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Décisions

CA Paris, 4e ch., 15 mars 2000, n° D20000026

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Stolar (SA)

Défendeur :

CCM (SARL), La Griffe Universelle (SARL), -Jockai- Mod International Trading Co-Mit Co (SARL), Etoile de Paris (SARL)

T. com. Paris, du 24 juin 1999

24 juin 1999

La société STOLAR, référence faite à son extrait K-Bis, a pour activité l'exploitation d'un fonds de commerce de maroquinerie, articles de Paris, bimbeloterie, bijouterie fantaisie et en général toutes opérations s'y rapportant directement ou indirectement.

Revendiquant la titularité des droits d'auteur sur le modèle de sac qu'elle a commercialisé, à partir du mois de juillet 1997, sous la référence 1029-2 et reprochant à la société C.C.M. d'avoir diffusé un catalogue de la collection printemps/été 1998 dans lequel étaient photographiés cinq modèles de sacs constituant, selon elle, la reproduction servile du sien, la société STOLAR, après avoir fait procéder à une saisie-contrefaçon, tant dans les locaux de la société C.C.M. que dans ceux de trois de ses revendeurs, les sociétés LA GRIFFE UNIVERSELLE, JOCKAI et l'ETOILE DE PARIS, a saisis le tribunal de commerce de Paris en constatation d'acte de contrefaçon et de concurrence déloyale sollicitant, outre les mesures d'interdiction et de publication habituelles, le paiement d'une somme de 1.000.000 francs à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi.

Par  jugement en date du 24 juin 1999, le tribunal de commerce de Paris, estimant que la titularité des droits d'auteur sur le modèle de sac litigieux n'était pas établie, a débouté la société STOLAR de l'intégralité de ses demandes et a rejeté les demandes reconventionnelles formées par les défenderesses.

Vu l'appel interjeté par la société STOLAR, le 2 novembre 1999, à l'encontre de cette décision ;

Vu les conclusions en date du 26 janvier 2000 par lesquelles la société STOLAR fait valoir,

- qu'en l'absence de toute revendication de la part de Madame O qui atteste lui avoir cédé les droits sur le modèle qu'elle a créé, elle est réputée être titulaire du droit de propriété incorporelle de l'auteur en raison des actes de commercialisation par elle effectués,

- que le fait de faire fabriquer en Chine le modèle litigieux est sans effet sur cette titularité de droits dès lors qu'elle exploitait commercialement ce modèle sous son nom au jour des saisies pratiquées,

- que le modèle qu'elle revendique dans une combinaison parfaitement caractérisée constitue bien une oeuvre originale protégeable,

- que la contrefaçon est parfaitement établie ainsi que les actes de concurrence déloyale dès lors que les modèles de la gamme critiqués, commercialisés par la société C.C.M. reproduisent servilement les caractéristiques de son modèle et sont vendus un prix très nettement inférieur.

et demande, en conséquence à la Cour, :

- d'infirmer la décision entreprise,

- de constater l'existence des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale dénoncés,

- de condamner in solidum les intimées à lui verser la somme de 1.000.000 francs à titre de dommages-intérêts,

- d'interdire aux intimées de poursuivre leurs agissements sous astreinte de 10.000 francs par infraction constatée à compter de la signification de la décision à intervenir,

- d'ordonner la publication de cette décision dans cinq journaux ou revues de son choix et aux frais in solidum des intimées, sans que le coût de chaque insertion excède la somme de 20.000 francs HT,

- de lui allouer la somme de 60.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Vu les conclusion du 1er décembre 1999 par lesquelles la société C.C.M. et les sociétés LA GRIFFE UNIVERSELLE, MOD INTERNATIONAL TRADING CO-MIT CO (JOCKAI) et l'ETOILE DE PARIS :

- sollicitent la confirmation de la décision entreprise, faisant valoir à cet effet :

- que la société STOLAR est irrecevable à agir en contrefaçon dès lors que la titularité des droits d'auteur sur le modèle qu'elle diffuse n'est, selon elles, pas avérée et que cette société, spécialisée dans l'import/export d'articles de maroquinerie, n'est pas fondée à revendiquer le bénéfice de la présomption titularité alors qu'il est établi qu'elle n'a pas créé le modèle litigieux ;

- qu'elle est en tout état de cause mal fondée, le modèle qu'elle revendique ne constituant pas une création nouvelle et originale,

- qu'en toute hypothèse les sacs incriminés ne constituent pas la contrefaçon des sacs revendiqués,

- qu'il n'existe aucun acte de concurrence déloyale,

- et dénonçant la caractère abusif de l'action entreprise à leur encontre, demandent à titre reconventionnel, :

- la somme de 300.000 francs pour la société C.C.M. et celle de 50.000 francs pour chacune des autres intimées, à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive.

