CA Orléans, ch. com., économique et financière, 16 mai 2019, n° 18/02155
ORLÉANS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Credit Foncier de France (SA)
Défendeur :
Les Campanules II (SCI)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Hours
Conseillers :
M. Bersch, Mme Renault-Malignac
Avocat :
Selarl Avocat Loire Conseil
EXPOSÉ DU LITIGE :
Selon acte notarié en date du 20 janvier 2011, la société CRÉDIT FONCIER DE FRANCE (le Crédit Foncier) a consenti à la SCI LES CAMPANULES II un prêt locatif social (PLS) n°7708291 d'un montant de 1 550 000 euros.
Par requête déposée devant le président du tribunal de commerce d'Orléans le 17 novembre 2016, les sociétés F. PATRIMOINE d'une part, et SAMI INVESTISSEMENT et Compagnie d'autre part, ont demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation et il a été fait droit à cette demande par ordonnance du 22 novembre 2016.
Par requête en date du 16 janvier 2017, la SCI LES CAMPANULES II a déposé une requête aux fins d'extension à son profit de la procédure de conciliation.
Par ordonnance en date du 24 janvier 2017, une procédure de conciliation a été ouverte au profit de cette SCI, la mission du conciliateur désigné par le tribunal étant identique à celle définie dans l'ordonnance du 22 novembre 2016.
Par jugement en date du 12 mai 2017, le tribunal de commerce d'Orléans a homologué l'accord conclu sous conciliation qui n'a pas été signé par le Crédit Foncier qui a refusé de participer à la procédure de conciliation.
Faisant valoir que plusieurs échéances étaient demeurées impayées, le Crédit Foncier, après avoir vainement mis en demeure le 18 avril 2018 la SCI de payer l'arriéré, a prononcé la déchéance du terme le 11 mai 2018, puis fait pratiquer une saisie-attribution entre les mains des locataires de la SCI pour le montant intégral de sa créance de 1 342 540,42 euros.
Le 25 juin 2018, la SCI a assigné le Crédit Foncier devant le président du tribunal de commerce d'Orléans statuant en la forme des référés en sollicitant l'octroi d'un délai de deux années pour s'acquitter de sa dette et obtenir paiement d'une indemnité de procédure.
Par ordonnance en date 12 juillet 2018 le juge des référés a accordé à la SCI un délai de 2 ans à compter de sa décision pour s'acquitter de toutes ses dettes à l'égard de la banque, rejeté les demandes formées en application de l'article 700 du code de procédure civile et condamné le Crédit Foncier à supporter les dépens.
Le Crédit Foncier a relevé appel de cette décision par déclaration en date du 19 juillet 2018.
Il en poursuit l'annulation pour excès de pouvoir et subsidiairement l'infirmation en demandant à la cour de débouter l'intimée de toutes ses prétentions ; subsidiairement, dans l'hypothèse où des délais de paiement seraient octroyés, il lui demande de dire que, durant le délai de report de deux ans revendiqué pour procéder au règlement intégral de sa dette, la SCI devra lui verser trimestriellement le montant des échéances du prêt et que tout défaut de paiement de tout ou partie d'une échéance trimestrielle emportera de plein droit, sans nécessité de la moindre formalité préalable, l'exigibilité immédiate de l'intégralité de la dette résiduelle En toutes hypothèses, elle réclame condamnation de l'intimée à lui verser une indemnité de procédure de 5 000 euros et à supporter les dépens dont distraction au profit de la SELARL L. - DA C..
Il fait tout d'abord valoir que les dispositions de l'alinéa 1 de l'article L. 611-10-1 du code de commerce visées par le premier juge sont inapplicables puisque nul créancier n'est contraint d'accepter de comparaître à une procédure de conciliation et qu'elle n'était pas partie à la conciliation ouverte par le tribunal de commerce à la demande de la SCI. Elle en conclut qu'elle n'est pas concernée par l'interdiction des poursuites individuelles prévue à l'article L. 611-10-1, alinéa 1 du code de commerce ; que si les dispositions de cet article permettaient à la SCI de solliciter le bénéfice des dispositions de l'article 1343-5 du code civil devant le président du tribunal de commerce statuant en la forme des référés, sa demande était sans objet ou, a minima, infondée puisqu'il est de jurisprudence établie que l'effet immédiat d'une saisie-attribution empêche l'octroi de délais de paiement ; qu'en passant outre l'effet attributif de la saisie et en accordant des délais qu'il ne pouvait octroyer, le premier juge a donc commis un excès de pouvoir.
Il fait par ailleurs valoir que le juge des référés a commis un second excès de pouvoir en accordant à la SCI « un délai de 2 ans à compter de la présente décision pour s'acquitter de toutes ses dettes à l'égard du CRÉDIT FONCIER DE FRANCE, suite à la dénonciation de ses concours bancaires » puisqu'il a méconnu l'objet du litige limité au prêt locatif social contracté suivant acte notarié en date du 20 janvier 2011 et non à toutes les dettes contractées par la SCI envers lui.
