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Décisions

CA Toulouse, 1re ch. sect. 1, 25 février 2019, n° 16/06096

TOULOUSE

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

SCCV Carre Silver (Sté), Imodeus (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Belières

Conseillers :

Mme Muller, M. Desfontaines

TGI Toulouse, du 14 oct. 2016

14 octobre 2016

 

Exposé des faits et procédure

La Sas Imodéus, aux droits de qui s'est substituée la société civile de construction vente (Sccv) Carré Silver, a entrepris l'édification d'une résidence composée de 44 logements collectifs et d'un local commercial, située [...].

Elle a confié, selon contrat en date du 3 août 2013 pour un montant d'honoraires de 201.000 €, la maîtrise d'œuvre de conception et d'exécution à la Sarl S. Ingenierie Concept qui a été placée en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Toulouse en date du 10 septembre 2013 avec désignation de Me Fourquie de la Scp Caviglioli-Baron-Fourquié en qualité d'administrateur judiciaire et de Me Olivier B. en qualité de mandataire judiciaire.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 5 mai 2014, elle a informé cette société d'architecte de son souhait de mettre fin, de manière anticipée, au contrat d'architecte en usant de la clause de résiliation prévue à l'article 11 du contrat ; elle a précisé dans ce courrier les missions qui avaient été facturées et réglées à 100 %, a sollicité la mise à disposition des fichiers informatiques, des plans PC, DCE et du CCTP et a rappelé avoir convenu que le futur dépôt du permis de construire modificatif serait pris en charge par M. D. dans le cadre d'un nouveau contrat et ce, à titre gratuit.

Elle a demandé, le même jour, à l'administrateur judiciaire de se prononcer sur cette demande de résiliation, conformément aux dispositions de l'article L. 622-13 du code de commerce.

Par lettre en date du 12 mai 2014 la Sarl S. Ingenierie Concept a pris acte de cette résiliation, indiqué remettre les documents sollicités en mains propres, donné son accord pour la poursuite du permis de construire modificatif par M. D. et a sollicité la somme de 24.120 € au titre de la clause pénale insérée au contrat.

Par lettre du 26 mai 2014 l'administrateur judiciaire a indiqué à la Sccv Carré Silver qu'à la suite de la correspondance reçue en son étude le 12 courant il l'informait que la Sarl S. Ingenierie Concept avait fait l'objet par jugement du 13 mai 2014 d'une liquidation judiciaire.

Par courrier du 29 juillet 2014 la Sccv Carre Silver a contesté devoir la moindre somme à la Sarl S. Ingenierie Concept.

Par acte d'huissier en date du 1er décembre 2014, M. Olivier B., es qualité de mandataire judiciaire de la Sarl S. Ingenierie Concept, a fait assigner la Sas Imodeus devant le tribunal de grande instance de Toulouse, au visa des articles 1134, 1147 et 1153 du code civil, en paiement de la somme principale de 24.120 € avec intérêts à compter du 12 mai 2014 outre la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et le bénéfice de l'exécution provisoire.

La Selarl B. & associés, qui a repris le mandat de justice de Me Olivier B., es qualité de mandataire judiciaire de la Sarl S. Ingenierie Concept est intervenue volontairement à l'instance tout comme la Sccv Carre Silver qui s'était substituée à la Sas Imodeus.

Par jugement contradictoire en date du 14 octobre 2016 signifié le 24 novembre 2016 le tribunal a

- déclaré recevable l'intervention volontaire de la Sccv Carré Silver

- prononcé la mise hors de cause de la Sas Imodeus

- débouté M. Olivier B., es qualité de liquidateur judiciaire de la Sarl S. Ingenierie Conseil, de ses demandes à l'encontre de la Sccv Carré Silver

- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ni à exécution provisoire

- rejeté toutes les demandes autres ou plus amples formées par les parties

- condamné M. Olivier B., es qualité de liquidateur judiciaire de la Sarl S. Ingenierie Conseil au dépens avec recouvrement dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.

