Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 2 septembre 2021, n° 20/09358

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Pari Mutuel Urbain (GIE)

Défendeur :

Betclic Enterprises Limited (Sté), Autorité de la concurrence, Ministre chargé de l'Economie

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Brun-Lallemand

Conseillers :

Mme Maîtrepierre, Mme Tréard

Avocats :

Me Teytaud, Me Fréget, Me Eskenazi, Me Wilhelm

CA Paris n° 20/09358

2 septembre 2021

Vu la décision de l'Autorité de la concurrence n° 14-D-04 du 25 février 2014 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des paris hippiques en ligne ;

Vu la décision de l'Autorité de la concurrence n° 20-D-07 du 7 avril 2020 relative au respect des engagements figurant dans la décision de l'Autorité de la concurrence n° 14-D-04 du 25 février 2014 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des paris hippiques en ligne ;

Vu la déclaration de recours à l'encontre de la décision de l'Autorité de la concurrence n° 20-D-07 du 7 avril 2020 et l'exposé des moyens, déposés au greffe les 17 et 20 juillet 2020 par le GIE Pari mutuel urbain ;

Vu la déclaration d'intervention volontaire et le mémoire, déposés au greffe les 13 août et 17 septembre 2020 par la société Betclic enterprises limited ;

Vu les observations déposées au greffe le 11 février 2021 par le ministre chargé de l'économie ;

Vu les observations déposées au greffe le 15 février 2021 par l'Autorité de la concurrence ;

Vu les conclusions en réplique et récapitulatives déposées au greffe le 12 avril 2021 par le GIE Pari mutuel urbain ;

Vu les conclusions récapitulatives à l'appui de son intervention déposées au greffe le 18 mai 2021 par la société Betclic enterprises limited ;

Vu les conclusions en réplique et récapitulatives n° 2 déposées au greffe le 4 juin 2021 par le GIE Pari mutuel urbain ;

Vu l'avis du ministère public en date du 11 juin 2021, communiqué le même jour aux parties, à l'Autorité de la concurrence et au ministre chargé de l'économie ;

Après avoir entendu à l'audience publique du 17 juin 2021, en leurs observations orales les conseils du GIE Pari mutuel urbain et de la société Betclic enterprises limited, les représentants de l'Autorité de la concurrence et du ministre chargé de l'économie puis le ministère public, les parties ayant été mises en mesure de répliquer.

FAITS ET PROCÉDURE

1. En 2012, la société Betclic Everest Group a saisi l'Autorité de la concurrence (ci-après « l'Autorité ») de pratiques mises en œuvre par le groupement d'intérêt économique Pari mutuel urbain (ci-après le « PMU ») dans le secteur des paris hippiques en ligne, qu'elle estimait être des abus de position dominante au sens des articles L. 420-2 du code de commerce et 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ci-après le « TFUE »), ainsi que constitutives d'une entente au sens des articles L. 420-1 du même code et 101 du TFUE. Cette saisine a été enregistrée sous le numéro de procédure 12/0001F.

Le secteur en cause

2. Le secteur des jeux d'argent et de hasard a longtemps été structuré autour de monopoles légaux, confiés, pour ce qui concerne les paris hippiques, au PMU.

3. Estimant que de tels monopoles étaient contraires au principe de libre prestation des services, consacré par l'article 56 du TFUE, la Commission européenne a, par un avis motivé du 27 juin 2007, officiellement demandé à la France d'ouvrir ce secteur à la concurrence.

4. La loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne y a procédé de manière limitée, pour les paris hippiques, les paris sportifs et les jeux de cercle en ligne. Le monopole du PMU a en revanche été maintenu sur les paris hippiques « en dur », c'est-à-dire sur les points de vente physiques.

5. Cette ouverture à la concurrence a été strictement encadrée par des agréments préalables délivrés par l'Autorité de régulation des jeux en ligne (ci-après l'« ARJEL »).

6. L'article 39 de cette loi a également prévu que :

« I. Le président de l'Autorité de régulation des jeux en ligne saisit l'Autorité de la concurrence des situations susceptibles d'être constitutives de pratiques entravant le libre exercice de la concurrence dont il a connaissance dans le secteur des jeux en ligne, notamment lorsqu'il estime que ces pratiques sont prohibées par les articles L. 420-1 et L. 420-2 du code de commerce, l'article 25 de la présente loi ou les articles L. 333-1-1 et L. 333-1-2 du code du sport. Cette saisine peut être introduite dans le cadre d'une procédure d'urgence, conformément à l'article L. 464-1 du code de commerce.

Il peut également la saisir pour avis de toute autre question relevant de sa compétence et, notamment, en vue d'établir l'existence d'une pratique prohibée par l'article L. 420-5 du code de commerce, de manquements aux obligations définies à l'article 25 de la présente loi.

II. L'Autorité de la concurrence communique à l'Autorité de régulation des jeux en ligne toute saisine entrant dans le champ de compétence de celle-ci. Elle peut également saisir l'Autorité de régulation des jeux en ligne, pour avis, de toute question relative au secteur des jeux en ligne. Lorsqu'elle est consultée par l'Autorité de la concurrence sur des pratiques dont cette dernière est saisie dans le secteur des jeux d'argent et de hasard, l'Autorité de régulation des jeux en ligne joint à son avis, dans le délai imparti, tous les éléments utiles à l'instruction de l'affaire qui sont en sa possession ».

Le fonctionnement des paris

7. Différentes formes de paris sont possibles, comme l'a rappelé la décision de l'Autorité n° 14-D-04 (paragraphes 81 et suivants) :

- dans le pari à côte, les joueurs jouent contre l'opérateur et leur gain éventuel est déterminé lors de la conclusion du pari, en fonction de la cote fixée par l'opérateur ;

- dans le pari mutuel, les joueurs ne jouent pas contre l'opérateur, qui est neutre, mais les uns contre les autres, chacune de leur mise faisant varier à la hausse ou à la baisse la cote d'un compétiteur (équipe, joueur, cheval'). Dès lors, ils ne connaissent pas à l'avance leur gain éventuel. En effet, l'ensemble des sommes jouées par les parieurs est fondu en une masse unique de laquelle sont déduits la rémunération de l'opérateur de paris et les prélèvements fiscaux et sociaux. La masse restante est partagée entre les gagnants. Dans ce cas, le rapport du pari se calcule en divisant la masse à partager par le total des enjeux gagnants, ce qui permet de calculer les gains pour chacun des parieurs gagnants.

8. En France, les paris hippiques sont uniquement autorisés sous la forme de paris mutuels. Le PMU indique dans ses écritures, sans être contredit sur ce point, que depuis l'abrogation de l'agrément de Beturf en septembre 2019, le marché compte sept opérateurs, en ce inclus le PMU, Betclic et Zeturf.

9. Deux conséquences découlent du fonctionnement du pari mutuel :

- la cote d'un cheval (le rapport probable) est calculée en fonction de la proportion des sommes totales misées sur lui. Elle évolue sans cesse en fonction des mises successives des parieurs, lesquelles font automatiquement baisser la cote du cheval concerné. Seule une masse d'enjeux importante permet d'absorber la mise d'un parieur hippique, même importante, sans faire baisser la cote du résultat joué ;

- les gains des gagnants d'un pari sont payés à partir des sommes misées par l'ensemble des parieurs sur ce pari (après déduction de la part de gestion prélevée par l'opérateur et des prélèvements publics). Par conséquent, plus la masse à partager est importante, plus les sommes pouvant être redistribuées aux gagnants sous forme de gains pourront potentiellement être élevées.

10. Le PMU, comme l'ensemble des opérateurs alternatifs, propose deux types de paris hippiques :

- les paris simples présentent un nombre de combinaisons réduit, ce qui accroît la probabilité pour le parieur de trouver la bonne. Dans le « Simple gagnant », le parieur se contente de désigner le cheval qui, selon lui, remportera la course ;

- les paris complexes sont ceux pour lesquels le parieur doit, sur une même course, désigner, dans l'ordre ou le désordre, les cinq premiers chevaux.

L'entreprise mise en cause

11. Le PMU est la première entreprise de paris hippiques en Europe.

12. Constitué sous la forme d'un groupement d'intérêt économique, il regroupe 66 sociétés de courses. Il se trouve au centre d'une intégration verticale du secteur des paris hippiques : les sociétés et les sociétés-mères de courses, membres du GIE PMU, organisent et réglementent les courses hippiques, lesquelles sont les supports des paris du PMU, opérateur historique de paris hippiques en France. Par ailleurs, celui-ci contrôle Gényinfo, sa filiale détenue à 100 %, qui a pour activité, outre la prise de paris hippiques, l'information des parieurs, ainsi qu'Equidia, une chaîne de télévision qui retransmet en direct les courses hippiques.

13. Le PMU exerce son monopole sur la prise de paris hippiques « en dur » via un réseau d'environ 13 350 points de vente physiques. Les paris hippiques en ligne, ouverts à la concurrence, interviennent sur le site pmu.fr, sur lequel ont également été développées des activités de paris sportifs et poker en ligne.

L'issue de la procédure 12/0001F : la décision n° 14-D-04

14. Aux termes de la décision n° 14-D-04 du 25 février 2014 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des paris hippiques en ligne (ci-après la « décision n° 14-D-04 »), qui a clôturé la saisine 12/0001F, l'Autorité a relevé que, l'offre de paris hippiques étant identique en ligne et « en dur », le PMU mutualisait, pour chaque pari et pour chaque course, dans une masse unique, les mises enregistrées en ligne sur pmu.fr avec celles qu'il enregistrait au titre de son monopole « en dur ». Elle a constaté que ces dernières étant dix fois supérieures à celles enregistrées sur pmu.fr, le PMU disposait sur son site d'une masse d'enjeux décuplée par rapport à celle dont il disposerait avec ses seules mises en ligne. Elle a estimé que cette mutualisation des masses d'enjeux permettait au PMU de renforcer l'attractivité de son offre de paris hippiques en ligne en la faisant bénéficier des ressources du monopole « en dur ». Elle en a déduit que cette pratique était susceptible d'avoir, sur le fonctionnement concurrentiel du marché des paris hippiques en ligne, « un effet de captation de la demande, un effet d'entrave pour les nouveaux entrants doublé et un effet d'éviction des opérateurs alternatifs déjà présents » (§ 102 de cette décision).

15. Pour répondre aux préoccupations de concurrence identifiées par l'Autorité, le PMU lui a soumis des engagements qui ont été rendus obligatoires par la décision n° 14-D-04 et consistent, pour le premier d'entre eux, à séparer ses masses d'enjeux « en dur » et en ligne.

16. L'engagement relatif à cette séparation (ci-après « engagement n° 1 ») est rédigé en ces termes :

« Le PMU s'engage à procéder à une séparation effective de sa masse unique d'enjeux entre les mises collectées sur son site pmu.fr et celles collectées sur ses autres vecteurs de prises de paris hippiques, au 30 septembre 2015. En cas de difficultés de mise en œuvre, le PMU pourra, par l'intermédiaire du mandataire (cf. section 3 ci-dessous), demander à l'Autorité de lui accorder un délai supplémentaire de 3 mois maximum ».

