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Décisions

CA Aix-en-Provence, 11e ch. b, 15 juin 2017, n° 16/04942

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Mutualité Sociale Agricole Provence Azur (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Konstantinovitch

Conseillers :

Mme Peltier, Mme Bruel

Paris, du 5 mai 2015

5 mai 2015

FAITS ET PROCÉDURE

Le 3 mars 2009 M. D., agriculteur affilié à la Mutualité sociale agricole Provence Azur (ci-après nommée MSA), était assigné par cette dernière devant le TGI de Tarascon aux fins d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire.

Par ordonnance du 26 mars 2009, le président du tribunal ouvrait une procédure de règlement amiable agricole et désignait un conciliateur,1 qui déposait un rapport de conciliation portant accord amiable le 26 juin 2009, qui prévoyait un échéancier sur 24 mois avec reprise du paiement des cotisations courantes.

Après avoir payé trois mensualités de 2 292,7€ chacune les 14 juin, 13 juillet et 1er septembre 2010 le débiteur était défaillant et la MSA demandait la reprise de la procédure.

A l'audience du 13 janvier 2011 il versait un chèque de 40 000€ et s'engageait à apurer la dette avant l'audience du 10 mars 2011, à laquelle il ne comparaissait pas.

Par jugement du 24 mars 2011 le tribunal faisait droit à la demande fixait, plaçait M. D. en redressement judiciaire, fixait provisoirement la date de cessation des paiements au 3 mars 2009 et nommait Me J. en qualité de mandataire judiciaire.

Le 10 août 2011, le mandataire judiciaire assignait la MSA en annulation des paiements réalisés en exécution de l'accord pendant la période suspecte, sur le fondement de l'article L.632-22 du code de commerce, le mandataire judiciaire invoquant la connaissance par la MSA de l'état de cessation des paiements du débiteur au moment du paiement.

Par jugement en date du 12 avril 2012 le tribunal de grande instance de Tarascon désignait Me J. commissaire à l'exécution du plan

Par jugement du 14 février 2013 le tribunal rejetait la requête formée par Me J..

Notre cour par arrêt en date du 17 décembre 2013 infirmait le jugement déféré et condamnait la MSA à payer au mandataire la somme de 46 878,13€.

La MSA formait un pourvoi contre cette décision.

Par arrêt en date du 5 mai 2015 la chambre commerciale de la haute juridiction cassait l'arrêt de notre cour aux motifs que le non-respect d'un échéancier convenu entre le débiteur et le créancier, ne suffisait pas à caractériser la connaissance par ce dernier de l'impossibilité pour le débiteur de faire face à son passif exigible avec son actif disponible.

Par acte d'huissier en date du 18 novembre 2015 cet arrêt a été signifié à Maître J.

Par déclaration du 17 mars 2016 la MSA Provence Azur a saisi notre cour.

Les dernières écritures de la MSA ont été déposées le 29 août 2016 et celles de Me J. le 8 septembre 2016.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Me J. es qualité de commissaire à l'exécution du plan de M. Alphonse D., selon jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de Tarascon le 12 avril 2012 dans le dispositif de ses dernières conclusions, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé, demande à la cour, de réformer le jugement querellé,

- à titre principal : de faire droit à sa demande initiale et de condamner la MSA à lui rembourser ès qualités ladite somme de 42 292,71 €, conformément aux dispositions de l'article L632-2 du Code de Commerce,

- titre subsidiaire : de condamner la MSA à rembourser ou rapporter la somme de 46 878,13 €, outre intérêts au taux légal à compter de la lettre commandée avec accusée de réception de mise en demeure en date du 6 juin 2011

- de débouter la MSA de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- de la condamner à lui payer ès qualités, la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile, outre les entiers dépens, distraits au profit de Mes N. T.-C.

Il fait valoir que la nullité de l'article L 632-2 du code de commerce n'est pas facultative, les paiements ont été effectués après l'assignation en redressement judiciaire du 26 mars 2009 , par suite de l'accord conclu entre les parties le 26 juin 2009, mais la procédure de règlement amiable a été ouverte par ordonnance du 26 mars 2009, les paiements ont dont été encaissées par la MSA au mépris de l'article L 632-2 du code de commerce et alors que M. D. était redevable des cotisations d'exploitant pour 2009, des appels provisionnels de 2010, des cotisations sur salaires des 2ème , 4ème trimestres 2009 et 1er trimestre 2010

Les paiements par chèques, comme les virements bancaires n'échappent pas à la règle de l'article L 632-2 du code précité et l'article L632-3 al. 2 prévoit même la possibilité pour le mandataire judiciaire d'exercer une action en rapport contre le bénéficiaire d'un chèque

En sollicitant le 8 juin 2010 la reprise d'instance la MSA avait parfaitement connaissance de l'état de cessation des paiements

La MSA Provence Azur dans le dispositif de ses dernières conclusions, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé, demande à la cour, au visa des articles L631-8 et L632-2 du Code de commerce de confirmer le jugement rendu par le TGI de Tarascon le 14 février 2013 et débouter Maître J. de sa demande de remboursement et

- d'ordonner la restitution par Maître J. de la somme de 46 878,13 € avec intérêts au taux légal à compter du 6 juin 2011

- le condamner es qualité à payer la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens distraits au profit de Maître S.-B.

