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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 1 septembre 2021, n° 18/16433

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Manitowoc Crane Group France (SAS)

Défendeur :

SBMTP (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

M. Gilles, Mme Depelley

T. com. Lyon, du 14 juin 2018

14 juin 2018

La société Manitowoc Crane Group France (ci-après dénommée « Manitowoc ») a pour activité la fabrication et la commercialisation de tout matériel pour le bâtiment et notamment de grues à tour sous la marque « Potain ».

La société Bretagne Maine de Travaux Publics (ci-après dénommée « SBMTP ») a pour objet le négoce, la réparation, l'entretien, la location de matériels neufs et d'occasion, pour le bâtiment, les travaux publics et particuliers, l'industrie et l'agriculture ainsi que la vente de pièces détachées, accessoire, lubrifiant. Elle a également une activité de centre de formation.

A compter de 2002, la société Manitowoc a confié la distribution des grues Potain en Bretagne à la société Locadif. Aucun contrat écrit n'a été signé par les parties.

La société SBMTP vient aux droits de la société PGA TP cessionnaire du fonds de commerce de la société Locadif.

De 2002 à 2013, la société Manitowoc a toujours eu le même interlocuteur, M. X, ancien associé gérant de la société Locadif et salarié de la société SBMTP. Au mois de juin 2013, M. X a quitté la société SBMTP.

La société Manitowoc a proposé à la société SBMTP un contrat de distribution pour une période d'un an, renouvelable deux fois. La société SBMTP a rejeté cette proposition.

La société Manitowoc a conclu un contrat de distribution non exclusive avec la société Tony Mat, concurrent de la société SBMTP.

Aux termes d'une lettre recommandée avec accusé de réception du 24 décembre 2014, l'avocat de la société SBMTP a informé la société Manitowoc de l'intention de sa cliente de l'assigner pour rupture des relations commerciales établies, à défaut de proposition d'indemnisation de sa part.

Par acte du 10 juin 2016 la société SBMTP a assigné la société Manotowoc devant le tribunal de commerce de commerce de Lyon, en dommages-intérêts pour rupture brutale des relations commerciales établies.

C'est dans ces conditions que par un jugement du 14 juin 2018, le tribunal de commerce de Lyon a:

Dit que la rupture des relations commerciales est imputable à la société Manitowoc Crane Group France.

Dit qu'il existe un préjudice pour la société SBMTP.

Condamné la société Manitowoc Crane Group France à payer la société SBMTP la somme de 142.018 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la rupture abusive des relations commerciales établies.

Rejeté tous autres moyens, fins et conclusions contraires des parties.

Condamné la société Manitowoc Crane Group France a payer à la société SBMTP la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Condamné la Société Manitowoc Crane Group France aux entiers dépens de l`instance.

Par déclaration au greffe du 28 juin 2018, la SAS Manotowoc Crane Group France a interjeté appel de ce jugement.

Par jugement du tribunal de commerce de Paris du 18 septembre 2018, la société SBMTP a été placée en redressement judiciaire.

Dans le cadre de la présente instance sont intervenues : les SELARL MJA et Fides en qualité de comandataires judiciaires au redressement judiciaire de la société SBMTP et la SCP Thevenot Partners et Mme Armel D. en qualité de coadministrateurs judiciaires au redressement judiciaire de la société SBMTP.

Vu les dernières conclusions déposées et signifiées le 25 mars 2019 par la société Manitowoc, demandant à la Cour de :

Vu l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce,

Vu l'article 1382 du code civil (ancien),

Vu les pièces versées aux débats,

Vu le jugement du Tribunal de commerce de Lyon du 14 juin 2018 dont appel,

Dire et juger recevable et bien fondé l'appel principal de la société Manitowoc des chefs de jugements suivants :

« - dit que la rupture des relations commerciales est imputable à la société Manitowoc Crane Group France,

- dit qu'il existe un préjudice pour la société SBMTP,

- condamne la société Manitowoc Crane Group France à payer à la société SBMTP la somme de 142 018 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la rupture abusive des relations commerciales établies,

- rejette tous autres moyens, fins et conclusions contraires de la société Manitowoc Crane Group France,

- condamne la société Manitowoc Crane Group France à payer à la société SBMTP la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamne la société Manitowoc Crane Group France aux entiers dépens de l’instance ».