17. Conformément à l'article 3.1 des engagements, le PMU a proposé à l'Autorité un « mandataire indépendant en charge du suivi de la mise en œuvre de son engagement de séparation de ses masses d'enjeux en dur et en ligne ['] ».

18. Le cabinet KPMG (ci-après le « mandataire ») a été agréé à cette fin par l'Autorité, comme mandataire indépendant, par lettre du 8 avril 2014.

19. Par une lettre du 19 juin 2014, l'Autorité a accepté la demande de prolongation de délai formulée par le PMU et a accepté de repousser la date de mise en œuvre de la séparation effective des masses d'enjeux au 31 décembre 2015.

20. La décision n° 14-D-04 n'a fait l'objet d'aucun recours.

21. Le mandataire, dans son rapport final du 31 janvier 2016, a constaté la réalisation de l'engagement de séparation des masses au 10 décembre 2015.

22. À l'examen de ce rapport, l'Autorité a, par une lettre du 14 mars 2016, constaté à son tour la réalisation de l'engagement de séparation des masses au 10 décembre 2015.

Les échanges ultérieurs intervenus entre l'ARJEL et le PMU

23. Au cours de l'année 2017, des échanges sont intervenus entre l'ARJEL et le PMU.

24. Le 26 avril 2017, l'ARJEL a invité le PMU à lui communiquer les éléments ayant concouru à la détermination des rapports payés pour les paris de type « Couplé Ordre International » et « Trio Ordre International » lors de trois réunions de courses étrangères intervenues les 18, 23 et 24 mars 2017. Cette demande a fait l'objet d'une réponse le 12 mai suivant, accompagnée du contrat de mutualisation conclu avec l'opérateur étranger.

25. Le 25 septembre 2017, l'ARJEL a également adressé un courriel au PMU à la suite de la publication d'une communication commerciale concernant les paris « Simple Gagnant International » et « Simple Placé International » qui faisait état de masses élargies dans lesquelles « tous les enjeux du PMU sont rassemblés » et lui a indiqué que cette formulation avait fortement retenu son attention, notamment au regard de la décision n° 14-D-04. Elle lui a demandé de lui faire part de l'analyse juridique l'ayant conduit à considérer que le procédé de mutualisation déployé respectait les termes de l'engagement n° 1. Par courriels des 6 et 13 octobre suivants le PMU a communiqué à l'ARJEL les éléments demandés, ainsi que les accords de mutualisation conclus avec les opérateurs étrangers. Il lui a également exposé son analyse, selon laquelle la mutualisation opérée par un opérateur étranger n'entre pas dans le champ d'application de la décision n° 14-D-04.

26. L'ARJEL n'a donné aucune suite à ces échanges et n'a ainsi pas mis en œuvre la procédure de saisine de l'Autorité prévue à l'article 39 de la loi du 12 mai 2010, dont les termes sont reproduits au paragraphe 6 du présent arrêt.

La nouvelle procédure 17/0231R

27. Par une saisine du 22 décembre 2017, enregistrée sous le numéro 17/0231R, les sociétés Betclic Enterprises Limited et Zeturf France LTD (ci-après les « sociétés saisissantes ») ont dénoncé à l'Autorité un non-respect par le PMU de l'engagement n° 1 concernant des paris proposés aux joueurs français, en point de vente comme en ligne, sur des courses étrangères et portant, en particulier, sur des courses sud-africaines, irlandaises et sur l'hippodrome de Yonkers aux États-Unis. Les saisissantes ont fait valoir que, sur ces paris, les enjeux et les rapports étaient identiques, qu'il s'agisse des paris « en dur » ou en ligne, et qu'une telle similitude ne pouvait s'expliquer que par une mutualisation des enjeux « en dur » et en ligne du PMU.

28. Les entreprises saisissantes n'ont pas remis en cause le respect des autres engagements souscrits par le PMU dans le cadre de la décision n° 14-D-04.

29. Il convient de préciser que la première plainte de 2012 avait été déposée par la société Betclic Everest Group qui est spécialisée dans les paris sportifs. Créée en 2005, présente dans plus de 100 pays et agréée par l'ARJEL, elle proposait depuis le 7 juin 2007 ses produits dans les trois catégories de jeux d'argent et de hasard ouvertes à la concurrence (paris sportifs, paris hippiques et jeux de cercle) (décision n° 14-D-04, § 21 et 22).

30. La saisine de 2017 émane de deux autres sociétés. La première est la société Betclic Enterprises Limited (ci-après la « société Betclic »), qui est une société de droit maltais créée en 2010, enregistrée sous le numéro C49376, spécialisée dans le secteur des jeux en ligne, qui exploite la marque Betclic. Elle dispose depuis 2010 de trois agréments délivrés par l'ARJEL l'autorisant à proposer une offre de paris sportifs en ligne (paris à cote fixe et paris mutuels), des paris hippiques en ligne (paris simples et complexes) dans la forme mutuelle, ainsi que des jeux de cercle en ligne. Selon les indications données à l'audience, elle est une filiale de la société Betclic Everest Group.

31. La seconde est la société Zeturf France LTD (ci-après la « société Zeturf »), également de droit maltais, spécialisée à l'origine dans les conseils et paris hippiques. Elle dispose d'un agrément délivré par l'ARJEL depuis 2010 concernant les paris hippiques en ligne et depuis 2014 concernant les paris sportifs en ligne.

32. Dans le cadre de l'avis n° 2018-A-001 du 8 novembre 2018 sollicité par l'Autorité en application de l'article 39 II de la loi du 12 mai 2010 précité, l'ARJEL a fourni les parts de marché du PMU et de ses concurrents. L'Autorité les a analysées comme faisant ressortir que, dès l'entrée en vigueur de l'engagement de séparation des masses d'enjeux, fin 2015 :

- le PMU a perdu [0-5] points de parts de marché sur les paris hippiques en ligne entre novembre 2015 et mars 2016, sa part de marché s'étant ensuite stabilisée autour de [70-80] % ;

- la part de marché de la société Zeturf a augmenté pour atteindre [10-20] % ;

- la société Betclic demeure en revanche un acteur mineur de ce marché, sa part de marché n'ayant que très légèrement augmenté pour atteindre seulement [0-5] % début 2018 (§ 33 et suivants de la décision n° 20-D-07 du 07 avril 2020, dans sa version publique).

33. Sur le fond, dans cet avis, l'ARJEL a rappelé qu'elle n'était pas compétente pour interpréter en lieu et place de l'Autorité la portée de la décision n° 14-D-04 et a simplement renseigné cette dernière sur sa propre compréhension de l'engagement. Elle a considéré que celui-ci « couvrait l'ensemble des courses sur lesquelles les parieurs pouvaient engager des mises, qu'elles soient françaises ou étrangères, qu'elles fassent d'objet d'une mutualisation avec des opérateurs étrangers ou non » (avis, point 6). Elle a estimé que les préoccupations de concurrence étaient potentiellement présentes quelle que soit la localisation des courses supports des paris concernés (avis précité, point 8) et en a déduit que le fait que les masses recueillies en ligne et « en dur » par le PMU soient mutualisées par un opérateur étranger « semble devoir être tenu ici pour indifférent » (même avis, point 9).

34. Elle a également mentionné que l'impact sur le marché de la pratique dénoncée était délicat à mesurer mais qu'il était, lui semblait-il, limité (même avis, point 21).

35. Elle a par ailleurs indiqué n'avoir délivré aucun avertissement au PMU lors de leurs échanges en 2017 et précisé qu’ « avertie de ce que les sociétés Bel et Zeturf s'apprêtaient à saisir l'Autorité de la concurrence, l'ARJEL a estimé ne pas avoir à formellement saisir cette dernière » (même avis, point 11).

Les pratiques litigieuses dénoncées dans la saisine 17/0231R

36. Comme le précise la décision attaquée, le PMU prend des paris sur des courses françaises mais commercialise également en France des paris sur des courses étrangères, sous deux formes :

- une commercialisation des paris en masse séparée, c'est-à-dire sur la base des enjeux collectés par lui seul, qui ne pose pas de difficultés ;

- une commercialisation dans le cadre d'accords de masse commune avec un opérateur étranger, à la fois dans ses canaux « en dur » et en ligne. Ce sont les courses dénoncées dans la saisine de 2017.

37. Les accords conclus par le PMU avec différents opérateurs étrangers l'autorisent à commercialiser en France certains types de paris sur des courses étrangères, également proposés par tous les opérateurs participant à la masse commune sur leur territoire respectif.

38. Entre la date d'entrée en vigueur des engagements et la date du rapport, dans le cadre des cinq partenariats en vigueur, le PMU était autorisé à proposer ces paris à la fois en ligne comme en dur.

39. Dans le cadre de ces accords, l'opérateur étranger additionne l'ensemble des masses collectées par lui-même, ainsi que par l'ensemble de ses partenaires. Il reçoit et traite les informations relatives aux paris pris et aux mises collectées par tous ses partenaires, puis en fonction de ces informations, il calcule le rapport des paris, qui sont nécessairement identiques pour tous les participants à la masse commune, comme les gains à distribuer.

40. Ces accords portaient initialement à la fois sur la collecte d'enjeux dans le réseau physique et sur le site internet du PMU. Des contrats distincts ont ensuite été conclus à l'occasion de l'entrée en vigueur de l'engagement de séparation des masses, selon la chronologie, non contestée, rappelée au paragraphe 60 de la décision attaquée, auquel la Cour renvoie.

L'issue de la procédure 17/0231R : la décision n° 20-D-07 et le recours entrepris

41. À l'issue de la procédure, l'Autorité a constaté que les accords de masse commune conclus par le PMU sur les courses étrangères conduisaient l'opérateur étranger à additionner l'ensemble des masses collectées par lui-même et l'ensemble de ses partenaires pour calculer les rapports des paris. Elle a relevé que, lorsque le PMU dispose d'un accord de masse commune portant à la fois sur ses masses d'enjeux en ligne et « en dur » avec un opérateur étranger, ces deux masses d'enjeux sont mutualisées, avec d'autres masses, en une masse unique pour déterminer les gains des parieurs, par l'intermédiaire de l'opérateur étranger. Elle en a déduit que, dans ces conditions, le PMU est en mesure de proposer des courses étrangères sur son site internet et dans son réseau physique avec des rapports identiques et que l'existence d'un contrat de masse commune unique (portant sur la collecte en ligne et « en dur ») ou de deux contrats distincts aboutit au même effet, non contesté par le PMU, dès lors que les deux masses d'enjeux du PMU sont mutualisées par l'opérateur étranger.

