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Décisions

CA Saint-Denis, 1er président, 13 juillet 2021, n° 19/00149

COUR D'APPEL DE SAINT-DENIS

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

Mayotte Channel Gateway (SAS), Manu-Port (SARL)

Défendeur :

Rapporteur général de l’Autorité de concurrence

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bricogne

Avocat :

Me Jorion

TGI Mamoudzou, JLD, du 23 oct. 2019

23 octobre 2019

EXPOSÉ DU LITIGE

1. Par ordonnance du 23 octobre 2019, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Mamoudzou a :

- autorisé Monsieur Stanislas MARTIN, rapporteur général de l'Autorité de la concurrence, à faire procéder, dans les locaux des entreprises suivantes, aux visites et aux saisies prévues par les dispositions de l'article L. 450-4 du code de commerce afin de rechercher les éléments de preuve éventuels des agissements qui entrent dans le champ de la pratique prohibée par les articles L. 420-2 du code de commerce et 102 TFUE, relevés dans le secteur des services portuaires sur le port de Longoni, ainsi que toute manifestation de cet abus de position dominante prohibé :

Mayotte Channel Gateway, Longoni, zone portuaire, 97690 Koungou et les sociétés du même groupe sises à la même adresse

Mayotte Channel Gateway, Kaweni, zone industrielle Nel, 97600 Mamoudzou et les sociétés du même groupe sises à la même adresse

Manu-Port, Longoni, Zone Portuaire, 97690 Koungou

Manu-Port, Kaweni, zone industrielle Nel, 97600 Mamoudzou.

- lui a laissé le soin de désigner parmi les agents des services d'instruction de l'Autorité de la concurrence mentionnés à l'article L. 450-1 du code de commerce, habilités par l'article précité et la décision du 6 mars 2017 portant habilitation, ceux placés sous son autorité pour effectuer les visites et saisies autorisées,

- dit que pour assister aux opérations de visite et de saisie dans les lieux situés dans son ressort et le tenir informé de leur déroulement et de toute contestation, les chefs de service de police ou de gendarmerie territorialement compétents, Monsieur A, adjudant-chef, adjoint au commandant de la brigade de gendarmerie de Koungou et Monsieur Tristan COUDERT, commissaire, directeur départemental de la sécurité publique de Mayotte, nommeront les officiers de police judiciaire, respectivement placés sous leur autorité, qui pourront agir de concert ou séparément,

- rappelé que les visites et saisies s'effectuent sous l'autorité et le contrôle de la requérante,

- dit que l'ordonnance sera notifiée verbalement et sur place au moment de la visite à l'occupant des lieux ou à son représentant qui en recevra copie intégrale contre récépissé ou émargement au procès-verbal et qu'en l'absence de l'occupant des lieux, l'ordonnance sera notifiée après les opérations par lettre recommandée avec avis de réception,

- rappelé que la visite ne pourra commencer avant six heures ou après vingt et une heures et qu'elle s'effectuera en présence de l'occupant des lieux ou de son représentant et qu'à défaut, l'officier de police judiciaire requerra deux témoins choisis en dehors des personnes relevant de son autorité, de celle de l'administration de la direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ou de celle de l'Autorité de la concurrence,

- dit que les occupants des lieux ou leurs représentants peuvent faire appel à un conseil de leur choix sans que cela n'entraîne la suspension des opérations de visite et de saisie,

- dit que les entreprises visées par l'ordonnance peuvent à compter de la date des visites et des saisies dans les locaux, consulter la requête et les documents annexés au greffe de la juridiction,

- dit que les entreprises visées par l'ordonnance peuvent faire appel devant le premier président de la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion de l'ordonnance autorisant les visites et les saisies dans un délai de dix jours à compter de sa notification, quel qu'en soit le mode et dans les formes prévues par l'article L. 450-4 alinéa 6 du code de commerce et que l'ordonnance du premier président de la cour d'appel est susceptible d'un pourvoi en cassation,

- dit que les entreprises visées par l'ordonnance peuvent saisir, en vue de faire trancher toute contestation relative au déroulement des opérations de visite et de saisie dans un délai de dix jours à compter de la remise ou de la réception du procès-verbal et de l'inventaire, le premier président de la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion en application et dans les formes de l'article L. 450-4 alinéa 12 du code de commerce et que l'ordonnance du premier président de la cour d'appel est susceptible d'un pourvoi en cassation,

- dit que l'ordonnance sera caduque si les opérations de visite et de saisie ne sont pas effectuées avant le 20 décembre 2019,

- dit que les originaux du procès-verbal et de l'inventaire seront transmis, une copie de ces documents étant remise à l'occupant des lieux ou à son représentant.

2. Par déclaration faite par RPVA au greffe de la chambre d'appel de Mamoudzou le 18 novembre 2019, la S.A.S. Mayotte Channel Gateway et la S.A.R.L. Manu-Port ont interjeté appel de cette décision.