En conséquence,

Réformer le jugement pour chacun des chefs mentionnés ci-avant et le confirmer pour le surplus,

Et statuant à nouveau :

A titre liminaire,

Vu les articles 122 et 369 du code de procédure civile,

Dire et juger que l'instance est interrompue par l'effet du jugement du tribunal de commerce de liquidation judiciaire de la société SBMTP du 28 décembre 2018,

En conséquence,

Déclarer irrecevable l'appel incident interjeté par la société SBMTP à l'encontre du jugement du tribunal de commerce de Lyon du 14 juin 2018,

A titre principal,

Dire et juger que la société SBMTP est l'auteur de la rupture de la relation commerciale établie avec la société Manitowoc en cessant toute commande à compter du mois de juin 2013,

Dire et juger qu'en mai 2014, aucune relation commerciale établie n'est caractérisée entre les sociétés SBMTP et Manitowoc,

En conséquence,

Débouter la société SBMTP de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, en ce compris de son appel incident,

A titre subsidiaire,

Constater l'absence de préjudice subi par la société SBMTP du fait de la fin de sa relation commerciale avec la société Manitowoc,

En conséquence,

Débouter la société SBMTP de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, en ce compris de son appel incident,

Reconventionnellement,

Déclarer la société Manitowoc recevable et bien fondée en sa demande reconventionnelle,

Dire et juger que la société SBMTP a rompu brutalement la relation commerciale établie avec la société Manitowoc en cessant toute commande à compter du mois de juin 2013,

En conséquence,

Condamner la société SBMTP à payer à la société Manitowoc la somme de 39.723,12 euros en réparation de son préjudice,

En tout état de cause,

La Condamner à payer à la société Manitowoc la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance et à 7.000,00 euros au titre de la présente instance,

La Condamner aux entiers dépens de la première instance et d'appel, ces derniers distraits au profit de Maître Edmond F., sur son affirmation de droit.

Vu les dernières conclusions déposées et notifiées par la voie électronique le 28 avril 2020, par lesquelles il est demandé à la Cour, par la SAS SBMTP en liquidation et par les organes de la procédure collective désignés ou maintenus par les jugements des 18 septembre 2018 et 28 décembre 2018, savoir : M. Frédéric L., Selarl MJA, M. C., Selarl Fides, M. Jonathan El B., SCP Thevenot Partners, Mme Armel D.,

Vu les dispositions de l'article L. 442-6 -5° du code de commerce,

- Dire recevable l'intervention des administrateurs judiciaires susvisés,

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a

Dit que la rupture des relations commerciales existant depuis 2002 entre la Société Manitowoc Group France et la Société SBMTP, venant aux droits des Sociétés Locatif et PGA TP devaient être qualifiées de brutales au sens des dispositions l'article L. 442-6 -5 ° du code de commerce,

Dit en conséquence que, du fait de cette faute, et de l'existence d'un préjudice généré par voie de conséquence au détriment de la Société SBMTP, la société Manitowoc Crane Group France avait engagé sa responsabilité à l'égard de la demanderesse,

- Infirmer le jugement ce qu'il a limité le montant indemnisable du préjudice a la somme de 142 018 euros et condamner la société Manitowoc Crane Group France à verser à la société SBMTP la somme de 780 070,20 euros à titre de dommages- intérêts en réparation du préjudice subi du fait de cette rupture abusive des relations commerciales établies,

- Confirmer le jugement pour le surplus,

- Débouter la Société Manitowoc Crane Group France de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- Condamner la Société Manitowoc Crane Group France à verser à la Société SBMTP une somme de 7 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner la Société Manitowoc Crane Group France aux entiers dépens.

Par jugement du 28 décembre 2018, le tribunal de commerce de Paris a :

- arrêté un plan de cession pour une partie de l'activité de la société SBMTP,

- prononcé la liquidation judiciaire de la société SBMTP et désigné la SELAFA MJA en la personne de Mme Frédérique L., en qualité de coliquidateurs judiciaires.

SUR CE

LA COUR

- Sur la reprise d'instance et les interventions volontaires

La procédure a été valablement reprise à l'égard de la société SBMTP en liquidation par l'intervention des coliquidateurs judiciaires, les coadministrateurs désignés dans le cadre du redressement judiciaire ayant été expressément maintenus en fonction par le jugement de liquidation judiciaire et ayant également comparu en cette qualité.

Il y a lieu de faire droit à la demande en recevabilité des interventions volontaires.

- Sur l'imputation de la rupture des relations commerciales établies

Si le liquidateur judiciaire ès qualités soutient que le départ de M. X en juin 2013 était indifférent à la poursuite de la relation commerciale établie et si ce liquidateur affirme que le débiteur aurait bien voulu vendre du matériel supplémentaire après cette date, la Cour retient les faits suivants.

M. X est la personne physique qui avait incarné la relation commerciale de distribution des matériel Potain en Bretagne, depuis l'époque où cette relation commerciale était exercée au titre du fonds de commerce de la société Locadif, dont M. X était l'associé gérant, la société PGA TP ayant repris cette activité et s'étant assuré la collaboration salariée de M. X, la société SBMTP étant ensuite venue aux droits de la société PGA TP.

Il est constant que M. X a quitté la société SBMTP en juin 2013.