42. Par la décision n° 20-D-07 du 07 avril 2020, (ci-après la « décision attaquée »), l'Autorité a en conséquence dit que « le GIE PMU a méconnu l'engagement de séparation de ses masses d'enjeux collectées en ligne et de ses masses collectées sur ses autres vecteurs de prise de paris, souscrit par lui et rendu obligatoire par la décision de l'Autorité de la concurrence n° 14-D-04 du 25 février 2014 » (article 1) et lui a infligé à ce titre une sanction pécuniaire de 900 000 euros.

43. Le PMU a formé un recours en annulation et/ ou réformation contre cette décision.

44. Par son recours et aux termes de ses dernières écritures, il demande à la Cour :

- à titre principal, d'annuler la décision attaquée ;

- à titre subsidiaire, de la réformer en ce qu'elle le condamne à payer, à titre de sanction pécuniaire, une somme de 900 000 euros, en supprimant ou en réduisant très substantiellement le montant de cette sanction ;

- en tout état de cause, d'ordonner la restitution des fonds indûment payés, avec intérêt au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir, avec application de l'article 1154 du code civil ;

- de condamner l'Autorité à lui payer la somme de 25 000 euros et la société Betclic au paiement de 100 000 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, les dépens étant à leur charge.

45. L'Autorité invite la Cour à rejeter l'ensemble des moyens soulevés par le PMU.

46. Aux termes de ses dernières écritures, la société Betclic demande à la Cour de :

- la dire recevable et bien fondée dans son intervention ;

- rejeter l'intégralité des demandes du PMU ;

- juger irrecevable et mal-fondé le recours en annulation et, subsidiairement en réformation, formé par le PMU à l'encontre de la décision attaquée et, en conséquence, la confirmer en toutes ses dispositions ;

- condamner le PMU à lui payer la somme de 20 000 euros, sauf à parfaire, au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

47. Le ministre chargé de l'économie invite la Cour à réformer la décision attaquée pour tenir compte de la faible gravité des pratiques, des effets relatifs de celles-ci et des objectifs retenus par les préoccupations de concurrence initiales.

48. Le ministère public invite, pour sa part, la Cour à confirmer la décision attaquée ainsi que la sanction pécuniaire d'un montant de 900 000 euros.

MOTIVATION

I. SUR LES MOYENS INVOQUÉS AU SOUTIEN DU RECOURS EN ANNULATION

A. Sur l'absence de procès-verbaux d'audition dans le dossier de l'instruction

49. Le PMU invoque, conjointement, les articles L. 450-2 et R. 463-6 du code de commerce, qui prévoient, pour le premier, l'établissement de procès-verbaux et, le cas échéant, de rapports au cours de l'enquête, pour le second que les auditions auxquelles procède le rapporteur donnent lieu à un procès-verbal. Il se prévaut également de la jurisprudence européenne qui, au visa de l'article 19 du règlement n° 1/2003, a imposé le respect d'une obligation comparable (CJUE, 6 septembre 2017, affaire Intel, C-413/14 P, points 91 à 93) et qui a, en ce sens, protégé l'exercice des droits de la défense (CJUE, 1er juillet 2010, affaire Knauf Gips/Commission, C-407/08 P, point 23). Il fait valoir qu'il n'y a pas lieu, à cet égard, de distinguer entre les discussions formelles et informelles, toute audition devant faire l'objet d'un enregistrement conformément à l'arrêt Intel précité. Il ajoute que, nonobstant le principe de l'autonomie procédurale, cette jurisprudence est opposable à l'Autorité, sauf à rendre excessivement difficile l'exercice du droit de la défense et le respect du contradictoire (CJUE, 15 octobre 2015, affaire Nike European Operations Netherlands, C-310/14, point 28). Il reproche ainsi aux services d'instruction de l'Autorité d'avoir procédé à l'audition des entreprises saisissantes, sans que ces entretiens ne fassent l'objet de procès-verbaux communiqués au PMU. Il fait valoir que leur existence est établie par deux courriels des 1er juin et 9 novembre 2018 adressés à la rapporteur par les représentants des entreprises saisissantes, qui font référence « au rendez-vous qui s'est tenu dans vos locaux en date du 12 février dernier » ainsi qu'à la « perspective de notre rendez-vous du 22 novembre prochain », aucun élément du dossier n'en consignant la teneur.

50. Il ajoute qu'aux termes de la jurisprudence de la Cour (CA de Paris, 23 février 2012, n° 2010/20555) les articles L. 450-2 et R. 463-6 du code de commerce concernant les procès-verbaux d'audition « n'imposent pas [...] de formalisme particulier pour leur présentation, dès lors que la régularité de la communication aux services d'instruction des informations en cause peut être établie et que celles-ci sont soumises au débat contradictoire ». Or, il fait valoir qu'en l'espèce les informations recueillies par le rapporteur ne lui ont pas été transmises. Il considère que s'il avait eu accès à ces procès-verbaux d'audition il aurait été en mesure d'y trouver des éléments à décharge qu'il aurait pu utiliser pour sa défense ou, à l'inverse, aurait pu mieux exercer ses droits de la défense en apportant la contradiction aux éléments mis en avant.

51. L'Autorité fait valoir, en premier lieu, que si l'article R. 463-6 du code de commerce prévoit de façon générale que toute audition doit donner lieu à l'établissement d'un procès-verbal, l'absence d'un procès-verbal n'est pas pour autant, par elle-même, de nature à entacher la régularité de la procédure. Elle rappelle que l'incidence d'une telle absence doit être appréciée au cas par cas, au regard des principes qui gouvernent le respect des droits de la défense et des garanties dont doivent bénéficier les entreprises mises en cause. Elle souligne également, à supposer que l'absence de procès-verbal constitue une irrégularité de procédure, qu'il résulte de la jurisprudence, qu'un vice affectant une procédure menée par une autorité administrative n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise à l'issue de cette procédure que si ce vice a été susceptible d'exercer une influence sur le sens de la décision ou s'il a privé les intéressés d'une garantie (CE, 23 décembre 2011, Danthony, n° 335033) ou leur a causé grief (CA de Paris, 11 juillet 2019, société Janssen-Cillag SAS, n° 18/01945).

52. Elle relève que les échanges entre les plaignants et les services d'instruction auxquels fait référence le PMU correspondent à des rencontres qui se sont tenues à la demande des plaignants :

- la première, intervenue le 12 février 2018, était une réunion de présentation de la plainte déposée quelques semaines auparavant. Les questions que cette présentation a suscité de la part de la rapporteure ont fait l'objet d'une communication écrite intégralement versée au dossier : Betclic et Zeturf ont ainsi déposé le 1er juin 2018 une note en réponse aux questions posées par la rapporteur, comportant les documents sollicités par cette dernière (cotes 542 à 963) ;

- la seconde, en date du 22 novembre 2018, était une réunion au cours de laquelle les plaignants ont présenté les éléments qu'ils avaient adressé aux services d'instruction le 9 novembre par écrit, qui ont été versés au dossier, et qui portaient sur le fait que la pratique dénoncée aurait continué après le dépôt de leur plainte (cotes 1337 à 1344).

53. Elle en déduit que ces réunions ne pouvant pas être assimilées à des auditions, au sens de l'article R. 463-6 du code de commerce, et n'ayant apporté aucun élément de fait ou document supplémentaire par rapport à ceux versés au dossier, les services d'instruction n'étaient pas tenus de dresser des procès-verbaux qui auraient dû être versés au dossier. Elle ajoute que, de la même manière, la rapporteure a eu de nombreux échanges avec le PMU au cours de l'instruction, lequel a dès le 16 avril 2018, été en mesure de présenter une « Note de commentaires sur la saisine des sociétés Betclic et Zeturf » et destinataire de demandes de renseignements, de documents et de questionnaires entre avril 2018 et juin 2019 auxquelles il a pu répondre. Elle estime qu'il a ainsi été mis en mesure d'alimenter le dossier avec tous les éléments qu'il jugeait pertinents.

54. Elle invoque, en deuxième lieu, le principe d'autonomie procédurale et en déduit que la jurisprudence relative à l'interprétation de l'article 19 du règlement n° 1/2003 n'est pas pertinente en l'espèce. Elle ajoute, au surplus, que ce texte est relatif au recueil de déclarations d'entreprises ce qui n'est pas le cas des réunions susvisées.

55. En troisième lieu, elle observe que le PMU n'apporte la preuve ni de l'existence d'éléments à décharge qui auraient été évoqués à l'occasion des rencontres litigieuses ni, a fortiori, du fait que ces éléments auraient pu être mobilisés dans le cadre de sa défense. À l'inverse, elle relève qu'il est constant que la décision est uniquement fondée sur des éléments figurant au dossier et non sur des informations obtenues lors de ces réunions. Elle ajoute qu'il est également constant que le PMU a pu s'expliquer et faire valoir ses arguments de droit et de fait, d'une part, pendant la phase d'enquête, puis, dans le cadre de la procédure contradictoire.

56. Le ministre chargé de l'économie rejoint cette analyse et ajoute que la jurisprudence n'exige pas que les éléments de preuve collectés au cours de l'enquête soient versés au dossier sous une forme particulière, dès lors que les informations recueillies sont soumises au débat contradictoire et que les entreprises mises en cause sont en mesure d'en prendre connaissance et d'en discuter (invoquant CA de Paris, arrêt du 21 décembre 2017, RG n° 15/117638).

57. La société Betclic fait valoir que ni le rapport du service d'instruction ni la décision du collège ne se sont appuyés sur ces entretiens pour étayer le grief de non-respect par le PMU de ses engagements et que le PMU ne soutient aucun argument probant permettant de démontrer que la communication des échanges en cause aurait pu influencer un élément des appréciations de l'Autorité portées dans la décision attaquée ou être utilisé pour sa défense.

58. Elle estime par ailleurs qu'aucun formalisme n'est imposé et qu'il suffit que la régularité de la communication aux services d'instruction des informations obtenues puisse être établie, y compris par courriel. Elle observe que les pièces citées par le PMU, mentionnant ces entretiens, recensent le contenu des informations échangées et que le rapport a établi tous les faits reprochés au PMU, lequel a eu la possibilité d'y répondre par un mémoire ainsi qu'au cours de la séance devant le collège de l'Autorité. Elle considère que l'absence de procès-verbaux n'a pas fait grief au PMU.

59. Le ministère public partage ces analyses.

Sur ce, la Cour,

60. Il est constant qu'en application de l'article R. 463-6 du code de commerce, les auditions auxquelles procède le rapporteur donnent lieu à l'établissement de procès-verbaux. Ces actes sont versés au dossier afin d'établir la régularité de la communication des informations qu'ils contiennent et leur soumission ultérieure au débat contradictoire.