Elle fait valoir que seuls les actes passés durant la période suspecte et alors que le créancier avait connaissance de l'état de cessation des paiements peuvent être atteints de nullité.

 La date de cessation des paiements doit être fixée au 24 mars 2011 « :

Elle a été fixée au 9 mars 2009 par le tribunal de grande instance qui a contrevenu aux dispositions de l'article L 631-8 du code du commerce aux termes de laquelle elle ne peut être antérieure de plus de 18 mois à la date du jugement d'ouverture, ni être reportée à une date antérieure à la décision définitive homologuant l'accord amiable » ; aussi seule la date d'ouverture de la procédure de redressement, le 24 mars 2011 peut être retenue comme point de départ de la période suspecte. Les paiements opérés en 2010 et 2011 ne sont donc pas concernés. Le mandataire judiciaire retient la date du 8 juin 2010, or seul le tribunal est compétent pour reporter la date de cessation des paiements, le mandataire disposant d’une action enfermée dans le délai d’un an après le jugement d'ouverture est aujourd'hui forclos.

Elle ne pouvait pas avoir connaissance de l'état de cessation des paiements au regard des paiements effectuées par M. D. entre juin 2010 et janvier 2011.

D'ailleurs la cour de cassation a rappelé que le non-respect de l'échéancier convenu ne suffit pas à caractériser la connaissance par la MSA de l'impossibilité pour le débiteur de faire face à son passif exigible avec son actif disponible, de plus l'existence de l'accord conclu dans le cadre de la procédure judiciaire de règlement amiable prévue aux articles 351-1 et suivants du code rural et de la pêche maritime exclut nécessairement l'état de cessation des paiements, en présence d'un tel accord, le juge n'est pas lié par la date de cessation des paiements provisoirement fixée par le tribunal ayant ouvert une procédure de redressement  judiciaire lorsque cette date est antérieure audit accord.

SUR QUOI LA COUR

En application de l'article L632-2 du code de commerce les paiements pour dettes échues effectués à compter de la date de cessation des paiements et les actes à titre onéreux accomplis à compter de cette même date peuvent être annulés si ceux qui ont traité avec le débiteur ont eu connaissance de la cessation des paiements.

Le mandataire est fondé à demander la nullité des actes accomplies par le débiteur sous deux conditions qu'ils s'agissent d'actes accomplis durant la période suspecte et que le créancier ait eu connaissance de l'état de cessation des paiements.

La charge de la preuve incombe au demandeur à l'action en nullité

1-) première condition : cessation des paiements / point de départ de la période suspecte

Les paiements litigieux sont intervenus en juin juillet, septembre 2010 et janvier 2011'.

La date de cessation des paiements fixée dans le jugement d'ouverture ou dans le jugement de report détermine le point de départ de la période suspecte

Les parties s'opposent sur cette date point de départ de la période suspecte, pour Me J. la date du 3 mars 2009 retenue par le tribunal s'impose alors que la MSA soutient que seule la date d'ouverture de la procédure de redressement, le 24 mars 2011 peut être retenue le tribunal ayant méconnu les dispositions de l'article L631-8 du code de commerce

Le dit article prévoit que la date de cessation des paiements ne peut ni être antérieure de plus de 18 mois à la date du jugement d'ouverture de la procédure, ni être reportée à une date antérieure à la décision définitive ayant homologué un accord amiable.

 Jugement d'ouverture

Le jugement du tribunal le 24 mars 2011 a fixé la date de cessation des paiements au 3 mars 2009, alors qu'en application de ces dispositions elle devait l'être au plus tôt le 24 septembre 2009 ( -18 mois).

Lorsque la date de cessation des paiements est fixée antérieurement au délai de dix-huit mois, l'acte conclu antérieurement à la période des dix-huit mois ne peut être annulé.

En l'espèce les paiements litigieux sont postérieurs aux deux dates.

La date du jugement d'ouverture ne peut être retenue comme date de cessation des paiements, puisqu'il est constant et non contesté que M. D. connaissait d'importantes difficultés financières, condition nécessaire à l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire et qu'il était redevable des cotisations d'exploitant pour 2009, des appels provisionnels de 2010, des cotisations sur salaires des 2 ème , 4ème trimestres 2009 et 1er trimestre 2010.

