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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 4 juin 1992, n° ECOC9210104X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Fédération nationale des syndicats agricoles de cultivateurs de champignons

Défendeur :

Ministère de l'Economie, des Finances et du Budget

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Canivet

Conseillers :

M. Collomb-Leclerc, Mme Mandel, Mme Beauquis, M. Betch

Avocat :

Me Berthault

Cons.conc., du 17 déc. 1991

17 décembre 1991

Vu les mémoires, pièces et documents déposés au greffe à l’appui du recours ;

Saisi le 22 mars 1991, par le ministre d’Etat, ministre de l’économie, des finances et du budget, de pratiques anticoncurrentielles reprochées à la Fédération nationale des syndicats agricoles de cultivateurs de champignons (FNSACC), dans le secteur des champignons de couche, dits « champignons de Paris », le Conseil de la concurrence (le Conseil) a, par décision du 17 décembre 1991, infligé à la FNSACC une sanction pécuniaire de 400 000 F et ordonné la publication intégrale de la décision.

La FNSACC, qui conteste le caractère anticoncurrentiel de la pratique retenue, a formé un recours contre cette décision dont elle poursuit la réformation en demandant :

- sa mise hors de cause ;

- la suppression ou la réduction de la sanction pécuniaire ;

- la suppression de la mesure de publication.

Le représentant du ministre chargé de l’économie dans ses observations et le ministère public dans ses conclusions orales estiment que le recours doit être rejeté.

Sur quoi, la cour :

Considérant que la FNSACC, constituée sous forme d’association loi 1901 à but non lucratif, regroupe la quasi-totalité des producteurs de champignons de couche français, quelles que soient la région de leur exploitation ou la taille de celle-ci; qu’elle est membre, avec la Chambre syndicale nationale des industries de la conserve et la Fédération nationale des conserveries et sociétés d’intérêt collectif agricole, de l’Association nationale interprofessionnelle du champignon de couche (ANICC) ;

Considérant qu’au mois de janvier 1989, dans le but de permettre une meilleure valorisation du produit, menacé par la concurrence étrangère, cet organisme professionnel a décidé d’instaurer une norme de classement en trois catégories des différentes qualités de champignons de couche ;

Considérant que, le 1er septembre 1989, elle a, par voie de circulaire, demandé à ses adhérents de majorer les prix du coût de la normalisation ;

Que le paragraphe III de cette circulaire, intitulé « Objectif de réajustement des prix », mentionne :

« Pour cela et dans une telle situation des marchés où des actions de rééquilibrage des prix sont possibles, un redressement du marché du frais sur le plan national de 2 F du kilogramme dans l’année devient nécessaire afin de couvrir les charges actuelles et à venir et de compenser le retard supporté par le secteur (la seule application de la normalisation du champignon, applicable à partir du 1er janvier 1990, coûtera au moins 1 F du kilogramme).

« Dans ces conditions :

« Une majoration des prix sur les tarifs pratiqués au mois de juin de 1 F du kilogramme devra intervenir entre le 15 et le 30 septembre 1989 ;

« Une seconde majoration de 1 F du kilogramme devra intervenir avant Pâques 1990.

« Nous vous demandons donc de prendre dès à présent vos dispositions en ce sens. »

Considérant que la décision du Conseil retient que la circulaire précitée, élaborée à la suite de la consultation des responsables régionaux et de certains adhérents, avait pour objet et pouvait avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence et qu’en conséquence la fédération, en diffusant ladite circulaire à tous ses adhérents, a mis en œuvre une pratique contraire aux dispositions de l’article 7 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Considérant que la fédération fait valoir à l’appui de son recours que sa circulaire « n’était pas une consigne mais une simple observation sur la manière de gérer, un choix de gestion..., ceci afin d’obtenir une efficacité maximum et d’informer avec suffisamment d’insistance les champignonnistes pour que ces majorations soient bien comprises et appliquées par l’ensemble, afin de ne pas créer de disparités entre les entreprises, ce qui aurait été encore plus négatif » ;