La société Manitowoc ne saurait être responsable des conséquences défavorables de ce départ sur l'activité même de la société SBMTP, s'agissant en particulier des capacités de commercialisation de son distributeur.

Peu important que le chiffre d'affaires réalisé par la société SBMTP au titre de cette année 2013 soit plus important qu'en 2012, la relation commerciale litigieuse était caractérisée par le fait que le distributeur, la société SBMTP, commandait des matériels auprès de la société Manitowoc en vue de les vendre à ses propres clients.

C'est ainsi que, selon la liste des transactions de 2002 à 2014 établie par le distributeur, il y a eu 7 transactions en 2012, 6 transactions en 2013 et seulement deux en 2014.

Or, force est de constater en l'espèce que non seulement la société Manitowoc n'a jamais refusé de livrer son distributeur mais encore que celui-ci, après le départ de M. X, n'a plus commandé aucun matériel.

En effet, dans la liste des transactions de 2002 à 2014 établie par le distributeur, si celui-ci fait état de la vente de deux grues après le 28 juin 2013, l'une le 21 février 2014 et l'autre le 18 mars 2014, le conseil de la société Manitowoc, dès une lettre officielle du 7 août 2015, avait relevé, à partir des numéros de série, que la première avait été acquise en février 2013 et l'autre en décembre 2011. La Cour peut admettre que la dernière grue achetée par la société SBMTP à la société Manitowoc avait été acquise au mois de mai 2013 et avait été vendue le 28 juin 2013.

La société Manitowoc s'est donc trouvée en situation de devoir réagir à la perte d'efficacité de son réseau de distribution dans la zone couverte par la société SMBTP.

Celle-ci situe la rupture de la relation commerciale établie au moment où à la suite d'une réunion entre les parties le 22 février 2014 et à la suite de la transmission par courriel d'un projet de plan de politique commerciale pour 2014 pour la marque Potain, le fournisseur - qui n'avait pas reçu de commande de la part du distributeur depuis le 28 juin 2013 - a soumis une proposition de contrat de distribution non exclusif, avisant ce distributeur qu'il faisait la même proposition à un concurrent, la société Tony Mat, avec le projet de choisir d'ici une année le meilleur de deux en vue d'en faire le « partenaire définitif ».

Il résulte de ces circonstances que la société Manitowoc a agi en mai 2014 de manière prévisible et cohérente avec l'arrêt des commandes qu'elle subissait de la part de la société SBMTP.

A cause de l'arrêt des commandes en juin 2013 qui a correspondu à la fin de la relation commerciale établie, la société SMBTP ne se prévaut pas valablement en l'espèce d'une faute découlant de la suppression de l'exclusivité dont elle avait bénéficié auparavant. Compte tenu de ce qui a été indiqué, ni la circonstance que le fournisseur n'ait pas fait écho au plan d'organisation commerciale pour 2014 soumis par le distributeur en mars 2014, ni le fait que le fournisseur ait confié la distribution non exclusive des grues Potain à une société tierce ne caractérise la rupture brutale de la relation commerciale établie retenue par les premiers juges à la charge du fournisseur.

Le jugement entrepris sera donc réformé.

Toutes les demandes du liquidateur ès qualités seront rejetées.

S'agissant de la demande reconventionnelle de la société Manitowoc, il n'est nullement établi que la société SBMTP ait délibérément décidé d'arrêter de vendre des grues Potain. Une telle décision n'est caractérisée ni pour la période allant de juin 2013 à mai 2014, ni pour la période postérieure, pour laquelle le fournisseur a établi un second distributeur. La Cour retiendra que compte tenu du départ de M. X, les capacités commerciales de la société SBMTP ont été altérées et qu'elle n'a plus été en mesure de distribuer les matériels Potain, ce qui a mis fin à la relation commerciale établie. Après légitime adaptation du réseau par le fournisseur compte tenu de cet état de fait, la situation concurrentielle qui en est résultée a été refusée par le distributeur qui n'était pas obligé de l'accepter.

Faute de rupture brutale de la relation commerciale établie du fait du distributeur, le fournisseur sera débouté de ses demandes en dommages-intérêts.

- Sur les frais

Le fournisseur et le distributeur ayant partiellement succombé en leurs demandes, chaque partie conservera la charge de ses dépens.

En équité, il n'y a pas lieu à indemnité de procédure en vertu de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

Reçoit l'intervention des administrateurs judiciaires Frédéric L., Bernard C., (Coliquidateurs de la société SBMTP), Jonathan El B. et Armel D. (coadministrateurs maintenus en fonction),

Réforme le jugement entrepris,

Déboute le liquidateur ès qualités et les autres intervenants volontaires de toutes leurs demandes,

Déboute la société Manitowoc Crane Group France de sa demande reconventionnelle,

Dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens,

Déboute les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.