 Report de la date de cessation des paiements

La date de cessation des paiements détermine la période pendant laquelle les actes énumérés par les articles L. 632-1 et suivants du code de commerce, sont nuls ou peuvent être annulés ; le défendeur à l'action en nullité, qui n'a pas exercé de tierce opposition contre la décision fixant ou reportant la date de cessation des paiements, ne peut plus la contester.

L'article L.631-8, al. 2 du code de commerce dispose que, sauf de fraude, la date de cessation des paiements ne peut être reportée à une date antérieure à la décision définitive ayant homologué un accord amiable en application du II de l'article L.611-8.

L'accord amiable a été conclu entre les parties le 26 juin 2009, n'a pas été homologué par décision judiciaire.

En effet et en l'espèce étaient applicables les articles L.351-1 du code rural et de la pêche qui instituaient une procédure de règlement amiable destinée à prévenir et à régler les difficultés financières des exploitations agricoles dès qu'elles sont prévisibles ou dès leur apparition, notamment par la conclusion d'un accord amiable entre le débiteur et ses principaux créanciers. Cette procédure, exclusive de celle prévue par la loi n 84-148 du 1er mars 1984 relative à la prévention et au règlement amiable des difficultés des entreprises, était applicable à toute personne physique ou morale de droit privé exerçant une activité agricole au sens de l'article L. 311-1.

En application de ce texte et des articles suivants du même code, applicables à la procédure ouverte le 26 mars 2009, aucune homologation du règlement amiable agricole n'était prévue.

Enfin la désignation d'un conciliateur pour un règlement amiable agricole n'est pas exclusive de l'absence de cessation des paiements, au contraire, puisque la demande d'ouverture est un préalable indispensable à l'assignation en redressement judiciaire et que l'article L.351-1 du code rural et de la pêche dispose que la procédure de règlement amiable peut être ouverte pour régler les difficultés financières de l'exploitant agricole.

En conséquence de quoi les paiements intervenus en juin, juillet, septembre 2010 et janvier 2011 sont donc bien intervenus après le 3 mars 2009 et a fortiori le 24 septembre 2009, soit pendant la période suspecte, la première condition posée par l'article L 632-2 est donc remplie

2-) 2ème condition : la connaissance par le créancier de l'état de cessation des paiements

Les actes accomplis durant la période suspecte sont annulés si ceux qui ont traité avec le débiteur aient eu connaissance de la cessation des paiements.

La connaissance de la cessation des paiements relève du pouvoir souverain des juges du fond.

Le non-respect de l'échéancier convenu entre le débiteur et le créancier, ne suffit pas à caractériser la connaissance par ce dernier de l'impossibilité pour le débiteur de faire face à son passif exigible avec son actif disponible.

En l'espèce il est constant et non contesté qu'en septembre 2009 M. D. était redevable des cotisations d'exploitant pour 2009, des appels provisionnels de 2010, des cotisations sur salaires des 2ème, 4ème trimestres 2009 et du 1er trimestre 2010, que les versements opérés d'un montant de 46 878,13 € ont été insuffisants à apurer.

Il ressort des pièces produites que M. M. D. était envers la MSA au titre des cotisations exploitant de la somme de 10 461, 69 au 30 septembre 2010 et de celle 15 879,41 € au titre des cotisations sociales au 8 novembre 2011

Au 29 mai 2009 son compte courant ouvert dans les livres de la Banque Populaire était débiteur de la somme de 8 826€.

De plus en initiant la procédure de redressement judiciaire le 3 mars 2009 et sollicitant sa reprise le 1er septembre 2010 la MSA ne pouvait ignorer la situation financière obérée de M. D. , étant relevé qu'elle n'a contesté la date de cessation des paiements que dans le cadre de la présenté instance initiée par le mandataire judiciaire

En conséquence de quoi l'action en rapport formée par le mandataire est bien fondée et la MSA sera condamné à rapporter au commissaire à l'exécution du plan la somme de 46 878,13 € avec intérêts au taux légal à compter du 6 juin 2011 date de la mise en demeure.

3- ) sur les frais et dépens

La MSA qui succombe sera condamnée aux entiers dépens d'appel distraits au profit de Mes N. T.-C. outre le paiement de la somme de 1 500€ en application de l'article 700 du code de procédure civile

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement par arrêt contradictoire, mis à la disposition des parties conformément à l'article 450 alinéa 2 du Code de procédure civile

INFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions et statuant à nouveau

- déclare l'action en rapport formée par le mandataire judiciaire recevable

- condamne la MSA Provence Azur à rapporter à Me J. agissant es qualité de commissaire à l'exécution du plan la somme de 46 878,13 € avec intérêts au taux légal à compter du 6 juin 2011, date de la mise en demeure

Y AJOUTANT

- Condamne la MSA Provence Azur à payer à Me J. agissant es qualité de commissaire à l'exécution du plan la somme de 1 500€ sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile

- La condamne aux entiers dépens distrait au profit de Mes N. T.-C.