61. Corollaire du principe du respect des droits de la défense, le droit d'accès au dossier implique que l'entreprise concernée par les mesures d'instruction puisse procéder à l'examen de la totalité des actes qui sont susceptibles d'être pertinents pour sa défense. Toutefois, il ne résulte pas du texte précité que les éléments de preuve collectés au cours de l'enquête soient versés au dossier sous une forme particulière dès lors que les informations recueillies sont soumises au débat contradictoire et que les entreprises mises en cause sont en mesure d'en prendre connaissance et d'en débattre. Il incombe donc à la Cour d'apprécier, au cas par cas, l'incidence d'éventuelles irrégularités de forme dans la constitution du dossier au cours de la phase d'instruction, sur l'exercice des droits de la défense.

62. En l'espèce, deux lettres adressées à la rapporteure par l'avocat des sociétés saisissantes, versées au dossier sous les cotes 543 à 545 (lettre du 1er juin 2018 portant annexe à la plainte) et 1337 (lettre du 9 novembre 2018 transmettant une annexe n° 2 à la plainte) font état de deux rencontres dans les locaux de l'Autorité, la première étant intervenue le 12 février 2018, la seconde annoncée pour le 22 novembre 2018.

63. La première lettre, qui rappelle le contexte de ce premier « rendez-vous » après dépôt de leur plainte déposé le 22 décembre 2017, énumère les informations et documents que la rapporteure leur a demandé à cette occasion :

- une actualisation des tableaux démontrant la violation de l'engagement sur les courses étrangères de Yonkers (aux E.U), en Irlande et en Afrique du Sud ;

- une actualisation des chiffres relatifs aux performances du marché et de ses acteurs, au soutien notamment des derniers rapports de l'ARJEL ;

- une estimation du poids du PMU par rapport aux liquidités gérées par les sociétés de courses étrangères ;

- tout document permettant de démontrer que le PMU s'est opposé, sans justification objective, à la conclusion d'accords entre les opérateurs alternatifs et les sociétés de courses étrangères. ».

64. Elle y précise, qu'en l'absence de trace écrite, les sociétés saisissantes ne sont pas en mesure de fournir de document sur ce dernier point et, pour le reste des informations, qu'une note annexe à la plainte est fournie.

65. Il est également mentionné :

« Conformément à votre demande, nous avons dissocié les éléments relatifs à la violation de son engagement par le PMU - dont nous comprenons qu'ils seront traités en priorité par vos services - de ceux destinés à éclairer les problèmes de concurrence qui résultent de l'intégration verticale du PMU sur le secteur des paris hippiques » ;

« (...) nous avons, sur recommandations de vos services, renoncé à demander des mesures conservatoires, qui risqueraient au cas d'espèce de rallonger la procédure » tout en signalant que les faits reprochés au PMU justifiaient « de réagir à très bref délai pour que ce dernier soit rapidement sanctionné ».

66. La note jointe à cette lettre figure aux cotes 546 et suivantes du dossier.

67. Dans la seconde lettre, ce même avocat a transmis, dans la perspective du « rendez-vous du 22 novembre prochain », une deuxième note « dénonçant la poursuite des pratiques de mutualisation des masses d'enjeux par le PMU, laquelle est accompagnée d'un tableau détaillant le nombre de courses étrangères en 2018, par mois et par hippodrome, sur lesquelles le PMU a proposé des paris en masses communes ».

68. Cette note n° 2 figure aux cotes 1338 et suivantes du dossier.

69. Il est constant qu'aucune de ces rencontres n'a donné lieu, en tant que telle, à l'établissement d'un procès-verbal, alors qu'il ressort des termes de la première lettre que la rapporteure a formulé un certain nombre de questions en lien avec l'objet de son instruction et sollicité la communication de documents. Il est donc inexact de soutenir, comme le fait l'Autorité, qu'une telle situation ne s'inscrit pas dans le cadre d'une audition, au sens de l'article R. 463-6 du code de commerce, entendue comme une mesure d'instruction.

70. Il ressort néanmoins des constatations qui précèdent que tous les éléments recueillis à l'occasion de ces rencontres ont été versés au dossier et il est constant que le PMU a été en mesure de les discuter, dans la « Note de commentaires sur la saisine des sociétés Betclic et Zezturf » déposée le 16 avril 2018 (cotes 477 à 518), dans le mémoire en réponse au rapport du 2 octobre 2019 (cotes 2234 et suivantes), comme en séance devant l'Autorité, puis devant la Cour. Par ailleurs, à l'instar des sociétés saisissantes, le PMU a communiqué à la rapporteure de très nombreux éléments versés au dossier, dont il a commenté la portée.

71. Si les échanges intervenus lors des deux rencontres précitées ne sont pas précisément retranscrits dans le cadre d'un procès-verbal, force est constater que leur contenu se déduit sans ambiguïté des éléments qui ont été versés au dossier en toute transparence. La Cour ajoute que la décision attaquée s'est fondée sur les seuls éléments figurant au dossier. À cet égard, la Cour précise que le dossier comporte, notamment, un courrier du 1er juin 2018 par lequel la partie saisissante indique au rapporteur que « malheureusement, en l'absence de la moindre trace écrite ou ostensible, nos clientes ne sont pas en mesure de fournir à l'Autorité un document permettant de démontrer que le PMU s'est opposé, sans justification objective, à la conclusion d'accords entre les opérateurs alternatifs et les sociétés de courses étrangères » et que la décision attaquée mentionne, au paragraphe 61, que « les saisissantes n'ont documenté ni leurs démarches en vue de conclure de tels accords ni les refus qu'elles auraient essuyés ».

72. Il se déduit de l'ensemble de ces développements que l'absence d'établissement d'un procès-verbal à l'occasion de ces rencontres n'a pu avoir aucune influence sur le sens de la décision attaquée et n'a pu causer aucun grief au PMU. Il n'y a, en conséquence, pas lieu d'annuler la procédure à ce titre.

B. Sur l'absence, alléguée, d'instruction complète

73. Le PMU invoque les articles 6 §1 et 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme (ci-après la « CSDH »), ainsi que les articles 48 § 2 et 41 § 2 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, pour contester le choix du rapporteur d'entendre uniquement les sociétés saisissantes et non les sociétés mises en cause.

74. Il estime que les services d'instruction ne lui ont pas permis de faire connaître utilement son point de vue car, malgré ses demandes (notamment exprimées dans un courrier du 16 avril 2018 et un courriel du 31 mai 2018), ces derniers ont toujours refusé de l'auditionner, tandis qu'ils ont rencontré les sociétés saisissantes sans même dresser de procès-verbal et ont largement basé leur instruction sur leur saisine. Il en déduit que cette situation a vicié la décision de l'Autorité qui n'a pu se baser que sur des éléments à charge.

75. Il reproche également à ces services de ne pas avoir procédé à de nouvelles enquêtes concernant les allégations des sociétés saisissantes dont il indique « avoir pu aisément démontrer la fausseté », notamment en signalant l'accord de partenariat en masse commune conclu entre Zeturf et Phumelela, le fait que l'opérateur norvégien Norsk Rikstoto avait été contacté à la fin de l'année aux mêmes fins, ainsi que la demande d'obtention d'un code client dans la base de données CRIMS PGSI (USA) et l'enregistrement de Zeturf auprès de ce prestataire technique depuis le 17 septembre 2019. Il estime avoir ainsi été contraint d'instruire l'affaire à la place des services de l'Autorité et dénonce l'absence de nouvelles enquêtes afin d'approfondir les éléments qu'il a rapportés. Il reproche également le caractère superficiel de l'instruction menée, notamment au regard du refus d'auditionner le mandataire et les partenaires étrangers du PMU, le contraignant à pallier ces défaillances en les interrogeant lui-même et en produisant leurs courriers en réponse. Il relève par ailleurs l'absence d'audition des ministres de tutelle du PMU ou de toute autre partie tierce. Il en déduit que les services de l'Autorité ont manqué au principe d'instruire à charge et à décharge, violant ses droits de la défense et viciant ainsi la procédure.

76. L'Autorité lui oppose, en premier lieu, la jurisprudence aux termes de laquelle le rapporteur apprécie librement l'opportunité des mesures à mettre en œuvre (notamment, Com., 4 octobre 2017, pourvois n° 14-28.234 et autres ; CA de Paris 23 janvier 2007, Pharma-Lab, RG n° 2006/01498). Elle relève également que le PMU a pu faire valoir ses arguments, aussi bien pendant la phase d'enquête qu'à la suite de l'envoi du rapport, et soumettre aux services d'instruction de nombreuses pièces et documents, notamment, des témoignages des opérateurs étrangers et du mandataire chargé de superviser les engagements pris dans la décision n° 14-D-04, lesquels ont été pris en compte dans la décision attaquée.

77. Le ministre chargé de l'économie relève que le PMU a pu faire valoir son point de vue à toutes les étapes de la procédure, de sorte que son absence d'audition est sans incidence sur sa régularité. Il observe qu'il eut été de bonne politique, dans le cadre de l'instruction de ce dossier, de recueillir certaines précisions de la part des opérateurs de course étrangers, mais que le fait que le PMU ait lui-même recueilli leur témoignage est sans incidence sur la validité de la procédure, les services d'instruction n'étant pas tenus de les contacter.

78. La société Betclic développe la même analyse et ajoute que, dans ses courriers du 16 avril et 31 mars 2018, l'avocat du PMU s'est contenté d'indiquer au rapporteur « le souhait de nos clients de pouvoir vous rencontrer dès que vous le souhaitez afin d'évoquer cette situation de vive voix », sans exprimer une franche demande d'audition. L'audition n'étant pas une obligation légale, elle en déduit que le moyen de nullité doit être rejeté. Elle ajoute qu'à l'occasion de ses écritures le PMU a pu se faire entendre en répondant aux demandes d'informations de l'Autorité. Elle constate ensuite que le PMU n'a élevé des critiques concernant l'instruction qu'au stade de son recours devant la Cour et en déduit une certaine mauvaise foi.

79. Le ministère public partage ces analyses au regard de l'opportunité des mesures dont dispose le rapporteur.

Sur ce, la Cour,

80. Comme l'a rappelé la Cour de cassation, le rapporteur n'est pas tenu de procéder à des auditions s'il s'estime suffisamment informé pour déterminer les griefs susceptibles d'être notifiés. L'audition des personnes intéressées est ainsi une faculté laissée à son appréciation, eu égard au contenu du dossier (Com., 4 octobre 2017, pourvois n° 14-29.542, 14-28.234, 14-29.273, 14-29.482, 14-29.509, 14-29.491, 14-50.076 et 14-29.354).

