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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 26 novembre 1992, n° ECOC9210204X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Fédération française des sociétés d'assurance (Sté)

Défendeur :

Vidal (Sté), M. le commissaire du gouvernement ministre de l'Economie, des Finances et du Budget

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Canivet

Conseillers :

M. Guerin, Mme Nerondat

Cons.conc., du 6 oct. 1992

6 octobre 1992

Vu les mémoires, pièces et documents déposés au greffe à l’appui du recours.

Le 8 septembre 1992, la société Vidai, organisatrice du salon Assure Expo, a saisi le Conseil de la concurrence (le Conseil) de pratiques de boycott qu’elle reproche à la Fédération française des sociétés d’assurances (la Fédération) laquelle a, le 8 mars 1991, adressé à ses adhérents une lettre leur suggérant de ne pas participer à cette manifestation en 1992.

Par la même requête, ladite société a sollicité le prononcé de mesures conservatoires que le conseil a ordonnées le 6 octobre 1992 en enjoignant à la fédération d’adresser à ses membres une lettre annulant expressément les termes de celle du 8 mars 1991 et comportant en annexe copie de sa décision.

La FFSA a formé un recours visant à l’annulation de cette mesure en faisant valoir que le salon Assure-Expo, créé en 1985 à l’initiative de la société Vidai, a subi une évolution qui, à partir de l’année 1989, a conduit les participants à remettre en cause l’utilité de leur présence, de sorte que, après avoir fait procéder à une étude révélant l’insatisfaction des sociétés d’assurances, le bureau de la fédération estimant nécessaire de recentrer cette manifestation vers une plus grande ouverture au public tout en renforçant son contenu intellectuel a adressé à ses adhérents la lettre susvisée du 8 mars 1991.

Les pourparlers engagés avec la société Vidai n’ayant pas, selon la requérante, révélé la possibilité de faire évoluer cette rencontre professionnelle dans le sens souhaité, elle en a prévenu ses membres par une lettre du 18 avril 1991 les renvoyant à décider, en fonction de ces éléments, de leur participation à l’édition de 1992.

La fédération ajoute qu’après avoir tenu le salon Assure-Expo de 1992 dans sa version initiale, mais avec moins de participants, la société Vidai, qui a constaté que le nombre des professionnels intéressés par le salon de 1993 s’était encore réduit, entend, par la mesure conservatoire sollicitée, faire pression sur les compagnies d’assurances pour qu’elles s’y inscrivent.

De cette relation des faits, la fédération déduit que ne sont pas remplies les conditions de mise en œuvre des dispositions de l’article 12 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 en soutenant :

- que la société Vidai qui s’est abstenue de toute réaction après l’envoi des lettres des 8 mars et 18 avril 1991, et après avoir normalement tenu le salon de 1992, ne peut se prévaloir d’une situation d’urgence, dès lors que le péril de sa situation financière ne résulte que de son propre choix de consacrer toute son activité à une manifestation sou mise aux aléas du marché en sachant depuis plusieurs années qu’elle ne répond plus à l’attente de sa clientèle ;

- que les correspondances litigieuses n’ont pas été adressées dans l’intention de nuire aux intérêts de la société Vidai auxquels elles n’ont pas porté atteinte, qu’il n’est en tout cas pas démontré que ces lettres soient la cause des difficultés financières de cette entreprise, lesquelles, selon la requérante, seraient la conséquence, d’une part, de l’absence de gestion à terme tenant compte de l’augmentation du coût des services et de la réduction des budgets de communication, d’autre part, de son refus d’adapter le service offert aux souhaits de la demande ;

- que les faits allégués ne révèlent pas la vraisemblance d’une infraction aux articles 7 et 8 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, dès lors qu’il ne peut être soutenu que les pratiques dénoncées portent une atteinte grave et immédiate à l’économie en général ou au secteur intéressé et que, les sociétés d’assurances ayant individuelle ment un intérêt légitime à ne plus participer au salon, il n’est pas démontré que leur abstention ait été concertée.