Pour statuer ainsi elle a considéré que le prononcé de la liquidation judiciaire avait automatiquement résilié le contrat entraînant la caducité de la clause figurant en son article 11.

Par déclaration en date du 13 décembre 2016 M. Olivier B. et la Selarl B. & Associés, es qualités ont interjeté appel de cette décision.

Prétentions et moyens des parties

Me B. et la Selarl B. & associés, es qualités de mandataires judiciaires de la Sarl S. Ingenerie Concept demandent dans leurs conclusions du 30 décembre 2016 de

- réformer le jugement en toutes ses dispositions

- condamner la Sarl Sccv Carre Silver à payer à la procédure collective de la Sarl S. Ingenierie Concept les sommes de

* 24.120 € en principal avec intérêts à compter du 12 mai 2014 au taux légal jusqu'au parfait paiement

* 4.000 € au titre de l'article 700 code de procédure civile

outre les dépens de première instance et d'appel.

Ils font valoir que la convention du 3 août 2012 s'est poursuivie à la suite du redressement judiciaire de la Sarl S. Ingenierie Concept intervenu le 10 septembre 2013 conformément aux dispositions des articles L 631-14 et L 622-13 du code de commerce, d'ordre public, qu'elle était nécessairement en cours avant la liquidation judiciaire intervenue le 13 mai 2014, que la lettre de résiliation du 5 mai 2014 a été réceptionnée par la Sarl S. Ingenierie Concept le 12 mai 2014 soit pendant le redressement judiciaire, de sorte que cette résiliation a joué de plein droit et est devenue effective avant même le prononcé de sa liquidation judiciaire et n'avait pas à être validée ou invalidée par l'administrateur judiciaire à qui elle avait été rendue opposable ou par le juge commissaire.

Ils en déduisent que la Scvv Carré Silver ne peut valablement s'opposer au règlement de la clause pénale sollicitée dès la réception du courrier de résiliation alors que tous les éléments réclamés (plans des documents d'exécution, extension des plans, récépissé de dépôt du permis de construire, ensemble du CCTP) ont été remis au complet.

Ils soulignent qu'aucune faute ne peut être reprochée à la Sarl S. Ingenierie Concept dans l'exécution de sa mission et qu'elle serait, en toute hypothèse, inopposable à la procédure collective pour n'avoir fait l'objet d'aucune déclaration de créance.

Ils ajoutent qu'aucune réduction de cette clause pénale ne peut être sollicitée, n'étant nullement excessive au regard des travaux effectués par le maître d'oeuvre pour leur compte.

La Sccv Carre Silver et la Sas Imodeus demandent dans leurs conclusions du 23 février 2017, au visa des articles L.622-13 du code de commerce, 1134, 1147 et 1152 du code civil, de

A titre principal,

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions

A titre subsidiaire,

- constater que la Sarl S. Ingenierie Concept n'a pas tenu ses engagements de remettre les fichiers informatiques et de prévoir la reprise de sa mission par M. D., au terme d'un nouveau contrat, faisant donc obstacle à toute indemnité de résiliation

A titre infiniment subsidiaire,

- constater que la Sarl S. Ingenierie Concept a commis diverses fautes faisant obstacle à toute indemnité de résiliation

- débouter M. B. es qualité de toutes ses demandes

En toute hypothèse,

- ramener à de plus strictes proportions le montant de la clause pénale

- condamner Me B., en sa qualité de mandataire liquidateur de la Sarl Sccv Carré Silver à lui payer une indemnité de 5.000 € au titre des frais irrépétibles outre les entiers dépens avec recouvrement dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.

La Sas Imodeus fait valoir qu'elle n'est pas concernée par le présent litige, qu'en tant qu'investisseur dans le cadre des opérations de construction vente elle intervient en amont des opérations, en phase projet uniquement mais qu'une Sccv la substitue par la suite afin de finaliser les ventes et réaliser l'opération de construction immobilière, soit en l'espèce la Sccv Carré Silver, qui est le véritable maître de l'ouvrage et le seul co-contractant de la Sarl S. Ingenierie Concept.

La Sccv Carré Silver conteste devoir l'indemnité réclamée au titre de la clause pénale dès lors que ni l'administrateur judiciaire ni le liquidateur judiciaire n'ont donné leur avis sur la demande de résiliation ; elle souligne qu'en vertu de l'article L. 622-13 du code de commerce le contrat en cours est résilié de plein droit après une mise en demeure de prendre parti sur la poursuite du contrat adressée par le cocontractant à l'administrateur et restée plus d'un mois sans réponse, qu'elle a écrit à la Sarl S. Ingenierie Concept le 5 mai 2014 pour lui faire part de son souhait de résilier le contrat les liant et, conformément à ses obligations liées à la procédure collective de son co-contractant, s'est rapprochée de l'administrateur pour qu'il se prononce sur la poursuite du contrat, que par courrier du 26 mai 2014, soit dans le délai d'un mois, celui-ci lui a répondu sans se prononcer sur la demande de résiliation mais en se bornant à indique que Sarl S. Ingenierie Concept avait été mise en liquidation judiciaire ; elle en déduit que le contrat a été résilié légalement sans faute de sa part, de sorte que la clause pénale ne peut recevoir application.

Elle soutient qu'en toute hypothèse le contrat s'est trouvé résilié de plein droit par l'effet de la liquidation judiciaire de la Sarl S. Ingenierie Concept qui y a automatiquement mis un terme et l'a rendu caduc tout comme sa clause pénale insérée à l'article 11.

Elle indique qu'elle n'avait d'autre choix que de résilier le contrat car il devenait très compliqué, voire impossible, de poursuivre la collaboration pour le chantier concerné, le maître d'oeuvre qui est la pièce maîtresse d'un projet immobilier se devant d'être présent et d'accompagner le maître d'ouvrage de l'élaboration du projet de permis de construire jusqu'à la réception des ouvrages, de sorte que la mise en redressement judiciaire puis en liquidation judiciaire mettait irréversiblement en péril le programme immobilier et en conclut qu'il est inéquitable de venir réclamer une indemnité de résiliation qui n'est nullement abusive.

Subsidiairement, elle prétend qu’elle a subordonné l'efficacité de la résiliation à deux conditions, la remise des documents et la reprise du dossier par M. D., lesquelles n'ont pas été remplies de sorte que la Sarl S. Ingenierie Concept ne peut désormais réclamer paiement d'une quelconque indemnité de résiliation puisqu'elle n'a pas tenu ses engagements.

Encore plus subsidiairement, elle souligne que la clause pénale n'est applicable que si la résiliation est à l'initiative du maître d'ouvrage et se fait, sans raison valable au détriment du maître d'oeuvre, que la résiliation du marché n'a pas été préjudiciable pour la Sarl S. Ingenierie Concept qui ne pouvait en aucun cas poursuivre sa mission, étant placée en liquidation judiciaire alors qu'elle a du elle-même faire appel pour pallier sa défaillance à un nouvel architecte en plein chantier, la conception du projet étant entravée et les entreprises sur le point de débuter leurs travaux, d'autant que le projet conçu par cette société n'était pas exempt de tout reproche puisqu'il a nécessité le dépôt d'un permis de construire modificatif en raison des omissions relevées en cours de chantier, comme en atteste le couriel adressé à M. D. le 20 mai 2014 qui a imposé le recours à un autre architecte, Mme H., pour des honoraires de 19.780 €

Elle sollicite, en toute hypothèse, la diminution de la clause pénale conformément à l'article 1152 du code civil en raison de son caractère disproportionné demeurant l'absence de préjudice subi par le créancier.