81. En l'espèce, par lettre du 22 décembre 2017, les sociétés Betclic et Zeturf ont saisi l'Autorité du non-respect par le PMU de l'engagement de séparation des masses d'enjeux. Le 18 janvier 2018, le rapporteur général adjoint a procédé à la désignation de la rapporteure pour instruire cette saisine et, dès le 16 avril 2018, le PMU a transmis à cette dernière une « Note de commentaires sur la saisine des sociétés Betclic et Zeturf » de 42 pages, incluant cinq annexes (cotes 477 à 518). Le PMU a ensuite satisfait aux demandes d'information datées du 17 avril 2018 (cotes 253-254), du 20 juin 2018 (cotes 1272 à 1277), du 11 juillet 2018 (cotes 1283 à 1285), du 19 avril 2019 (cote 1521), du 17 mai 2019 (cote 1581), du 25 mai 2019 (cotes 1593 à 1595) et du 3 juin 2019 (cote 1756) en transmettant un certain nombre d'éléments, versés au dossier. Le rapport a été notifié au PMU le 11 juillet 2019, qui y a répondu le 2 octobre 2019 (cotes 2233-2752) et il a été entendu lors de la séance de l'Autorité du 16 janvier 2020.

82. Il convient de retenir, en cet état, que l'absence d'audition du PMU par la rapporteure est sans incidence sur la régularité de la procédure dès lors qu'il été mis en mesure de faire valoir ses droits tout au long de celle-ci.

83. De même, le rapporteur étant maître de la conduite des investigations, la circonstance qu'il n'ait pas estimé utile de procéder à l'audition de partenaires étrangers n'est, en elle-même, pas de nature à entraîner l'annulation de la procédure, d'autant que la décision attaquée a précisément relevé, aux paragraphes 61 et 62, que les affirmations des parties saisissantes concernant le fait qu'elles n'avaient pu conclure aucun accord de masse commune sur des courses étrangères n'étaient documentées, ni sur leurs démarches en ce sens, ni sur les refus opposés par les opérateurs étrangers et qu'à l'inverse le PMU avait signalé l'existence d'un accord conclu entre Zeturf et l'opérateur sud-africain Phumelela au cours du premier semestre 2019 (cotes 2268-2271), ce qui a été confirmé par Zeturf en séance devant le Collège.

84. Il ne saurait par ailleurs se déduire de l'absence d'auditions complémentaires que l'instruction n'a pas été menée à charge et à décharge. En effet, outre que le dossier comporte les différents rapports de suivi établis par le mandataire et l'avis de l'ARJEL « ne se limitant pas ainsi aux seuls éléments fournis par les sociétés saisissantes » la Cour observe que l'instruction ne s'est pas non plus bornée à suivre les allégations de ces dernières ou à instruire à charge, comme l'illustrent, notamment, les extraits suivants :

« (...) comme il ressort des données fournies par le PMU et dont l'ordre de grandeur est confirmé par l'ARJEL dans son avis, le montant total des enjeux concernés est à l'heure actuelle faible(...)L'ampleur de la pratique de mutualisation n'est donc pas à ce stade celle alléguée par les parties saisissantes, qui avaient estimé que plus d'un milliard d'euros d'enjeux étaient concernés par la pratique de mutualisation (...) » (rapport, § 174) ;

« L'ARJEL a pu estimer à partir d'un échantillon constitué par quatre coupes semestrielles portant chacune sur deux semaines de réunions hippiques de février 2017 à septembre 2018 que « les parts de marché respectives du PMU et de Zeturf sont identiques sur les réunions étrangères comportant des courses mutualisées et sur celles qui n'en comportent pas », ce qui tendrait à montrer que la mutualisation des masses sur ces courses ne rend pas les paris du PMU plus attractifs(...) » (même source, § 177).

85. Le moyen est en conséquence rejeté.

II. SUR LA LÉGALITÉ INTERNE DE LA DÉCISION : L'INTERPRÉTATION DE L'ENGAGEMENT N° 1 ET SON RESPECT

86. Le PMU reproche à l'Autorité, à titre liminaire, d'avoir méconnu le principe selon lequel la charge de la preuve de pratiques anticoncurrentielles incombe à celui qui s'en prétend victime ou aux autorités qui les poursuivent. Il estime qu'en l'espèce elle a non seulement fait peser sur lui la charge de l'instruction mais également, incidemment, la définition des préoccupations de concurrence, en considérant que « [s]i, comme le soutient le PMU, les préoccupations de concurrence identifiées par l'Autorité devaient exclure de leur champ les courses étrangères en masse commune, il était loisible au PMU de le préciser au moment de la procédure de négociation d'engagements ». Il rappelle qu'avant même l'adoption de l'engagement n° 1, il proposait des paris hippiques sur des courses étrangères en masse commune « partenariats parfaitement connus de l'ARJEL à laquelle ils sont communiqués conformément à l'article 16 de la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 » sans qu'il n'ait cherché à masquer à l'Autorité l'existence d'une telle offre, et considère que celle-ci a ainsi cherché à se dédouaner de son manque de rigueur en inversant la charge de la preuve. Il demande à la Cour, au regard de ces irrégularités, d'annuler la décision.

87. Sur le fond, il invoque, en premier lieu, une dénaturation de l'engagement n° 1 qui prévoit qu'il s'engage à procéder à une séparation effective de « sa » masse unique d'enjeux et soutient que l'emploi du possessif ne peut renvoyer qu'à des paris dont il est le totalisateur et le répartiteur, ce qui exclut les mises et enjeux qu'il collecte pour le compte de tiers, qui vont former une masse en dehors de son contrôle et de son système informatique. Il fait valoir que lorsque plusieurs interprétations sont possibles d'un même engagement, le doute bénéficie à celui qui s'est engagé et que le principe d'interprétation stricte doit bénéficier à la partie qui a pris l'engagement. À cet égard, il souligne que, comme lui, le mandataire agréé par l'Autorité n'avait eu aucun doute sur le périmètre de l'engagement, considérant que les courses étrangères n'entraient pas dans son périmètre. Il se prévaut en conséquence des différents rapports du mandataire qui, sur la base du suivi des travaux précités, a conclu au respect de l'engagement depuis le 10 décembre 2015, ainsi que du courrier de l'Autorité qui en a pris acte le 14 mars 2016.

88. Il ajoute que l'engagement n° 1 a exigé une refonte complète de son système informatique, ce qui n'a de sens que si le PMU est totalisateur et répartiteur. Il relève qu'un lien est établi dans la décision de 2014 entre la mise en œuvre de l'engagement n° 1 et le lancement du système informatique central (SIC). Il relève qu'il s'agissait du principal objet de la mission du mandataire (en ce sens la clause 2.4 du contrat de mandat, prévoyant de se faire communiquer les méthodologies de mise en œuvre de projets informatiques, ainsi que les éléments décrivant les différentes étapes du projet dénommé EASY portant sur la migration du système d'informations central du mandant).

89. Il précise que l'adaptation des contrats de partenariat (dissociant les contrats portant sur les activités en ligne et en dur et séparant ainsi les enjeux en dur et en ligne) résulte des exigences de communication à l'ARJEL des contrats relatifs à l'activité en ligne et de ses engagements en matière de comptabilité séparée entre les activités, et non du fait qu'il aurait pu considérer que l'engagement n° 1 s'appliquait également à ces contrats. Il ajoute avoir également supprimé toute exclusivité dans ces contrats.

90. Il fait valoir, en deuxième lieu, que l'interprétation adoptée est disproportionnée au regard de la finalité des engagements. À cet égard, il estime que, compte tenu de l'absence d'exclusivité des partenariats en cause, ses concurrents sont en mesure d'y participer ou de conclure des accords équivalents, aux mêmes conditions et avantages que lui, de sorte que la pratique en cause ne porte pas atteinte à l'égalité des armes entre opérateurs de paris hippiques en ligne. Il relève que l'accord de partenariat conclu entre Zeturf et Phumelela en est l'illustration concrète.

91. Il considère en troisième lieu que l'interprétation de l'Autorité méconnaît le principe de sécurité juridique.

92. Il estime enfin que l'obligation qui en résulte de renoncer à l'un ou l'autre des contrats (« en dur » ou en ligne) conclus avec chaque opérateur étranger limite son droit à conduire une partie de son activité et sa liberté contractuelle, sans qu'une telle limitation n'ait jamais fait l'objet d'une analyse concurrentielle. Il relève également que l'Autorité lui reproche en définitive, non pas de ne pas avoir procédé à la séparation effective de ses masses mais de ne pas avoir demandé à ses partenaires internationaux de procéder à une telle séparation.

93. L'Autorité rappelle, préalablement, qu'il résulte d'une pratique décisionnelle constante en matière d'opération de concentration, transposable aux engagements pris en application de l'article L.464-2 du code de commerce, qu'à la différence d'injonctions imposées par l'autorité de contrôle, les engagements sont proposés par les parties et qu'ils doivent être suffisants pour remédier aux problèmes de concurrence identifiés. Elle rappelle, renvoyant à son étude sur les engagements comportementaux publiée en 2019, que les engagements sont par ailleurs « tous soumis à un socle de principes généraux commandant qu'ils soient à la fois utiles et effectifs ». Elle relève que si le PMU estimait qu'une partie de son activité ne pouvait, pour des motifs à la fois techniques et juridiques, être incluse dans le champ d'application de cet engagement, il lui appartenait de le signaler afin que l'Autorité en tienne éventuellement compte dans sa décision. Elle en déduit qu'à défaut, c'est sans commettre d'erreur de droit et sans inverser la charge de la preuve, que l'Autorité a pu constater, dans la décision attaquée, que la mutualisation des masses d'enjeux en ligne et « en dur » du PMU dans le cadre des partenariats étrangers violait la décision de 2014.

94. Sur le fond, elle se prévaut, en premier lieu, d'une analyse formelle des engagements, gage de sécurité juridique pour les entreprises, et constate que la formulation de l'engagement n° 1, dépourvue d'ambiguïté, ne circonscrit son application :

- à aucun type de paris hippiques et correspond à un engagement général de séparation des masses collectées en ligne et « en dur » par le PMU, dans le cadre de paris portant sur les courses inscrites au calendrier des courses support de paris (§ 101 de la décision attaquée) lequel comprend aussi bien des courses françaises qu'étrangères (§ 13 et suivants de la même décision) ;

- ni aux mises collectées uniquement pour le compte du PMU ou celles totalisées et réparties par ce dernier.

95. Elle relève par ailleurs que, dans sa note de commentaire sur la saisine du 16 avril 2018, le PMU a indiqué avoir réorganisé ses contrats de partenariat en masse commune sur les courses étrangères pour tenir compte de cet engagement et que la date d'entrée en vigueur des avenants conclus à cette fin a été fixée au 10 décembre 2015, date à compter de laquelle le PMU est réputé avoir mis en œuvre son engagement de séparation des masses d'enjeux.

96. Elle observe, ensuite, que l'engagement souscrit ne saurait se cantonner aux implications techniques que sa mise en œuvre emporte, de sorte qu'il est indifférent que celle-ci ait eu pour principale conséquence la refonte du système informatique du PMU.