3. La S.A.S. Mayotte Channel Gateway et la S.A.R.L. Manu-Port ont formé un recours à l'encontre du procès-verbal dressé le 11 décembre 2019 par l'Autorité de la concurrence en exécution de l'ordonnance du 23 octobre 2019 suivant déclaration faite au greffe du tribunal de grande instance de Mamoudzou le 20 décembre 2019 dont a été saisie la chambre d'appel de Mamoudzou le 27 décembre 2019.

4. En raison de la crise Covid, l'affaire a été plusieurs fois reportée pour être finalement plaidée à l'audience du 1er juin 2021 et mise en délibéré au 13 juillet 2021.

5. Les instances n° 19-149 et 19-174 ont été jointes au premier numéro.

6. La S.A.S. Mayotte Channel Gateway et la S.A.R.L. Manu-Port demande au président de la chambre d'appel de Mamoudzou, statuant en qualité de premier président, de :

- les recevoir en leur recours,

- constater la violation des dispositions de l'article L. 450-4 du code de commerce,

- constater la violation des droits de la défense, du droit au secret de la vie privée et du secret professionnel entre l'avocat et son client,

- constater que cette violation a irrémédiablement vicié les opérations de visite et de saisie menées dans les locaux de leurs sociétés,

- prononcer l'annulation de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du 23 octobre 2019,

- prononcer la nullité des procès-verbaux de visites et de saisie dressés au visa de l'ordonnance du juge des libellés et de la détention du 7 novembre 2019,

- prononcer la nullité des procès-verbaux de visites et de saisie dressés au visa de l'ordonnance du juge des libellés et de la détention du 8 novembre 2019,

- prononcer la nullité des procès-verbaux de visites et de saisie dressés au visa de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention en date du 11 décembre 2019,

- en conséquence,

- restituer entre les mains de leurs représentants toutes les pièces saisies,

- condamner l'Autorité de la concurrence à leur verser à chacune la somme de 10.000 en application de l'article 700 du code de procédure civile.

7. L'Autorité de la concurrence demande au premier président de :

- déclarer, à titre principal, irrecevables l'appel et le recours de la S.A.S. Mayotte Channel Gateway et de la S.A.R.L. Manu-Port,

- confirmer, à titre subsidiaire, l'ordonnance d'autorisation du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Mamoudzou du 23 octobre 2019,

- rejeter, à titre subsidiaire, les demandes d'annulation des différents procès-verbaux et de l'ensemble des opérations de visite et de saisie effectuées dans les locaux de la S.A.S. Mayotte Channel Gateway et de la S.A.R.L. Manu-Port et de restitution de l'intégralité des pièces saisies,

- condamner la S.A.S. Mayotte Channel Gateway et la S.A.R.L. Manu-Port au paiement de 20.000 chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

8. Le ministère public demande de déclarer le recours recevable mais de le rejeter sur le fond.

DISCUSSION

Sur la recevabilité de l'appel portant sur l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Mamoudzou du 23 octobre 2019

9. L'article L. 450-4 du code de commerce dispose en son 6e alinéa que « l'ordonnance par laquelle le juge des libertés et de la détention statue sur la demande d'autorisation mentionnée au premier alinéa peut faire l'objet d'un appel devant le premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle le juge a autorisé ou refusé la mesure, suivant les règles prévues par le code de procédure pénale. Le ministère public peut interjeter appel, ainsi que la personne à l'encontre de laquelle a été ordonnée cette mesure. L'Autorité de la concurrence ou le ministre chargé de l'Economie peut interjeter appel contre une ordonnance de refus d'autorisation. L'appel est formé par déclaration au greffe du tribunal judiciaire dans un délai de dix jours à compter de la notification de l'ordonnance ».

10. L'article 801 du code de procédure pénale prévoit que « tout délai prévu par une disposition de procédure pénale pour l'accomplissement d'un acte ou d'une formalité expire le dernier jour à vingt-quatre heures. Le délai qui expirerait normalement un samedi ou un dimanche ou un jour férié ou chômé est prorogé jusqu'au premier jour ouvrable suivant ».

11. En l'espèce, la S.A.S. Mayotte Channel Gateway et la S.A.R.L. Manu-Port ont interjeté appel à l'encontre de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Mamoudzou du 23 octobre 2019 par déclaration faite par RPVA au greffe de la chambre d'appel de Mamoudzou le 18 novembre 2019.