Subsidiairement, il précise qu'aucun délai de paiement ne pouvait être accordé à la SCI qui ne produisait aucun élément sur sa situation financière et n'en produit pas plus devant la cour, le premier juge s'étant borné à relever que les délais ne mettaient pas en péril la situation du créancier ce qui n'est pas suffisant au regard des exigences de la loi. Il souligne par ailleurs que le président du tribunal de commerce a, de manière surprenante, mis à sa charge les dépens de l'instance alors que, dans une procédure tendant à l'octroi de délais, ces dépens doivent être laissés à la charge du demandeur.
A titre plus subsidiaire il fait valoir que dès lors qu'il avait relevé que « selon les dires du mandataire à l'exécution de l'accord qui a été le conciliateur nommé par le tribunal, la créance du Crédit Foncier a été mise hors de l'accord de conciliation et les 11 autres établissements financiers ont accepté que son remboursement se poursuive normalement selon les dispositions du contrat de prêt », le premier juge aurait au moins dû préciser que des versements trimestriels devraient intervenir durant le délai de report de deux ans sollicité par la SCI.
La SCI sollicite la confirmation de la décision critiquée et la condamnation de l'appelante à lui verser une indemnité de procédure et à supporter les dépens.
Elle relève que s'il était fait droit à l'argumentation du Crédit Foncier, l'ensemble des accords objet du jugement d'homologation serait mis à néant.
Elle prétend qu'en application de l'article R.611-35 du code de commerce, le président du tribunal de commerce est exclusivement compétent pour accorder des délais de paiement lorsqu'une procédure de conciliation a été menée à terme ; que l'article L 611-10-1 du même code précise que les poursuites sont suspendues pendant la durée de l'accord de conciliation et que si le débiteur fait l'objet de poursuites diligentées par l'un des créanciers non partie à l'accord, le président du tribunal de commerce est compétent pour lui accorder des délais de paiement en application de l'article 1345-5 du code civil.
Elle fait valoir qu'en soutenant que le processus de conciliation lui est inopposable puisqu'il n'est pas partie à l'accord homologué par le tribunal de commerce, le Crédit Foncier est de mauvaise foi puisqu'il a été appelé à la procédure de conciliation et que son refus d'y participer ne relève que de sa seule responsabilité, son attitude pouvant avoir des conséquences graves sur la situation de ses autres créanciers qui ont accepté de collaborer avec elle. Et elle précise qu'elle va engager de ce chef une action devant le juge de l'exécution.
Elle prétend que l'ensemble des jurisprudences invoquées par l'appelant ne concerne que les procédures spécifiques engagées devant le juge de l'exécution alors que la présente procédure relève de l'application de l'article L. 611-10-1, alinéa 2, du code de commerce ; que sa demande de délais est une action autonome, et que la décision de délai de grâce anéantit rétroactivement toute possibilité d'exécution.
CELA ETANT EXPOSE, LA COUR :
Attendu qu'aux termes de l'article L 611-10-1 du code de commerce, les poursuites sont suspendues pendant la durée de l'accord de conciliation et que, si le débiteur fait l'objet de poursuites diligentées par l'un des créanciers non partie à l'accord, le président du tribunal de commerce est compétent pour lui accorder des délais de paiement en application de l'article 1345-5 du code civil ;
Attendu que la mauvaise foi de l'appelante n'est aucunement caractérisée ;
Qu'en effet, d'une part nul créancier n'est contraint de participer à une procédure de conciliation et qu'un refus d'y comparaître n'est pas sanctionnable ; qu'un tel refus est au contraire expressément envisagé par l'article L 611-10-1 susvisé qui prévoit la possibilité d'accorder des délais de paiement au débiteur lorsqu'un créancier appelé à participer à la procédure de conciliation sollicite paiement d'une créance non comprise dans l'accord de conciliation ;
Que, d'autre part, selon l'état locatif en date du 30 juin 2017, les loyers nets annuels perçus par la SCI au titre de l'immeuble financé par le Crédit Foncier s'élèvent à 111 914,64 euros alors que les échéances du prêt sont, quant à elles, des échéances trimestrielles à taux variable représentant, pour l'année 2017 une somme annuelle de 76 726,79 euros ;
Que le crédit accordé par l'appelante répondant à des règles particulières en raison du caractère social de l'immeuble financé, c'est à raison que le Crédit Foncier fait observer que l'intégralité des revenus locatifs devrait être utilisée pour régler ce prêt, ce qui n'a pas été le cas ;