97. Elle soutient, enfin, que l'utilisation du possessif « sa » dans le libellé de l'engagement ne saurait exclure les masses d'enjeux totalisées par un tiers compte tenu du fait que c'est de par sa qualité d'opérateur de paris en France que le PMU est en mesure de collecter les mises et distribuer les gains sur des paris de courses étrangères. Elle estime que si les enjeux collectés par le PMU sur de telles courses devaient être considérés comme constituant la masse d'enjeux appartenant uniquement à un opérateur étranger, alors il se trouverait en situation de collecter et distribuer les gains pour le compte d'un opérateur non agréé en France, ce qui constituerait une activité illégale. Elle considère que dans ce type d'accord de masse commune, le PMU décide de mettre en commun la masse d'enjeux qu'il collecte en France qui est, par conséquent, la sienne, avec celles d'autres opérateurs étrangers pour bénéficier d'une masse totale plus importante lui permettant de proposer à ses parieurs des produits plus attractifs. Elle en déduit qu'il ne peut contourner l'application de l'engagement qu'il a lui-même proposé au motif qu'il décide de mutualiser sa masse d'enjeux avec d'autres opérateurs étrangers.

98. En deuxième lieu, elle rappelle qu'il appartient à l'entreprise de vérifier, dès le stade de la négociation des engagements, sa capacité à les mettre en œuvre et que le libellé général de l'engagement a été proposé par le PMU. Elle précise également que cet engagement a fait l'objet d'une instruction minutieuse en vue, notamment, de vérifier s'il était propre à mettre fin aux préoccupations de concurrence et que le PMU n'a jamais soulevé une quelconque exception liée aux partenariats de courses étrangères en masse commune, ni demandé à ce que ce type de paris soit exclu du périmètre de l'engagement. Or, elle souligne que le calendrier des courses hippiques approuvé par décret, qui constitue la liste des courses sur lesquelles il est possible de proposer des paris hippiques en France comporte tant des courses françaises que des courses organisées à l'étranger.

99. En troisième lieu, elle fait valoir que le PMU ne peut, a posteriori, reprocher à l'Autorité d'avoir limité une liberté dont il a lui-même proposé la restriction afin de répondre aux préoccupations de concurrence et d'échapper à toute forme de procédure contentieuse. Elle observe qu'il est libre de participer à l'ensemble de ces partenariats internationaux avec un seul type de masse d'enjeux sans que cela constitue un obstacle à l'organisation des paris en masse commune pour l'opérateur étranger.

100. Elle considère ensuite que la proportionnalité des engagements est appréciée au moment de leur adoption et ne saurait être remise en cause au stade du contrôle de leur mise en œuvre.

101. Enfin, elle estime que les conséquences engendrées ne sont pas disproportionnées, répondant aux préoccupations de concurrence. Elle rappelle que les paris proposés sur pmu.fr sur les courses étrangères en masse commune bénéficient principalement de la mutualisation avec la masse d'enjeux du PMU « en dur », l'augmentation de la masse totale d'enjeux étant susceptible d'accroître la stabilité des côtes et donc d'améliorer l'attractivité des paris proposés en ligne par le PMU.

102. Elle en déduit que la mutualisation des masses d'enjeux « en dur » et en ligne du PMU dans le cadre des partenariats étrangers méconnaît ainsi l'engagement souscrit par le PMU, tant au regard de sa lettre que de son esprit, et procure un avantage illégitime à son activité en ligne, ce que la décision n° 14-D-04 visait précisément à éviter.

103. Le ministre chargé de l'économie observe, à titre liminaire, que l'engagement n'est assorti d'aucune limite temporelle et que par son courrier du 13 mars 2016 l'Autorité a rappelé qu'il fallait remédier aux préoccupations de concurrence de manière durable. Il estime également qu'il revenait au PMU de prouver que ses engagements devaient exclure de leur champ les courses étrangères en masse commune. Il ajoute que l'évaluation des pratiques incluaient nécessairement les courses étrangères en masse commune et qu'exiger du PMU qu'il en fasse état ne revient pas à lui imposer de participer à cette évaluation préliminaire.

104. S'agissant de la lettre de l'engagement n° 1, il relève qu'elle fait référence aux mises « collectées » par le PMU sans limiter cet engagement aux seules courses pour lesquelles le PMU est « totalisateur et répartiteur », de sorte qu'il est applicable aux courses étrangères en masse commune.

105. S'agissant du respect de l'engagement, il constate que le PMU a mutualisé les masses d'enjeux collectées dans son réseau physique et sur le site pmu.fr dans le cadre de partenariats avec des opérateurs étrangers, de sorte qu'il s'agit de ses propres masses d'enjeux, ayant donné son accord à cette mutualisation, sans respecter la lettre de l'engagement n° 1.

106. Il considère qu'il semble résulter de la jurisprudence de la Cour de cassation (Com., 26 septembre 2018, pourvoi n° 16-25.403) que ce ne serait que dans I‘hypothèse d'engagements formellement respectés mais pouvant être contournés, qu'il deviendrait nécessaire d'examiner ces mesures au regard de la finalité des préoccupations de concurrence. En cet état, il estime que le constat du non-respect formel d'un engagement n'impose pas une analyse supplémentaire au regard des objectifs visés par les préoccupations de concurrence.

107. Il estime par ailleurs que si la position du mandataire, prise isolément, ne peut, compte tenu des limites de sa mission, établir la violation du principe de confiance légitime, elle a pu, néanmoins, contribuer à donner au PMU un sentiment de sécurité juridique dans un contexte d'éléments convergents susceptibles de conforter cette impression. Il relève également que le fait que l'ARJEL n'ait pas saisi l'ADLC pouvait être interprété par le PMU comme une forme d'approbation de ses pratiques, notamment à l'issue des explications qu'il avait fourni en réponses aux questions de celle-ci.

108. La société Betclic rappelle que la gamme des paris internationaux du PMU s'est élargie sur certaines courses étrangères depuis le 29 avril 2017 et que les rapports et enjeux sont identiques en ligne et en dur, ce qui ne peut s'expliquer que par une mutualisation des masses d'enjeux contraire à la décision n° 14-D-04. Elle souligne l'enjeu des courses internationales pour les opérateurs de courses hippiques, compte tenu notamment de ce que les paris engagés sur les courses à l'étranger ont triplé en 2020 selon l'analyse trimestrielle de l'ANJ (anciennement ARJEL) pour le 4ème trimestre 2020. Elle constate que la pratique relative à la mutualisation des masses d'enjeux dans le cadre des accords conclus avec des opérateurs étrangers est établie et non contestée par le PMU et approuve l'analyse de l'Autorité concernant la portée générale et claire de l'engagement en cause. Elle considère que la mutualisation des masses est critiquée en tant que telle, et ce quelle que soit la course, dès lors qu'elle est susceptible de créer une barrière à l'entrée d'autres opérateurs ou de conduire à les évincer du marché. Elle estime que la mutualisation des mises collectées auprès des parieurs français confère au PMU un avantage concurrentiel par rapport à ses concurrents sur le marché français. Elle souligne que l'ARJEL a, elle-même, interrogé le PMU à deux reprises en 2017 sur la conformité du pari « Simple International » à l'engagement n° 1 et que dans son avis n° 2018-A-001 elle a estimé que l'engagement pris par le PMU de séparer ses masses d'enjeux couvrait l'ensemble des courses sur lesquelles les parieurs pouvaient engager des mises, qu'elles soient françaises ou étrangères, qu'elles fassent l'objet d'une mutualisation avec des opérateurs étrangers ou non. Elle souligne la contradiction à exclure les courses étrangères du périmètre de l'engagement tout en admettant l'avoir pris en compte pour conclure des contrats distincts pour les enjeux en ligne et en dur. Elle ajoute qu'en tant qu'opérateur en position dominante, il lui incombait une responsabilité particulière, comme l'a confirmé la Cour de cassation (Com., 14 octobre 2020, pourvoi n° 18-24.221).

109. Le ministère public estime tout d'abord que la charge de la preuve n'a pas été inversée au regard du rôle que détient le requérant dans l'établissement du périmètre de son engagement.

110. Sur le fond, il partage les analyses de l'Autorité et de la société Betclic qui précédent et rappelle que la décision attaquée, en son paragraphe 66, et l'avis rendu par l'ARJEL concordent pour dire que les partenariats étrangers en masse commune compromettaient les engagements aux préoccupations de concurrence identifiés dans la décision de 2014. Il ajoute que la décision n° 14-D-04 ne circonscrit l'activité litigieuse du PMU dans aucun périmètre géographique et estime que la sous-segmentation que fait valoir le PMU est, ainsi que l'indique l'Autorité, «par hypothèse comprise dans les marchés analysés dans le cadre de la décision de 2014». La formulation de l'engagement en cause étant dépourvue d'ambiguïté, il considère qu'elle ne saurait donner lieu à plusieurs interprétations.

Sur ce, la Cour,

111. Il convient de rappeler, à titre liminaire, qu'en application de l'article L. 464-2, I, du code de commerce, les engagements sont « proposés par les entreprises ou organismes » mis en cause. Étant à leur initiative, il leur appartient, en principe, de s'assurer dès l'origine de leur capacité à les mettre en œuvre.

112. Comme le prévoit ce texte, lorsque les engagements proposés sont « de nature à mettre un terme à ses préoccupations de concurrence », l'Autorité les accepte et les rend obligatoires en notifiant sa décision.

113. Les préoccupations de concurrence à l'origine de la procédure d'engagements sont formalisées dans l'évaluation préliminaire des pratiques réalisée par le rapporteur et portées à la connaissance des entreprises et organismes en cause conformément à l'article R. 464-2 du même code.

114. Comme l'a jugé la Cour de cassation, « la caractérisation d'un manquement à des engagements conduit à vérifier leur respect formel puis, le cas échéant, l'absence de manquement au regard des préoccupations de concurrence ayant donné lieu à ces engagements » (Com., 26 septembre 2018, pourvoi n° 16-25.403).

115. À cet égard, la Cour précise que, comme toute mesure contraignante, l'engagement, qui relève d'une obligation de résultat, est d'interprétation stricte, en faveur de celui qui s'engage.

116. La Cour ajoute que, si l'évaluation préliminaire « ne constitue pas un acte d'accusation au sens de l'article 6 § 1 de la convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales » car elle « n'a pas pour objet de prouver la réalité et l'imputabilité d'infractions au droit de la concurrence en vue de les sanctionner » (Com., 4 novembre 2008, pourvoi n° 07-21.275), elle constitue en revanche le socle de cette procédure négociée, dont va dépendre la nature des engagements proposés, lesquels doivent être pertinents, crédibles et vérifiables. Les engagements étant essentiellement définis au regard des préoccupations de concurrence auxquelles ils ont vocation à mettre fin, l'évaluation préliminaire de ces préoccupations doit être suffisamment précise et non équivoque sur leur périmètre pour permettre le contrôle du respect des engagements. Cette exigence est d'autant plus importante, qu'outre leur pertinence pour remédier à ces préoccupations, les engagements doivent également y être proportionnés selon le point 34 du communiqué de procédure du 2 mars 2009 relatif aux engagements en matière de concurrence, publié par l'Autorité.

