Cass. 3e civ., 8 avril 2021, n° 19-23.183
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chauvin
Avocats :
SCP Nicolaý, de Lanouvelle et Hannotin, SCP Spinosi
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 25 juin 2019), la société Distribution Casino France (la locataire) est bénéficiaire d'un bail commercial consenti le 31 août 2005 par la société Gauvin.
2. Après avoir délivré un congé avec offre de renouvellement le 11 octobre 2013, la bailleresse a assigné la locataire devant le juge des loyers commerciaux en fixation du loyer du bail renouvelé.
3. Le 11 avril 2016, la locataire a assigné la bailleresse devant le tribunal de grande instance pour voir réputée non écrite la clause d'indexation figurant au bail.
Examen des moyens
Sur le moyen unique du pourvoi incident, qui est préalable
Enoncé du moyen
4. La société Gauvin fait grief à l'arrêt de déclarer recevable la demande de la société Distribution Casino France de voir déclarer non écrite la clause d'indexation du bail commercial, alors :
« 1°) que la loi ne dispose que pour l'avenir, elle n'a point d'effet rétroactif ; qu'en l'absence de dispositions transitoires expresses, une loi nouvelle ne peut avoir d'effet sur une situation contractuelle passée ; qu'en retenant néanmoins que la loi n° 2014-628 du 18 juin 2014 s'appliquait aux baux conclus antérieurement à son entrée en vigueur, la cour d'appel, qui a conféré à la loi un effet rétroactif, a violé l'article 2 du code civil ;
2°) qu'une loi, même rétroactive, ne peut revenir sur une situation juridique définitivement acquise ; que, sauf volonté contraire expressément affirmée par le législateur, la loi qui modifie le délai d'une prescription n'a point d'effet sur la prescription définitivement acquise ; que, néanmoins, la cour d'appel a estimé que l'action tendant à faire réputer non-écrite la clause était recevable au motif que la clause contractuelle réputée non-écrite est censée n'avoir jamais existé, de sorte que la contestation de sa validité ne peut pas être soumise à une prescription particulière ; qu'en statuant ainsi, alors que la loi n° 2014-628 du 18 juin 2014, qui a substitué la sanction du réputé non-écrit à celle de la nullité, ne pouvait avoir d'effet sur la prescription de l'action antérieurement acquise, la cour d'appel a violé l'article 2 du code civil ;
3°) que la loi ne dispose que pour l'avenir, elle n'a point d'effet rétroactif ; qu'elle ne peut, par exception, produire un effet pour le passé que si cette rétroactivité est justifiée par un motif impérieux d'intérêt général ; que retenant que la loi n° 2014-628 du 18 juin 2014 était applicable au contrat de bail litigieux, conclu en 2005, sans procéder à la recherche nécessaire d'un motif impérieux d'intérêt général, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2 du code civil, ensemble l'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits et des libertés fondamentaux. »
Réponse de la Cour
5. La loi du 18 juin 2014, qui, en ce qu'elle a modifié l'article L. 145-15 du code de commerce, a substitué, à la nullité des clauses ayant pour effet de faire échec aux dispositions des articles L. 145-37 à L. 145-41 du code de commerce, leur caractère réputé non écrit, est applicable aux baux en cours.
6. La cour d'appel a retenu à bon droit que l'action tendant à voir réputée non écrite une clause du bail n'est pas soumise à prescription.