- la publication de la décision intervenir dans trois journaux ou revues au choix de la société C.C.M. et aux frais de la société STOLAR,

- l'allocation d'une somme de 60.000 francs à la société C.C.M. et d'une somme de 10.000 francs à chacune des autres intimées, par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

DECISION

I - SUR LA RECEVABILITE DE L'ACTION EN CONTREFAÇON :

Considérant que pour s'opposer à l'action entreprise à leur encontre, les sociétés intimées soutiennent que la présomption de titularité des droits de propriété incorporelle de l'auteur qui résulte d'actes de possession est "radicalement" inapplicable en l'espèce, dès lors qu'il n'est pas contesté, selon elles, que la société STOLAR a acheté pour les revendre les modèles de sacs en cause dans le cadre de ses activités d'IMPORT/EXPORT et que les sacs sur lesquels elle revendique un droit de propriété intellectuelle ont été conçus par un de ses fournisseurs taïwannais, la société DESING ET CONCEPT ;

Mais considérant que pour justifier de la titularité des droits sur le modèle, la société STOLAR, qui se prévaut de la présomption de titularité des droits en raison des actes d'exploitation auxquels elle s'est livrée, produit aux débats un certain nombre de pièces parmi lesquelles :

- un croquis daté du 1er février 1997, représentant, de façon précise et cotée, le modèle de sac matelassé revendiqué, de la collection V -classics ;

- le fax en date du 3 février 1997 par lequel la société taïwanaise DESIGN ET CONCEPT, reproduisant de façon succincte quatre modèles de sacs dont celui susvisé, référencé n 1029-2, lui confirme qu'elle a bien reçu ses quatre modèles et qu'elle prépare les échantillons, pour le 27 février 1997, conformément à ses dessins,

- l'attestation de Madame Micheline O certifiant qu'elle est bien l'auteur des croquis en cause,

- l'ensemble des factures portant la référence du modèle, établies en juin, juillet et août 1997, au nom des revendeurs ainsi que deux attestations de ceux-ci certifiant avoir acquis de la société STOLAR MAC FLY le modèle de sac litigieux ;

Considérant que l'ensemble de ces éléments établit de façon certaine que les activités de la société STOLAR ne se sont pas limitées, en dépit de l'indication "IMPORT/EXPORT" portée sur ses documents commerciaux, à de simple activités de ce type, même si de telles activités relèvent de son objet social ;

Que la société taïwanaise DESIGN ET CONCEPTE, elle-même, lorsqu'elle confirme qu'elle réalisera les sacs qui lui sont commandés à partir des dessins que lui a adressés la société STOLAR, reconnaît bien, en l'espèce, son rôle de simple exécutant ; qu'aucune autre pièce ne vient contredire cette assertion ;

Qu'en l'absence de tout autre revendication d'un droit d'auteur sur la création litigieuse par une quelconque personne physique, la société STOLAR, qui l'a commercialisée sous son nom, est, du fait des actes susvisés, précis et circonstanciés et indépendamment de la qualification de l'oeuvre, présumée, à l'égard des sociétés intimées, poursuivies pour contrefaçon, titulaire des droits de propriété incorporelle de l'auteur ;

Que les fonctions de directrice générale des établissements STOLAR NE PRIVENT PAS Madame O de la faculté de créer des modèles de sacs commercialisés par sa société ;

Que l'action en contrefaçon entreprise par la société STOLAR est en conséquence recevable ;

II - SUR L'ORIGINALITE DU MODELE :

Considérant que la société STOLAR caractérise son modèle en ce qu'il s'agit :

- d'un sac matelassé de forme rectangulaire,

- comportant de chaque côté plusieurs rangées de piqûres, parallèles les unes par rapport aux autres et espacées de 2 cm,

- munis de deux bandoulières plates et larges,

- maintenues au corps du sac par de larges oeillet dorés.

- un logo doré, de forme rectangulaire et bombée, au centre duquel figure l'inscription "V-classics", étant au surplus placé à l'avant du sac entre les oeillets dorés.

- le curseur de la fermeture à glissière du sac étant muni d'un pompon frangé ;

Considérant que si ces éléments sont, en soi, parfaitement banals dans le domaine de la maroquinerie comme le démontre au demeurant les sociétés intimées par la production de modèles qu'elles ont antérieurement commercialisés, la combinaison qui en est donnée, résultat d'un processus intellectuel qui porte l'empreinte de la personnalité de son créateur, confère au modèle son caractère original et en fait, quel qu'en soit le mérite, une oeuvre protégeable au titre du droit d'auteur, ladite protection se trouvant toutefois limitée à la combinaison retenue ;

III - SUR LES ACTES DE CONTREFAÇON ET DE CONCURRENCE DELOYALE :

