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Décisions

Cass. crim., 11 août 2021, n° 20-84.591

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Rapporteur général de l'Autorité de la concurrence

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Soulard

Rapporteur :

M. Dary

Avocat général :

M. Lemoine

Avocats :

SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano

TGI Paris, JLD, du 21 mai 2014

21 mai 2014

Faits et procédure

1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Par ordonnance du 21 mai 2014, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris a, d’une part, autorisé, en application des dispositions de l'article L. 450-4 du code de commerce, des opérations de visite et de saisie dans les locaux de plusieurs sociétés, dont la société X, à Suresnes (92) et, d’autre part, délivré commission rogatoire à son homologue du tribunal de grande instance de Nanterre qui, par ordonnance du 22 mai 2014, a mis en oeuvre les opérations concernant cette société.

3. Cette ordonnance a été rendue sur requête présentée par le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence (l’ADLC) dans le cadre d’une enquête diligentée aux fins d'établir si ces entreprises se livraient à des pratiques prohibées par les articles L. 420-1, 1°, 2°, 3° du code de commerce et 101-1 a) et b) du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

4. Elle a fait suite à des visites et saisies précédemment réalisées sur autorisation du juge des libertés et de la détention de Bobigny en date du 9 octobre 2013, destinées à vérifier si des entreprises du secteur de la distribution de produits électroménagers « blancs » et « bruns » se livraient à des pratiques d'ententes horizontales et verticales prohibées.

5. Les opérations de visite et de saisies se sont déroulées dans les locaux de la société X les 27 et 28 mai 2014.

6. Sur l’appel de la société X, la juridiction du premier président de la cour d’appel de Paris a, par ordonnance du 8 novembre 2017, confirmé en toutes leurs dispositions les ordonnances entreprises.

7. Sur pourvoi de l’avocat de la société X, la chambre criminelle a, par arrêt du 13 juin 2019, cassé et annulé ladite d’ordonnance et renvoyé la cause et les parties devant la juridiction du premier président de la cour d’appel de Paris, autrement composée.

Examen des moyens  

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

8. Le moyen critique l’ordonnance attaquée en ce qu’elle a annulé en toutes ses dispositions l’ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris en date du 21 mai 2014 et l’ordonnance rendue sur commission rogatoire par le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Nanterre en date du 22 mai 2014, annulé les opérations de visites et saisies en date des 27 et 28 mai 2014 effectués dans les locaux de la société X, sis <adresse> à Suresnes (92156), ordonné la restitution à X de l’ensemble des documents saisis, sans possibilité pour l’Autorité de la concurrence d’en garder copie et d’avoir rejeté toute autre demande, alors :  

« 1°) qu’une juridiction de renvoi saisie par un arrêt de cassation totale est tenue de statuer à nouveau en fait et en droit sur l’entier litige dont était saisie la juridiction dont la décision a été cassée ; que commet un excès de pouvoir négatif le juge qui s’abstient d’exercer la plénitude des pouvoirs que la loi lui confère ; que pour annuler l’ordonnance du juge des libertés et de la détention du 21 mai 2014 autorisant les visites et saisies dans les locaux de la société X, ainsi que l’ordonnance subséquente rendue sur commission rogatoire, le premier président s’est borné à énoncer que dans l’arrêt du 13 juin 2019 qui l’avait saisi, la Cour de cassation avait « pris position de manière très claire et non équivoque sur la notion de « personne mise en cause au sens de l’article L. 450-4 du code de commerce » et qu’ainsi il n’était pas « besoin de procéder à une autre analyse » ; qu’en refusant de procéder à l’analyse de la notion de « personne mise en cause » au sens de ce texte, à laquelle le rapporteur général de l’Autorité de la concurrence l’invitait dans ses observations écrites particulièrement développées, fût-ce pour les réfuter, et ainsi d’exercer son office, le premier président a commis un excès de pouvoir négatif et violé les articles 4 et 5 du code civil et l’article 593 du code de procédure pénale ;