Reprenant devant la cour les termes de la saisine du conseil et de sa demande de mesures conservatoires, la société Vidai soutient :

- que le boycott reproché à la fédération, dont elle prétend rapporter la preuve, notamment par les lettres des 8 mars et 18 avril 1991, a pour but et aura pour effet de faire disparaître le salon Assure-Expo, qui est le seul lieu de confrontation de l’offre et de la demande en matière de distribution de produits d’assurance ;

- que la suppression d’un tel salon est contraire aux intérêts de nombreux opérateurs sur le marché, tels que les petites ou moyennes compagnies et les intermédiaires ;

- que l’abandon de cette manifestation, dont l’organisation constitue sa seule activité, entraînerait sa propre disparition.

Aux termes de ses observations orales, le commissaire du Gouvernement a estimé que les pratiques dénoncées paraissaient entrer dans le champ d’application des articles 7 et 8 de l’ordonnance du l décembre 1986 et que la mesure conservatoire ordonnée était justifiée au regard de l’article 12 de ce texte.

Le ministère public a oralement conclu que, si la condition d’une atteinte grave et immédiate à l’entreprise plaignante était réalisée, l’injonction édictée par le conseil ne paraissait pas strictement limitée à ce qui est nécessaire pour faire face à l’urgence en l’état de la seconde des lettres susvisées adressées par la fédération à ses membres.

La société Vidai et la fédération ont déposé des notes en réponse aux arguments développés par le ministère public.

Sur quoi, la cour :

Considérant qu’aux termes de l’article 12 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, le conseil peut ordonner les mesures conservatoires notamment demandées par une entreprise si la pratique dénoncée porte une atteinte grave et immédiate à l’économie générale, à celle du secteur intéressé, à l’intérêt des consommateurs ou de l’entreprise plaignante ;

Que le prononcé de telles mesures, qui doivent être strictement limitées à ce qui est nécessaire pour faire face à l’urgence, est subordonné à la constatation de faits manifestement susceptibles de constituer des pratiques prohibées par les articles 7 et 8 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Considérant que, par sa lettre du 8 mars 1991, la fédération, s’interrogeant sur la finalité et l’utilité du salon Assure-Expo pour les entreprises, a suggéré à ses membres de différer la confirmation de leur participation en 1992 jusqu’à ce qu’un échange de vues ait pu intervenir avec les organisateurs sur les orientations qui pourraient en constituer la nouvelle ligne ;

Que le 18 avril suivant, tout en rappelant sa précédente correspondance et le souhait exprimé par son bureau d’accueillir à cette manifestation un plus large public, de la consacrer à la réflexion et à l’information, elle a rendu compte à ses membres de ce que les organisateurs voulaient au contraire lui conserver le caractère de rencontre de courtage tout en l’ouvrant davantage aux entreprises et elle a précisé en conclusion de sa lettre que, dans ces conditions et compte tenu de ces éléments d’informations, il leur appartenait de décider de leur participation à Assure-Expo 1992 et des modalités de leur présence ;

Considérant que par la première de ces lettres la requérante suggère aux compagnies adhérentes de différer leur participation au salon de 1992 jusqu’au résultat d’une négociation avec les organisateurs dont la seconde annonce l’échec; que quelles que soient les intentions de la fédération et nonobstant le rappel formel de la liberté de décision des compagnies, le contenu de ces deux lettres successives était de nature à provoquer de leur part un comportement collectif d’abstention ;

Qu’une telle réaction de groupe s’est effectivement produite puis que, après avoir augmenté, entre 1985 et 1991, le nombre d’inscriptions des compagnies s’est brusquement réduit de quatre-vingts à trente-quatre entre les années 1991 et 1992 ;

Qu’alors que quarante-six des sociétés adhérentes à la fédération avaient à la date du 31 juillet 1990 retenu leur emplacement au salon de 1991, onze seulement avaient à la même date en 1991 confirmé leur présence à celui de 1992, une seule ayant au 31juillet1992 pris une inscription pour le salon de 1993; qu’en outre neuf d’entre elles ayant signé un contrat pour le salon de 1992 l’ont résilié au dernier moment, abandonnant ainsi sans contrepartie les acomptes versés représentant 50 p. 100 du prix des prestations ;