7. Elle en a exactement déduit que l'action engagée par la locataire, le 11 avril 2016, soit après l'entrée en vigueur de la loi précitée, était recevable.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le premier moyen du pourvoi principal, ci-après annexé
9. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche, et sur le troisième moyen du pourvoi principal, réunis
Enoncé des moyens
10. Par son deuxième moyen, pris en sa première branche, la société Gauvin fait grief à l'arrêt de confirmer les jugements rendus le 1er décembre 2015 et le 12 décembre 2017 et, partant, de fixer le prix du bail à la somme annuelle hors charges et hors taxes de 389 350 euros à compter du 11 octobre 2013, dit que les loyers arriérés porteront intérêt au taux légal avec capitalisation alors : « que la portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l'arrêt qui la prononce ; qu'elle s'étend conformément à l'article 624 du code de procédure civile à l'ensemble des dispositions de la décision cassée ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire ; que la cassation qui interviendra sur le premier moyen emportera, par voie de conséquence et en raison du lien de dépendance nécessaire, la censure du chef de l'arrêt ayant accueilli la demande de révision du loyer formée par la société Dalladel ;
11. Par son troisième moyen, la société Gauvin fait grief à l'arrêt de confirmer les jugements rendus le 1er décembre 2015 et le 12 décembre 2017 et, partant, de dire que le montant du dépôt de garantie résulte de l'application de la clause d'échelle mobile au montant initial, de deux termes de loyers, augmenté des intérêts légaux pour les sommes excédant celle qui correspond au prix du loyer de plus de deux termes et rejeté la demande de restitution de la société distribution Casino France au titre d'un trop perçu résultant de l'indexation du dépôt de garantie, alors : « que la portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l'arrêt qui la prononce ; qu'elle s'étend conformément à l'article 624 du code de procédure civile à l'ensemble des dispositions de la décision cassée ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire ; que la cassation qui interviendra sur le premier moyen emportera, par voie de conséquence et en raison du lien de dépendance nécessaire, la censure du chef de l'arrêt ayant rejeté la demande de condamnation de la société Dalladel au paiement de la somme de 39.791 euros au titre des ajustements du dépôt de garantie en application de la clause d'indexation. »
Réponse de la Cour
12. La cassation n'étant pas prononcée sur le premier moyen, le grief tiré d'une annulation par voie de conséquence est devenu sans portée.
Mais sur le deuxième moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, du pourvoi principal
Enoncé du moyen
13. La société fait grief à l'arrêt de fixer le prix du bail à une certaine somme annuelle hors charges et hors taxes à compter du 11 octobre 2013 et de dire que les loyers arriérés porteront intérêt au taux légal avec capitalisation, alors :
« 2°) que conformément à l'article R. 145-8 du code de commerce, les obligations incombant normalement au bailleur mais dont celui-ci s'est déchargé sur le locataire constituent un facteur de diminution de la valeur locative ; qu'à défaut de clause expresse, le preneur n'est pas redevable des grosses réparations au sens de l'article 606 du code civil ; qu'en l'espèce, en jugeant que la mise à la charge du preneur de telles obligations n'est pas une clause exorbitante en matière de bail commercial, de sorte qu'elle ne constitue pas un facteur de diminution de la valeur locative, la cour d'appel a violé les articles précités, ensembles l'article L. 145-33 du code de commerce ;
3°) conformément à l'article R. 145-8 du code de commerce, les obligations incombant normalement au bailleur mais dont celui-ci s'est déchargé sur le locataire constituent un facteur de diminution de la valeur locative ; qu'à défaut de clause expresse, le preneur n'est pas redevable de la taxe foncière ; qu'en l'espèce, en jugeant que la mise à la charge du preneur d'un tel impôt n'est pas une clause exorbitante en matière de bail commercial, de sorte qu'elle ne constitue pas un facteur de diminution de la valeur locative, la cour d'appel a violé l'article précité, ensembles l'article L. 145-33 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 145-33 et R. 145-8 du code de commerce :
14. Selon le premier de ces textes, à défaut d'accord entre les parties, le montant du loyer du bail renouvelé doit correspondre à la valeur locative déterminée, notamment, au regard des obligations respectives des parties. Selon le second, les obligations incombant normalement au bailleur dont celui-ci s'est déchargé sur le locataire constituent un facteur de diminution de la valeur locative.
15. Pour fixer le montant du loyer du bail renouvelé, l'arrêt retient qu'il est d'usage, dans les centres commerciaux et pour des grandes surfaces, que les charges relatives aux travaux visées à l'article 606 du code civil et au remboursement de la taxe foncière soient imposées au preneur, qu'elles ne sont pas exorbitantes en matière de bail commercial s'agissant de grandes surfaces de vente et que les valeurs locatives de référence concernent des locaux et des baux incluant la prise en charge par le preneur de l'impôt foncier et des travaux de l'article 606 du code civil.
16. En statuant ainsi, alors que, sauf disposition expresse, tant les grosses réparations que le paiement de la taxe foncière sont à la charge du bailleur et que les obligations incombant normalement au bailleur, dont celui-ci s'est déchargé sur le locataire, constituent un facteur de diminution de la valeur locative, la cour d'appel a violé les textes susvisés. PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a fixé à la somme de 389 350 euros le prix du bail renouvelé à compter du 11 octobre 2013, l'arrêt rendu le 25 juin 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence.