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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 1 septembre 2021, n° 19/13714

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Modistribution SAL (Sté)

Défendeur :

Weill (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

M. Gilles, Mme Depelley

T. com. Paris, du 4 mars 2019

4 mars 2019

La société MoDistribution est une société de droit libanais, spécialisée dans la commercialisation de vêtements et d'accessoires de grandes marques françaises et européennes au Liban.

La société Weill est une société de droit français, spécialisée dans le prêt-à-porter féminin haut de gamme et les accessoires.

La société Synthèse était une société en commandite simple enregistrée au registre du commerce de Zahlé, créée en 2000 et gérée par Mme Y, Mme X en était associée. Elle avait pour activité « l'importation et l'exportation de prêt à porter pour femme et pour hommes, et accessoires » ainsi qu'il résulte des statuts. (pièce 16 de l'appelante)

Les sociétés Weill et Synthèse ont entretenu des relations commerciales entre 2003 et 2012.

A la fin de l'année 2012 Madame X a contacté la société Weill pour l'informer qu'elle souhaitait devenir son distributeur au travers de sa nouvelle société, la société MoDistribution.

Les sociétés Weill et MoDistribution sont entrées en relation à compter du mois de janvier 2013, cette dernière n'ayant été immatriculée au registre du commerce de Beyrouth que le 17 janvier 2013.

La société Weill a, au mois de juillet 2016, rompu ses relations commerciales entretenues depuis trois années avec la société MoDistribution et ce, avec un préavis expirant fin octobre 2016.

Par acte en date du 13 novembre 2017, la société MoDistribution a assigné la société Weill devant le tribunal de commerce de Paris en réparation du préjudice subi à la suite de la rupture des relations commerciales entre les parties, sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5 du code du commerce ainsi qu'en violation d'une prétendue exclusivité qui lui aurait été accordée au sein de l'ABC Dbayeh.

Par jugement du 4 mars 2019, le tribunal de commerce de Paris a :

Constaté que la société de droit libanais MoDistribution SAL a entretenu avec la SAS WEILL une relation commerciale établie pendant 3 ans et demi,

Dit que la SAS Weill n'a pas rompu brutalement ses relations commerciales avec la société de droit libanais MoDistribution SAL,

Débouté la Société de droit libanais MoDistribution SAL de sa demande tendant à la condamnation de la SAS Weill au paiement de la somme de 99 750, du fait de la rupture des relations commerciales,

Débouté la société de droit libanais MoDistribution SAL de sa demande tendant à la condamnation de la SAS Weill au paiement de dommages et intérêts à hauteur de la somme de 10 000, au titre d'un préjudice d'image,

Débouté la société de droit libanais MoDistribution SAL de sa demande tendant à la condamnation de la SAS Weill au paiement de la somme de 50 000 en réparation d'un préjudice qui aurait été subi en conséquence de la violation de la clause d'exclusivité alléguée,

Condamné la société de droit libanais MoDistribution SAL à payer à la SAS Weill la somme de 3 000 au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,

Ordonné d'office l'exécution provisoire,

Condamné la société de droit libanais MoDistribution SAL aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 77,84 dont 12,76 de TVA.

Par déclaration du 5 juillet 2019, la société MoDistribution a interjeté appel de ce jugement.

Vu les dernières conclusions de la société MoDistribution déposées et notifiées le 5 mars 2021, demandant à la cour d'appel de Paris de :

vu l'article L. 442-6, I, 5 du Code de commerce,

vu l'article 1134 du Code Civil,

DIRE ET JUGER que la société MoDistribution a repris et poursuivi la relation commerciale qu'entretenait synthèse avec Weill depuis 2003,

DIRE ET JUGER que la société Weill a rompu brutalement ses relations commerciales avec la société MoDistribution après 13 ans de relations commerciales établies,

DIRE ET JUGER que la société Weill aurait dû respecter un préavis de quinze mois,

DIRE ET JUGER que la société Weill a violé la clause d'exclusivité qu'elle avait conclue avec MoDistribution,

DIRE ET JUGER que les traductions des pièces n° 29 à 33 ont été valablement versées au débat par message RPVA en date du 12 décembre 2019,

En conséquence,

INFIRMER le jugement en date du 4 mars 2019 en toutes ses dispositions,

CONDAMNER la société Weill à payer à la société MoDistribution la somme de 99 750 euros en réparation du préjudice économique subi en conséquence de la brutalité de la rupture de leurs relations commerciales,

CONDAMNER la société Weill à payer à la société MoDistribution la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice d'image subi en conséquence de la brutalité de la rupture de leurs relations commerciales,

CONDAMNER la société Weill à payer à la société MoDistribution la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice subi en conséquence de la violation de l'exclusivité qui lui avait été accordée à l'ABC Dbayeh,

REJETER l'ensemble des demandes, fins et prétentions de la société Weill,

CONDAMNER la société Weill à payer à la société MoDistribution la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens,

ACCORDER à la société MoDistribution le bénéfice de l'exécution provisoire du jugement à intervenir, sans condition ni garantie.

Vu les dernières conclusions de la société Weill déposées et notifiées le 22 mars 2021, demandant à la cour d'appel de Paris de :

vu l'article L 442-6, I, V du Code du Commerce,

vu l'article 1134 du Code Civil,

DIRE ET JUGER que la société Weill entretenait des relations commerciales établies avec la société MoDistribution depuis 2013,

DIRE ET JUGER que la société Weill a parfaitement respecté l'article L442-6, I, V du code du commerce en octroyant à la société MoDistribution un préavis de trois mois,

DIRE ET JUGER que la société Weill n'a jamais consenti la moindre exclusivité à la société MoDistribution,

En conséquence :

CONFIRMER en toutes ses dispositions, le jugement du tribunal de commerce de Paris du 4 mars 2019,

DEBOUTER la société MoDistribution de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions,

CONDAMNER la société MoDistribution à payer à la société Weill la somme de 10 000 au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

SUR CE LA COUR

Sur l'existence de relations commerciales établies

La société MoDistribution affirme que la société synthèse entretenait des relations commerciales établies avec Weill depuis dix ans, qu'elle a repris l'ensemble des engagements de la société Synthèse concernant la distribution des produits Weill au Liban pendant plus de 3 ans, de sorte qu'il est incontestable qu'elle avait développé une collaboration suivie, stable et habituelle avec Weill depuis plus de treize ans. A cet égard, la société appelante reproche au jugement de première instance d'avoir considéré que les relations commerciales entre MoDistribution et Weill étaient nouvelles et qu'il n'était pas démontré que cette dernière ait repris et poursuivi l'activité de la société Synthèse.

La société appelante soutient que la Cour de cassation rappelle régulièrement qu'en cas de succession de co-contractants avec un même partenaire commercial, la durée des relations commerciales du cocontractant initial peut bénéficier à son successeur s'il y a eu une substitution de partenaires dans les relations commerciales et si le successeur a manifesté, même implicitement, sa volonté de continuer l'activité commerciale de son prédécesseur. La société appelante considère que ces deux conditions sont remplies dans la mesure où d'une part, Weill reconnaît elle-même qu'elle a pris « le relais » de synthèse pour devenir l'un de ses distributeurs au Liban « en ses lieux et place », à partir du moment où celle-ci a cessé ses activités et d'autre part, elle a manifesté sa volonté de poursuivre sans interruption les activités de synthèse. Selon la société appelante, cette deuxième condition s'appuie sur un faisceau d'indices permettant d'établir la volonté de MoDistribution et de Weill de s'inscrire dans la continuité de la relation commerciale établie entre Synthèse et Weill, consistant notamment en la reprise des engagements contractuels de synthèse à son compte, avec l'accord de la société Weill, des conditions de paiements avantageuses ayant été appliquées à la société Synthèse puis appliqués à MoDistribution, l'exploitation par MoDistribution du même corner dédié aux produits Weill de l'ABC Dbayeh avec les mêmes équipes de vente ou encore le fait que l'interlocuteur principal de Weill soit resté inchangé pendant 13 années en la personne de X, soit en tant que responsable des achats et relations avec les fournisseurs au sein de Synthèse soit en tant que Président-Directeur-Général de MoDistribution.

La société Weill soutient que les parties sont entrées en relation commerciale en 2013, année d'immatriculation de la société MoDistribution au registre du commerce de Beyrouth et qu'ainsi, avant 2013, c'était avec la société synthèse, distincte de la société MoDistribution qu'elle entretenait des relations commerciales de sorte que la société MoDistribution ne peut arguer d'une relation commerciale établie avec la société Weill que depuis 2013 et non depuis 2003.

Sur ce,

L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dispose dans sa version applicable à la cause, qu'engage sa responsabilité et s'oblige à réparer le préjudice causé, celui qui rompt brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages de commerce, par des accords interprofessionnels.

Une relation commerciale « établie » présente un caractère « suivi, stable et habituel » et permet raisonnablement d'anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires entre les partenaires commerciaux, ce qui implique, notamment qu'elle ne soit pas entachée par des incidents susceptibles de remettre en cause sa stabilité, voire sa régularité.

En l'espèce, l'existence de relations commerciales établies entre les parties n'est pas contestée, seule la durée de cette relation fait débat.

C'est par des motifs justes et pertinents que la cour adopte que le tribunal a retenu que la société MoDistribution ne démontrait pas la poursuite de l'accord de distribution de la société Synthèse avec la société Weill. Il sera relevé à cet égard que la société appelante ne justifie pas avoir repris l'activité de la société Synthèse, aucun acte n'étant produit sur ce point, alors que des relations commerciales nouvelles étaient mises en place entre MoDistribution et la société Weill.

La cour ajoute qu'indépendamment de la confusion entre les deux sociétés synthèse immatriculées au RCS de Zahlé sous le n° 207 détenue par M. Z et sous le n° 3400 gérée par Mme Y et dont Mme X était associée, la décision de dissoudre cette dernière société, de clôturer ses comptes à compter du 31 décembre 2014, de la liquider et de la radier du registre du commerce n'a été prise que lors de l'assemblée générale extraordinaire du 27 décembre 2014 (pièce16 de l'appelante), ladite société n'ayant été effectivement radiée que le 31 janvier 2019 (pièce 29 bis de l'appelante).

En outre, MoDistribution ne justifie pas du rachat des produits Weill à la société Synthèse, par la pièce 17 qu'elle produit, aucune mention de la société Weill n'apparaissant sur ce document et la société Fast étant le transporteur des sociétés Synthèse ainsi que MoDistribution (pièce 18 de l'intimée) et sa pièce 36 constituée d'une facture non tamponnée ni signée qui mentionne « achat décor restant ABC Dbayeh » ne permet pas davantage de justifier du rachat des décors Weill.

Il n'est pas non plus justifié du rachat par MoDistribution des stocks Weill de la société Synthèse.

En revanche, l'intimée justifie que des conditions financières ont été discutées avec la nouvelle société MoDistribution par l'intermédiaire de la société Zabbat, son agent au Liban, le 19 décembre 2012, trois possibilités de paiement lui étant offertes (pièce 4 de l'appelante) et que l'intéressée a opté le 4 janvier 2013 pour un paiement comptant avant livraison contre une remise de 5 % et demandant s'il était possible de changer de mode de paiement en cours de saison (pièce 4 de l'intimée). En outre, un nouveau numéro de client lui a été attribué par la société Weill.

La circonstance que la nouvelle société MoDitsribution ait demandé à la société Zabbat à être livrée et facturée aux lieu et place de la société Synthèse, et que cette dernière ait laissé la nouvelle société distribuer les produits Weill au Liban, ne saurait suffire à établir la substitution alléguée de partenaires dans les relations commerciales avec la société Weill.

Il s'ensuit que la durée des relations commerciales de la société Synthèse avec la société Weill ne peut bénéficier à la société MoDistribution.

C'est à juste raison que le tribunal a retenu que les relations commerciales entre cette dernière et la société Weill, formalisées par une succession de commandes, a présenté un caractère stable depuis le début de l'année 2013 jusqu'au 12 juillet 2016, date à laquelle la société Weill a notifié la cessation de la relation commerciale.

Sur la rupture brutale des relations commerciales établies

La société MoDistribution affirme que la rupture par la société Weill de la relation commerciale établie depuis plus de 13 ans, sans aucun préavis effectif est manifestement brutale.