Qu’elle en justifie la diffusion par sa préoccupation de défendre le produit contre la concurrence étrangère et d’éviter la disparition du secteur agricole national du «champignon de Paris » ;

Qu’enfin elle souligne que la première majoration n’a été que faible ment appliquée et la seconde pas du tout ;

Sur la pratique incriminée :

Considérant que le Conseil de la concurrence ayant exactement décrit et analysé le secteur économique et le marché concernés, ainsi que les circonstances dans lesquelles la circulaire du 1er septembre 1989 a été élaborée et diffusée, la Cour se réfère sur ces points non contestés à la décision attaquée ;

Considérant que nonobstant les dénégations de la requérante, les clauses précitées de la circulaire doivent s’analyser en une incitation concertée à la hausse de prix ;

Qu’en émettant de telles directives, cette organisation est sortie des limites de la mission de défense des intérêts de la profession et d’information de ses membres; qu’elle ne saurait en effet prétendre avoir seulement voulu proposer à ses adhérents « un choix de gestion », alors qu’elle leur a clairement suggéré une hausse des prix uniforme et simultanée ;

Considérant que, même si elle n’a pas été complètement appliquée, une telle consigne tarifaire avait nécessairement pour objet et pouvait avoir pour effet de faire obstacle à l’autonomie de décision des producteurs et de les inciter à relever collectivement leur prix d’un même montant au même moment, limitant ainsi le libre exercice de la concurrence par les prix entre des entreprises dont les caractéristiques individuelles, les structures de production, les coûts de fabrication et la politique commerciale sont nécessairement différents ;

Qu’en conséquence, telle qu’elle a justement été qualifiée par le Conseil, une telle pratique tombe sous le coup des dispositions de l’article 7 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Considérant que la volonté de lutter contre la concurrence étrangère ne peut justifier des consignes de majoration uniforme de prix dont il n’est aucunement démontré, en référence aux dispositions de l’article 10-2 de l’ordonnance précitée, qu’elles ont pour effet d’assurer le progrès économique et qu’elles réservent aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, sans donner aux entreprises intéressées la possibilité d’éliminer la concurrence pour une partie substantielle du produit en cause ;

Sur la sanction :

Considérant que la FNSACC soutient que :

- la sanction pécuniaire de 400 000 F infligée par le Conseil de La concurrence est disproportionnée par rapport aux pratiques dénoncées et que son maintien aurait pour elle de graves conséquences financières ;

- l’injonction de publication serait mal ressentie et annihilerait tous les efforts entrepris pour la défense du champignon de couche ;

Considérant que le montant de la sanction pécuniaire doit être fixé dans la limite de dix millions de francs prévue par l’article 13 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, en fonction de la gravité des faits reprochés et de l’atteinte portée à l’économie ;

Considérant que les préconisations de prix émanant d’un organisme professionnel sont graves en elles-mêmes; que dans la mesure où elle affecte l’ensemble du secteur du champignon de couche, la pratique anticoncurrentielle mise en œuvre par la FNSACC a porté une atteinte sensible à l’économie du marché concerné ;

Considérant qu’en outre, au regard des capacités financières de cette organisatrice dont les recettes totales s’élevaient, selon les comptes de gestion présentés au cours de l’instruction, en 1988 à 1 256 853 F, dont 689465 F de cotisations, et en 1990 à 1 210 125 F, dont 555 263 F de cotisations, la sanction prononcée par le Conseil de la concurrence n’est pas excessive ;

Considérant que la sanction de la publication de la décision du Conseil s’insère dans la politique générale de prévention des pratiques anticoncurrentielles, qu’il entre dans les missions de cette autorité d’assurer par l’information des professionnels concernés sur les sanctions prononcées; que cette mesure doit en conséquence être maintenue ;

Par ces motifs, la Cour :

Rejette le recours ;

Laisse les dépens de l’instance à la charge de la requérante.