2°) que, subsidiairement, l’ordonnance d’autorisation du juge des libertés et de la détention du 21 mai 2014, notifiée à la société X préalablement au déroulement des opérations en ses locaux, mentionnait qu’étaient notamment annexées à la requête l’ordonnance d’autorisation de visite et saisie chez des tiers rendue par le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Bobigny le 9 octobre 2013, les extraits des procès-verbaux de visites et saisies des 17 et 18 octobre 2013 dans les locaux des sociétés Y et Z et les pièces saisies dans ces locaux impliquant la société X, et précisait que « les entreprises [X et Groupe W] et le groupement interprofessionnel visés par la présente ordonnance [pouvaient], à compter de la date des visites et saisies dans les locaux, consulter la requête et les documents annexés au greffe de notre juridiction », ce dont il résulte que la société X a eu accès à l’ordonnance du 9 octobre 2013, aux procès-verbaux de visite et saisie chez des tiers et aux pièces saisies conduisant à la suspecter, étant ainsi en mesure d’exercer aussitôt un recours, ce dont elle s’est abstenue ; qu’elle en avait d’autant plus connaissance qu’elle a demandé au premier président initialement saisi de surseoir à statuer jusqu’à ce que le recours de la société Z soit définitivement jugé, tout en s’abstenant d’intervenir dans cette procédure ; qu’elle a de surcroît décidé de ne pas contester les griefs notifiés le 3 avril 2018 sur la base des pièces saisies chez des tiers sur le fondement de l’autorisation du 9 octobre 2013 et a conclu une transaction sur les faits d’entente horizontale ainsi reprochés, conduisant à une sanction pécuniaire à son encontre, par décision irrévocable n° 18-D-24 du 5 décembre 2018 ; qu’en affirmant néanmoins, sans en tenir compte, que la société X, ayant « le statut de mise en cause » au sens de l’arrêt de la Cour de cassation du 13 juin 2019, « aurait dû être en mesure d’exercer immédiatement un recours contre les opérations de visite et saisie ayant permis d’appréhender » les documents sur lesquels la demande d’autorisation était fondée, et que dès lors qu’elle n’a « pas eu accès à l’ordonnance du 9 octobre 2013 ou aux procès-verbaux de visite et saisie et ne pouvait exercer aucun recours, et les procès-verbaux et les inventaires relatifs aux opérations chez Y et Z ne lui ayant pas été notifiés au début de la visite dans ses locaux, elle n’a pu exercer son droit au recours effectif », tandis qu’elle a été mise en mesure d’exercer un recours effectif contre ces opérations, ce dont elle s’est abstenue, le premier président a méconnu son office et privé sa décision de base légale au regard des articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme et L. 450-4 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

9. Lorsque, comme en l’espèce, la juridiction de renvoi a statué en conformité de l'arrêt de cassation qui l'avait saisie, et qu’aucun changement de norme n’est intervenu postérieurement, le moyen, qui appelle la Cour de cassation à revenir sur ce qu'elle avait décidé dans son précédent arrêt, est irrecevable.  

Mais sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

10. Le moyen critique l’ordonnance attaquée en ce qu’elle a annulé en toutes ses dispositions l’ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris en date du 21 mai 2014 et l’ordonnance rendue sur commission rogatoire par le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Nanterre en date du 22 mai 2014, d’avoir annulé les opérations de visites et saisies en date des 27 et 28 mai 2014 effectués dans les locaux de de la société X, sis <adresse> à Suresnes (92156), d’avoir ordonné la restitution à X de l’ensemble des documents saisis, sans possibilité pour l’Autorité de la concurrence d’en garder copie, et d’avoir rejeté toute autre demande alors « que le juge saisi d’une demande d’autorisation de procéder à des visites et saisies vérifie le bien-fondé de la demande d’autorisation, qui doit comporter les éléments d’information en possession du demandeur de nature à justifier la visite ; que l’autorisation est fondée dès lors qu’un indice, ou le cas échéant un faisceau d’indices, permet de présumer l’existence d’une pratique anticoncurrentielle ; que l’effet dévolutif de l’appel remet la chose jugée en question devant la juridiction d’appel pour qu’il soit à nouveau statué en fait et en droit ; qu’en l’espèce, pour infirmer l’ordonnance d’autorisation « pour violation du principe de la licéité des pièces qui doivent fonder l’ordonnance du juge des libertés et de la détention », le premier président s’est borné à énoncer que l’annexe 7 et des extraits de l’annexe 3 produits par le rapporteur général de l’Autorité de la concurrence à l’appui de sa requête, sur les extraits desquelles l’ordonnance d’autorisation se fondait « très largement », avaient une origine illicite comme ayant été saisies lors d’opérations précédemment réalisées dans les locaux de la société Z, qui ont été annulées par la Cour de cassation par arrêt du 4 mai 2017 ; qu’en statuant ainsi, sans rechercher si, abstraction faite des éléments litigieux, les autres éléments produits à l’appui de la requête constituaient un indice ou un faisceau d’indices justifiant l’autorisation des visites et saisies dans les locaux de la société X, le premier président a méconnu son office et privé sa décision de base légale au regard des articles 593 du code de procédure pénale et L. 450-4 du code de commerce ; »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 450-4 du code de commerce et 561 du code de procédure civile :  

11. Il résulte du premier de ces textes que le juge apprécie souverainement  le caractère suffisant des présomptions de l’existence de pratiques prohibées qui résultent des éléments qui lui sont produits de manière apparemment licite pour justifier la visite.

