaluer à 60 000 € la somme devant être allouée à la société SANDRO en réparation de son préjudice résultant de la contrefaçon et à 90 000 € celle devant lui être accordée, en ce qu'elle vient aux droits de la société SANDRO FRANCE, du fait des actes de concurrence déloyale et parasitaire ; que le jugement déféré sera réformé en ce sens ;

Sur les mesures d'interdiction et de publication

Considérant que le sens de la présente décision conduit à confirmer le jugement en ses dispositions relatives aux mesures d'interdiction et de publication prononcées ;

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Considérant que la société JILI SHOES qui succombe en son appel sera condamnée aux dépens d'appel et gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés à l'occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et les frais irrépétibles de première instance étant confirmées ;

Considérant que la somme qui doit être mise à la charge de la société JILI SHOES au titre des frais non compris dans les dépens exposés par la société SANDRO peut être équitablement fixée à 8 000 €, cette somme complétant celle allouée en première instance ;

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Constate que par suite de la transmission universelle du patrimoine de la société SANDRO FRANCE à la société SANDRO ANDY intervenue par  acte du 29 août 2015 et la dissolution consécutive de la société SANDRO FRANCE, cette dernière n'intervient plus à la présente procédure ;

Confirme le jugement si ce n'est en ce qu'il a condamné la société JILI SHOES à payer :

•  à la société SANDRO ANDY une somme de 20 000 € au titre du préjudice résultant des actes de contrefaçon,

•  à la société SANDRO FRANCE une somme de 30 000 € au titre du préjudice résultant des actes de concurrence déloyale et de parasitisme,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Condamne la société JILI SHOES à verser :

•  à la société SANDRO ANDY une somme de 60 000 € en réparation du préjudice résultant des actes de contrefaçon,

•  à la société SANDRO ANDY, venant aux droits de la société SANDRO FRANCE, une somme de 90 000 € en réparation du préjudice résultant des actes de concurrence déloyale et parasitaire,

Déboute la société SANDRO ANDY du surplus de ses demandes indemnitaires,

Condamne la société JILI SHOES aux dépens d'appel et au paiement à la société SANDRO de la somme de 8 000 € au titre des frais irrépétibles exposés en appel.