Attendu par ailleurs que l'accord financier conclu dans le cadre de la procédure de conciliation devait nécessairement tenir compte du crédit consenti par l'appelante, sauf à priver de tout effet cet accord puisqu'il était constant que le Crédit Foncier, principal créancier, ne participait pas à la conciliation ;
Qu'il a bien été tenu compte de cette absence du Crédit Foncier puisque les autres créanciers ont accepté un plan permettant à la SCI de continuer à s'acquitter des échéances dues à cette banque ; qu'ils ne semblent cependant pas avoir été avisés de l'existence d'arriérés pouvant entraîner la déchéance du terme ;
Attendu que la question soumise à la cour n'est pas de savoir si le président du tribunal de commerce était compétent pour accorder des délais de paiement à la SCI, ce qui est incontestable, mais de savoir si, en l'espèce et au regard des poursuites diligentées, de tels délais pouvaient être accordés ;
Attendu qu'hormis une compétence réservée au président du tribunal de commerce pour connaître des délais sollicités par le débiteur, l'article R.611-35 du code de commerce ne confère aucun pouvoir exorbitant à ce dernier et que l'article L.611-10-1 renvoie au contraire expressément à l'article 1345-5 du code civil qui énonce que des délais peuvent être accordés au débiteur dans la limite de deux années au regard de sa situation et des besoins de son créancier ;
Qu'il en résulte qu'en cas de poursuites diligentées par un créancier n'ayant pas accepté de participer à la procédure de conciliation, le président du tribunal de commerce ne peut accorder des délais que si les conditions de l'article 1343-5 du code civil sont réunies ;
Et attendu qu'en application de l'article L. 211-2 du code des procédures civiles d'exécution
« L'acte de saisie emporte, à concurrence des sommes pour lesquelles elle est pratiquée, attribution immédiate au profit du saisissant de la créance saisie, disponible entre les mains du tiers ainsi que de tous ses accessoires. Il rend le tiers personnellement débiteur des causes de la saisie dans la limite de son obligation » ;
Que l'effet attributif immédiat de la saisie-attribution entraîne donc la transmission instantanée des sommes saisies entre les mains du créancier poursuivant ;
Qu'en conséquence et aux termes d'une jurisprudence établie aucun délai de grâce ne peut être accordé en application de l'article 1343-5 du code civil (cf notamment Cass. civ. 2ème, 4 octobre 2001, n°00-11.609 ; Cass. Com., 11 juin 2013, n° 12-20.897) ;
Attendu que l'intimée soutient cependant que seule la créance saisie disponible est transférée au poursuivant et, qu'en l'espèce, l'appelant ne peut prétendre que des loyers non échus étaient disponibles ;
Mais attendu que l'article L.211-2 n'opère pas de distinction entre les créances immédiatement exigibles et les créances à exécution successive, les unes et les autres étant disponibles et pouvant donner lieu à une saisie-attribution dont l'effet attributif est immédiat, le tiers saisi devant se libérer entre les mains du saisissant au fur et à mesure des échéances sans que l'effet attributif de la saisie ne puisse être remis en cause ;
Que la créance de loyers de la SCI CAMPANULES II ayant fait l'objet d'une saisie-attribution à hauteur de la somme visée dans l'acte de saisie- attribution, est sortie définitivement du patrimoine du débiteur saisi et entrée par l'effet de la saisie-attribution dans celui du créancier saisissant, ce qui empêchait le premier juge d'accorder les délais de paiement sollicités ;
Attendu qu'un excès de pouvoir s'entend d'une méconnaissance, par le premier juge, de l'étendue de ses pouvoirs juridictionnels, tel celui qui statue au-delà ou en deçà de ses attributions, qui a méconnu le principe de la séparation des pouvoirs ou encore qui s'arroge un pouvoir que la loi ne lui confère pas ;
Que ne commet pas un excès de pouvoir le juge qui a méconnu la portée de la loi qu'il a entendu appliquer ou qui reste imprécis sur les dettes pour lesquelles le délai a été accordé et que le jugement déféré n'encourt pas l'annulation ;
Qu'il convient donc d'infirmer la décision déférée et de rejeter toutes les demandes formées par l'intimée ;
Attendu que la SCI CAMPANULES II succombant à l'instance devra en supporter les dépens mais que les situations respectives des parties imposent de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
Statuant par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoire et en dernier ressort,
DÉBOUTE la société CRÉDIT FONCIER DE FRANCE de sa demande tendant à l'annulation du jugement déféré,
INFIRME la décision entreprise,
STATUANT À NOUVEAU,
DÉBOUTE la SCI CAMPANULES II de toutes ses demandes,
DÉBOUTE la société CRÉDIT FONCIER DE FRANCE de sa demande formée au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la SCI CAMPANULES II aux dépens de première instance et d'appel,
ACCORDE à la SELARL L. - DA C., avocat, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.