117. En l'espèce, concernant la lettre de l'engagement, la Cour rappelle qu'aux termes de l'engagement n° 1 accepté et rendu obligatoire « Le PMU s'engage à procéder à une séparation effective de sa masse unique d'enjeux entre les mises collectées sur son site pmu.fr et celles collectées sur ses autres vecteurs de prises de paris hippiques, au 30 septembre 2015 » (souligné par la Cour).

118. Si l'engagement n° 1, rédigé en termes généraux, ne limite pas son application à certains types de paris hippiques, ni aux seules mises collectées qu'il totalise et répartit, force est de constater qu'il emploie un possessif (« sa masse unique ») qui peut être compris comme se rapportant à la masse d'enjeux qu'il collecte, gère et répartit lui-même, au regard de ce qui était en débat devant l'Autorité en 2014 et des termes de la décision n° 14-D-04 qui en éclaire la portée :

- le délai nécessaire pour sa mise en œuvre a été justifié par le fait que « l'activité de prise de paris hippiques du PMU est totalement dépendante de son système informatique central (SIC) car c'est lui qui gère toutes les opérations nécessaires au traitement d'un pari hippique » (décision n° 14-D-04, § 118, souligné par la Cour) ;

- il est exclusivement fait référence aux charges qui lui incombent en qualité de totalisateur (même décision § 129 : « Ce que propose le PMU consiste à faire 'évoluer le totalisateur central actuel pour le mettre en capacité de traiter séparément les deux masses' ») étant précisé que « [l]a fonction d'un totalisateur est, à partir des données d'enregistrement de prises de paris qu'il reçoit, de procéder au calcul des rapports, à leur diffusion, à la distribution des gains et à l'historisation du détail de chaque pari » (décision n° 14-D-04 § 159).

119. Or, aux termes de la décision attaquée, il est constant que dans le cadre des partenariats de masse commune relatifs aux courses étrangères « Les contrats de partenariats prévoient (...) la répartition du profit réalisé sur chaque pari entre l'organisateur des paris et ses partenaires » (décision attaquée § 51). « L'opérateur étranger est également le totalisateur des masses collectées par les différents participants à la masse commune : il reçoit et traite les informations relatives aux paris pris et aux mises collectées par tous ses partenaires. En fonction de ces informations, l'opérateur calcule le rapport des paris (...) ainsi que les gains à distribuer » (même décision, § 52).

120. Il est établi qu'à la suite des différents engagements rendus obligatoires, le PMU a formalisé des contrats de partenariats étrangers distincts pour les collectes en ligne et en dur, dans les circonstances rappelées aux paragraphes 53 et suivants de la décision attaquée, et qu'il a été prévu, dans certains cas, un effet rétroactif au 10 décembre 2015. La circonstance que le PMU ait harmonisé l'ensemble de ses activités (incluant les partenariats étrangers pour lesquels il n'est pas totaliseur/répartiteur des enjeux collectés) afin de formaliser, par des contrats distincts, les collectes opérées en ligne et celles effectuées dans son réseau physique, n'est pas de nature à établir que les préoccupations de concurrence et l'engagement pris pour y répondre ont été ab initio clairement définis comme couvrant l'activité internationale du PMU. En effet, la Cour rappelle que la refonte du système informatique central (SIC) a été considéré comme le support matériel de l'engagement n° 1, indispensable pour obtenir une séparation des masses d'enjeux, qu'elle a été mise en rapport avec les contraintes résultant de la « fonction d'un totaliseur » (décision n° 14-D-04, § 159) qui renvoie en premier lieu aux courses françaises pour lesquelles le PMU assume cette charge et que ces modifications ont également été rendues nécessaires par l'engagement 2.3 de séparation comptable. Elle a par ailleurs eu pour finalité de satisfaire, de manière plus ciblée, la communication des partenariats relatifs aux activités en ligne à destination de l'ARJEL.

121. La Cour relève, concernant les préoccupations de concurrence, qu'aux termes du paragraphe 116 de la décision n° 14-D-04 « (...)l'évaluation préliminaire a considéré que la pratique de mutualisation par le PMU de ses masses d'enjeux enregistrées en ligne et « en dur » suscite des préoccupations de concurrence en ce que le PMU utilise les ressources de son monopole légal sur les paris hippiques « en dur », dont ne disposent pas ses concurrents sur le marché des paris hippiques en ligne, afin de renforcer l'attractivité de son offre sur un marché ouvert à la concurrence. Cette inégalité des armes en faveur de Pmu.fr est susceptible de fausser la concurrence sur le marché des paris hippiques en ligne et d'être qualifiée, au terme d'une procédure contradictoire, d'abus de position dominante en application des articles L. 420-2 du code de commerce et 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ».

122. Le marché géographique en cause a été délimité comme étant national, aux motifs que « [l]e marché des paris hippiques 'en dur', qui est un monopole institué par la loi française, se limite par définition au champ d'application territorial de celle-ci. Pour le marché des paris hippiques en ligne, compte tenu des différences de législation considérables entre les États membres en la matière, de la barrière de la langue et de l'interdiction, sous peine de sanctions pénales très lourdes, de proposer une offre de paris hippiques sans être agréé par l'ARJEL, il doit être considéré que ce marché a également une dimension nationale » (§ 60 de cette même décision).

123. Le marché pertinent a été défini, pour sa part, comme portant sur les paris hippiques, en ces termes :

« 45. Il résulte de ce qui précède qu'il existe un marché pertinent des paris hippiques distinct tant du marché des jeux de cercle que du marché des paris sportifs » ;

« 56. D'une manière plus générale, les paris hippiques « en dur » relèvent d'un monopole légal alors que les paris hippiques en ligne sont ouverts à la concurrence, différence majeure qui justifie pleinement une segmentation ».

124. La Cour constate que la saisine de 2012, comme les développements de la décision n° 14-D-04, concernant les avantages non réplicables par les opérateurs alternatifs, sont essentiellement centrés sur les avantages retirés du Quinté +, présenté comme le « produit phare » du PMU (§ 91, § 103 et suivants), précision étant faite de ce que « ce qui vaut pour le Quinté + vaut également pour les autres paris hippiques en ligne » (§ 155). Les autres paris hippiques évoqués dans cette décision (§ 100), tels que le Tiercé, le Couplé ou le Trio, sont, comme le Quinté +, exclusivement relatifs aux paris proposés par le PMU sur des courses françaises, comme les parties l'ont confirmé à l'audience. S'il est évoqué au paragraphe 16, l'évolution des paris pris à l'international en masse commune sur les courses françaises, aucune attention n'a été portée aux paris pris en masse commune sur les courses étrangères.

125. S'il est constant que les paris hippiques pris en France peuvent être proposés sur l'ensemble des courses françaises et étrangères qui sont inscrites au calendrier des courses approuvé par décret du ministre de l'agriculture et de l'alimentation, force est de constater qu'il n'y a dans la décision d'engagement n° 14-D-04 aucune mention de cet élément, ni aucune référence aux paris portant sur les courses internationales telles que le « Couplé Ordre international » ou le « Trio Ordre International », qui sont invoquées par la société Betclic dans le cadre de la seule procédure 17/0231R (décision attaquée, § 38).

126. Il ne résulte pas davantage des éléments soumis à la Cour que les opérateurs étrangers, partenaires du PMU, aient été associés au test de marché, prévu par l'article R. 464-2 du code de commerce, destiné à recueillir les observations des tiers intéressés sur l'offre d'engagements du PMU, avant qu'ils ne soient rendus obligatoires.

127. La Cour rappelle que, lorsqu'elle rend obligatoire les engagements, l'Autorité veille à ce qu'ils soient proportionnés aux préoccupations de concurrence identifiées, conformément au principe qu'elle s'est fixé au point 34 de son communiqué de procédure. À cet égard, retenir l'interprétation donnée par la décision attaquée et inclure les partenariats étrangers dans le périmètre de l'engagement reviendrait à priver ces partenaires d'une partie de leur chiffre d'affaires et le PMU d'une partie de son activité (en lui imposant d'y renoncer en raison du choix qu'il impliquerait entre les contrats portant sur la collecte en ligne et ceux portant sur la collecte en dur, qui ne pourraient se cumuler), et ce sans que leurs conséquences n'aient été évaluées, ni même envisagées. Or, les éléments postérieurs mettent en doute le fait que les courses françaises et étrangères suscitent les mêmes préoccupations de concurrence et qu'elles aient le même impact. Sur ce point, la Cour renvoie aux constatations opérées au paragraphe 32 du présent arrêt, concernant la baisse de part de marché du PMU résultant de la séparation des masses ayant pour périmètre les courses françaises et à l'avis de l'ARJEL de 2018 concernant l'analyse d'un échantillon constitué par quatre coupes semestrielles portant chacune sur deux semaines de réunions hippiques de février 2017 à septembre 2018, aux termes duquel « les parts de marché respectives du PMU et de Zeturf sont identiques sur les réunions étrangères comportant des courses mutualisées et sur celles qui n'en comportent pas » (§ 19).

128. La Cour ajoute que les paris sur les courses étrangères n'emportent pas, en eux-mêmes, les mêmes conséquences que ceux qui portent sur les courses françaises. Les contrats de partenariat étrangers prévoient en effet des rapports et des gains à distribuer nécessairement identiques pour tous les participants à la masse commune (décision attaquée, § 52), de sorte qu'à l'instar de Zeturf qui a conclu un accord de masse commune avec l'opérateur Phumelela (même décision,§ 62), rien ne s'oppose à ce que d'autres opérateurs actifs sur le marché français concluent un contrat similaire à celui du PMU et bénéficient ainsi de la masse commune litigieuse, dans un rapport d'égalité. Or, il doit être à nouveau rappelé que les préoccupations identifiées dans la décision n° 14-D-04 mettaient en cause les avantages qui ne pouvaient être répliqués par les concurrents du PMU et qui renforçaient l'attractivité de son offre en ligne.

129. Si l'avis de l'ARJEL précité indique que les avantages que retire le PMU de la mutualisation de ses masses d'enjeux en ligne et en dur «sont potentiellement présents quelle que soit la localisation des courses supports des paris concernés», force est de constater que le même avis a relevé que l'« absence apparente d'impact de la mutualisation sur des courses étrangères contraste avec la situation observée sur le marché global », précisant que « l'effet de la mutualisation des masses sur certains des paris pris sur des courses étrangères semble minime, voire inexistant sur l'échantillon étudié » (§ 20). En définitive, alors qu'il constate que « la séparation des masses, mise en œuvre en décembre 2015, a eu un impact important sur le marché des paris hippiques en ligne », l'ARJEL ne constate concrètement aucun effet de la mutualisation de certains paris pris sur les courses étrangères sur la situation concurrentielle du marché, se bornant à indiquer que « si l'on ne note pas d'effet positif de la mutualisation sur la part de marché relative du PMU, rien ne permet d'écarter son impact sur les perceptions des offres concurrentes » et qu'il convient d'être prudent dans les conclusions à tirer d'un simple échantillon (§20). Sur le verrouillage du marché étranger, l'ARJEL constate enfin que les plaignantes ne produisent pas d'éléments permettant de vérifier leur assertion selon laquelle le PMU les empêcheraient de conclure des partenariats avec les opérateurs étrangers (§ 27 à 29) et conclut par le fait qu'« en l'état, à la supposer avérée, l'impact de cette pratique sur le marché français des paris hippiques reste à établir, même s'il est vrai qu'il est difficile, voire impossible, de le quantifier ».