En premier lieu, la société appelante allègue que le préavis lui ayant été accordé ne lui a pas permis de poursuivre normalement son activité de commercialisation des produits Weill ou de ceux d'une autre marque, en raison de la saisonnalité des produits, ôtant ainsi toute utilité pratique au délai de trois mois accordé. La société appelante affirme que ce délai lui a uniquement permis d'écouler ses stocks, ce qui ne lui conférait aucun droit supplémentaire à ceux dont elle bénéficiait déjà et que en accordant un préavis de trois mois, la société Weill a, en pratique, empêché MoDistribution de commander des produits pour la saison printemps/été 2017 auprès d'elle mais également auprès d'autres marques, ayant privé d'effet le préavis dans la mesure où dans le secteur du prêt à porter, les commandes doivent être faites près d'un an à l'avance.

En second lieu, la société appelante estime que, compte-tenu de l'ancienneté, de l'intensité des relations commerciales entretenues, ainsi que du caractère saisonnier des produits distribués, la société Weill aurait dû respecter un préavis d'au moins quinze mois pour mettre un terme à leurs relations commerciales.

Mais, comme le fait valoir la société Weill, la relation commerciale établie entre les deux sociétés s'est interrompue en juillet 2016 avec un préavis de trois mois expirant fin octobre 2016.

Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une autre solution de remplacement.

En l'espèce, la société MoDistribution ne lui a plus adressé de commande à compter de la réception de la lettre de rupture, sans démontrer le lien avec le caractère saisonnier des produits dont elle se prévaut.

Elle n'établit pas davantage de difficultés particulières pour trouver un autre partenaire commercial.

Au regard de ces éléments et de l'ancienneté des relations commerciales entre les parties de 3 ans et 6 mois, le délai de préavis de trois mois est suffisant.

Le jugement est confirmé en ce qu'il a retenu l'absence de brutalité de la rupture et en ce qu'il a débouté la société MoDistribution de ses demandes en répartion du préjudice économique et du préjudice d'image allégués.

Sur le préjudice subi par MoDistribution du fait de la prétendue violation par Weill de l'exclusivité accordée au sein de l'ABC Dbayeh

La société MoDistribution affirme qu'elle a subi un préjudice du fait que la société Weill n'a pas hésité à ouvrir un corner dédié à sa marque dans l'ABC Dbayeh, et à y placer l'agent avec lequel elle travaillait depuis des années, juste à côté du corner pour lequel elle bénéficiait d'une exclusivité et ce, peu de temps après la rupture des relations commerciales entre MoDistribution et Weill.

A cet égard, la société appelante considère que le tribunal de commerce de Paris a commis une erreur de plume en considérant que l'exclusivité porte sur l'ABC Achrafie et non sur l'ABC Dbayeh dans la mesure où la société Synthèse n'a jamais distribué la marque Weill au Liban à l'ABC Achrafie et qu'à cette époque, seul l'ABC Dbayeh était discuté entre les parties.

La société appelante soutient qu'en reprenant l'ensemble des activités et engagements contractuels de la société Synthèse, elle a également repris l'ensemble des droits et obligations attachés à ces engagements, y compris l'exclusivité dont elle bénéficiait à l'ABC Dbayeh.

La société Weill affirme qu'elle n'a consenti aucune exclusivité à la société MoDistribution. En effet, la société intimée soutient qu'elle a consenti à la société Synthèse une exclusivité sur le seul centre commercial ABC Achrafie en 2009, sous conditions d'un minimum de commandes par saisons et qu'en l'absence de la moindre transmission universelle de patrimoine de la société Synthèse, les contrats de cette dernière et les éventuelles exclusivités qui lui étaient consenties ne lui étaient qu'à elle seule de sorte que la société appelante ne peut s'en prévaloir. De plus, la société Weill affirme que l'ouverture d'un corner dans le centre commercial ABC Dbayeh qui est un autre centre commercial ne peut lui être reprochée.

Sur ce, la Cour retient que l'exclusivité accordée en 2009, l'avait été au bénéfice de la seule société Synthèse et non à la société appelante immatriculée en 2013 et dont il a été dit que la société MoDistrbution n'avait pas repris les engagements et que l'ouverture d'un corner dans le centre commercial par la société Weill ne peut caractériser un comportement fautif de cette dernière à l'égard de MoDistribution qui ne démontre pas l'exclusivité dont elle aurait bénéficié.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

La société MoDistribution, partie perdante, est condamnée aux dépens d'appel et à payer la société Weill la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; elle est déboutée de sa demande sur ce fondement.

PAR CES MOTIFS :

Confirme le jugement ;

Condamne la société MoDistribution aux dépens d'appel et à payer à la société Weill la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejette toute autre demande.