Considérant qu'en commercialisant un modèle de sac référencé sous le n 98.015, qui reproduit de manière servile tous les éléments du modèle susvisé, à l'exception de l'inscription figurant sur le logo, la société C.C.M. et ses revendeurs ont commis des actes de contrefaçon servile ;

Que les autres modèles commercialisés, référencés sous les numéros 98.011 à 98.014, qui reproduisent toutes les caractéristiques (à savoir les surpiqûres, les bandoulières plates, oeillets dorés, les pompons frangés et, pour trois d'entre eux, le logo doré semblablement disposé) à l'exception de la forme rectangulaire, constituent, par le comparaison qui peut en être faite, la contrefaçon partielle mais certaine du modèle opposé, les différences de forme des sacs, qui leur confère le caractère d'une simple déclinaison du précédent, n'étant pas telles qu'elles permettraient auxdits modèles de se distinguer de ce dernier ;

Que ces actes de commercialisation, constitutifs de contrefaçon, engagent la responsabilité tant de la société C.C.M. que de ses revendeurs, professionnels avisés, en raison des atteintes, respectivement commises, portées aux droits de la société STOLAR sur son modèle et obligent ceux-ci à la réparation in solidum du préjudice causé ;

Considérant, en revanche que la société STOLAR ne peut valablement prétendre que le caractère servile de la reproduction de son modèle constituerait, en soi, un acte distinct de concurrence déloyale, alors qu'il est constant que la contrefaçon est constituée soit par la reproduction intégrale soit par la reproduction partielle de l'oeuvre concernée ;

Que la pratique de prix inférieurs ne constitue pas davantage, en soi, un acte de concurrence déloyale, dès lors qu'il n'est pas démontré que ce prix serait vil, que la vente serait réalisée à perte et/ou revêtirait un caractère fautif ;

Que le grief de concurrence déloyale doit donc être écarté ;

IV - SUR LA REPARATION DU PREJUDICE :

Considérant que les opérations de saisie-contrefaçon ont mis en évidence une commercialisation illicite relativement importante, portant sur de 12.500 pièces ;

Mais considérant que la société STOLAR ne justifie pas avoir engagé des investissements financières particulièrement élevés pour parvenir à la création du modèle en cause ; que le préjudice n'excède pas celui résultant de la banalisation du modèle et sera, en conséquence, entièrement réparé par l'interdiction sous astreinte de poursuivre la commercialisation des 5 modèles en cause, ainsi que par l'allocation d'une somme de 150.000 francs à titre de dommages intérêts et par la publication du dispositif de la présente décision dans deux revues au choix de la société STOLAR et au frais des intimées, sans que le coût de cette mesure puisse excéder la somme de 20.000 francs par insertion ;

V - SUR LES AUTRES DEMANDES :

Considérant que les intimés ne peuvent valablement prétendre à l'octroi de dommages- intérêt pour procédure abusive, compte tenu de ce qui précède ; que leur demande formulée à ce titre doit être rejetée ;

Considérant qu'il convient d'allouer à la société STOLAR la somme de 50.000 francs par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; que les sociétés intimées, qui succombent, doivent être déboutées de la demande qu'elles ont formulée de ce chef ;

PAR CES MOTIFS

Infirme la décision entreprise sauf en ce qu'elle a rejeté les demandes formées au titre des actes de concurrence déloyale,

Et statuant à nouveau

Condamne in solidum la société C.C.M. et les sociétés GRIFFE UNIVERSELLE, MOD INTERNATIONAL TRADING CO-MIT CO (JOCKAI) et l'ETOILE DE PARIS à payer à la société STOLAR la somme de 150.000 francs à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice résultant des actes de contrefaçon commis,

Fait interdiction aux sociétés C.C.M., LA GRIFFE UNIVERSELLE, MOD INTERNATIONAL TRADING CO-MIT CO (JOCKAI) et l'ETOILE DE PARIS de poursuivre la commercialisation des 5 modèles référencés sous les n 98.011 à 098.015 du catalogue de la société C.C.M., sous astreinte de 1.000 francs par infraction constatée à l'expiration d'un délai de quinzaine à compter de la signification du présent arrêt ;

Autorise la société STOLAR a faire publier le dispositif du présent arrêt dans deux revues de son choix aux frais in solidum des susnommées sans le coût de chaque insertion excède 20.000 francs HT ;

Condamne in solidum les sociétés C.C.M., LA GRIFFE UNIVERSELLE, MOD INTERNATIONAL TRANDING CO-MIT CO (JOCKAI) et l'ETOILE DE PARIS à payer à la société STOLAR la somme de 50.000 francs par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

Rejette toutes autres demandes,

Condamne in solidum les sociétés C.C.M., LA GRIFFE UNIVERSELLE, MOD INTERNATIONAL TRADING CO-MIT CO (JOCKAI) et l'ETOILE DE PARIS aux dépens et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.