Motifs de la décision

Sur la clause pénale

L'article 11 du contrat d'architecte du 3 août 2013 relatif à « l'interruption de la mission » est ainsi libellé « le présent contrat sera résilié si bon semble à la partie qui n'est ni défaillante ni en infraction avec ses propres obligations, un mois après une mise en demeure restée sans effet, notifiée par lettres recommandées avec accusé de réception, et contenant déclaration d'user du bénéficie de la présente clause, dans tous les cas d'inexécution ou d'infraction aux dispositions du présent contrat.

En cas de résiliation à l'initiative du maître de l'ouvrage que ne justifierait pas le comportement fautif des maîtres d'oeuvre, ces derniers auront droit à titre de clause pénale au paiement outre de leurs honoraires liquidés au jour de cette résiliation, d'une indemnité égale à 20 % de la partie des honoraires qui leur auraient été versés si leur mission n'avait pas été prématurément interrompue et à ce, à titre de dédommagement et clause pénale ».

La Sccv Carré Silver a exprimé, sans l'assortir d'aucune condition, son souhait de résilier par anticipation le contrat d'architecte qui, en vertu des articles L 631-14 et L 622-13 du code de commerce, était soumis à l'acceptation de l'administrateur judiciaire de la Sarl S. Ingenierie Concept.

Son courrier du 5 mai 2014 adressé à cette société et à la Scp Caviglioli, Baron, Fourquié, administrateur judiciaire qui l'a reçu le 12 mai 2014 contenait mise en demeure de se prononcer sur le sort du contrat.

Peu importe que, dans l'intervalle, par jugement du 13 mai 2014 la Sarl S. Ingenierie Concept ait été mise en liquidation judiciaire ; le délai d'option étant unique, la conversion du redressement judiciaire en liquidation judiciaire n'a pas pour effet d'entraîner l'ouverture d'un nouveau délai, pas plus qu'elle n'interrompt ou ne suspend le délai.

Et, en vertu de l'article L. 641-11-1, nonobstant toute disposition légale ou clause contractuelle aucune résiliation d'un contrat en cours ne peut résulter du seul fait de l'ouverture ou du prononcé d'une liquidation judiciaire indépendamment de toute poursuite d'activité.

L'absence de réponse de l'administrateur ou du liquidateur sur ce point avant le 12 juin 2014 a emporté la résiliation de plein droit du contrat de maîtrise d'oeuvre à l'issue du délai d'un mois soit au 13 juin 2014.

La non-continuation du contrat constitue une cause de résiliation anticipée permettant le jeu des clauses contractuelles réglementant cette hypothèse

La clause pénale insérée à l'article 11 paragraphe 2 du contrat du 3 août 2013 n'a pas vocation à jouer au profit de la société d'architecte dès lors qu'elle est d'interprétation stricte, qu'elle vise le seul cas de résiliation à l'initiative du maître de l'ouvrage sans faute du maître d'oeuvre alors que la résiliation anticipée de cette convention résulte, en définitive, d'un mécanisme légal et de la position prise par le liquidateur qui, par le silence gardé durant le cours de l'option qui lui était réservée, a fait choix de ne pas poursuivre le contrat.

Aucune indemnité contractuelle ne peut donc être mise à la charge de la Sccv Carré Silver.

Le jugement sera confirmé sur ce point, par substitution de motifs, tout comme en ses dispositions non critiquées qui ont mis hors de cause la Sas Imodéus.

Sur les demandes annexes

Les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens doivent être approuvées.

La Sarl S. Ingenierie Concept représentée par son liquidateur judiciaire qui succombe dans sa voie de recours supportera la charge des entiers dépens d'appel et doit être déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité ne commande pas d'allouer à la Sccv Carré Silver une indemnité au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour.

Par ces motifs

La cour,

- Confirme le jugement.

Y ajoutant,

- Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des parties.

- Condamne la Sarl S. Ingenierie Concept représenté par son liquidateur judiciaire la Selarl B. & Associés en la personne de Me B. aux entiers dépens d'appel.

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