12. En ne respectant pas la formalité substantielle d'ordre public que constitue l'acte d'appel formé par déclaration au greffe de la juridiction ayant rendu l'ordonnance querellée, laquelle, qui contenait les formes et délais des recours, leur avait été valablement notifiée le 7 novembre 2019 dans leurs locaux respectivement à Monsieur B, directeur développement et infrastructures pour la S.A.S. Mayotte Channel Gateway et à Monsieur C, responsable d'exploitation, pour la S.A.R.L. Manu-Port, les appelantes doivent être déclarées irrecevables, peu important la télécopie adressée au greffe le 19 novembre 2019 sans pour autant justifier d'un cas de force majeure, formalité d'ailleurs hors délai, lequel, expirant le dimanche 17 novembre 2019, n'avait pu être prorogé au-delà du lundi 18 novembre 2019.

Sur la recevabilité du recours portant sur les opérations de saisie des 7 et 8 novembre 2019 et du 11 décembre 2019

13. L'article L. 450-4 du code de commerce dispose en son 12e alinéa que "le déroulement des opérations de visite et saisie peut faire l'objet d'un recours devant le premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle le juge a autorisé ces dernières, suivant les règles prévues par le code de procédure pénale. Le ministère public, la personne à l'encontre de laquelle a été prise l'ordonnance mentionnée au premier alinéa et les personnes mises en cause au moyen de pièces saisies au cours de ces opérations peuvent former ce recours. Le ministre chargé de l'économie ou l'Autorité de la concurrence, selon le cas, est partie à cette procédure en qualité de partie défenderesse. Ce dernier est formalisé par déclaration au greffe du tribunal judiciaire dans un délai de dix jours à compter de la remise ou de la réception du procès-verbal et de l'inventaire, ou, pour les personnes n'ayant pas fait l'objet de visite et de saisie et qui sont mises en cause, à compter de la date à laquelle elles ont reçu notification du procès-verbal et de l'inventaire et, au plus tard à compter de la notification de griefs prévue à l'article L. 463-2".

14. En l'espèce, la S.A.S. Mayotte Channel Gateway et la S.A.R.L. Manu-Port sollicitent la nullité des procès-verbaux de visites et de saisie dressés au visa de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention les 7 et 8 novembre 2019 ainsi que du procès-verbal du 11 décembre 2019.

15. Le recours contre les opérations de visite et de saisie des 7 et 8 novembre 2019 a d'abord été fait par télécopie du 18 novembre 2019 à un mauvais numéro avant d'être réitéré par télécopie le 19 novembre 2019 puis par déclaration au greffe le 20 novembre 2019.

16. Il a été vu plus haut que l'utilisation de la télécopie sans justifier d'un cas de force majeure n'est pas recevable. Seul vaut, par conséquent, le recours dressé le 20 novembre 2019.

17. Les opérations de saisie litigieuses ayant donné lieu à remise tant de l'ordonnance d'autorisation du juge des libertés et de la détention, laquelle contient les formes et délais des recours, que des procès-verbaux y afférents le 7 novembre 2019 à 8 heures 35 (achevé le 8 novembre 2019 à 6 heures 05) s'agissant de la S.A.S. Mayotte Channel Gateway et le 7 novembre 2019 à 8 heures 25 s'agissant de la S.A.R.L. Manu-Port, leur recours doit être considéré comme tardif et, partant, irrecevable puisque le délai est expiré le 18 novembre 2019 dans les deux cas.

18. S'agissant du procès-verbal du 11 décembre 2019, celui-ci concerne exclusivement la saisie définitive de fichiers informatiques retenus sur les supports numériques de la S.A.R.L. Manu-Port et qui avait fait l'objet de la constitution d'un scellé fermé provisoire les 7 et 8 novembre 2019. Il n'a donc consisté qu'à transformer le scellé fermé provisoire en scellé définitif.

19. Or, l'article L. 450-4 du code de commerce n'opère aucune distinction entre le procès-verbal de saisie provisoire et le procès-verbal de saisie définitive puisque les pièces comprises dans la saisie définitive sont nécessairement incluses dans la saisie provisoire initiale.

20. Il s'en évince que l'irrecevabilité du recours formé à l'encontre de la saisie provisoire des 7 et 8 novembre 2019 entraîne celle du recours formé à l'encontre de la saisie définitive du 11 décembre 2019.

Sur les dépens

21. La S.A.S. Mayotte Channel Gateway et la S.A.R.L. Manu-Port, qui succombent, seront condamnées aux dépens.

Sur les frais irrépétibles

22. En application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, la partie condamnée aux dépens prend en charge les frais irrépétibles exposés par la partie adverse dans les proportions que le juge détermine.

23. En l'espèce, l'équité commande de ne pas faire application de ces dispositions.

PAR CES MOTIFS

Nous, Philippe BRICOGNE, président de chambre, statuant contradictoirement et en dernier ressort, en chambre du premier président,

Déclarons irrecevables l'appel et les recours formés par la S.A.S. Mayotte Channel Gateway et la S.A.R.L. Manu-Port,

Condamnons la S.A.S. Mayotte Channel Gateway et la S.A.R.L. Manu-Port aux dépens,

Disons n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.