130. Il s'ensuit que, contrairement à ce que soutient l'Autorité, les préoccupations de concurrence qui prenaient leur sources dans le fonctionnement des paris mutuels du PMU portant sur les courses françaises n'ont pas intégré dans leur périmètre les courses étrangères, de sorte que le PMU, lorsqu'il a proposé ses engagements, ne pouvait pas raisonnablement considérer qu'il devait y intégrer ses activités de prises de paris sur des courses organisées par des opérateurs étrangers, auxquelles la décision n° 14-D-04 du 25 février 2014 n'a consacré aucun développement, ni la moindre investigation, notamment à l'occasion du test de marché.

131. En définitive, il ne ressort d'aucun des éléments précités que l'engagement n° 1, comme les préoccupations de concurrence identifiées dans la décision n° 14-D-04 auxquelles il répondait, ait explicitement inclus les activités internationales du PMU en cause ou les ait implicitement mais nécessairement comprises dans son périmètre, alors :

- d'une part, qu'elles ont cette double particularité d'être régies par des contrats de partenariat dans le cadre desquels le PMU n'assume pas le rôle de totaliseur et répartiteur (rôle dévolu à l'opérateur étranger) et où les différents participants à la masse commune bénéficient de rapport de paris et de gains identiques, circonstance qui n'a pas été examinée en 2014 ;

- d'autre part, que la poursuite de tels contrats après l'évaluation préliminaire des pratiques serait inconciliable avec la position prise par l'Autorité à l'issue de la procédure 12/0001F, s'il devait être considéré qu'ils entraient dans le périmètre de l'engagement.

132. À cet égard, il doit être rappelé qu'à la suite du test de marché réalisé (qui n'a pas associé les partenaires étrangers), le PMU a proposé la désignation d'un mandataire indépendant « en charge du suivi de la mise en œuvre de son engagement de séparation de ses masses d'enjeux en dur et en ligne, disposant des qualifications nécessaires à cette fin ». C'est dans ces circonstances qu'un mandataire a été agréé par l'Autorité le 8 avril 2014, dont le mandat prévoyait que « [l]e Mandataire devra, pour le compte de l'Autorité, veiller au respect par le Mandant de l'Engagement de Séparation des Masses et assurer, conformément au plan de travail agréé par l'Autorité, les missions qui lui sont assignées par le présent Mandat » (article 2-1).

133. Aux termes des rapports établis par le mandataire agréé par l'Autorité, le PMU s'est parfaitement acquitté de son obligation de séparation des masses d'enjeux, laquelle était effective au 10 décembre 2015, ce qui a été confirmé par deux constats d'huissier réalisés les 9 et 17 décembre 2015.

134. Par une lettre du 19 septembre 2019 adressée au PMU, versée à la procédure, ce mandataire a indiqué que « s'est posée dès le début de la mission la question de l'inclusion dans le périmètre des travaux de séparation des masses, tel qu'effectué par Ie PMU et revu par KPMG dans le cadre de sa mission de Mandataire, des masses d'enjeux en dur et en ligne collectes par le PMU sur certaines courses étrangères et réparties par des partenaires étrangers » et que « le périmètre des travaux de séparation des masses effectué par le PMU en application de la décision n° 14-D-04 sous la supervision du Mandataire avait ainsi exclu ces partenariats de son champ d'application ».

135. Les rapports intitulés « mission de suivi de l'engagement de séparation des masses d'enjeux », qui ont été adressés à l'Autorité, entre le 28 avril 2014 et le 31 janvier 2016, ont référencé les documents qui ont guidé son contrôle, en particulier :

- le document d'expression des besoins intitule Lot 1 V8, qui mentionne en page 7 au titre de l'examen des « Règles sur la répartition », dans l'hypothèse où le PMU serait collecteur d'enjeux et le répartiteur serait un opérateur international, que « les enjeux intégreront les masses d'enjeux offline et online » ;

- le Codir SDM du 11 juillet 2014, « auquel a assisté KPMG », dans lequel est évoquée la problématique de la répartition par un opérateur étranger, en page 6 des slides : « les paris internationaux sont répartis par un opérateur externe et ne sont pas soumis à la séparation des masses. L'offre sera donc identique sur l’offline ou le online à l'horizon de la SDM » (soulignements ajoutés par la Cour).

136. À l'occasion de son huitième et dernier rapport final du 31 janvier 2016, ce mandataire a conclu qu'« [a]u regard des travaux de suivi du projet de séparation des masses menés depuis notre dernier rapport, nous confirmons la séparation effective des masses depuis le 10 décembre 2015 et le respect par le PMU de son engagement de séparation des masses avant le 31 décembre 2015, tel que présenté dans l'avis circonstancié transmis à l'Autorité le 12 juin 2015 » notant également que « la SDM a été également confirmée par deux constats d'huissiers attestant de la réalité de la SDM pré bascule (le 9 décembre 2015) et post bascule (le 17 décembre 2015) sur des courses de typologie similaire ».

137. Si les rapports établis par le mandataire sont de nature à éclairer utilement l'analyse effectuée par l'Autorité, qui n'est toutefois pas liée par ses appréciations (Conseil d'État, arrêt du 21 décembre 2012, considérant 41) la Cour relève que l'Autorité a, par une lettre du 14 mars 2016, confirmé au PMU « [à] l'examen du rapport final de KPMG, mandataire, en date du 31 janvier 2016 » que cette séparation était intervenue le 10 décembre 2015 et lui demandait de « persister dans le respect de cet engagement ».

138. Il ne peut être sérieusement soutenu, pour remettre en cause l'analyse validée par l'Autorité en 2016 relative à la bonne exécution de l'engagement n° 1, qu'il incombait au mandataire agréé et au PMU de saisir l'Autorité de toute difficulté d'interprétation, alors que :

- ni la plainte de 2012 ni l'évaluation préliminaire des préoccupations de concurrence transmises aux parties le 7 octobre 2013 n'avaient soulevé d'interrogation concernant la situation concurrentielle en matière de paris internationaux ;

- des contrats en masse commune conclus en juillet 2012 (Tote Ireland) et octobre 2014 (Phumelela) poursuivaient leurs effets sans susciter la moindre opposition, alors que ces opérateurs étrangers auraient dû être traités comme des tiers intéressés si le périmètre de l'engagement avait été considéré ab initio comme incluant ces contrats ;

- et qu'il incombe à l'Autorité de veiller à l'exécution de ses décisions en application du sixième alinéa de l'article L. 464-8 du code de commerce, impliquant un suivi effectif de la bonne exécution des engagements.

139. Au demeurant, l'Autorité n'a formulé aucune observation à la suite des huit rapports qui lui ont rendu compte du déroulement de la séparation des masses entre avril 2014 et janvier 2016, et n'a jamais sollicité d'informations complémentaires sur « le périmètre de l'engagement ainsi que les modalités de travail » évoqué à titre liminaire dans le rapport final.

140. Il ne peut donc être soutenu que la situation en cause n'a fait l'objet d'aucun examen de la part de l'Autorité lorsqu'elle a donné acte au PMU de l'exécution de son engagement n° 1 par lettre du 14 mars 2016 (lorsqu'il s'agit de contester toute prise de position explicite sur la conformité de la pratique) et dans le même temps être prétendu que les contrats de partenariat sont nécessairement inclus dans son périmètre (et ainsi qu'ils seraient en eux-mêmes contraires à cet engagement), alors qu'ils n'ont jamais été remis en cause à l'occasion de la procédure 12/0001F.

141. L'Autorité, qui a ainsi entériné en 2016 la conclusion à laquelle était parvenu le mandataire qu'elle avait agréé « sans jamais remettre en cause, ni même demander, le document d'expression des besoins et le CODIR SDM du 11 juillet 2014 mentionnés comme ayant servi de base à sa mission de contrôle et qui faisaient clairement état du périmètre retenu pour la séparation des masses d'enjeux » ne peut se prévaloir de ses propres carences pour déplorer le fait que la problématique n'a jamais été soulevée.

142. Il se déduit de l'ensemble de ces éléments que la lettre de l'engagement n° 1 est respectée depuis le 10 décembre 2015.

143. Il ne résulte par ailleurs d'aucun élément de la procédure que les contrats de partenariats de masse commune sur les courses étrangères conclus par le PMU, dépourvus de toute clause d'exclusivité à son bénéfice, ont eu pour conséquence de priver son engagement de toute portée et de produire les effets anticoncurrentiels qu'il entendait prévenir. Aucune inégalité des armes n'affecte en effet la prise de paris sur ces courses dès lors que rien ne s'oppose à ce que les concurrents du PMU concluent les mêmes accords en masse commune et bénéficient des mêmes avantages, ce que Zeturf a été précisément en mesure de faire.

144. La décision doit en conséquence être réformée, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens invoqués, le non-respect de l'engagement n° 1 n'étant pas établi et le prononcé d'une sanction devenant sans objet.

A. Sur les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

145. Le PMU demande à la Cour de condamner l'Autorité et la société Betclic à lui payer respectivement 25 000 euros et 100 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

146. La société Betclic demande à la Cour de condamner le PMU à lui payer la somme de 20 000 euros, sauf à parfaire, sur le même fondement.

147. Le PMU prospérant dans son recours, la demande de la société Betclic doit être rejetée.

148. L'équité justifie de mettre les dépens à la charge de la société Betclic mais ne commande pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile dans le contexte factuel de l'espèce.

PAR CES MOTIFS

REFORME dans son intégralité la décision de l'Autorité de la concurrence n° 20-D-07 du 7 avril 2020 relative au respect des engagements figurant dans la décision n° 14-D-04 du 25 février 2014 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des paris hippiques en ligne ;

DIT que le non-respect de l'engagement n° 1 de séparation de ses masses d'enjeux, souscrit par le PMU et rendu obligatoire par la décision de l'Autorité de la concurrence n° 14-D-04 du 25 février 2014, n'est pas caractérisé ;

RAPPELLE que le présent arrêt constitue le titre qui ouvre droit à restitution des sommes versées en exécution de la décision annulée, assortie des intérêts au taux légal à compter du prononcé de cet arrêt ;

ORDONNE au bénéfice du PMU la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil ;

REJETTE les demandes du PMU et de la société Betclic enterprises limited formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société Betclic enterprises limited et l'Autorité aux dépens.