Considérant que les conclusions nuancées, à maints égards favorables au maintien d’Assure-Expo, de l’enquête réalisée auprès des exposants à laquelle a fait procéder la FFSA lors du salon de 1991 ne peuvent expliquer la désaffection générale et subite des compagnies d’assurances par la convergence de décisions individuelles et spontanées qui seraient dues à l’inadaptation de cette manifestation; qu’en tout cas, même si certains responsables de ces sociétés assurent désormais que leur retrait a procédé d’une appréciation personnelle de son défaut d’intérêt, au mois de février 1991, elles estimaient ensemble leur présence indispensable à cette rencontre annuelle de l’assurance devenue une « institution incontournable » ;

Considérant en conséquence que, dans les conditions où il est inter venu, le retrait concomitant des compagnies d’assurances du salon Assure- Expo, massif en 1992, général pour 1993, présente l’apparence d’une décision concertée au sein de la fédération dont les lettres susvisées ont constitué la mise en œuvre et qui, à la supposer démontrée, entrerait manifestement dans le champ d’application de l’article 7 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Considérant que l’effet d’entraînement de l’attitude des grandes sociétés adhérentes à la fédération a provoqué un mouvement général de retrait, d’une part, parmi les autres compagnies, d’autre part, parmi les professionnels concernés, de sorte que le nombre d’exposants s’est réduit de 225 (dont 80 compagnies d’assurances) en 1991 à 180 (dont 34 compagnies d’assurances) en 1992, alors qu’au mois de juillet de cette année, 47 seulement dont 10 compagnies d’assurances étaient inscrits au salon de 1993 dont la tenue est de ce fait fortement compromise ;

Considérant que l’objet d’un tel rassemblement est de permettre une présentation simultanée des produits offerts par les diverses catégories d’assureurs; que la fédération requérante est d’autant moins fondée à contester le facteur concurrentiel de cette confrontation qu’il est précisément mis en évidence par l’enquête à laquelle elle a fait procéder auprès des compagnies exposantes lesquelles, tout en affirmant son manque d’attrait commercial direct, ont déclaré y rechercher le renforcement de leur image de marque, des contacts avec les intermédiaires et un positionnement de leurs produits ;

Qu’à l’évidence la suppression de cette mise en concurrence annuelle des divers opérateurs du marché de l’assurance devant les consommateurs et les intermédiaires, à laquelle conduit l’abstention collective des membres de la fédération, est de nature à porter une atteinte grave et immédiate à l’économie de ce secteur d’activité ;

Qu’en outre, au-delà des critiques formulées par la requérante sur les choix de gestion opérés par la société Vidai, son manque d’adaptation au marché et le défaut de diversification de ses activités, il est certain que la suppression de la session de 1993 du salon Assure-Expo qui produit plus de 95 p. 100 de son chiffre d’affaires met gravement en péril les intérêts de cette entreprise ;

Qu’il était par conséquent nécessaire et urgent, dans l’imminence de la fin de la période à laquelle des inscriptions rendraient encore possible l’organisation du salon Assure-Expo qui doit normalement se tenir au mois de février 1993, que la fédération fasse connaître sans ambiguïté que, comme elle en donne l’assurance dans ses écritures, elle n’entend pas intervenir dans la décision de ses adhérentes d’y participer ;

Que cette clarification était d’autant plus nécessaire que les positions prises par la requérante en 1991, pouvant avoir pour effet d’exclure la société Vidai du marché des prestations spécifiques qu’elle fournit, l’ont conduite à organiser elle-même une manifestation des professionnels de l’assurance qui aura lieu prochainement ;

Considérant en conséquence que le recours doit être rejeté ;

Considérant qu’il ne serait pas équitable de laisser à la charge de la société Vidai les frais non compris dans les dépens exposés à l’occasion de la présente instance ;

Par ces motifs :

Rejette le recours,

Condamne la Fédération française des sociétés d’assurances à payer à la société Vidai une somme de 10000 F par application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Met les dépens à sa charge.