12. Selon le deuxième, le juge qui annule l'ordonnance du juge des libertés et de la détention autorisant des opérations de visite et saisie doit se prononcer lui-même sur le bien-fondé de la requête de l'administration.

13. Pour annuler, en toutes leurs dispositions, l’ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris en date du 21 mai 2014, celle rendue sur commission rogatoire de ce dernier par le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Nanterre en date du 22 mai 2014 et les opérations de visite et saisies en date des 27 et 28 mai 2014 effectuées dans les locaux de la société X, le premier président de la cour d’appel de Paris, après avoir retenu que les décisions entreprises encourraient la nullité pour violation de l’article L. 450-4 du code de commerce et du principe du droit au recours effectif, énonce, d’une part, que le juge des libertés et de la détention a rendu son ordonnance sur le fondement de treize annexes produites par l'Autorité, destinées à établir un faisceau d'indices laissant présumer l'existence de pratiques anticoncurrentielles à l'encontre de X, et, d’autre part, que les pièces présentées à l'appui de la requête ont une origine apparemment licite.  

14. Il ajoute que, par arrêt du 4 mai 2017, la Cour de cassation a annulé sans renvoi les opérations de visite et saisie autorisées dans les locaux de Z et donc les saisies effectuées à cette occasion, c’est à dire l’annexe 7 et des extraits de l’annexe 3.

15. Le premier président rappelle que, selon une jurisprudence constante, une ordonnance autorisant des visites domiciliaires sur le fondement de documents d'origine illicite est nulle.

16. Il en conclut que l'ordonnance encourt annulation dès lors qu’elle se fonde très largement sur des extraits des pièces des annexes 7 et 3 pour tenter d'établir l'existence de présomptions de pratiques anticoncurrentielles concernant X.

17. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il était invité à le faire, si, après avoir écarté les documents illicites, était caractérisée, au regard des seuls éléments régulièrement produits par l’administration, l’existence de pratiques anticoncurrentielles touchant le secteur de la distribution des produits fabriqués, notamment par la société en cause, justifiant la mesure autorisée et sa nécessité en considération des impératifs de lutte contre de telles pratiques, le premier président a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.

18. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Et sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

19. Le moyen critique l’ordonnance attaquée en ce qu’elle a annulé « en toutes ses dispositions » l’ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris en date du 21 mai 2014, alors « que le premier président n’était pas saisi d’un appel de la société Groupe W ni du Groupement interprofessionnel A contre l’ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris du 21 mai 2014 autorisant des visites et saisies dans leurs locaux ; qu’en annulant cependant ladite ordonnance « en toutes ses dispositions », sans limiter l’annulation aux seules dispositions visant la société X, le premier président a commis un excès de pouvoir et méconnu l’étendue de sa saisine, en violation de l’article L. 450-4 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 450-4 du code de commerce et 4 du code de procédure civile :

20. Aux termes du premier de ces textes, le déroulement des opérations de visite et saisie peut faire l'objet d'un recours devant le premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle le juge a autorisé ces dernières.

21. Selon le second, l’objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.

22. Il résulte du dispositif de l’ordonnance attaquée que le premier président de la cour d’appel de Paris a annulé en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris en date du 21 mai 2014 et l'ordonnance rendue sur commission rogatoire par le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Nanterre en date du 22 mai 2014.

23. En statuant ainsi, alors qu’il n’était saisi, en l’espèce, d’aucun recours émanant des sociétés Groupe W et A contre lesdites  ordonnances, le premier président de la cour d’appel de Paris a excédé les limites de sa saisine et violé les textes susvisés.

24. D’où il suit que la cassation est, également, encourue de ce chef.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'ordonnance susvisée du premier président de la cour d'appel de Paris, en date du 8 juillet 2020, mais en ses seules dispositions relatives, d’une part, à l’examen des documents susceptibles de fonder la requête et, d’autre part, aux conséquences des ordonnances attaquées à l’égard des sociétés Groupe W et A, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la juridiction du premier président de cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.